Le retour de l’Aigle !
Les Français n’ont pas le monopole du pessimisme. Les Américains malgré les politiques de soutien mises en œuvre, ces dernières années, sont inquiets. Selon des enquêtes récemment réalisées, près des quatre cinquièmes estiment que leurs enfants seront moins bien lotis qu’eux. Cette proportion est sans précédent depuis trente ans. Depuis le début de l’enquête en 1990, en moyenne, deux Américains sur cinq partageaient ce sentiment. Pour retrouver un jugement aussi négatif sur l’état de l’économie américaine, il faut remonter à la crise des subprimes en 2008/2009.
Le pessimisme des Américains semble exagéré. En 1990, l’Amérique représentait un quart de la production mondiale, aux taux de change du marché. Trente ans plus tard, cette part est pratiquement inchangée. La Chine a certes gagné en puissance économique mais avant tout à l’encontre de l’Europe et du Japon. La domination américaine sur le monde riche demeure intacte. En 2023, le PIB des États-Unis représente 58 % du PIB du G7, contre 40 % en 1990. Ajusté en fonction du pouvoir d’achat, seuls les habitants des États pétroliers et des centres financiers « ultra-riches » bénéficient d’un revenu par personne plus élevé. Les États-Unis ont creusé l’écart avec les États européens. Le PIB par habitant, en parité de pouvoir d’achat des Américains, est ainsi supérieur de près de 80 % à celui des Français. Le PIB par habitant de l’État le plus pauvre des États-Unis, le Mississippi, dépasse 50 000 dollars, soit plus que celui de la France. Les revenus moyens ont augmenté beaucoup plus rapidement qu’en Europe occidentale ou au Japon.
Les États-Unis ont la chance d’avoir une population plus jeune et un taux de fécondité plus élevé que les autres pays occidentaux. Même si des tensions existent, les États-Unis restent une terre d’immigration. Les immigrants aux États-Unis représentaient, en 2021, 17 % de la population active, contre moins de 3 % au Japon. À la différence de la Chine, de la zone euro, la population active des États-Unis continue à augmenter. Ces derniers comptent près d’un tiers de travailleurs de plus qu’en 1990. Le pays attire les diplômés de l’enseignement supérieur de tous les continents. La recherche et développement demeure la plus dynamique et représente plus de 3,5 % du PIB, soit un point de PIB qu’en zone euro ou en Chine. Dans le monde, les cinq premières entreprises qui dépensent le plus en recherche et développement sont américaines avec des budgets dépassant 200 milliards de dollars. Elles détiennent plus d’un cinquième des brevets internationaux, plus que la Chine et l’Allemagne réunies. Les grandes innovations de ces trente dernières années sont américaines, du smartphone d’Apple à ChatGPT en passant par les drones. Le marché financier américain reste le plus attractif et le plus profitable de la planète. Les Américains travaillent plus que les Européens et les Japonais tout en étant plus productifs. Un investisseur qui aurait investi 100 dollars sur l’indice S&P 500 en 1990 aurait plus de 2 000 dollars en 2023, soit quatre fois ce qu’ils auraient gagné s’ils avaient investi ailleurs dans les autres pays de l’OCDE.
Les Américains sont inquiets en raison notamment de la faiblesse de leurs prestations sociales. Elles sont plus faibles de dix points de PIB en comparaison avec celles de la zone euro. Ces vingt dernières années, des mesures sociales ont été pourtant adoptées outre-Atlantique. Les crédits d’impôt pour les travailleurs et les enfants sont devenus plus généreux. L’assurance maladie pour les plus pauvres s’est développée, notamment sous la présidence de Barack Obama. En 1979, les prestations sous condition de ressources s’élevaient à un tiers du revenu avant impôt des Américains les plus pauvres ; en 2019, ils représentaient les deux tiers. Grâce à cela, les revenus du cinquième le plus pauvre des États-Unis ont augmenté en termes réels de 74 % depuis 1990, bien plus qu’au Royaume-Uni.
Les États-Unis bénéficient d’un important effet de taille. Le marché de consommation y est vaste et son marché financier profond (capacité d’un tel marché à absorber des ordres d’achat ou de vente portant sur des montants importants, avec un large choix de supports). Seules la Chine et l’Inde pourront dans l’avenir les concurrencer. L’Europe est pénalisée par la segmentation de son marché financier et par le vieillissement rapide de sa population. Le marché unique européen est imparfait. Les droits fiscal, des sociétés, du travail, etc., y diffèrent d’un État à un autre de manière plus importante qu’aux États-Unis.
Le marché du travail reste dynamique et flexible aux États-Unis. La création d’emplois y est facile tout comme celle d’entreprises. Faire faillite ou être licencié sont admis et donnent droit à une seconde chance. En quelques semaines, les salariés licenciés d’Alphabet et d’autres entreprises technologiques ont retrouvé du travail ou créé leur entreprise. En Europe, les entreprises face à la pesanteur de la réglementation et aux problèmes d’image hésitent à licencier et à créer des emplois. Sur le Vieux continent le chômage baisse avant tout en raison de la baisse de la population active et des besoins générés par le vieillissement démographique.
Un des principaux points noirs des États-Unis est l’appauvrissement des classes moyennes dont les revenus après impôt augmentent moins vite que ceux des plus pauvres et des plus riches. La situation des seniors s’est également dégradée en particulier chez les hommes. Autre sujet d’inquiétude, la baisse de l’espérance de vie : celle-ci est imputable au trop grand nombre de jeunes qui meurent d’overdoses et de violence armée.
Les États-Unis sont confrontés à une segmentation des opinions. Ce problème n’est pas une spécificité américaine mais son acuité est plus importante en Europe. Les positions des partisans républicains divergent de plus en plus de celles des démocrates. Pour lutter contre cette partition, la tentation du protectionnisme est grande tant chez les Démocrates que chez les Républicains. Les subventions pourraient stimuler l’investissement dans les zones défavorisées mais risquent d’affaiblir la concurrence et l’innovation.
Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis doivent subir la concurrence sur le plan économique d’une grande puissance. La Russie a représenté une menace idéologique et militaire pendant la Guerre froide. Le Japon a mis à mal l’industrie américaine dans les années 1980 et 1990, mais ce danger a été éphémère. La Chine concurrence aujourd’hui les États-Unis tant sur le terrain du modèle politique que sur celui de l’économie. Compte tenu de l’évolution démographique de l’Empire du Milieu et des dysfonctionnements potentiels d’un système autoritaire et centralisé (lenteur d’adaptation, absence d’esprit critique), les États-Unis devraient demeurer la première puissance pendant de nombreuses années. Leur domination sera cependant moins forte dans un monde pluriel avec des puissances comme l’Inde, désormais la plus peuplée au monde, la Chine, le Pakistan, le Nigeria, la Turquie, l’Arabie Saoudite, l’Iran ou le Brésil. L’objectif des dirigeants américains sera d’éviter une coalition de ces puissances contre les États-Unis qui auront besoin de resserrer les liens avec ses alliés traditionnels que sont les États européens, le Japon, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada ou la Corée du Sud.
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