MARS 2004 : LA FRANCE ET LE MONDE, DIVORCE OU BROUILLE ?

21/03/2004, classé dans

LA PLACE INTERNATIONALE DE LA FRANCE

La France hésite sur son destin depuis plus de dix ans. De la chute du mur de Berlin à la deuxième guerre du Golfe en passant par les attentats contre le World Trade Center, la France éprouve les pires difficultés à trouver sa place. Alliée traditionnelle des Américains, elle se veut être le porte-parole d’une autre mondialisation, d’une autre conception du monde. Dans un monde unipolaire par défaut, la France a-t-elle compte tenu de son état économique les moyens de ses paroles ? Sa volonté d’assurer la primauté du droit international façonné par l’ONU n’est-elle pas dictée avant tout par sa propre faiblesse ?

Robert Kagan dans son livre « la puissance et la faiblesse » souligne avec justesse « qu’il est temps de cesser de faire comme si les Européens et si les Américains partageaient la même vision du monde ». Les Etats-Unis sont et le seront encore pour de nombreuses années la grande puissance mondiale. Nous sommes que l’on le veuille ou non dans une ère américaine. La fin de l’Union soviétique et de son empire a traduit la victoire des valeurs et des idéaux américains. Cette suprématie tout à la fois technologique, économique, culturelle et idéologique a peu de précédents dans l’histoire contemporaine. L’Europe avait vécu durant des siècles sur le principe de l’équilibre des forces. Le Royaume-Uni a réussi à maintenir entre les grandes puissances un équilibre relatif lui permettant de conserver la maîtrise des mers. Il y avait bien eu l’Empire de Charles Quint, de Charlemagne, l’Empire Romain mais aucun n’avait réussi à étendre son influence à l’ensemble de la planète. Cette primauté américaine s’inscrit dans un processus qui a débuté en 1776 avec l’Indépendance conquise sur les Anglais grâce à l’appui de la France et prolongé par la victoire des Etats fédérés du Nord sur ceux du Sud. Les Etats-Unis comme la France sont porteurs de valeurs dites universelles. Au temps de Napoléon 1er, la France a tenté d’imposer au monde par la force sa conception de la société ; ce fut un échec pour la France en tant que nation mais une victoire pour les idées qu’elle portait. Depuis, le relais a été repris implicitement ou explicitement par les Etats-Unis qui grâce à une palette de moyens, militaires, économiques, culturels, impose ou suggère un code commun de valeurs. Les Etats-Unis détestés ou admirés sont le symbole de la démocratie libérale.

Entre la première guerre du golfe et l’effondrement du World Trade Center, il s’est passé un peu plus de dix ans. Le Nouvel ordre international promis par Georges Bush père s’est évanoui dans les sables, la paix éternelle est redevenue une chimère. La menace terroriste, les risques de dissimilation de l’arme nucléaire au profit d’Etats jugés dangereux sont redevenus une triste réalité. Depuis la chute du mur de Berlin, les démocraties ne se sont pas montrées à la hauteur. Durant la guerre froide, dans la stratégie d’endiguement du communisme, elles ont toléré dans leur sphère d’influence, dans certains Etats, des régimes dictatoriaux. Entre deux maux, il fallait être pragmatique ; mais depuis plus de dix ans, l’activisme démocratique s’est affaibli. Il y a une politique de laisser-aller évidente qui a offert un terreau fertile à de nombreux groupes terroristes. Les Etats-Unis et la France n’ont pas promu leurs idéaux démocratiques. Il est ainsi surréaliste que la Libye dirige la commission des droits de l’homme à l’ONU. Autrefois surveillés, encadrés afin de ne pas tomber dans l’escarcelle de l’empire ennemi, de nombreux se situant en périphérie, ont basculé dans l’anarchie. En France, il est de bon ton d’accuser les Etats-Unis, la mondialisation de tous les maux. Au-delà des amalgames faciles, il faut souligner que la primauté américaine est un état de fait. Pour reprendre la grille d’analyse de Raymond Aron, la puissance américaine repose sur une somme d’atouts géographique, démographique, économique, technologique et culturelle. L’accusation jugée par certains un peu simpliste de la vieille Europe, c’est à dire l’Allemagne et la France essentiellement, qui ont opté pour la résignation face à la nouvelle Europe constituée de l’Espagne, de l’Italie, des pays d’Europe centrale et du Royaume-Uni qui ont choisir de soutenir les Etats-Unis ne doit pas être condamnée d’un trait de plume. Cette distinction n’est pas que diplomatique, elle est aussi économique. D’un côté des pays à croissance faible et à déficits élevés ; de l’autre des pays en forte expansion maîtrisant leurs comptes publics. D’un côté des pays conservateur éprouvant les pires difficultés pour se réformer ; de l’autre des pays ayant choisi de moderniser leurs structures. Il y a un parallèle intéressant entre la conception que l’on peut avoir du monde, l’analyse des dangers et la situation qui prévaut à l’intérieur des frontières. La division de l’Ouest a des frontières essentiellement économiques.

