mai 2007 : Présidentielle et Retraite ne font pas bon ménage

05/05/2007, classé dans

La présidentielle et la question des retraites »
Quel est l’enjeu électoral dans les retraites ?
Bilan comparatif des principaux candidats en matière des retraites et de
l’épargne retraite.

La société française face à l’étirement de la vie

« Tout le monde voudrait vivre longtemps, mais personne ne voudrait être vieux »
Jonathan Swift

A la fin du quinquennat, en 2012, le nombre de personnes de plus de soixante ans sera supérieur à celui des moins de vingt ans. Cet évènement sans précédent dans l’histoire démographique française est la marque d’une véritable révolution, l’allongement de la durée de la vie. Trop souvent, le débat public se limite à la question du papy-boom, miroir du baby boom, ou à la question du financement des retraites à venir ; or l’allongement de la vie a des conséquences sur l’ensemble de la société. Face à cette mutation, force est de constater que les candidats à l’élection présidentielle restent prudents voire silencieux. Il est, certes, difficile dans le cadre d’une campagne électorale propice aux promesses, de s’exprimer de manière raisonnée sur l’adaptation de nos structures pour gérer au mieux la cohabitation d’un nombre important de générations.

La révolution démographique au cœur du prochain quinquennat

Sous Louis XV, l’espérance de vie ne dépassait pas 35 ans ; la moitié des enfants mourraient durant les premières années de leur vie. Aujourd’hui, l’espérance de vie atteint 77 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes. Chaque année, nous gagnons un trimestre sur la mort. De ce fait, plus de la moitié des jeunes filles qui naissent cette année vivront jusqu’en 2107.

Jusque dans les années soixante-dix, la vie humaine se distribuait en trois périodes de durée inégale, la période de la formation, d’une vingtaine d’années au maximum, qui s’achevait pour les hommes par le service militaire ou par le mariage – la période dévolue au travail qui s’étirait sur quarante ans – puis enfin la retraite, réduite à une petite dizaine d’années. Ce schéma appartient, depuis vingt ans, au passé. Le temps de la formation s’allonge pour tous les jeunes quelle que soit leur origine sociale ; la crise économique les ayant incités à retarder leur entrée dans le monde professionnel. Pour mémoire, en 1936, plus de la moitié des jeunes hommes de 13 ans travaillaient. L’instauration de la retraite à 60 ans et le développement des préretraites à 55 ans, voire avant, ont conduit à raccourcir également la vie active. En 50 ans, elle s’est réduite de 8 ans. La durée de la retraite, sous le double effet de l’allongement de la durée de la vie et de la cessation précoce de l’activité professionnelle, a doublé. De ce fait, si en 1950, la durée de la retraite était, en moyenne, de dix ans, une personne de 37 ans, en 2007, a toutes les chances de connaître une retraite de plus de 23 ans.

Trop souvent, notre regard sur l’avenir des retraites reste fixé sur la ligne bleue du taux de fécondité ; or les incidences de l’évolution de ce dernier qui restent minimes en France sont marginales face au défi du vieillissement de la population. En effet, malgré un taux de fécondité proche du taux de renouvellement des générations, la part des personnes de plus de soixante ans au sein de la population augmentera rapidement pendant les quarante prochaines années. Même la survenue d’un nouveau baby boom ne changerait que faiblement la donne. Seule l’arrivée massive de jeunes actifs issus de l’immigration pourrait modifier la pyramide des âges qui ressemble de plus en plus à une grosse bonbonne. La situation française diffère de celle qui prévaut en Allemagne ou en Italie qui enregistrent des taux de fécondité de moins d’1,5 pour mille. La population française continuera de croître jusqu’en 2050 ; elle devrait alors atteindre selon l’INSEE, 70 millions d’habitants.

Pour un redécoupage de la vie

Le problème du financement de la retraite n’est donc qu’un des aspects de la mutation que nous allons connaître dans les quarante prochaines années. Une nouvelle gestion des âges s’impose de gré ou de force à nous. La France n’est pas tout à fait consciente de l’ampleur de cette mutation.

Des questions restent, dans cette campagne électorale, sans réponse. Pouvons-nous conserver la frontière des 60 ans quand nos partenaires la reculent au-delà de 65 ans ? Que signifie cette frontière quand elle correspond au deux tiers de la vie humaine ? Pouvons-nous nous satisfaire tant sur un plan individuel que collectif de réduire la vie active à une trentaine d’années soit moins de la moitié de l’espérance de vie moyenne des Français d’autant plus que les dépenses de santé, les dépenses liées à la dépendance et les dépenses de formation augmenteront ? Il y a des choix de société à opérer, choix qui ne sont pas sans incidence sur notre future croissance. La nouvelle gestion des âges de la vie devrait sans nul doute autoriser un panachage des périodes de formation, de travail ou consacrées à la réalisation de projets personnels. Une vie étirée sur quatre-vingt ans ne peut pas se dérouler comme une vie de cinquante ou de soixante ans.

