novembre 2006 : Les sanglots longs des violons de l’automne

20/11/2006, classé dans

Au troisième trimestre 2006, la croissance française a été étale. Est-ce une véritable surprise ? Est-ce un trou d’air ou une simple pause après un très bon second trimestre ? Au-delà des explications conjoncturelles, les vacances, l’imputation du lundi de Pentecôte, le déstockage…, la France est en peine avec sa croissance depuis des années. En 2005, la croissance n’a été que de 1,2 %. Sur ces dix dernières années, elle n’a été, en moyenne annuelle, que de 1,5%. Cette panne intervient alors que le monde connaît un choc d’expansion sans précédent, + 4,5 % en 2005. Ce choc se nourrit de la croissance de la Chine, + 10 %, de l’Inde, + 9 %, de la Russie, + 6 %, mais aussi des pays d’Amérique latine. Des pays anciennement industrialisés comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni participent pleinement à cette expansion. Même l’Allemagne qui longtemps partageait les records de langueur de la France a renoué avec le succès en 2006.

Comment expliquer que la France se languit au moment où ses grandes entreprises accumulent les bénéfices ? Elles réalisent une part de plus en plus importante de leur chiffre d’affaire à l’étranger, sur des marchés en forte croissance. Faut-il le regretter ? Certainement pas ; leurs bénéfices financent l’Etat et sont, en partie, redistribués aux actionnaires français, certes leur nombre est trop faible ; les entreprises françaises du CAC 40 étant détenues à plus de 47 % par des fonds étrangers.

Le mal français ressemble à celui du milieu des années quatre-vingt, en pire car les marges de manœuvre ont disparu et que la volonté de changement s’est émoussée. La compétitivité de notre économie est faible, la meilleure preuve étant fournie par l’ampleur du déficit commercial. La facture énergétique n’explique pas tout, loin de là ; l’Allemagne, n’ayant pas plus de pétrole que nous, accumule des excédents. C’est le positionnement de notre économie qui est mauvais. Cette dernière dépend, dans sa composante industrielle, essentiellement de l’automobile et de l’aéronautique. Il suffit que l’un des deux ou les deux secteurs s’enrhument pour que les résultats macroéconomiques s’en ressentent comme c’est le cas actuellement.

Il est à craindre que le problème du secteur automobile français ne soit pas que d’ordre conjoncturel. PSA ou Renault sont des créateurs de voitures mais surtout des assembleurs de pièces détachées. Cette dernière fonction peut être réalisée un peu partout et à moindre prix qu’en France. De ce fait, ce secteur est voué à connaître un processus de délocalisation d’autant plus que les marchés d’aujourd’hui et de demain se trouvent en Asie et en Amérique Latine. Les fermetures d’usines en Belgique ou au Royaume-Uni de la part de Renault, de PSA ou de Volkswagen en annoncent malheureusement d’autres. La faiblesse de l’industrie automobile française est également liée à un manque d’investissements sur les créneaux porteurs : voiture hybride, 4×4, petites voitures avec du caractère style Mini de BMW.

L’autre grand vecteur d’excédents et d’images de l’économie française, Airbus, souffre d’autres maux. Il s’agit d’une crise de croissance qui se double de problèmes liés au passage d’une coopération politique à une affaire commerciale. Avec l’A320, Airbus est devenu une véritable success-story. Cette compagnie née de la coopération d’avionneurs et de motoristes européens n’ayant pas la taille critique pour conquérir le monde a réussi à doubler Boeing en moins de quarante ans. Enivré par ses succès, Airbus et les politiques l’entourant, ont lancé le programme de l’A380 afin de concurrencer le Boeing 747. Il s’agissait d’un acte de puissance car le créneau des jumbos n’est pas le plus rentable. De plus, afin de contenter tous les partenaires, le plan d’assemblage de l’A380 génèrent des surcoûts et des retards qui peuvent être, sans nul doute, surmonter. En revanche, les hésitations sur l’A350, long courrier mono-couloir sont plus dangereuses compte tenu de l’avance prise par Boeing sur ce marché beaucoup plus important et rémunérateur que le précédent. Au-delà de ces choix économiques, Airbus tout comme Boeing délocaliseront une part non négligeable de leur production dans les pays asiatiques qui seront les principaux débouchés des vingt prochaines années. La décision d’EADS de construire une chaîne de montage d’A320 en Chine le prouve.

Sauf revirement de tendance et remise en cause du processus de mondialisation, pour des raisons de coûts, les pays occidentaux doivent se positionner sur les créneaux sur lesquels la concurrence est la plus faible ou plutôt là où ils ont les avantages comparatifs les plus élevés. La bataille se porte désormais sur la recherche, la conception, le marketing et la vente. La production de biens industriels et aussi de services a vocation à être délocalisée. Robert Reich, ancien conseiller du travail de Bill Clinton, a dans un de ses livres « l’économie mondialisée » dépeint, il y a déjà plus de quinze ans, cette évolution qui est loin d’être négative. Ce qui coûte et donc rapporte le plus, c’est créer et vendre.

