Le pétrole disparaitra-t-il avant même d’être interdit ?
Source d’énergie et matière première pour de nombreux secteurs d’activité, le pétrole est condamné à moyen terme. Son utilisation est censée diminuer au fur et à mesure de la décarbonation de l’économie s’accompagnant notamment de la montée en puissance des énergies renouvelables. Cependant, il pourrait en être tout autrement. Avant même d’être interdit, le pétrole pourrait venir à manquer et cesser d’être le cœur de l’économie. Le pic pétrolier annoncé depuis cinquante ans pourrait bien survenir plus rapidement que prévu. S’il ne s’est pas encore matérialisé, cela est dû à l’essor des pétroles de schistes et bitumineux qui se substituent aux gisements conventionnels. Or, ce pic se rapproche d’autant plus que les découvertes de nouveaux gisements se font de plus en plus rares et que l’investissement décroît dans ce secteur.
Une baisse engagée du pétrole traditionnel
Depuis les années 1960, le volume annuel des découvertes de pétrole conventionnel tend à décliner. Les coûts d’exploitation des nouveaux gisements augmentent fortement. Peu de territoires font désormais l’objet d’études pour déterminer la présence éventuelle de pétrole. L’Arctique et les océans en grande profondeur restent les deux grands territoires où des réserves de pétrole sont susceptibles d’être trouvées.
Le niveau global des réserves serait égal à celui des années 1960 mais avec une consommation trois fois plus importante et des découvertes de nouvelles réserves qui le sont sept fois moins. L’état précis des réserves porte, en outre, à caution. Les États pétroliers rechignent à communiquer des données fiables. De nombreux experts estiment que le niveau des réserves serait surestimé. Pour Mathieu Auzanneau, un spécialiste français du pétrole, la moitié de la production de pétrole serait mature. Cela signifie qu’elle est issue de champ dont les réserves ont déjà été exploités à 50 %. À partir de ce seuil, la production est amenée à baisser et nécessite des investissements croissants. Les producteurs doivent recourir à des dispositifs de pompage et d’injection pour recueillir du pétrole. Ce phénomène d’épuisement devrait s’accélérer dans les prochaines années. Le champ de la mer du Nord est en déclin depuis le début des années 2000. Celui du Nigéria est également en recul depuis 2011, celui de l’Angola depuis 2008 et celui de l’Algérie depuis 2007. L’Afrique a atteint son pic pétrolier en 2008. La Russie devrait être confrontée au même problème d’ici quelques années et cela d’autant plus que le sous-investissement chronique limite la production de nombreux gisements. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), un tiers des gisements conventionnels aura disparu d’ici 2030.
Les pétroles alternatifs ne pourront pas faire illusion éternellement
L’épuisement des gisements traditionnels a été masqué par l’essor des pétroles dits alternatifs. Celui-ci n’est pas sans limite et ne pourra pas faire longtemps illusion. Dans les années 1980, de grands espoirs avaient été mis dans les biocarburants. Leur apport dans la production totale est désormais de 3 millions de barils jour sur un total de 100 millions de barils jour. Leur production stagne depuis quelques années en raison de leurs coûts et des nuisances qu’ils génèrent. Leur retour énergétique au regard de la quantité d’énergie requise pour les produire est faible car ils nécessitent de déboiser des surfaces importante et exigent des apports en eau importants.
Les pétroles lourds obtenus à partir des sables bitumineux ont suscité un intérêt important au début des années 2000 avec leur mise en exploitation au Canada. Les réserves sont comparables à celles des champs d’Arabie Saoudite. Consommatrice de capitaux, nécessitant le déboisement de forêts boréales, leur production progresse lentement. En 2019, elle avoisinait 7 millions de barils jour.
Ces dernières années, le pétrole de schiste a été le seul à pouvoir compenser la chute du pétrole conventionnel. Sa part dans la production mondiale de pétrole est passée de 0 à 10 % de 2008 à 2019. Grâce à ce type de pétrole, les États-Unis sont redevenus le premier producteur mondial dépassant le pic d’extraction datant de 1970. En douze ans, ils ont multiplié par deux le volume de pétrole issu de gisements se trouvant sur leur territoire. Le pétrole de schiste passe par la fracturation de la roche dans laquelle il se situe en ayant recours à des injections d’eau et de sable sous pression. Les forages ne permettent de récupérer du pétrole que dans une portion réduite du sous-sol. Les producteurs doivent en permanence forer pour maintenir le niveau de leur production. 70 % des gisements ouverts en 2017 n’ont servi qu’à compenser la fermeture d’autres plus anciens. Aux Etats-Unis, la possession du sous-sol par les propriétaires rend relativement facile la mise en place de forage mais n’est pas sans limite du fait de l’hostilité d’une partie de la population. Si le pétrole de schiste a connu une forte croissance aux Etats-Unis, cela est dû à la puissance de l’industrie pétrolière américaine. Par ses capacités d’innovation et d’adaptation, elle a réussi à déployer, en quelques années, plus de 20 000 installations de forages à travers le pays. Si au départ, le pétrole de schiste a été exploité par de nombreux producteurs indépendants, depuis 2017, après la survenue d’une forte chute du baril mettant en cause la rentabilité des gisements, les compagnies traditionnelles ont repris la main. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la production du pétrole de schiste pourrait plafonner dans les prochaines années autour de 15 millions de baril jour. Par conséquent, la production américaine pourrait stagner à partir de 2025. La Chine, l’Inde, le Pakistan ou la Russie disposeraient de champs de pétrole de schiste qui pourraient être exploités permettant de maintenir jusqu’en 2030 la production autour de 20 millions de barils jour. Un tel volume serait insuffisant pour compenser la baisse du pétrole conventionnel et répondre à la demande.
Le retour des pénuries et des prix élevés
Tant pour la recherche de nouveaux gisements que pour l’exploitation, le secteur pétrolier est confronté à un sous-investissement. Celui-ci est la conséquence de l’instabilité du prix du baril depuis 2016 et de la réorientation des capitaux vers les énergies renouvelables. Selon l’AIE, « il est tout à fait possible que les pétroliers perdent leur appétit pour le pétrole plus rapidement que les consommateurs ». Total a ainsi annoncé se dégager progressivement du pétrole pour devenir un producteur d’énergies renouvelables. Si le pic de l’offre peut intervenir prochainement, celui de la demande n’est pas d’actualité. Les besoins des pays en développement et émergents sont en forte hausse. Compte tenu des processus de décarbonation, la demande pourrait se stabiliser, entre 2030 et 2040, selon les experts. Sur fond de hausses des prix, cette situation pourrait provoquer des problèmes d’approvisionnement. Les pays non-producteurs, mal dotés en énergies alternatives et pauvres, seront les principales victimes de ce nouveau cycle du pétrole. Le Président de Total, Patrick Pouyanné, a annoncé récemment que d’ici la fin de la décennie 2020, l’économie mondiale pourrait être confrontée à un manque de pétrole. Le déficit pourrait s’élever autour de 10 millions de barils jour à compter de 2021 (évaluation réalisée par Helle Kristoffersen, directrice générale de la stratégie de Total).
La pénurie d’or noir ne sera pas obligatoirement une bonne nouvelle pour le climat. En cas de pétrole cher, de nombreux pays seront tentés d’opter pour une énergie issue d’une matière première abondante et à faible prix, le charbon. Faute de moyens, les pays émergents ou en voie de développement dont la demande en énergie progressera fortement d’ici 2050, seront les premiers concernés. Cette décroissance du pétrole, souhaitable sur le plan environnemental, doit s’accompagner d’un effort important en faveur des énergies non émettrices de CO2.
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