La cohabitation des générations

La société a été longtemps un assemblage de trois grandes générations, les petits-enfants, les parents et les grands parents. Les deux guerres mondiales et les accidents de la vie (automobile, accidents du travail) avaient même au cours du vingtième siècle pour conséquence de restreindre les parentèles à deux niveaux. Au vingt-et-unième siècle, sauf catastrophe, quatre générations seront amenées à cohabiter. Une telle évolution n’est pas sans incidence sur l’organisation des solidarités. La canicule du mois d’août 2003 a démontré tristement que de nombreuses personnes de plus de quatre-vingt ans vivaient coupées du monde. La solitude a été la principale cause de mortalité durant cet été. Dans une société de plus en plus mobile dans laquelle plus d’un mariage sur trois se termine par un divorce, il y a de nouveaux liens sociaux à développer. Entre un adolescent de treize ans et son arrière grand-mère de plus de quatre-vingt cinq ans dont les enfants et petits enfants auront peut-être divorcé, les relations ne sont pas naturelles.

Des Français en attente de réponses de la part des candidats

Selon un sondage réalisé au mois de février par l’institut CSA pour le compte du Cercle des Epargnants, 63 % des Français considèrent que les candidats à l’élection présidentielle traitent, de manière insuffisante, la question des retraites. L’attente est plus forte que pour les autres grands thèmes que sont l’emploi, la protection sociale ou la fiscalité. Ils sont, en revanche schizophrènes sur leurs attentes. Ils veulent plus de solidarité, plus de liberté mais sans l’instauration de nouvelles contraintes.

C’est certainement conscient de cette situation que les candidats à l’élection présidentielle ont occulté le débat de fond en optant pour des mesures plus catégorielles. Dans leur quasi-totalité, ils se sont prononcés pour une revalorisation des petites pensions. Nul ne pourrait leur reprocher cette promesse qui reçoit l’approbation de 94 % des Français selon le sondage réalisé par l’institut CSA à la demande du Cercle des Epargnants au mois de février 2007. Est-elle raisonnable et indispensable ? Bien évidemment, il y a encore trop de personnes âgées qui vivent de manière précaire mais il faut souligner que si, en 1970, 27 % des retraités vivaient en-dessous du seuil de pauvreté, ils ne sont en 2006 que 4 % selon les statistiques de l’INSEE. Le nombre de personnes bénéficiant du minimum vieillesse est passé de 2,5 millions en 1959 à 600 000 en 2005. Le taux de remplacement pour les salaires modestes est, en France, un des meilleurs de l’OCDE. Si la revalorisation des petites pensions constitue une avancée sociale, rien ou presque n’est dit sur les moyens de financer cette mesure, rien n’est dit sur la manière de garantir dans la durée ce progrès. Cette mesure ponctuelle risque un peu plus de dégrader les finances publiques sans régler les problèmes structurels auxquels sont confrontés tous les régimes d’assurance vieillesse.

Demain n’attend pas !

Depuis deux ans, la Caisse nationale d’assurance vieillesse ainsi que les deux grands régimes complémentaires que sont l’AGIRC et l’ARRCO enregistrent des déficits. Cette dégradation des comptes est imputable à la cessation d’activité de nombreux salariés de moins de 60 ans ayant cotisé durant 40 ans. Cette disposition de solidarité s’avère pernicieuse car elle conforte l’idée que le départ précoce en retraite est un acquis. Elle ne contribue pas à la remontée du taux d’emploi des 55/65 ans qui est en France un des plus faibles de l’OCDE. Sur ce sujet, il y a un véritable travail de pédagogie à mener afin que les employeurs et les salariés changent d’attitude. En effet, près de 60 % des Français sont opposés au recul de l’âge légal de départ à retraite à 65 ans quand le Bundestag allemand a adopté un projet de loi le portant à 67 ans.

Dans les prochaines années, le besoin de financement des seules retraites s’accroîtra irrémédiablement. Aujourd’hui, il représente de 12 à 13 % du PIB ; il devrait d’ici 2050 atteindre 18 % du PIB. Ce calcul ne prend pas en compte la progression des dépenses de santé dont 50 % sont imputables aux personnes de plus de 60 ans. Il faudra trouver pour les seuls régimes spéciaux environ 120 milliards d’euros.

« Que faire ? »

Si au début de la campagne, le parti socialiste avait évoqué clairement son intention d’abroger la loi Fillon, la candidate Ségolène Royal se montre prudente sur le sujet en renvoyant la question à la négociation. 36 % seulement des Français sont pour l’abrogation de cette loi prouvant ainsi qu’ils sont sans illusion sur le retour aux règles en vigueur avant 1993.

La loi Fillon n’a réglé que 40 % à 50 % du problème tout en sachant que les hypothèses d’emploi retenues, un taux de chômage de 4,5 %, sont particulièrement optimistes. Il y aura donc pour le nouveau Président des choix à arbitrer. Sur ce sujet, les propositions des candidats diffèrent à la marge. Si Nicolas Sarkozy a déclaré son intention d’harmoniser les régimes spéciaux, il n’a pas précisé la méthode. Il est à noter que 71 % des Français sont favorables à une suppression des régimes sociaux et cela quelles que soient leurs sympathies politiques. François Bayrou souhaite également la banalisation des régimes spéciaux mais dans le cadre d’une réforme globale et d’un basculement du régime général vers un régime à point tel qu’il existe actuellement pour les régimes complémentaires. Les régimes par point sont actuariellement neutres et permettent un équilibre individuel, cotisations perçues par rapport aux prestations versées, mais ne définissent en aucun cas un équilibre collectif et ne sauraient en soi garantir le pouvoir d’achat des futurs retraités.

