L’euro, tout d’une grande monnaie ?

03/07/2021, classé dans

L’euro peut-il changer de dimension ?

L’euro existe depuis plus de vingt ans. Critiquée voire honnie par certains, la monnaie commune a réussi à traverser l’épreuve de la crise des subprimes, celle de la crise des dettes souveraines et l’épidémie de covid-19. Il est aujourd’hui la clef de voûte de l’économie européenne. Sans l’euro, les États auraient dû faire face à de fortes fluctuations monétaires. Leur ampleur aurait dépassé celle des deux chocs pétroliers compte tenu des écarts de recul de PIB entre les États d’Europe du Nord et ceux du Sud. La tentation protectionniste aurait été, sans la monnaie commune, bien plus importante. La Banque Centrale Européenne a joué son rôle de banquier en dernier ressort en assurant la solvabilité des États grâce à un programme de rachats d’obligations. Une nouvelle étape a été franchie le 15 juin quand 20 milliards d’euros d’obligations ont été émises dans le cadre du programme « Next Generation » pour contribuer à la relance des économies européennes. Ces obligations sont à même de rivaliser avec les obligations du Trésor américain. Si les devises ont pour missions de faciliter les transactions des personnes et des entreprises ainsi que de financer les agents économiques à l’intérieur des frontières, elle tire une grande partie de leur puissance de leur présence à l’international. Aujourd’hui, la domination du dollar en tant que monnaie des échanges internationaux et en tant qu’élément de réserve constitue pour les États-Unis un indéniable atout. Pour les entreprises, avoir des importations et des exportations libellées dans leur monnaie locale en lieu et place du dollar les affranchissent des variations de change. L’émission d’une devise désirée permet d’attirer de l’épargne étrangère qui contribue à l’équilibre de la balance des paiements. Cet apport d’épargne réduit le coût d’emprunt pour les entreprises et les banques.

L’euro est la deuxième monnaie à l’échelle internationale. Du fait de la puissance commerciale de l’Union européenne, elle fait presque jeu égal avec le dollar ; mais les cours des matières premières, du pétrole restent fixés dans la devise américaine. En tant qu’élément de réserve, l’euro en représente 20 % des actifs contre 60 % pour le dollar. L’euro est disponible en dehors des 19 pays qui l’utilisent formellement. Plus de vingt pays y recourent en parallèle leur monnaie. Il s’agit notamment d’anciennes colonies européennes et de proches voisins. Entre un tiers et la moitié de tous les billets en euros en valeur sont détenus en dehors de la zone euro, selon la Banque centrale européenne.

La montée en puissance de l’euro a été stoppée par la crise de 2008 et surtout par la crise des dettes souveraines. La renationalisation des dettes des différents États a contribué à la segmentation du marché de l’euro. Pourtant, en 2007, l’euro était devenu la monnaie la plus populaire pour émettre de la dette libellée en devises étrangères (par exemple par les multinationales). Même si la crise était d’origine américaine, les investisseurs ont préféré se rabattre sur le dollar comme devise de prédilection. La crise grecque a conforté cette tendance.

L’imprévisibilité de la politique américaine,  notamment avec la généralisation de la clause d’exterritorialité de la réglementation constitue une opportunité de rebond international pour l’euro. Même avec l’arrivée à la présidence de Joe Biden, les Européens prennent conscience que leurs intérêts divergent de ceux des États-Unis et qu’ils ont tout à gagner de fortifier leur indépendance monétaire. Les entreprises européennes ont été placées dans l’obligation de se soumettre aux règles américaines en matière d’embargo au risque, le cas échéant, de devoir payer de lourdes amendes. Au sein de l’Union européenne, de nombreux responsables estiment que la prérogative d’extraterritorialité constitue une militarisation indue du dollar. Cette situation conduit les Allemands, jusqu’à maintenant opposés au développement d’un euro international, à changer d’avis. Leur opposition était liée au refus de faire de l’euro une valeur refuge pouvant amener des flux de capitaux déstabilisant pour le taux de change.

L’euro sort renforcé de la crise grâce aux décisions rapides de la Banque Centrale et des gouvernements nationaux pour soutenir l’économie. L’attractivité internationale sera accrue par l’émission d’obligations adossées au bilan de tous les États membres de l’Union, ce qui les rapproche des obligations du Trésor américain. Les nouvelles obligations européennes créent un moyen pour les investisseurs d’épargner en euros sans prendre de risque de crédit. Ces obligations serviront d’élément de référence et  permettront de réaliser des opérations internationales. Plusieurs obstacles demeurent néanmoins pour faire de l’euro une devise de premier rang. L’émission d’obligations mutualisées est censée s’arrêter en 2026. Le montant global des obligations reste faible, moins de 1 000 milliards d’euros quand pour les États-Unis, elles s’élèvent à 20 000 milliards de dollars. La zone euro est toujours pénalisée par la balkanisation de ses marchés de capitaux qui ont tendance à se renationaliser depuis la crise des subprimes. L’absence d’une grande place financière est aussi une entrave pour le développement de l’euro. Les règles fiscales en matière financière qui diffèrent d’un État à un autre rendent difficiles l’élaboration de produits d’épargne transfrontaliers.

L’euro n’est pas encore en capacité de remplacer le dollar. Les banques européennes auront toujours besoin de dollars tant que l’économie américaine restera la première du monde et que ses entreprises seront incontournables dans bien des secteurs. Certains experts estiment que la véritable menace pour le dollar est non pas l’euro mais les futures monnaies digitales.

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