Les deep techs sont-elles l’avenir de l’économie ?

05/11/2018, classé dans

Au sein du monde des start-up, la mode est au « deep tech ». Cet acronyme signifie deep technological innovations et désigne les entreprises intervenant dans le secteur des technologies de pointe issues de la recherche fondamentale. Elles sont présentes dans les domaines de l’intelligence artificielle, des biotechnologies, de nanotechnologies, des neurosciences et de la robotique. La logique sous-jacente des « deep tech » est de développer des solutions de rupture pouvant modifier en profondeur des secteurs comme les transports, la finance, la santé, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications ou la distribution. Ces start-up sont souvent à l’initiative de chercheurs et sont associées à des centres de recherche fondamentale. Elon Musk (Tesla, Space X, Hyperloop) est le symbole de la montée en puissance des « deep tech ». Les géants de l’Internet comme Google, Apple ou Facebook investissent fortement dans les « deep tech ». Selon le fonds britannique Atomico, en 2015, plus de 3 500 « deep tech » étaient dénombrées pour 140 000 start-up.

 

Selon une étude du Boston Consulting Group, en 2016, ce secteur draine une part croissante des capitaux. Ainsi, en 2016, 7,9 milliards de dollars ont été investis dans les biotechnologies, contre 1,7 milliard en 2011. Les investissements consacrés aux « deep tech » impliquées dans le secteur de l’environnement ont quadruplé, passant de 100 millions en 2009 à 416 millions de dollars en 2016. Quant aux entreprises spécialisées dans la réalité virtuelle ou augmentée, dans les technologies de l’espace et les drones, elles ont obtenu 3,5 milliards de dollars de financement en 2015, contre 104 millions en 2011. Selon cette étude, 950 start-up consacrées aux « deep tech » ont été créées en Europe entre 2014 et 2016 contre 1 252 aux États-Unis. En Europe, 1,33 milliard de dollars ont été investis en 2015 contre 289 millions en 2011. Avec 582 millions de dollars d’investissements cumulés dans les « deep tech » pour la période 2011-2016, la France dépasse l’Allemagne (480 millions de dollars) et se situe à la seconde place européenne, loin derrière le Royaume-Uni (1 342 millions de dollars).

 

Les entreprises digitales intègrent de plus en plus des départements recherche ou acquièrent des start-up pour être présentes sur le créneau de la très haute technologie. C’est le cas en particulier de Google qui a créé une filiale indépendante, Google Life Sciences, renommée Verily. Cette entreprise, avec le concours de Sanofi, développe des objets connectés pour le suivi du diabète. Uber, Apple et encore Google investissent dans les voitures sans conducteur, tandis que Facebook travaille sur des projets mettant en jeu l’intelligence artificielle, les drones et la réalité virtuelle.  Ces groupes disposant d’importantes réserves financières interviennent sur des secteurs autrefois réservés à des grands groupes spécialisés dans la santé, l’aéronautique, les véhicules à moteur, etc. L’arrivée de nouveaux acteurs du digital spécialistes du disruptif permet un renouvellement des approches en matière de recherche développement mais constitue aussi une source d’inquiétudes pour les entreprises traditionnelles. Les « deep tech » mettent très rapidement en pratique les résultats de leur recherche. Ainsi, le premier tronçon de « l’Urban loop », métro souterrain à grande vitesse d’Elan Musk à Los Angeles, dont l’idée n’est officielle que depuis le printemps dernier, sera ouvert au public dès le 11 décembre 2018. Ce premier tronçon de 4 kilomètres préfigure la ligne de métro qui traversera Los Angeles, reliant Beverly Hills au Dodgers Stadium, à l’autre extrémité de la ville, en moins de quatre minutes.

 

Les entreprises du numérique se livrent une forte concurrence pour disposer des meilleures inventions. À cette fin, les entreprises Dropbox et Airbnb ont participé en 2016 à l’amorçage d’une centaine de start-up de pointe en 2016.

 

Les « deep tech » se distinguent des start-up traditionnelles par l’importance des besoins en capitaux, par des temps de retour sur investissement élevés et par la nécessité d’intégrer des process industriels. Tesla a fait l’amère expérience de la complexité de produire des voitures électriques en masse.

