Le libre échange une valeur contestée et pourtant bien nécessaire

21/01/2023, classé dans

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont favorisé l’émergence d’un système de libre-échange régulé par le Fonds Monétaire International et donnant lieu à plusieurs accords commerciaux (GATT). Ce système a conduit à une intégration économique des pays occidentaux, avec les États-Unis, le Canada et les États d’Europe de l’Ouest. Le développement des échanges commerciaux a nourri la croissance des Trente glorieuses ; même un pays de tradition protectionniste comme la France y a souscrit pour son plus grand avantage. L’ouverture de la Chine au monde à partir de 1978 et la chute du Mur de Berlin en 1989 ont consacré la réussite du modèle libre-échangiste. Mis à mal depuis la crise financière de 2008/2009, ce modèle est depuis menacé avec la multiplication des conflits commerciaux et avec les mesures en faveur de l’environnement qui sont, bien souvent de nature protectionniste. Dans le cadre de la loi de lutte contre l’inflation, les États-Unis sont accusés de menacer l’industrie européenne en subventionnant leur propre industrie. Ces derniers estiment que l’Europe avec l’adoption d’une taxe carbone aux frontières et de son plan climat ne respectent pas non plus les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Plusieurs aides européennes en faveur de la transition énergétique sont ainsi dans le collimateur des Américains. La Chine est, par ailleurs, au cœur des préoccupations des Occidentaux en raison des subventions accordées à certaines activités et aux restrictions commerciales prises récemment par les autorités.

Le pli de l’interventionnisme

La crise sanitaire qui a amené les États à s’impliquer fortement dans la vie économique de leur pays, a levé quelques interdits. Si depuis les années 1980, les aides aux entreprises étaient jugées contraire au droit de la concurrence et au droit international, il en est autrement depuis 2019. Les gouvernements ont décidé de venir en aide aux entreprises en leur garantissant des prêts, en les subventionnant ou en les recapitalisant.

Les plans de relance de part et d’autre de l’Atlantique visaient avant tout à faciliter le redémarrage des entreprises des zones économiques en question. Ces deux dernières années, les États-Unis ont adopté des subventions en faveur de l’énergie verte, des voitures électriques et des semi-conducteurs pour un montant global de 465 milliards de dollars. Ces subventions sont conditionnées à la localisation de la production sur le territoire américain. Compte tenu des coûts des entreprises des États européens, coûts accrus par la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements de l’Union craignent une accélération des délocalisations en faveur des États-Unis ou de la Chine. Les exportations sont de plus en plus soumises à des restrictions que soit à des fins sanitaires ou au nom de la sécurité nationale. Les autorités américaines limitent ainsi les exportations des microprocesseurs haut de gamme vers la Chine.

Le protectionnisme sous couvert de défense des intérêts stratégiques

Après des décennies de démantèlement des entraves aux échanges, une spirale protectionniste s’installe avec le consentement implicite des opinions publiques. Les États multiplient les aides à la localisation d’activités sur leur territoire. Le gouvernement indien a récemment accepté de financer la moitié de l’installation d’une usine de microprocesseurs détenue par des investisseurs étrangers. Le gouvernement de Corée du Sud a répliqué en proposant un régime fiscal attractif pour l’implantation d’usines de haute technologie. Depuis 2020, les États membres du G7 (États-Unis, Allemagne, France, Italie, Canada, Japon, Royaume-Uni) ont dépensé plus de 1,1 milliard de dollars pour soutenir les secteurs dits stratégiques. La Chine qui a fait l’objet d’une bienveillance de la part des Occidentaux durant plusieurs décennies est aujourd’hui regardée de plus en plus comme une concurrente déloyale menaçant les intérêts des pays occidentaux. Les transferts de technologie au profit de la Chine ou des pays émergents sont de plus en plus contrôlés. Le recours à des équipements digitaux d’origine chinoise est également remis en cause. En 2019, Huawei est exclu de plusieurs appels d’offres, au sein de l’OCDE, concernant les cœurs de réseaux de communication. Plusieurs équipements déjà installés sont démontés. En mai 2019, le Président des États-Unis, Donald Trump, annonce l’interdiction pour Huawei de vendre des équipements de réseaux aux États-Unis. Plusieurs pays européens, pas la France, suivront la position américaine. Donald Trump a également interdit à plusieurs grandes sociétés américaines comme Google de commercer avec Huawei au nom de la défense des intérêts stratégiques américains. En 2021, malgré le changement d’administration américaine, Huawei reste visé par plusieurs procédures. En novembre 2021, Huawei décide de vendre ses activités dans les serveurs en raison des sanctions américaines.