Le XXème siècle s’est caractérisé par l’effondrement des empires européens ; effondrement extrêmement rapide provoqué par les deux conflits mondiaux et dont la crise de Suez en 1956 et la construction du mur de Berlin en 1961 ont été les deux symboles. Face à cet effondrement, la première réponse fut la construction européenne. Affaiblis, les Etats européens ont, ces quarante dernières années, consacré une part importante de leur énergie à façonner une construction originale, l’Union européenne. Jamais, des Etats ayant des passés aussi prestigieux que les vieilles nations européennes ne s’étaient engagés dans un processus progressif et pacifique d’union. Les gouvernements européens ont déposé les armes militaires au profit du droit et de l’économie. Cette union a permis aux Etats membres tout en conservant leur souveraineté de se reconstruire et d’être une force économique de première ampleur aux côtés des Etats-Unis. Cette force économique indéniable ne s’est pas muée jusqu’à maintenant en force politique, militaire et diplomatique. Les élargissements successifs ont changé la donne européenne. La France a vu dans la construction européenne un moyen d’endiguer les Etats-Unis, un moyen de conserver des acquis, des rentes. Les nouveaux entrants ont une vision plus dynamique. L’Espagne, le Portugal et demain les pays d’Europe centrale ont vu dans la construction européenne un moyen de moderniser, de réformer afin de participer à l’économie monde non pas contre les Etats-Unis mais avec les Etats-Unis. Le Royaume-Uni considéré comme le mauvais petit canard par l’axe franco-allemand s’est progressivement constitué une clientèle d’Etats qui ont en commun une vision semblable de leur avenir.

La France a joué un rôle de leader dans la construction européenne même si les errements des années quatre-vingt ont contribué à affaiblir sa position. Par facilité, par refus d’analyser le déroulement de l’histoire, les gouvernements de l’époque se sont cramponnés à des schémas dépassés tant au niveau militaire que diplomatique. François Mitterrand, en pariant sur le maintien de deux Allemagne, en pariant sur Gorbatchev et non sur Eltsine s’est lourdement trompé. La politique économique des socialistes a également affaibli notre pays tant en termes réels qu’en termes d’images.

Il n’en demeure pas moins que la France conserve des atouts et dispose d’un pouvoir d’influence sur la scène internationale qui dépasse largement sa puissance réelle. Membre permanent du Conseil de sécurité, détenteur de l’arme nucléaire, disposant d’une capacité de projection militaire, elle a une aura indéniable vis-à-vis d’un grand nombre d’Etats et reste quoi que certains puissent en dire un acteur important de la vie diplomatique internationale. Même si le terme de spécificité française est parfois brandi à tort ou à raison, la France est un pole mondial culturel. La force de la francophonie en est un des symboles. Certes, par tradition jacobine, notre force culturelle est un peu trop étatique ce qui bride la créativité et nous menace de nous transformer en Etat musée. Jean-Pierre Raffarin considère, à juste titre que « quand la France doute de sa place dans le monde, elle doit revenir à sa source d’excellence : la pensée ».

Le pouvoir d’attraction de la France se traduit également par la visite sur notre territoire de plus de 70 millions de touristes chaque année. Si la France est la première destination touristique mondiale, elle le doit à son rayonnement, à sa culture et ses infrastructures.

Certes, notre pays a eu du mal à intégrer les évolutions du monde postcommuniste. De manière un peu surprenante, la France fut à son corps défendant le meilleur porte-parole de la thèse de Francis Fukuyama qui prédisait dans les années quatre-vingt-dix « la fin de l’histoire ». L’histoire s’est rappelée à ce brillant auteur et à nous un certain 11 septembre 2001.

Après des décennies de menace soviétique, les chars de l’URSS n’étaient qu’à quelques centaines de kilomètres de Paris, les gouvernements, en particulier socialistes, ont voulu bénéficier des dividendes de la paix. Les lois de programmation militaire ne furent plus respectées aboutissant à un vieillissement des matériels militaires et à une diminution de nos capacités de réaction.

La France est sortie un peu groggy de cette période. Mais, a-t-elle manqué à ses devoirs ? Non, après le 11 septembre 2001, elle s’est rangée auprès des Etats-Unis et des autres alliés pour lutter contre le terrorisme. L’armée française a participé à la chute des talibans en Afghanistan. Nous avons toujours été dans les moments clefs l’allié des Etats-Unis.

