Valéry Giscard d’Estaing, désormais « loin du bruit du monde »
L’ancien Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, nous a quittés le 2 décembre 2020, le jour d’Austerlitz, ce qui, pour le fin connaisseur de l’histoire napoléonienne qu’il était, est tout un symbole. En 2010, il avait écrit une achronie, « la victoire de la grande armée », mettant en scène un Napoléon à Moscou qui choisit la paix et l’Europe. Le Président a souvent pensé à une autre achronie, celle de sa victoire en 1981, lui permettant de poursuivre son projet pour la France et l’Europe. Il l’avait même écrite en épilogue d’un de ses livres. Valéry Giscard d’Estaing a épousé l’histoire de la France et de l’Europe de 1945 jusqu’à maintenant. Participant à la Libération de Paris, engagé volontaire dans la première armée du Général Jean de Lattre de Tassigny, toute sa vie, il défendit une vision décrispée des relations internationales et prôna une Europe unie et forte. Dans son dernier essai, en 2014, « Europa », il proposait une relance de la construction européenne avec la création d’une fédération autour d’un noyau constitué de douze pays.
Dernier Ministre des finances avoir à son actif un excédent budgétaire en 1973, il dût faire face ensuite à deux chocs pétroliers. A son départ de l’Elysée, en 1980, le déficit public ne dépassait pas 0,5 % du PIB et la dette publique atteignait 21 % du PIB. Les revenus ont constamment augmenté malgré la hausse du chômage qui resta néanmoins inférieur à 6 % de la population active. Des chiffres qui laissent songeur de nos jours.
Polytechnicien et énarque, Valéry Giscard d’Estaing aimait mettre l’économie en équation et rendre intelligibles les concepts les plus ardus, ce qui ne l’empêchait de faire preuve d’un réel pragmatisme et esprit d’ouverture. Il a aimé travailler avec René Monory, garagiste de son état, qui fut son Ministre de l’Economie de 1979 à 1981. Dans son dernier roman publié au mois d’octobre, « Loin du bruit du monde », il lui rend un vibrant hommage. Il rappelle que « dans son nouveau ministère, il (René Monory) s’était intéressé au sort de l’épargne populaire et avait fait adopter en sa faveur un régime fiscal allégé et simplifié qui lui avait valu une large popularité ». Il s’agit des fameuses SICAV Monory, investies en actions et qui avaient été souscrites par près d’un million de personnes en deux ans. Avec le Premier Ministre, Raymond Barre, le Ministre de l’Economie allégea l’encadrement du crédit et entama la libéralisation des prix. Le contrôle des changes fut également levé. Convaincu que le rang de la France dépend, avant tout, de son attractivité économique, Valéry Giscard d’Estaing s’engagea fortement dans la modernisation du système de télécommunication française afin que les Français n’aient plus à attendre des mois pour avoir une ligne de téléphone. Il a également favorisé le lancement du Minitel, l’ancêtre d’Internet. Au niveau des infrastructures, la France rattrape durant son septennat son retard au niveau du réseau autoroutier. Il décide la réalisation de la ligne Paris Lyon à grande vitesse. Il accélère le plan de construction des centrales nucléaires afin de réduire la dépendance au pétrole de la France, pétrole dont le prix du baril fut multiplié par près de 15 entre 1974 et 1981.
Libéral de conviction, le Président Giscard d‘Estaing fut également à l’origine d’importantes avancées sociales. Sous son septennat, la Sécurité sociale est ainsi généralisée par les lois du 4 juillet 1975 et du 2 janvier 1978, le minimum-vieillesse est revalorisé de 63 % et les pensions de retraite de plus de 25 %. L’allocation aux handicapés adulte fut créé par la loi du 30 juin 1975. Le collège unique est institué par René Haby, en 1976 ; cette réforme parfois contestée permet néanmoins aux jeunes Français de toutes conditions d’accéder à l’enseignement secondaire. Durant le septennat, sont adoptées les premières grandes lois concernant la protection des consommateurs et des données (création de la CNIL). Valéry Giscard d’Estaing s’est par ailleurs dès son élection, engagé dans la protection de l’environnement en mettant un terme à l’extension des voies sur berges à Paris et décide de réduire la hauteur des tours. Il fait adopter en 1976 la première grande loi sur la protection de la nature et du cadre de vie. En 1977, il s’opposa à la destruction de la gare d’Orsay et décida d’y installer le musée du XIXème siècle.
