Le tourisme est mort, vive le nouveau tourisme
Avant la crise sanitaire, au début de l’année 2020, le tourisme mondial connaissait un essor sans précédent avec une période de plus de 60 ans de croissance continue, marquée par un fléchissement passager en 2009 lors de la crise des subprimes. Le nombre d’arrivées internationales dépassait 1,5 milliard, en 2019 contre 900 millions en 2008. Les dépenses mondiales de voyage ont plus que triplé de 2000 à 2018, passant de 495 milliards à 1 500 milliards de dollars soit 7 % des exportations mondiales de biens et services. Dans les pays de l’OCDE, le tourisme représente en moyenne 4,9 % du PIB, 6,9 % de l’emploi et 21,6 % des exportations de services. Pour les pays d’Europe du Sud, la part du tourisme dans le PIB dépasse 8 %. L’économie du tourisme englobe un grand nombre d’activités (les transports, l’hôtellerie, la restauration, les activités de spectacles, le bâtiment, etc.). Au sein de ce secteur, se côtoient de très petites entreprises et des multinationales. Les compétences des actifs y travaillant sont très variées avec une part importante d’emplois dits à faibles qualifications. Le tourisme incite à l’entretien du patrimoine, au développement des infrastructures et au maintien des traditions. Au sein du milieu rural, ce secteur est une source importante de revenus. Il permet la création de nombreux emplois.
Depuis une vingtaine d’années, les activités touristiques, par leur essor, ont fait l’objet de critiques croissantes en raison de la saturation des sites les plus prestigieux et des nuisances environnementales qui y sont associées. Venise, Barcelone et d’autres grandes villes tentent de réduire ces dernières. Au mois de mars 2021, les autorités de Venise ont ainsi décidé d’interdire l’accès des paquebots de croisière au cœur de la lagune. Le tourisme est à la fois une activité essentielle en termes économiques et une source de tensions au sein de nombreux pays ou régions. Avec la crise sanitaire qui a entraîné la disparition des déplacements internationaux, une volonté de revoir l’organisation du tourisme de masse se fait jour. En ce premier semestre 2021, il est trop tôt pour prédire l’évolution du tourisme à l’échelle mondiale. Un retour de la croissance est certes attendu à moyen terme, la demande de voyages reste très forte en particulier au sein des pays émergents. Avant la crise sanitaire, les acteurs du tourisme escomptaient 1,8 milliard de touristes internationaux d’ici 2030 et 3 milliards d’ici le milieu du siècle. Cette progression sera peut-être plus lente que prévu mais, compte tenu de l’essor de la classe moyenne dans de nombreux pays, elle devrait être relativement forte. La problématique est de rendre le tourisme durable, plus qualitatif, moins quantitatif.
Pendant des années, l’objectif des autorités nationales ou locales étaient d’attirer le plus grand nombre de touristes. Peu de mesures étaient prises pour garantir la durabilité environnementale et sociale de l’activité. Avec les billets d’avion à faibles prix et les plateformes de location en ligne, les grandes villes historiques européennes comme Amsterdam, Barcelone, Paris, Prague ou Berlin ont bénéficié de flux touristiques croissants générant de multiples problèmes, saturation de certains équipements et infrastructures, départ des habitants avec la multiplication des locations saisonnières, augmentation du prix des loyers, etc. Plusieurs agglomérations comme Amsterdam, Barcelone ou Paris ont mis en place des politiques de tourisme urbain durable reposant sur l’aménagement du territoire, la protection du logement, la réglementation de l’activité des particuliers ou encore des stratégies de mobilité. L’équilibre est délicat à trouver entre l’activité économique et la préservation de la qualité de vie des cités en question, qualité qui justement contribue à leur notoriété.
Le redémarrage plus généralisé du tourisme international dans les villes n’est pas attendu avant 2024. Les villes spécialisées dans les congrès internationaux comme Paris, Londres ou New York seront les plus pénalisées. Il est possible que le succès des visioconférences aboutisse à une diminution du nombre de conférences internationales, à la fois coûteuses et complexes à organiser, mais qui étaient une importante source de devises. La diminution des voyages d’affaires provoquera également un manque à gagner pour l’hôtellerie de luxe et de gamme moyenne ainsi que pour les transports. Les grandes compagnies aériennes équilibraient leurs comptes grâce aux places en business class vendues sur les longs courriers.
L’activité touristique des territoires ruraux, peu dépendants de l’international, devraient avec la fin des mesures sanitaires connaître une reprise rapide. Ces territoires connaissent un essor important depuis plusieurs années accueillant des touristes nationaux, plus âgés que la moyenne. Moins exposés au tourisme intensif que les grands sites, ils ont donc l’avantage de concilier les deux impératifs santé et durabilité. Les régions mono-dépendants du tourisme comme les îles ioniennes en Grèce, les Baléares et les Canaries en Espagne et la région de l’Algarve au Portugal pourraient subir une perte non négligeable de richesses dans les prochaines années à défaut de pouvoir réorienter leur offre et leurs activités. En France, Paris et la Côte-d’Azur sont concernées. La Corse dont le tiers du PIB dépend du tourisme est dans une situation intermédiaire, la proportion de touristes nationaux y étant prépondérante sur l’ensemble de l’île à l’exception de l’extrême-sud. En dehors de l’Europe, des régions comme Jeju-do en Corée du Sud, et le Nevada (Las Vegas) ou Hawaï aux États-Unis sont très exposés aux fluctuations du tourisme. La situation des régions touristiques dépend de l’importance de la clientèle non-résidente, du niveau de gamme des touristes, de l’étalement de la saison, etc.