L’intervention américaine en Irak était justifiée au nom des valeurs démocratiques. Saddam Hussein était un dictateur sanguinaire qui avait à plusieurs reprises conduit des massacres. En revanche, il est dommageable pour la communauté internationale que les Américains et les Anglais aient mis en avant la présence d’armes de destruction massive. Les éventuels mensonges sur leur présence discréditent l’intervention passée et rendra plus difficile d’éventuelles interventions dans le futur. Ils suggèrent que les intérêts américains dans cette affaire n’étaient pas louables alors qu’a priori ils l’étaient. Ce n’est pas pour le pétrole ni pour le territoire irakien qu’ils sont intervenus.

Force est de constater que si la guerre menée par les Américains fut un succès, la gestion de l’après guerre est plus délicate car moins bien préparée. La communauté internationale et l’Irak paient chère cette précipitation. La France avait mis engarde son allié américain sur les difficultés d’instaurer à partir de rien un régime démocratique. Les dissensions Il n’y a pas un éclatement de l’Ouest face au problème irakien, face au problème du terrorisme. Il n’y a pas un combat ouest contre ouest. Il y a des divergences de perception ce qui est normal entre des alliés souverains.

Sur l’essentiel, la France a de toute façon été aux côtés des américains qui n’ont jamais eu à se plaindre de la coopération française en matière de terrorisme. Au sein du G8 comme au sein de l’OTAN, la France est plutôt en pointe dans la lutte contre le terrorisme et participe au Groupe d’action contre le terrorisme qui a tenu sa deuxième session à Paris à la fin de l’année 2003. Ce groupe avait été créé sous la présidence française du G8 et un mois après le sommer d’Evian en 2002. Ce groupe vise à améliorer l’efficacité de l’assistance internationale en matière de lutte contre le terrorisme y compris dans le cadre d’action régionale. Ce groupe a pour objectif, en particulier, de dispenser des aides d’une manière sélective et efficace dans les pays qui en ont le plus besoin. Par ailleurs, la France a été à l’origine de la Convention des Nations Unies pour la répression et le financement du terrorisme. Il y a un engagement politique clair de notre pays dans ce domaine.

La France, par sa géographie, à la confluence des zones atlantique, méditerranéenne et européenne, est une cible potentielle évidente. On peut regretter que la France ne soit pas plus présente dans le Moyen-Orient. Nos erreurs passés pèsent encore lourd dans notre capacité à proposer des solutions crédibles pour instaurer une paix juste entre Palestiniens et Israéliens. Nous avons encore en mémoire le triste déplacement de Lionel Jospin dans la région en 2002. Force est de constater que les Etats-Unis sont aujourd’hui incapables de trouver une solution et de renouer un véritable dialogue.

Le rôle international de la France ne pourra croître dans les prochaines années que si notre pays retrouve un dynamisme culturel et économique durable. Si les Etats-Unis sont la seule et unique grande puissance, ils le doivent en partie à la formidable expansion de leur économie depuis la fin des années soixante-dix. Les dix dernières grandes années de croissance américaine ont abouti à la création d’une richesse équivalente au PIB français. La France a enregistré une croissance d’un à deux moins en dessous de la moyenne américaine sur vingt ans. Même si de nombreux progrès ont été réalisés, en particulier au sein des entreprises, notre pays souffre de blocages administratifs qui le freinent dans sa croissance. Le poids des prélèvements obligatoires, les contraintes administratives, la réduction du temps de travail ont nui à l’attractivité de la France. Le chômage structurel qui s’est installé depuis trente ans n’est que la résultante d’une mauvaise gestion publique. Cette spécificité française n’est en rien la conséquence de la mondialisation, elle est le fruit d’un choix fait au détriment de l’emploi. Il manque environ quatre millions d’emplois en France et en particulier dans les services de proximité.

Malgré ces handicaps, des entreprises françaises réussissent à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. BNP Paribas, Renault, Total et bien d’autres prouvent que la mondialisation n’est pas synonyme de déclin. Il y a une exagération comme le montre avec brio Daniel Cohen dans son dernier ouvrage « la mondialisation et ses ennemis » des conséquences de la mondialisation qui n’est pas une nouveauté mais bien l’essence même de la société humaine. Ce sont les échanges commerciaux, financiers… qui alimentent le progrès. Il a fallu près d’un siècle au commerce mondial pour effacer les deux guerres mondiales et la crise des années trente. La notion de protectionnisme n’a de signification que dans un système d’Etats nation rigides ce dont l’avènement est récent.

La France a des atouts indéniables : qualité de ses services, offre touristique diversifiée, entreprises performantes. Pour en tirer tous les avantages, elle ne doit pas tourner le dos aux réformes, réforme de l’Etat, réforme fiscale, réforme de l’assurance-maladie. La France renforcera sa place dans le concert des nations que si elle prouve au reste du monde qu’elle récuse le repli sur soi au profit des réformes.

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