Mai 2006 : la bataille de la recherche
Si les pays scandinaves ont réussi à renouer avec la croissance et le plein emploi tout en maintenant un haut niveau de protection sociale, ils le doivent à leur spécialisation sur quelques secteurs de pointe et au dynamisme de leur recherche. Nokia et Ericksson ne sont pas le produit du hasard. La force de l’économie américaine repose sur sa capacité à innover et à diffuser, dans l’ensemble des secteurs d’activités, les produits de la recherche qu’ils soient issus du secteur privé, des universités ou des agences publiques.
N’oublions pas que la mondialisation est avant tout une mutation économique de grande ampleur. Autrefois limitée à quelques Etats occidentaux, la concurrence sur les biens industriels et les services concerne désormais un nombre croissant d’Etats. Nous n’avons pas vocation, ni les moyens de jouer sur le même tableau que les pays ayant des coûts de main d’œuvre, dix, quinze ou vingt fois moins importants que les nôtres. C’est par le haut que l’on échappera à la traumatisante stagnation que nous connaissons depuis des années. Notre champ de bataille, c’est la recherche et l’innovation dans des secteurs à forte intensité technologique.
C’est au nom de ce constat que le Conseil européen de Lisbonne, en 2000, a fixé à tous les Etats membres, un objectif clair, consacrer 3 % du PIB aux dépenses de recherche à compter de 2010.
Dans cette bataille de la recherche, la France part avec des handicaps. Les dépenses de recherche sont trop faibles ; 2,2 % du PIB en baisse depuis dix ans. Notre pays recule en ce qui concerne le nombre de brevets déposés. La part des entreprises dans le financement des dépenses de recherche développement est une des plus faibles de l’OCDE. Elles n’y participent qu’à hauteur de 52 % contre 75 % aux Etats-Unis. Autre spécificité française, l’effort de recherche dans le secteur privé est concentré sur quelques entreprises ; 69 % des dépenses sont réalisées par 3 % des entreprises et 60 % le sont par des sociétés comptant plus de 2000 salariés. Les services qui emploient plus des trois quarts des salariés participent marginalement à l’effort de recherche.
Cette concentration s’explique par la politique d’aides à la recherche, un peu plus de 3 milliards d’euros, réservée à 80 % à la défense et aux programmes dits historiques définies dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Cela concourt immanquablement à la faible spécialisation de l’économie française sur les secteurs de pointe, au recul de la productivité et aux pertes de marché à l’exportation.
Une mesure simple et efficace, le crédit d’impôt recherche intégral pour atteindre les 3 % de Lisbonne
Pour atteindre l’objectif des 3 % du PIB fixé à Lisbonne, nous avons besoin de consacrer 14 à 15 milliards d’euros supplémentaires. Afin de créer un véritable choc, tout en rééquilibrant les dépenses de recherche au profit du secteur privé, je propose, à titre dérogatoire, jusqu’en 2010, l’instauration d’un crédit d’impôt recherche intégral.
La défiscalisation des dépenses de recherche est inférieure en France à ce qui est pratiqué en Espagne, au Portugal, en Australie, au Canada ou en Corée. Malgré sa refonte en 2004, le crédit d’impôt recherche, dans notre pays ne représente que 520 millions d’euros tout en concernant 2800 entreprises. Au niveau de l’entreprise, il est sur la base de 5 % de l’effort total de recherche réalisé et à 45 % de la variation d’une année sur l’autre, le tout étant plafonné à 8 millions d’euros. En déplafonnant le crédit d’impôt et en permettant la prise en compte de 100 % des dépenses, un signe fort serait adressé aux entreprises pour innover ; elles pourraient, de manière indépendante investir dans les techniques de demain. A la clef, de nombreux emplois, évalués à plusieurs dizaines de milliers, pourraient être ainsi créés. Le coût de cette mesure n’est pas hors de raison, il est comparable à celui des aides attribuées aux entreprises pour financer la réduction du temps de travail. Simplement avec le crédit d’impôt intégral, on se projette dans l’avenir, alors que le dispositif des 35 heures est malthusien et terriblement pernicieux pour notre économie.
Une recherche dynamique suppose également une symbiose entre entreprises, enseignement supérieur et laboratoires publics. La création récente des pôles de compétitivité par le Gouvernement poursuit cet objectif. Néanmoins, en ayant retenu un grand nombre de projets, le Gouvernement a pris le risque du saupoudrage des fonds publics et la dilution des responsabilités. La grande faiblesse des réformes engagées en la matière provient du fait que l’enseignement supérieur clef de voûte de tout système de recherche digne de ce nom est resté à l’écart.
