Le Consommateur et l’épargnant
Le Cercle des Epargnants, association partenaire de Generali, réalise pour le compte de ses adhérents des travaux sur des sujets économiques, sociologiques et financiers. Cette Etude, rédigée par Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des Epargnants analyse le comportement du Français consommateur face aux produits d’épargne retraite.
L’épargne retraite est au milieu du gué. En 2003, elle a reçu son certificat officiel de naissance avec la création du PERP et du PERCO mais elle reste en devenir du fait des résultats mitigés de ces deux produits. Or, les Français, d’études d’opinion en études d’opinion, mentionnent leur inquiétude face au problème du financement des régimes de retraite par répartition. Par ailleurs, ils demeurent des épargnants hors pairs ; leur taux d’épargne dépasse les 15 % du revenu disponible brut taux supérieur au-dessus de la moyenne européenne ou de l’OCDE.
Inquiétude face à la retraite et tempérament de fourmis devraient conduire au développement des produits d’épargne retraite ; tel n’est pas le cas. Les raisons de ce relatif échec sont d’ordre technique, les produits n’étant pas appropriés aux attentes des épargnants mais aussi d’ordre sociologique ; les Français n’aiment pas s’engager sur le long terme ; le risque est présent mais pas assez tangible pour entraîner une action. La pression du présent, la « consumirisation » de la société l’emportent sur le souhait de préparer son futur.
Le produit d’épargne retraite est-il un produit trop sérieux pour plaire aux consommateurs en quête de plaisirs immédiats ?
Les Français ne sont pas rétifs à l’épargne, bien au contraire, ils en raffolent comme en témoigne le succès de l’assurance-vie qui bat, année après année, des records ; plus de 1000 milliards d’euros d’encours. Véritable « couteau suisse de l’épargne française », l’assurance-vie sert à tout ou presque : épargne de précaution, préparation de la retraite, préparation de la succession… Ce produit ne manque pas d’atouts. Il est facile d’usage, souple dans sa gestion et apparaît globalement sûr. De ce fait, il domine l’ensemble du paysage financier français. Seul le Livret A le concurrence, du moins en nombre de livrets ouverts et en notoriété, mais pas en volume.
Cette success story commence par son nom. Associer « assurance » et « vie » génère de la sérénité au moment où les Français sont anxiogènes. Elle se poursuit par son côté très franchouillard, un brun rebelle mais pas trop. En effet, elle permet, en toute légalité, de contourner les règles de successions du Code civil. Le titulaire d’un contrat d’assurance-vie bénéficie d’un relatif anonymat. Il peut déshériter en silence et sans les en avertir ses ayant droits. Il permet aussi de contourner les règles d’imposition sur le revenu et sur la transmission du capital.
Face à l’assurance-vie, les produits d’épargne retraite peuvent apparaître bien ternes, manquer de relief. Rien que le nom peut décourager. Penser « retraite », c’est déjà penser à la fin de sa vie, c’est penser vieillesse. Or, dans l’ère de la jeunesse éternelle, la vieillesse, la mort sont des mots condamnés. Le mot roi est « adolescence », devenue non plus une période transitoire de la vie mais un nouveau mode de vie : insouciance, recherche des plaisirs immédiats, désirs contradictoires…
Le temps s’accélère ; la consommation est convulsive, du désir à l’acte d’acheter, le délai doit être raccourci au maximum. Alors, affecter une partie de ses revenus et de son capital dans un produit retraite sans pouvoir y toucher pendant deux ou trois décennies, peut, à première vue, être considéré comme un crime de « lès 21ème siècle ». Demain est trop loin pour s’amputer définitivement d’une partie de ses biens. Le développement de l’endettement des ménages, même s’il demeure limité en France, prouve cette soif d’immédiateté.
Comment préparer sa retraite dans un monde en perpétuel changement ? Pourquoi épargner lorsque l’on n’a pas confiance dans un système économique ou dans la pérennité des entreprises à qui l’on confie son argent ? Il y a tout à la fois refus de penser à la vieillesse, peur de l’engagement, fatalité.
