Les services à l’ère du premium
Les dépenses de consommation en biens des ménages ont tendance à stagner en France depuis 2022, voire à diminuer. En revanche, celles liées aux services poursuivent leur hausse. Les dépenses de loisirs récréatifs et sportifs des ménages ont ainsi progressé de 17 % en volume par rapport à 2019, dans un contexte de croissance générale des dépenses de services. Dans le même temps, les dépenses en biens diminuaient de 4 %. En outre, les Français sont de plus en plus attirés par des formules premium, étant prêts à accepter des tarifs élevés afin de bénéficier d’un traitement haut de gamme. Les formules de loisirs premium comme les concerts, les festivals, les événements sportifs, les parcs à thème, les voyages, les restaurants ou l’hôtellerie rencontrent un succès croissant, en particulier depuis la crise sanitaire de 2020. Le CRÉDOC a publié au mois de juin une enquête détaillée sur les motivations des Français pour ce type de loisirs.
La montée en puissance des services premium
Selon cette étude, un tiers des Français aurait, au cours des derniers mois, souscrit à un service premium. La pratique la plus courante concerne l’achat de billets de concerts, d’événements sportifs ou d’expositions à des prix jugés élevés (23 % des Français). Le prix moyen des places de concert des cent plus importantes tournées américaines aurait ainsi crû de 37 % entre 2020 et le premier trimestre 2024. Les organisateurs de concerts proposent des packages ouvrant droit à des accès privilégiés à des prix élevés. Certaines places de concert peuvent désormais dépasser 1 000 euros, offrant en contrepartie la possibilité d’être dans les premiers rangs et de bénéficier d’avantages (cocktail, cadeaux, etc.). Les Rolling Stones furent parmi les premiers à initier ce type de pratique dans les années 1990 (tournée Voodoo Lounge en 1994, avec un bar dédié aux acheteurs de package). Depuis, cette pratique s’est généralisée. Une partie des consommateurs est également séduite par des formes d’hébergement et de restauration de luxe. Ainsi, 11 % déclarent avoir fréquenté un restaurant étoilé dans l’année, et 8 % avoir loué un hébergement d’exception, une croisière ou un trajet en train de luxe. Les expériences immersives ou en réalité virtuelle attirent également un nombre croissant de consommateurs. En 2024, 6 % des Français auraient participé à de tels événements, situés à la frontière du loisir et de la culture. Le Musée d’Orsay a ainsi proposé l’an dernier, en complément de l’exposition « Paris 1874, inventer l’impressionnisme », une expérience permettant de revivre l’inauguration de la première exposition impressionniste. Le Collège des Bernardins, à Paris, propose avec « Le Mystère Mozart » une expérience immersive unique mêlant musique, danse et théâtre autour des chefs-d’œuvre du compositeur.
Le sport est également un domaine où le premium se développe. Tous les grands stades disposent de loges ou d’espaces de restauration. Le PSG propose aux supporters, la possibilité de dormir les soirs de match au Parc des Princes, avec vue sur la pelouse.
Que ce soit pour les concerts, les expositions ou les matchs de football, de rugby ou de tennis, l’achat de billets coupe-file se développe. De plus en plus de consommateurs sont prêts à payer des billets à des prix élevés afin de pouvoir rencontrer directement leurs vedettes préférées.
Les jeunes et les ménages aisés, adeptes du premium
Les personnes aux revenus élevés constituent un premier groupe d’acheteurs intéressés par ces formules. 45 % des individus disposant de revenus mensuels supérieurs à 3 100 euros ont réalisé ce type de dépenses. Au-delà de la question des revenus, l’achat de formules premium est aussi une question d’âge : 50 % des 18-24 ans et 39 % des 25-34 ans y ont succombé. Les diplômés du supérieur et les Franciliens sont également surreprésentés. Les services premium sont plus abondants à Paris qu’en région, et les revenus y sont plus élevés. Ainsi, 9 % des Français ont expérimenté au moins trois offres culturelles ou de loisirs haut de gamme, un ratio qui atteint 19 % chez les Franciliens et 16 % chez les moins de 35 ans.
Les consommateurs de services premium sont aussi des acheteurs digitaux : 67 % d’entre eux ont acheté au moins une formule de loisirs premium au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus que la moyenne des Français.
Économiser pour se payer des services haut de gamme
Pour financer les packages premium, 61 % des Français sont prêts à réduire leurs dépenses du quotidien. Ces restrictions concernent plus souvent l’alimentation et les assurances, mais rarement les équipements informatiques et high-tech, utilisés pour consommer des loisirs et se mettre en scène auprès de communautés d’intérêt. Les acheteurs de formules exclusives passent plus de temps que la moyenne à rechercher des promotions en ligne. Ils utilisent des comparateurs d’achat ou l’intelligence artificielle pour économiser de l’argent.
La recherche d’une expérience unique et la volonté de s’échapper du quotidien constituent les principales motivations des consommateurs de services premium. Deux tiers des personnes ayant opté pour de telles offres mettent en avant l’accès à des prestations plus agréables et confortables que les formules de base. Cet argument est cité notamment par un grand nombre de retraités : 85 % des 65-74 ans ayant acheté des formules exclusives invoquent cette motivation. Le vieillissement de la population devrait ainsi renforcer l’attractivité des formules premium misant sur le confort. Les groupes de rock des années 1960-1970 utilisent d’ailleurs cette motivation pour proposer des billets de concert avec prestations haut de gamme, sachant que leur public est âgé et dispose de revenus plus élevés que la moyenne.
Chez les jeunes et les Franciliens, l’expérience unique est davantage synonyme d’un moment d’exception, tant par son intensité (par exemple rencontrer une star) que par sa rareté (vivre un moment difficilement accessible au plus grand nombre à travers une formule VIP). Ces expériences sont ensuite relayées sur les réseaux sociaux.
La montée en puissance des formules premium dans les loisirs, la culture, le sport ou le tourisme révèle un basculement structurel dans les comportements de consommation. Portée par des ménages jeunes, urbains, connectés, mais aussi par des seniors disposant de temps et de moyens, cette dynamique illustre la recherche croissante de sens, d’émotion et de distinction dans l’acte d’achat. Loin d’être un simple effet de mode, elle traduit une mutation profonde : le bien-être, le confort, l’accès privilégié deviennent des valeurs centrales dans l’économie post-Covid.
Dans un contexte de stagnation des achats de biens, la disposition à dépenser davantage pour des expériences uniques marque le glissement d’une économie de la possession vers une économie de l’émotion. Si cette tendance reste inégalement répartie selon les revenus et les territoires, elle ouvre néanmoins de nouvelles perspectives de croissance pour les entreprises capables d’innover dans l’offre servicielle haut de gamme. À l’heure où les arbitrages budgétaires se tendent, l’investissement affectif dans le « moment exceptionnel » devient l’un des moteurs les plus puissants de la consommation.
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