Empreinte environnementale et digitalisation
Le secteur touristique est entré dans une phase de mutation avec un recours accru au digital pour la gestion de l’activité et une prise en compte de la durabilité des activités. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme et l’ONU, le secteur serait responsable de l’émission de 5 % des gaz à effet de serre. Le tourisme interfère avec l’environnement à travers les transports, la construction de bâtiments, l’artificialisation des sols, la consommation d’eau et de produits alimentaires, etc. Ses interactions avec ces ressources peuvent être directes ou indirectes, et même si toutes les activités touristiques sont en définitive locales, elles concourent à des phénomènes de portée mondiale. Les hôtels, par exemple, exercent, par leur importance, une influence considérable sur les processus de production alimentaire, réduction des déchets comprise, et peuvent exercer une influence directe sur la production alimentaire durable. De plus en plus d’États ou de régions travaillent sur une régulation de l’offre de transports pour diminuer l’affluence touristique en pleine saison à travers une régulation des accès aux sites et un étalement de la saison. Des initiatives locales sont également prises pour préserver les sites et les conditions de vie. En 2020, les habitants de Key West, en Floride aux États-Unis, se sont prononcés en faveur d’une limitation à 1 500 du nombre de personnes autorisées par jour à débarquer d’un bateau de croisière. Ils ont également interdit les navires d’une capacité supérieure à 1 300 passagers, pour accorder la priorité aux compagnies de croisière affichant les résultats environnementaux et sanitaires les plus probants. La protection de certains sites en Méditerranée donne lieu à un débat sur la suppression ou la limitation des bateaux pouvant y accéder. Le développement de moyens de transports décarbonés constitue une des priorités pour les grandes agglomérations ainsi que pour les territoires à forte attractivité touristique. La mise en place de flottes de véhicules autonomes devrait à terme faire partie des services proposés aux touristes afin de pleinement profiter des lieux visités. À Marseille, le port a prévu de relier les paquebots à quai au réseau électrique afin d’éviter l’émission de fumées émanant de leurs moteurs.
Le recours aux techniques numériques permet une gestion plus fine des flux touristiques. Ainsi, sur l’île de Santorin, en Grèce, un algorithme d’attribution des postes d’amarrage reposant sur 14 critères fondamentaux permet de contrôler et d’organiser les arrivées et les départs des navires de croisière. L’objectif est de réguler le flux de visiteurs sur l’île durant la journée, et de disperser les touristes sur l’ensemble de l’île en leur proposant des endroits moins connus que les sites saturés. Le projet japonais «Patrimoine culturel cloné» vise à préserver les objets culturels de valeur en réalisant par de l’impression 3D des copies qui peuvent être exposées à plusieurs endroits. En ce qui concerne les reproductions, la France a pratiqué de même avec les reproductions de la grotte de Lascaux afin de préserver les dessins originaux. En Israël, le ministère du Tourisme met actuellement au point un programme de suivi par réseau mobile des touristes qui permettra de contrôler les niveaux de congestion des sites les plus fréquentés tout au long de l’année. En fonction des données recueillies, l’offre de billets sera ajustée pour lisser la fréquentation en jouant à la fois sur leur nombre et sur le prix. En République tchèque, CzechTourism exploite les données de géolocalisation provenant des réseaux de téléphonie mobile, afin de modéliser le nombre de touristes et leurs flux et déterminer ainsi les actions nécessaires pour éviter la congestion de certains lieux comme le Pont Charles à Prague.
Avant même la crise sanitaire, le tourisme de masse était critiqué et butait sur des problèmes techniques. La création de nouveaux aéroports était de de plus en plus compliquée en raison de l’hostilité des populations avoisinantes. Dans plusieurs pays, des contestations se sont développées au sujet des émissions de gaz à effet de serre des avions même s’ils en sont responsables que de manière marginale (moins de 5 % du total). Des maires se sont faire élire sur des programmes anti-tourisme comme à Barcelone. Avec la crise de la covid-19, la problématique sanitaire s’ajoute à celle des nuisances environnementales. Les contrôles à l’entrée afin d’éviter tout renouveau de l’épidémie sont amenés à perdurer d’autant plus si les mutations du virus se multiplient. Dans le passé, le secteur du tourisme a su s’adapter. Il s’est ainsi relevé des attentats du 11 septembre 2001 qui avaient mis en danger le secteur aérien ainsi que de la crise financière de 2008. Si la crise de 2020/2021 est sans précédent par son ampleur et sa durée, elle ne devrait pas signer la fin du tourisme qui représente les loisirs et la liberté, deux moteurs essentiels de l’économie contemporaine.
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