Drogués par plusieurs décennies d’Etat providence, les Français considèrent que la retraite relève avant tout de la responsabilité des pouvoirs publics. Et si l’Etat providence faillit, l’entreprise doit prendre le relais. Il n’y a pas de culture individuelle de l’épargne retraite. Les salariés français sont habitués aux adhésions et aux prestations automatiques : complémentaire santé ou retraite par exemple. En vertu de quoi faudrait-il qu’ils accomplissent une action volontaire pour être couverts en matière de retraite, elle-même perçue non comme un risque mais comme un droit imprescriptible ?
Au pays de Peter Pan la règle est celle du « je(u) ». Tout se doit d’être ludique, tout doit être centré sur le Consommateur Roi. Au moment où tous les produits intègrent une part croissante de technologie, les spécialistes du marketing passent leur temps à mettre en avant leur apparente simplicité. Le bon produit, c’est celui qui se prend en main en quelques clics, en quelques secondes. Nous avons le temps à rien donc certainement pas à celui d’en perdre pour comprendre le fonctionnement des objets que nous venons d’acheter. Le succès des sites de ventes de produits financiers sur Internet témoigne que l’épargnant agit comme le consommateur. Il exige certes de la transparence et la sécurité mais aussi de la rapidité. Seuls 5 à 10% des épargnants jouent avec leurs actifs, à leurs risques et périls.
La complexité rebute. Autrefois, signes extérieurs de richesse, les listes des options sont aujourd’hui connotées négativement. Le retour à l’authentique, même si c’est purement artificiel, est à la mode tout comme le vintage. Certes, Internet permet à Monsieur tout le monde de gérer en direct ses lignes d’actifs, d’arbitrer entre ses fonds. Plus besoin d’appeler son conseiller, son assureur, son banquier, on peut acheter et vendre en temps réel. Même si nous sommes nombreux à avoir jouer en bourse sur Internet, nous avons rapidement compris que cela exigeait du temps et un suivi du marché. Rapidement, nous avons préféré confier nos intérêts à des gestionnaires dont c’est le métier.
Le problème provient que si le consommateur de ce début de siècle n’a pas le temps et l’envie, il n’en reste pas moins méfiant voire un peu paranoïaque. Les produits et services compliqués cachent quelque chose ; ils masquent leurs défauts sous une pluie de dispositif à l’utilité difficilement appréciable. Certes, nul n’est censé posséder le fonctionnement de toutes les options de sa voiture ou d’utiliser toutes les possibilités offertes par les logiciels de Microsoft. L’ère est à l’utilisation personnalisée des produits mais à condition de décider par soi même de ce que l’on utilise ou pas. Les produits financiers offrent des palettes de plus en plus larges d’options incompréhensibles pour le commun des mortels.
L’épargne retraite trouverait-elle un havre de paix dans l’entreprise ? Ce n’est pas certain. Certes, les Français préfèrent l’épargne retraite collective à l’épargne retraite individuelle mais les scandales au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis les conduisent à opter pour la prudence. Favorables à l’intervention accrue des entreprises, ils ne souhaitent pas le développement de fonds de pension. Par ailleurs, ils ont du mal à appréhender les différents produits proposés. Le mélange épargne salariale, épargne retraite conduit à une confusion. L’épargne salariale, directement liée aux performances de l’entreprise à travers l’intéressement et la participation, obéit à une autre logique que l’épargne retraite qui a pour objectif de couvrir un risque à long terme. L’existence d’un grand nombres de produits, article 83, article 39, Perco…est aussi une source infinie de perplexité.
Du cocooning financier à la segmentation à l’infini du marché
L’épargnant est avant tout un consommateur mais un consommateur prudent car avec l’épargne on touche aux nerfs de la guerre. Il est méfiant vis-à-vis des spécialistes qui lui recommandent de souscrire tel ou tel produit financier ou telle ou telle action. Il a besoin d’être encadré tout en préservant son indépendance, sa liberté.