Pour des universités fortes et autonomes
Dans la compétition du savoir et de l’intelligence, notre pays est pénalisé par la faiblesse de son enseignement supérieur. Selon le classement de l’OCDE, la France se situe au 19ème rang sur 26 pour la performance de ses établissements. Selon le classement de l’Université de Shanghai, seulement deux établissements français figurent dans la liste des 100 meilleurs et encore le premier n’est que 47ème.La France n’investit que 1,1 % de son PIB pour l’enseignement supérieur contre 2,3 % du PIB aux Etats-Unis. Le chercheur universitaire ne reçoit que 94 000 euros en dans notre pays contre 171 000 euros outre-atlantique. La bataille de la recherche commence à l’université, lieu de formation des futurs chercheurs et aussi lieu de recherche.
Notre système de formation supérieure est bancal ; d’un côté des universités qui ont obligation tout à la fois de former tous les jeunes ayant eu leur bac et assurer des missions de recherche de très haut niveau ; de l’autre une kyrielle de grandes écoles sélectionnant à l’entrée leurs élèves et participant peu à l’effort de recherche du fait de leur faible surface financière. Par ailleurs, les universités, à l’exception de quelques pôles comme à Grenoble, Sophia Antipolis ou à Orsay, vivent en vase clos et n’ont que peu de liens avec le monde économique à la différence de leurs homologues étrangers.
Pour redonner du souffle, de l’élan à notre système de formation et de recherche, l’autonomie est une ardente obligation, autonomie tant administrative que financière. La gestion centralisée des universités est source de blocages. Par ailleurs, si nous voulons des universités plus audacieuses, n’hésitant pas à se lancer dans l’innovation, il faut introduire plus de souplesse dans la gestion des emplois afin d’encourager les programmes de coopération avec des entreprises ou avec des centres de recherche étrangers. Le développement de partenariats public/privé ne doit pas être vécu comme une contrainte ou comme une perte d’indépendance mais au contraire comme une possibilité d’ouverture, un moyen de financement supplémentaire. Une autonomie accrue suppose l’instauration d’une nouvelle gouvernance au sein des établissements d’enseignement supérieurs avec la création de conseils d’administration plus représentatifs, plus resserrés et dotés de véritables pouvoirs de décisions. Au sein de ces conseils rénovés, chercheurs, enseignants, représentants de l’Etat et des collectivités locales, représentants des entreprises finançant des programmes de recherche et des personnalités qualifiées auraient comme mission de diriger l’université sous l’autorité d’un Président responsable et élu.
Le cloisonnement de la recherche publique provient également de l’empilement des structures. Chaque réforme de notre système de recherche aboutit à la création de nouveaux organismes sans pour autant qu’une rationalisation de l’existant soit entreprise. Il en résulte des chevauchements de compétences et un saupoudrage des moyens publics. Une simplification s’impose. A cet effet, la mise en place d’un nombre réduit d’agences indépendantes, spécialisées sur des grands thèmes de recherche, technologies de l’information, nanotechnologie, biotechnologie et sciences de la santé, espace… est une voie à suivre. Il convient de s’interroger sur le maintien en état du CNRS qui couvre un grand nombre de domaines de la recherche publique or à trop étreindre, mal étreint. Le CNRS est accaparé plus par les problèmes de gestion que par la recherche. Les établissements d’enseignement supérieurs devraient être les premiers bénéficiaires de ce redécoupage afin de jouer un rôle de pépinière tant au niveau des chercheurs qu’au niveau des entreprises.
La France a un passé glorieux en matière de recherche. Ces chercheurs sont connus mondialement Pierre et Marie Curie, Louis de Broglie, Louis Pasteur, Augustin Fresnel et bien d’autres … mais la France n’a pas vocation à vivre au passé et à se transformer en musée. Certes, la recherche française conserve des pôles d’excellence, en physique, en mathématique, dans les sciences du vivant mais il ne faut pas se tromper de combat, sous-estimer les défis à relever. Nos emplois de demain dépendent avant tout de la capacité de notre enseignement supérieur à former des chercheurs, de nos centres de recherche à effectuer de nombreuses découvertes et à les diffuser ainsi que de nos entreprises à les exploiter. Il est indispensable de construire très rapidement cette chaîne de la réussite car la recherche développement est la pierre angulaire de l’économie de demain.
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