Ségolène Royal reste évasive dans ses déclarations sur le sujet tout en mentionnant sa volonté de prendre en compte la pénibilité du travail pour la fixation des conditions de départ à la retraite. Cette dernière proposition reçoit l’accord de 87 % des Français. Elle renvoie le sujet des retraites à la négociation qu’elle entend initier entre les partenaires sociaux.

Les propositions des différents candidats sont en phase avec les attentes des électeurs qui ne souhaitent pas de remise en cause violente de leur système de retraite. S’ils sont favorables à des mesures de solidarité et à un relatif statuquo, ils sont de plus en plus inquiets pour l’avenir de leurs pensions (64 % en 2007 contre 61 % en 2006). Ce sont les jeunes actifs et les salariés modestes qui sont les plus angoissés. Pour régler le problème des retraites, les actifs s’en remettent à l’Etat et à la Sécurité sociale pour 56 % d’entre eux tout en acceptant l’idée d’un système mixte, répartition/capitalisation.

Des habits neufs pour l’épargne retraite ?

Si l’instauration d’un système mixte est admise, les mots « fonds de pension » sont toujours bannis du langage politique. La loi Fillon, en 2003, avait, à ce titre, pris le soin de contourner le problème en créant deux produits dénommés Plan d’Epargne Retraite Populaire et Plan d’Epargne Retraite Collective, le premier appartenant à la famille des produits d’assurance individuelle et le second obéissant aux règles de l’épargne salariale. Pour éviter la création de véritables fonds dotés de la personnalité morale, le Gouvernement a choisi de recourir, en ce qui concerne le produit individuel, à des structures associatives, les Groupements d’Epargne Retraite Populaire. Ces associations qui assurent des fonctions de contrôle et de surveillance. La création des GERP est une source de complexité et de surcoûts ; rares sont ceux qui remplissent comme le Cercle des Epargnants leurs missions.

Si la montée en puissance du PERCO est progressive et conforme aux prévisions, celle du PERP est en demi-teinte. S’il a été souscrit par plus de deux millions de Français depuis sa création, l’encours reste modeste et surtout le nombre des nouveaux titulaires se réduit d’une année sur l’autre. Si ces résultats sont en phase avec ceux enregistrés lors de la création des contrats Madelin il y a une dizaine d’années, ils sont néanmoins décevants au regard des espoirs que ce produit avait généré lors de son lancement. Du fait d’une moindre communication des banques et des assurances, la notoriété du PERP a baissé selon le sondage Cercle des Epargnants/CSA de 42 à 34 % de 2006 à 2007. De même, l’intention de souscrire un PERP s’élevait au mois de février 2007 à 9 % contre 13 % un an plus tôt. Il souffre d’un désamour, en grande partie injuste, lié à un excès de contraintes. Si les Français admettent le principe de la rente pour un produit retraite, ils veulent aussi avoir la possibilité de sortir en capital. Certes, le législateur autorise désormais pour le PERP une sortie en capital au moment de la cessation d’activité pour ceux qui souhaitent acquérir leur résidence principale, mais cette ouverture est encore trop modeste.

Comme pour le PERCO, il faudrait instituer une réelle option de sortie en capital. Il conviendrait également de pouvoir associer le PERP à la dépendance. Ainsi, les titulaires de ce produit pourraient déduire de leurs impôts, une partie de leurs cotisations à un produit d’assurance dépendance. En effet, l’autre grand enjeu du vieillissement de la population est la gestion de l’épineux dossier de la dépendance.

Le désintérêt des Français vis-à-vis du PERP s’explique également par leur souhait de bénéficier d’un produit d’épargne retraite mis en œuvre par leur entreprise. Ce désir pose le problème de la généralisation du PERCO dans les PME. La loi sur le développement de la participation et de l’épargne salariale de 2006 encourage la diffusion de ce produit au sein des petites structures. Il n’en demeure pas moins que la complexité de gestion d’un PEE ou d’un PERCO et les coûts qu’ils génèrent rendent sa diffusion difficile au sein des petites structures. *
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Le temps électoral est celui des passions, des humeurs ; après l’été, une autre période commencera, de nouvelles équipes auront la lourde charge de préparer le rendez-vous de 2008 prévu par la loi Fillon et de prendre les mesures nécessaires pour garantir la pérennité de notre système de retraite. Le catastrophisme n’est certes pas de rigueur ; il n’y a pas de péril en la demeure ; simplement le nouveau Gouvernement devra fixer les règles du jeux, décider ce qui relève ou non de la solidarité nationale et comment gérer non pas le vieillissement de la population mais l’étirement de la vie.

Philippe Crevel
Secrétaire général du Cercle des Epargnants

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