Après son départ de l’Elysée en 1981, il essaya de comprendre les causes du déclin économiques de la France. Son approche était différente de celle du Général de Gaulle qui pensait avant tout la puissance comme une expression géopolitique au sens classique du terme. Le Président Giscard d’Estaing estimait que la puissance de la France supposait son intégration, sans arrogance, dans une fédération européenne. Il pensait surtout que les Français méritaient et pouvaient faire beaucoup mieux au regard des atouts que le pays possède. A ses yeux, la France en raison d’un goût immodéré pour « le colbertisme monarchique et le centralisme jacobin » peinait à s’adapter « à la globalisation et à l’ouverture du monde » (Les Français, Réflexion sur le destin d’un peuple – 2000). Dans son ouvrage de 1984, « deux Français sur trois », il soulignait que « la politique économique de la France est prise entre deux pinces d’une même tenaille. D’un côté, la tradition culturelle de l’intervention de l’Etat et de l’aversion pour le profit, de l’autre, la puissance et la capacité de l’administration qui entendent s’exercer sur la proie économique. La liberté et la créativité ne sont pas reconnus comme des ressorts fondamentaux ». Valéry Giscard d’Estaing était convaincu que les divisions des Français constituaient un des maux les plus profonds du pays. Il souhaitait ardemment qu’une grande partie de la population, « deux Français sur trois », partagent les mêmes principes, les mêmes valeurs afin de pouvoir réformer la France. Il regrettait que la réalisation des réformes en France fût très difficile en raison de la juxtaposition en permanence de l’intérêt général et des intérêts privés. Sur ce sujet, il écrivait ainsi en 2000 que les Français aspirent « à la table rase, au rêve idéaliste et confus d’une réforme qui changerait tout, une sorte de club de vacances en Utopie ? Parallèlement, ils ont une idée très concrète de l’enjeu des réformes : c’est un changement qui leur apporterait une satisfaction personnelle. Ils examinent tout projet de réforme à partir d’un point de vue individuel et non d’un projet collectif… Le mécontentement de ceux qui perdent à une réforme est plus vif et tenace que l’est la satisfaction de ceux qui y gagnent ». Des propos sans nul doute à méditer en ce qui concerne le destin de la réforme des retraites. Ayant occupé un très grand nombre de fonctions électives, locales et nationales, Valéry Giscard d’Estaing n’a eu de cesse de défendre une France décentralisée et apaisée. Il avait compris le rôle de la communication non seulement pour ses campagnes électorales mais aussi pour le bon fonctionnement de la société. Dans son livre « Démocratie Française », il écrivait, en 1976, « notre société doit être une société de communication et de participation. Ne proposer aux hommes et aux femmes que la poursuite de leur intérêt individuel, dans l’égoïsme et l’isolement, ignoreraient les aspirations les plus profondes de la société française d’aujourd’hui, et notamment celles de la jeunesse. D’où l’idée d’un double dépassement, dépassement de la quantité vers la qualité, du niveau de vie vers le genre de vie, de la rémunération du travail vers le contenu et le sens du travail, de la croissance sauvage vers la nouvelle croissance, de la destruction de la nature vers l’écologie. Dépassement de soi vers les autres afin de rétablir, par l’expression, l’échange, et la participation communautaire, une communication que notre société de béton et de formalités administratifs a rompue. ».
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