L’avenir est à la gestion privée avec des objectifs de rendement négocié au préalable, avec des projections dans le temps permettant de planifier sa situation en matière de revenus et en matière patrimoniale. L’épargnant consommateur ne veut que des solutions et pas de problèmes ; iI veut être rassuré et surtout pas inquiété. Il veut être cocooné mais libre, un vrai « adulescent ».
Le PERP avec ses contraintes, sa sortie en rente fiscalisée, n’est donc pas dans l’air du temps, tout comme son nom mais il a le mérite d’exister. Comment attirer l’épargnant vers l’épargne retraite ? Le couplage avec des produits dépendance ne résout rien. En effet, penser à sa retraite c’est difficile mais imaginer un état de dépendance l’est encore plus. Il faut faire de l’épargne retraite comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. L’épargne retraite doit se fondre dans une stratégie globale de revenus et de patrimoine.
Dans un même produit, combiner la souplesse de l’assurance-vie et la sécurité du PERP, épargner tout en sachant que son capital est aliénable et qu’à terme il peut se transformer en produit retraite avec une rente à la clef, tel est un peu l’espoir en chacun de nous. Pouvoir si les contraintes de la vie nous l’imposent, puiser dans l’enveloppe et une fois les gros investissements de la vie réaliser, basculer l’épargne ainsi constitué dans un produit en rente. Le rêve serait de connaître à la fois le montant du capital accumulé et le potentiel de rente qu’il pourrait être délivré en cas de basculement du dit capital à 50 ans par exemple.
Il apparaît clairement que le rapport à la retraite dépend de plus en plus de son parcours professionnel et de sa situation patrimoniale. Un fonctionnaire, un indépendant ne se trouve pas dans la même situation qu’un salarié d’un grand groupe qui lui même n’a pas grand chose en commun avec un salarié d’une TPE.
Il n’y a pas un marché de la retraite ; il y a une multitude de marchés. L’approche professionnelle, l’approche en fonction du patrimoine, mais aussi l’approche en fonction de l’âge interfèrent les unes par rapport aux autres. Le marché sur mesure, ultra-personnalisé, avec des conseils juridiques, fiscaux et financiers spécifiques sont de mises. L’avenir est au produit segmenté.
Le problème du PERP et du PERCO, c’est qu’ils sont trop généralistes tout en n’embrassant pas assez. Trop généralistes car ils s’adressent à des publics larges mais aussi trop restreints car ils découpent artificiellement épargne individuelle et épargne collective. Un même arbre à deux branches spécifiques, l’une pour l’individuel, l’autre pour le collectif, permettant l’abondement des entreprises et les versements individuels, aurait été plus simple.
Le métier de l’épargne retraite est de moins en moins un métier d’assurances au sens propre du terme compte tenu que la retraite n’est pas un sinistre et que la probabilité de survenue de l’événement c’est à dire la cessation d’activité et le versement de la prestation , est très élevée. L’allongement de la vie après 60 ans est tel que la question n’est plus de savoir si l’on versera ou non une rente mais combien de temps on la versera.
L’épargne retraite est donc avant tout un métier de conseil et un métier de gestionnaire d’actifs pour lesquels l’assureur dispose d’une capacité d’expertise reconnue. De plus en plus, il sera demandé au conseiller financier d’être un apporteur de solutions dans la gestion de la vie quotidienne. Les services « banque privée » ont bien compris les attentes de leurs clients en offrant des services qui n’ont rien à voir a priori avec la banque : location de voiture avec benchmarking au niveau de l’offre, accès privilégié pour le taxi, réservation d’hôtel, places de spectacles…. Par définition, ces services VIP se démocratiseront assez rapidement. Ces services ont un coût que le consommateur est prêt à payer même si c’est au détriment de l’épargnant qu’il est.
A l’avenir, il y a fort à parier que le banquier et l’assureur s’occuperont de l’argent de leur clientèle sans en avoir l’air et tout en faisant autre chose. Dans un pays fortement administré comme l’est la France, il y a un terrain non négligeable pour offrir des services afin de faciliter la vie quotidienne des Français. La banque comme l’assurance risquent de devenir un portail à services ; les clients cherchant à réduire le nombre d’intermédiaires et reportant sur un tiers les contraintes de la vie courante.
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