 

Du fait d’un marché de capitaux moins large en Europe qu’aux États-Unis, les « deep tech » européennes dépendent plus des subsides de l’État. Ainsi, en France les fonds publics sont cruciaux pour 45 % des start-up contre 25 % aux États-Unis. La majorité des « deep tech » françaises se financent encore essentiellement via les familles des inventeurs et les réseaux d’amis. Seulement 21 % d’entre-elles font appel aux business angels. 13 % recourent aux universités, 5 % aux fonds de capital-risque et 5 % aux grands groupes (5 %). Les grands groupent ne pèsent en France que 5 % du financement des « deep tech », contre 20 % aux États-Unis. En Chine, le rôle de l’État est majeur quand, au Japon, le financement est assuré par les grands groupes.

 

En Europe, l’association à un grand groupe est indispensable pour percer. C’est le souhait de 95 % des créateurs de start-up. 57 % y parviennent. Même si leur poids tout comme leur visibilité s’accroit les fonds de capital-risque, les « business angels », les incubateurs ou les universités ne sont pas encore considérés comme des acteurs clefs pour le développement d’une « deep tech ».  L’appui d’un grand groupe est jugé indispensable pour le financement pérenne, l’accès au marché, l’expertise technique, le déploiement commercial, et l’apport de moyens matériels ou humains. En Europe, les grands groupes sont de plus en plus présents sur le créneau des « deep tech » afin d’éviter une immixtion des GAFA dans leurs secteurs d’activité.

 

Au sein du monde des « deep tech », des différences existent en fonction de leur pays d’origine en lien avec les modes de financement et les spécificités des systèmes éducatifs. Ainsi, aux États-Unis et au Royaume-Uni, les « start-up » associent expérimentation et développement avec une forte adaptation au marché (40 % des start-up technologiques aux États-Unis et au Royaume-Uni contre 20 % dans le reste du monde). La France se caractérise par des start-up ayant un faible niveau d’adéquation au marché. Elles sont plus axées recherche fondamentale et éprouvent des difficultés pour passer au stade de la réalisation de solutions concrètes. La France souffre de l’étroitesse de son secteur industriel et de la faible implication en son sein des chercheurs. Peu d’entre eux deviennent des dirigeants d’entreprise. En revanche, le savoir-faire des Français en matière d’intelligence artificiel est reconnu. Un Français Yann Le Cun dirige les recherches en intelligence artificielle au sein de Facebook qui a choisi Paris pour accueillir son laboratoire consacré à ce domaine. Quatre autres entreprises internationales, dont Sony et Huawei, ont également choisi Paris pour installer des centres de recherche sur l’intelligence artificielle.

 

Parmi les dix établissements d’enseignement en science informatique les plus réputés au monde, cinq se trouvent en Europe (ETH à Zurich, Oxford, Imperial College à Londres, EPF à Lausanne et TU Munich). L’Europe compte 4,7 millions de développeurs professionnels, contre 4,1 millions aux États-Unis. Paris en recense 134 000, se plaçant juste après Londres (300 000) et devant Berlin (82 000).

 

Les start-up européennes du fait de leur problème de financement, du manque de profondeur de leur marché national et de l’étroitesse de leur réseau éprouvent des difficultés à s’imposer face à leurs concurrents américains ou asiatiques. Conscients de l’enjeu stratégique de ce secteur d’activité, les pouvoirs publics français entendent mettre en œuvre une politique dynamique. Le Président de la République a ainsi appelé à la création d’une agence d’innovation de rupture, dotée de moyens « conséquents » pour financer des technologies émergentes sur le modèle de la « Darpa », l’agence américaine aux si nombreux succès. Il a aussi annoncé la création d’un fonds doté de 10 milliards d’euros pour financer l’innovation, abondé par l’argent des privatisations. Dans les faits, ce sont les revenus des placements soit entre 200 à 300 millions d’euros qui seront affectés à l’innovation. La Commission de Bruxelles travaille également sur la création d’un Conseil européen de l’innovation (CEI) dans le cadre du plan « Horizon 2020 ». Il serait souhaitable qu’entre les deux initiatives une coordination soit assurée.

 

Au mois de septembre, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé la création d’un nouveau véhicule d’investissement, le fonds « French Tech Seed » doté de 400 millions d’euros qui proviennent du troisième volet du Programme d’investissements d’avenir (PIA), géré par Bpifrance. Ce fonds soutiendra les levées de fonds des start-up technologiques issues des laboratoires, des incubateurs ou des sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) a précisé le secrétariat d’État au Numérique, le plus souvent en complément des capitaux apportés par les investisseurs privés et sous la forme d’obligations convertibles.

 

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