Quelles règles budgétaires pour la zone euro ?
La Commission de Bruxelles a décidé la suspension des règles budgétaires dès le début de la pandémie conformément aux traités européens qui le prévoyaient en cas de circonstances exceptionnelles. Avec la normalisation de la situation, le rétablissement de règles interviendra. La monnaie commune est un bien collectif partagé par les États membres de la zone euro. Leur comportement comme leurs déficits influent sur la valeur et la crédibilité de la monnaie. Comme la zone euro n’est pas un État fédéral, l’échelon de coordination ne peut contraindre les États qu’à travers la fixation de normes et éventuellement l’application de sanctions. L’Allemagne et les États d’Europe du Nord avaient, lors de l’élaboration du Traité de Maastricht, souhaité introduire des garde-fous pour éviter que les États d’Europe du Sud se comportent comme des passagers clandestins profitant de l’euro tout en refusant d’en payer le prix. Avec le retour de la menace inflationniste et la dérive des comptes publics, la restauration de règles sera un enjeu majeur des prochains mois. Comment la Commission arrivera-t-elle à les imposer et quelles seront-elles ?
Le déficit public de la zone euro a dépassé 6 % du PIB en 2020 et devrait atteindre près de 4 % en 2021. La dette publique qui était de 85 % en 2019 représente désormais 100 % du PIB. L’Europe reste marquée par le cas grec qui a provoqué la crise des dettes souveraines entre 2011 et 2013. La Grèce cumulait un fort déficit extérieur et un important déficit public, soit -12 % du PIB en 2011 portant la dette publique à 180 % du PIB. Cette crise a plongé la zone euro en récession en 2012/2013 et a pesé sur la croissance jusqu’en 2016. Depuis, les autorités européennes ont renforcé les dispositifs de surveillance des comptes publics afin d’éviter la réédition d’une telle mésaventure. Si le respect de critères budgétaires a été suspendu le temps de la crise sanitaire, les États membres ne doivent pas néanmoins en profiter pour prendre des engagements non financés qui ne concernent pas cette dernière.
Les règles de bonne gestion s’articulent sur plusieurs critères : le déficit structurel, la dette publique, la balance des paiements courants, etc. Pour la Commission, la fixation de normes sera très complexe compte tenu des niveaux élevés de dettes publiques et des divergences au sein de l’Union. La dette publique représente 80 % du PIB en Allemagne, 118 % en France et 160 % en Italie. Les États sont, en outre, confrontés à de fortes pressions en faveur de l’augmentation des dépenses publiques. La santé, la retraite, la dépendance, la formation, la transition énergétique, la réindustrialisation, la sécurité et la défense sont autant de postes susceptibles d’augmenter dans les prochaines années. En matière de dépenses publiques, les États ne se trouvent pas dans des situations comparables. Sur ces vingt dernières années, elles ont augmenté de 70 % en Espagne, de 50 % en France mais seulement de 40 % en Allemagne et de 30 % en Italie. La France est le pays qui enregistre le niveau de dépenses publiques le plus élevé de la zone euro avec un taux de 55 % du PIB avant la crise sanitaire, et de plus de 60 % en 2020.
La Commission pourrait mettre en parenthèse le critère de dettes publiques. Elle pourrait également distinguer la part relevant de la crise sanitaire du reste. La France a ainsi décidé de cantonner sa dette Covid et d’affecter des ressources spécifiques pour son remboursement.
Le choix d’un critère de déficit public ne sera pas plus simple. L’hétérogénéité des situations risquant de rendre délicate la fixation d’une règle unique, certains préconisent la fixation d’objectifs par pays. Une augmentation du plafond de déficit serait par ailleurs soutenue si elle est associée à un niveau élevé des dépenses d’investissement. Cette recommandation suppose que toute dépense investissement est positive en soi. Par ailleurs, il conviendrait de circonscrire les dépenses autorisant à un déficit plus élevé. Celles en lien avec la formation ne sont pas de l’investissement matériel mais immatériel. En prenant en compte l’investissement, la France serait avantagée en raison du poids des dépenses militaire, de recherche et d’éducation à la différence de l’Espagne ou de l’Italie. L’investissement public représente 3,8 % du PIB en France, 2,8 % en Allemagne ou en Italie et 2,5 % en Espagne. De manière plus fine, il serait possible de sortir les dépenses publiques dans la recherche et développement. En 2019, elles représentaient, 1 % du PIB en Allemagne, 0,7 % en France mais autour de 0,5 % du PIB en Italie ou en Espagne. La déduction des dépenses d’éducation est plus complexe car, selon les États, la part du public est plus ou moins forte. Si l’ensemble des dépenses d’éducation publique était sorti des critères, la France serait favorisée. Elles y représentaient, en 2019, 5,5 % du PIB, contre 4,5 % du PIB en Allemagne et 4 % en Italie ou en Espagne. De même, la non prise en compte des dépenses publiques de santé avantagerait la France où elles pèsent 8,2 % du PIB en 2019, contre 7,5 % en Allemagne, 7 % en Italie et 6 % en Espagne. Comme pour l’éducation, la part du privé varie fortement d’un pays à un autre. En outre, des dépenses publiques élevées dans l’éducation ou la santé ne garantissent en rien la qualité du service offert, comme le prouvent la crise sanitaire ou les rapports de l’OCDE sur le niveau scolaire.
Des objectifs qualitatifs pourraient être fixés tel le relèvement du niveau de formation des élèves ou la décarbonation de l’économie. Les États réalisant des efforts en la matière pourraient temporairement dépasser les objectifs de déficits publics ou de dette publique. Le recours à des règles sur mesure intégrant des données subjectives ou qualitatives serait un exercice compliqué. La Commission Européenne serait amenée à faire une analyse des problèmes structurels de chaque pays, ce qui serait long, difficile, et critiqué. Cette procédure serait une source de conflits entre les États membres, aucun pays n’acceptant pas d’avoir moins de liberté budgétaire que les autres. Les États d’Europe du Nord accuseraient la Commission et leurs partenaires du Sud de laxisme. Le recours à une norme unique a l’avantage de la simplicité.
L’établissement de nouveaux critères obéira à des considérations autant politiques que financières. Les rapports de force au sein de l’Union joueront un rôle déterminant. Ces critères ne pourront être définis qu’après la constitution d’une nouvelle majorité au Bundestag en Allemagne et la composition du gouvernement qui en résultera. Celle-ci pourrait n’intervenir qu’au début de l’année 2022. Par éviter les conflits, la Commission pourrait retenir une règle de déficit public structurel plus flexible que celle qui était en vigueur en laissant du temps au gouvernement pour le ramener autour d’une cible élargie du PIB. Actuellement, le déficit structurel est de 2 % du PIB en Allemagne et de près de 6 % dans les autres grands pays européens. L’affichage d’objectifs en palier afin d’atteindre non plus 0,5 % mais 1 % en cinq ou six ans, sous réserve que les États consacrent 2 % de leur PIB à la transition énergétique, pourrait peut-être faire l’objet d’un consensus.
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