Les États-Unis sont tentés d’imposer à leurs alliés leurs vision du commerce international. L’interdiction américaine de livrer des microprocesseurs de pointe à la Chine suppose que les entreprises néerlandaises comme ASML, coréennes ou japonaises appliquent également l’embargo. Or, les Européens rechignent à perdre des parts de marché en Chine. Les Européens ne sont pas les seuls à ne pas respecter les consignes américaines. Les pays émergents et en développement dont le poids, Chine comprise, pèsent au sein du PIB mondial plus que les pays de l’OCDE entendent maîtriser leurs relations commerciales. D’ici 2050, l’Inde et l’Indonésie seront les troisième et quatrième économies mondiales. D’ici 2075, le Nigeria et le Pakistan seront, en raison de leur poids démographique, des puissances régionales incontournables. S’ils demandent à des pays de renoncer à leur commerce avec la Chine, la Russie et l’Iran, tout en fermant leurs frontières, les États-Unis ne pourront que générer une hostilité croissante à leur encontre.

La transition énergétique, une nouvelle forme du protectionnisme

Sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique, les États occidentaux tentent de procéder à la réindustrialisation de leur pays, sachant que de nombreuses actions entreprises en la matière ont échoué ces dix dernières années. La volonté des pays occidentaux d’être indépendants en matière de batteries et de matériels en lien avec la transition énergétique renchérirait cette dernière de 3 100 à 4 600 milliards de dollars, soit de 3,2 à 4,8 % du PIB. La réindustrialisation sera source d’inflation, ce qui pénalisera les ménages les plus modestes.

La taxe carbone aux frontières que l’Union européenne souhaite instituer revient à taxer les produits importés en provenance de pays qui n’ont pas engagés de processus de décarbonation équivalent. Cette taxe sera difficile à appliquer et risque de se transformer en droits de douane déguisés. Elle pourrait également inciter les entreprises européennes recourant à des importations de biens intermédiaires issus de pays émergents ou en développement à délocaliser. La solution pour éviter une taxe carbone de nature protectionniste serait de la rendre mondiale. Les mesures pour favoriser les circuits courts sont susceptibles de déclencher des réactions en chaînes. La suppression des importations de produits alimentaires en provenance de pays éloignés peut provoquer des mesures de rétorsions de leur part. Elle réduira le pouvoir d’achat de leur population qui sera moins en capacité à acheter des produits importés. Les énergies renouvelables donnent lieu à des tensions commerciales autour des matières premières. Les États disposant des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries limitent, de leur côté, leurs exportations afin de privilégier leur industrie locale. L’Indonésie a interdit les exportations de nickel. L’Argentine, la Bolivie et le Chili souhaitent mettre en place un système de régulation de la production et de fixation de prix pour le lithium.

Des organisations de régulation dépassées

Les instances de coordination sont de plus en plus critiquées par les grandes puissances elles-mêmes. Durant son mandat Donald Trump avait menacé de se retirer de l’Organisation Mondiale du Commerce dont les activités sont contrariées par les divisions internes. La Chine estime que le FMI et la Banque mondiale défendent les intérêts des Occidentaux et a décidé de créer de institutions concurrentes. Le règlement du surendettement des pays pauvres est également un sujet de tension, la Chine refusant d’intégrer le Club de Paris. Ce dernier réunissant les créanciers publics occidentaux se plaint de la politique unilatérale de la Chine face à des pays en cessation de paiement. Les États-Unis s’engagent de moins en moins dans des processus de coopération internationale. Durant la présidence de Donald Trump, ils sont sortis de l’Accord de partenariat transpacifique (TPP) qui avait été signé le 4 février 2016. Après la défection des États-Unis, les sept États restant ont signé le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) qui a pris effet le 30 décembre 2018. Malgré l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis, ces derniers n’ont pas souhaité le ratifier. En revanche, ils ont décidé de ratifier à nouveau les Accords de Paris, de 2015, dénoncés par Donald Trump.

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Dans l’histoire, le protectionnisme a toujours été l’antichambre du déclin et des guerres. Sur longue période, il n’apporte guère d’avantages. Les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale s’estompant, les crises se multipliant, la tentation de recourir à des mesures de protection est grande. Les arguments rationnels en faveur du commerce international portent moins. Pour autant, l’essor des pays européens après 1945 et des pays émergents dans les années 1990 est essentiellement dû à leur intégration au commerce mondial. Quelques règles demeurent toujours d’actualité. Tout pays a intérêt à se spécialiser dans les domaines où il est relativement le moins mauvais. Tout pays trouve plus d’avantages à commercer avec des pays qui lui sont proches en termes de richesses. À cette fin, le rattrapage opéré par les pays émergents est un gage de croissance à venir sous réserve que celle-ci ne soit pas gâchée par le protectionnisme.

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