La France est absente sur les marchés de l’informatique et perd du terrain dans les secteurs de la recherche pharmaceutique, des biotechnologies ou des nanotechnologies. Il reste encore des pôles d’excellence comme dans le nucléaire ou dans le luxe mais cela ne suffit pas à développer une économie dynamique.

Pour le moment, la France, comme souvent lors d’une révolution économique, hésite sur le chemin à prendre : le repli ou les règles du marché, vivre en dehors de l’histoire ou l’épouser. Il est souvent mis en avant pour expliquer nos déboires, les 35 heures, le coût du travail, le poids des prélèvements… Il est certain que la France a accumulé les handicaps mais aucun n’est rédhibitoire. Il y a actuellement une telle différence de coûts entre les pays d’Asie et les pays occidentaux que cela lisse au sein de ces derniers les écarts. L’Allemagne dont les coûts sont très proches des nôtres enregistrent excédents sur excédents en matière de balance commerciale. Ce n’est pas une exonération sur 1,3 fois ou 1,6 fois le SMIC qui change la donne. La bataille est ailleurs même. Il faut être « price-maker » sur des créneaux porteurs. L’Allemagne est « price-maker » sur les voitures haut de gamme, sur les secteurs de l’équipement industriels. Les pays scandinaves démontrent que l’on peut associer coûts élevés, système de protection sociale étendue et compétitivité.

Or, la France semble avoir déposé les armes en matière d’innovation et de recherche et même en matière d’investissement tout court.

La croissance est aujourd’hui alimentée par la consommation des ménages qui en progressant alimentent les importations ; le déficit commercial dépassera, cette année, le record de l’année dernière, 26 milliards d’euros.

Si le sentiment de déclin est, à juste titre, partagé, il n’en demeure pas moins que l’immobilisme l’est également. Au nom du principe de précaution, la science et le progrès ont été mis en quarantaine. Au nom du Paris éternel, tout doit être classé, même les entrepôts et la gare sans charme d’Austerlitz, les tours sont bannies tout comme les restructurations urbaines de grande ampleur. Comment dans ces conditions accueillir les sièges sociaux des grandes entreprises ? Au mieux elles choisissent comme Generali ou Mittal Arcelor, Saint Denis, au pire, elles optent pour Bruxelles ou Londres.

La production physique de produits et de services sera de moins en moins l’apanage des pays occidentaux mais des pays en décollage économique. En revanche, les fonctions de conception, commerciales, de marketing, de recherche et de services de proximité ont vocation à se développer. Le vieillissement de la population mais plus globalement la volonté d’être épaulé dans sa vie quotidienne sont des sources d’emplois. En France, réaliser une prestation pour une autre personne est considéré comme dévalorisant, dégradant. La France, premier pays pour le nombre de touristes, est connue pour la médiocrité de la qualité de son accueil, les services aux personnes âgées ou même les fonctions commerciales sont connotées négativement. L’esprit de 1789, les « 200 familles », la lutte des classes hantent notre inconscient collectif tout comme notre soif du statut, de la sécurité à tout prix et à tous les niveaux.

Quoi qu’il arrive en fin d’année, la croissance française avoisinera les 2%, soit un des meilleurs taux depuis le début du troisième millénaire, taux néanmoins insuffisant pour alimenter un cercle vertueux d’assainissement de nos finances publiques. Avec plus de 1100 milliards d’euros de dettes et un déficit budgétaire de 41 milliards d’euros, l’Etat est en situation de faillite. A plus ou moyen court terme, le relèvement des impôts est inévitable avec à la clef un risque déflationniste. L’autre solution consiste à engager des remises en cause en profondeur des structures publiques. D’autres pays comme le Canada, la Nouvelle Zélande ou le Royaume-Uni l’ont fait.

Les mauvais résultats de la conjoncture française et les incertitudes politiques n’ont pas d’incidence sur le CAC40 ; les entreprises françaises étant de moins en moins dépendantes du marché national. Le CAC 40 a progressé de plus de 15 % depuis le début de l’année (au 20 novembre 2006) et a franchi la barre des 5500 points. L’impact de l’éclatement de la bulle Internet s’estompe. Les cours des actions peuvent-ils continuer à progresser dans les prochains mois au même rythme qu’actuellement ? Les tensions internationales, en particulier au Moyen Orient et en Corée persistent ; l’augmentation des taux par la FED a pour conséquences la baisse des prix de l’immobilier aux Etats-Unis et privent les ménages américains d’un effet richesse ce qui pourrait peser sur la consommation. La croissance russe est conditionnée au maintien des prix élevés de l’or noir qui dépend de la demande asiatique et américaine mais aussi de facteurs spéculatifs. L’année prochaine, il y a un risque de ralentissement en Allemagne du fait de l’augmentation de la TVA. Pour la Chine, les jeux olympiques de 2008 devraient conduire au maintien d’un fort taux d’activité. De ce fait, la croissance devrait se ralentir doucement dans les prochains mois ce qui pour la France signifierait un tassement de la croissance de l’ordre de 0,5 point. Elle devrait toute chose étant égale, par ailleurs, tourner autour de 1,5 % l’année prochaine.

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