L’inflation est-elle de retour ?
Depuis plusieurs années, l’inflation est attendue comme le messie. Elle est censée effacer en douceur une partie des dettes accumulées par les pouvoirs publics depuis la Grande Récession de 2008. Les recettes fiscales augmenteraient plus rapidement. Elle offrirait du grain à moudre sous forme d’illusion monétaire. Pour 2017, certains imaginent que le taux d’inflation en France pourrait dépasser 1,1 %. D’autres imaginent même un taux d’inflation au-delà de 1,5 %. En Allemagne, le taux d’inflation atteint déjà 1,7 %, ce qui provoque des protestations des épargnants à l’encontre de la BCE. Depuis 2008, toutes les prévisions sur son retour ont été démenties. La relance budgétaire opérée à l’échelle mondiale, en 2009, devait se traduire par le retour d’une forte inflation tout comme les politiques monétaires non-conventionnelles ; que nenni ! Dans les faits, seuls le pétrole et les matières premières ont eu quelques effets sur les prix.
Selon l’INSEE, « l’’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ». Elle suppose bien souvent un effet de transmission, en particulier entre les prix des biens et services sur les salaires.
Plusieurs facteurs pourraient contribuer, dans les prochaines années, à la hausse des prix même si sur ce sujet, les incertitudes sont importantes.
La fin du freinage des salaires
Les mouvements de déréglementation du marché du travail arrivent à leur terme. La dérèglementation des marchés du travail a commencé dans les années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, dans les années 1990-2000 au Japon, dans les années 2000 en Allemagne et, après 2010, en Espagne, en Italie ainsi qu’en France. Cela a conduit au ralentissement des hausses des salaires et des coûts salariaux unitaires. Les nouvelles libéralisations génèrent une contestation croissante de l’opinion. Dans certains Etats aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, des hausses du salaire minimum ont été décidées ; au Japon, le gouvernement a demandé une hausse des salaires aux entreprises.
Par ailleurs, la diminution de la population active pourrait provoquer des pénuries de main d’œuvre et générer des augmentations de salaire. Le plein emploi comme en Allemagne, en République Tchèque et dans plus Etats d’Europe du Nord aboutit à des augmentations de salaire. Néanmoins, dans plusieurs pays d’Europe, le taux de chômage demeure élevé. En outre, il est difficile d’évaluer les sureffectifs dans certaines activités tertiaires pouvant donner lieu à de nombreux licenciements dans les prochaines années.
Le rattrapage des coûts salariaux des pays émergents
Les salaires, charges comprises, augmentent au sein des pays émergents. Les hausses peuvent atteindre 20 % en Chine. Cela devrait conduit à une augmentation des prix des biens de consommation et d’équipement. Néanmoins, les capacités de production excédentaires sont importantes. En outre, les entreprises des pays émergents réalisent des gains de productivité en recourant notamment à la robotisation.
Baisse des gains de productivité
Depuis plusieurs années, les gains de productivité ont tendance à s’étioler. Ce phénomène constaté dans les pays avancés s’étend également au sein des pays émergents.
Source : INSEE
Cette baisse des gains de productivité s’explique par un coût croissant de l’innovation et par la tertiarisation de l’économie. Les services génèrent moins de gains de productivité que l’industrie. Plusieurs études soulignent que les gains de productivité diminuent également dans les secteurs des nouvelles technologies. Par ailleurs, le digital semble, pour le moment, offrir plus de conforts que de véritables gains de productivité.
Cette chute des gains de productivité est également la conséquence du vieillissement de la population. Ce vieillissement réduit les besoins en biens de consommation et d’équipement ; il ralentit par ailleurs la diffusion du progrès technique.
Les prix des matières premières devraient augmenter
Compte tenu de l’évolution naturelle de la demande et de la standardisation des modes de consommation, les prix des matières premières devraient augmenter. La généralisation des taxes sur le CO2 pourrait renchérir le coût des énergies fossiles. En outre, le sous-investissement de ces dernières années pourrait provoquer sous peu un accès de fièvre sur les prix.
Plusieurs facteurs pourraient jouer en défaveur de l’inflation
Le principal est lié au vieillissement de la population. Celui-ci réduit les besoins en biens d’équipement et de consommation comme cela a été mentionné ci-dessus. En effet, les besoins se réduisent avec l’âge. Par ailleurs, une population en diminution consomme par définition moins qu’une population jeune en forte croissance. Le Japon prouve que déclin démographique est synonyme de faible inflation surtout si la concurrence demeure vive au niveau de la production.
Le vieillissement a également plusieurs conséquences sur la valeur des actifs. Les populations âgées sont peu enclines à prendre des risques. Elles privilégient les placements sans risque, ce qui conduit à des faibles taux d’intérêt. Cela limite d’autant la demande finale tant par la faiblesse des revenus générés que par celle de l’investissement des entreprises qui peuvent être amenées à manquer de débouchés et de capitaux. Le faible attrait des seniors pour les actions conduit à leur sous-appréciation ; ce qui a un effet déflationniste.
L’augmentation du nombre de retraités pourrait avoir comme conséquence une diminution de la valeur des actifs immobiliers et financiers. Les caisses de retraite par capitalisation pourraient être vendeurs nets d’actifs afin de faire face à l’augmentation des pensions à verser. Par ailleurs, la progression des décès entraîne la remise sur le marché d’un plus grand nombre de biens ce qui en fait baisser le prix.
Le digital, la concurrence et les coûts marginaux nuls
Internet accroît la concurrence. Il a entraîné le développement d’un nouveau circuit de distribution.
Les plateformes collaboratives génèrent de nouvelles offres dans les secteurs de l’hébergement (Airbnb, booking.com), des transports (Uber, Chauffeurs privés), du financement (crowdfunding), des services, etc.. Que ce soit en augmentant l’offre ou en permettant une comparaison immédiate des prix, les plateformes et les applications pèsent sur les prix.
Le budget de fonctionnement de Wikipédia est d’environ 60 millions de dollars quand le chiffre d’affaires des éditeurs d’encyclopédies papier se chiffrait en milliards de dollars. Le prix marginal de consultation d’une encyclopédie a donc fortement baissé.
Le passage d’une société de la propriété vers une société de l’usage ou du partage est également déflationniste en réduisant les goulets de production.
Les coûts de production numériques sont décroissants. Il y a peu de blocage de production en cas de forte demande. L’écoute de la musique passe aujourd’hui par le streaming et le téléchargement et de moins en moins par le CD. Auparavant, il fallait produire en quantité suffisante des disques ce qui nécessitait d’acheter de la matière première. La hausse des coûts de transports et de commercialisation était imputée sur le prix de vente. Aujourd’hui, il y a peu de limite matérielle à la diffusion sur toute la planète du dernier disque des Rolling Stones.
Certes, les effets déflationnistes du participatif ou du digital devraient s’estomper dans les années à venir. Le retour à des business model plus rationnel avec une professionnalisation de l’offre devrait aboutir à une augmentation des prix.
Au regard du Japon qui, depuis 20 ans, peine à sortir de la déflation, nous devons rester prudent et ne pas succomber à un optimisme béat concernant un retour sur longue période de l’inflation.
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