L’avenir énergétique de la Russie

08/04/2011, classé dans

Le marché énergétique mondial est par nature un marché complexe.

Il obéît à des facteurs de long terme (investissement sur 20, 30 ans voire plus, construction d’une centrale nucléaire et son exploitation, gisements de gaz et de pétrole)

Il obéît à des facteurs de moyen terme avec des changements de positions (Les Etats-Unis sont devenus en quelques années 1er producteur de gaz grâce au gaz de schiste)

Il obéît à des facteurs de court terme :

Le paysage énergétique a été modifié par le tremblement de terre au Japon, le tsunami et l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

Les conséquences possibles : la demande de gaz de la part du Japon augmentera dans les prochains mois (ce surcroit intervient au moment où le marché était excédentaire du fait du développement du gaz de schiste et des investissements gaziers réalisés par le Qatar.

L’énergie nucléaire est à la croisée des chemins.

Dans certains pays comme l’Allemagne, la volonté de sortie est manifeste.

Dans d’autres pays, il risque d’y avoir des débats.

Ce qui certain, c’est que la production d’énergie électrique d’origine nucléaire coûtera plus chère (augmentation de la sécurité). Ce renchérissement pourrait être remettre en cause certains projets en particulier aux Etats-Unis.

Le marché du nucléaire pourrait se réduire et concerner la Chine, l’Inde, les pays émergents. La Russie comme la France ont une carte à jouer sur ce marché.

Les crises politiques au Maghreb et au Moyen Orient nous rappellent que tout va très vite et qu’en matière d’énergie, la stabilité n’a pas de prix.

  1. I. LA RUSSIE, UN ACTEUR INCONTOURNABLE DU MARCHE ENERGETIQUE
  1. 1. Un producteur incontournable

La Russie est aujourd’hui le premier producteur pétrolier avec 13 % de la production mondiale et le second exportateur.

La Russie est le deuxième producteur mondial de gaz avec 20 % de la production totale et est le premier exportateur.

La Russie est un producteur majeur en matière de charbon, d’énergie électrique hydraulique et nucléaire.

La Russie à la différence de nombreux autres pays producteurs dispose d’un potentiel en termes de gisement : à l’Est et au Nord…

  1. 2. Une position géographique stratégique

La Russie est au centre des deux principales zones d’importation énergétique : l’Asie (Chine/Japon, Inde, Corée…) et l’Europe.

La Russie est le fournisseur du premier marché de consommation du monde qu’est l’Europe et est idéalement placée pour fournir la première zone de production de biens du monde et demain le principal lieu de consommation.

Cet avantage exige la création de vastes réseaux, le développement de ports.

Importance en la matière de ne pas être dépendant d’un seul client et d’avoir de multiples outils pour acheminer le pétrole et le gaz.

Intérêt d’avoir lancé Nord Stream et South Stream qui permettront d’alimenter l’Europe du Nord et du Sud.

A ce titre, il faut se féliciter de l’entrée de GDF Suez au consortium de gestion du gazoduc Nord Stream et  du protocole d’accord sur l’entrée d’EDF au consortium de gestion de South Stream.

Le développement des infrastructures portuaires est une nécessité avec à la clef le développement de  raffineries : diversification des routes d’exportation. Il faut, à ce titre, que la France développe de nouveaux ports méthaniers afin de pouvoir être également une porte d’accès du gaz russe par la mer.

  1. 3. Une grande puissance indépendante

La Russie est parmi les grands pays producteurs le seul à être totalement indépendant.

La Russie dispose d’une puissance militaire de premier ordre.

La Russie dispose de capacités de recherche indépendantes et reconnues.

La Russie dispose d’un régime politique stable.

La Russie est membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.

II. LES VOIES DU SUCCES POUR LA RUSSIE ; Capitaliser sur les avantages géostratégiques qu’offre l’énergie à la Russie

La vocation de la Russie ne peut se réduire à être celle d’un pays producteur d’énergie. La Russie a une tradition industrielle, dispose de pôles d’excellence en matière de recherche.

La Russie se doit de gérer au mieux ses précieuses richesses au bénéfice des concitoyens et dans le temps.

La Russie est convaincue, à juste titre, qu’il faut diversifier ses sources de revenus.

Aujourd’hui, 50 % du budget fédéral et 61 % des exportations dépendent des matières premières.

Les axes politiques du Président et du Premier Ministre sont claires et visent tout à la fois à conserver un rôle de leadership énergétique tout en assurant une diversification et une modernisation (article du Président Medvedev en 2009 « la Russie en avant »).

Les 5 priorités russes :

  • Efficacité énergétique
  • Navigation spatiale
  • Technologies de l’information et de la communication
  • Nucléaire civil
  • Technologies médicales et pharmaceutiques

Ces cinq priorités sont assez proches de celles de l’Europe.

  1. 1. Parier sur l’innovation et la technologie

Le secteur énergétique est de tout temps un secteur à forte intégration technologique. Le secteur pétrolier, le secteur du nucléaire, le secteur du gaz figurent toujours à la pointe de la technologie. Cette situation a été occultée par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication mais aujourd’hui redevient une évidence.

L’énergie sera le moteur de la future croissance par l’innovation.

  • Mieux exploiter les gisements actuels
  • Rechercher de nouveaux gisements/utiliser de nouvelles techniques
  • Limiter les émissions des gaz à effet de serre

Il faut se féliciter de la création d’un centre franco-russe pour l’efficacité énergétique : objectif positionner les entreprises françaises et russes sur ce marché

La Russie a développé en milieu urbain les réseaux de chaleur ; la France dispose également dans ce domaine via Suez et Veolia d’entreprises expertes en la matière.

A ce titre, la création d’une co-entreprise d’efficacité énergétique entre Gazprom et GDF Suez pour la fourniture de services d’efficacité énergétique à plusieurs villes en Russie prouve que les deux pays travaillent déjà sur le sujet.

Développement des énergies renouvelables

La Russie se doit de gérer ses réserves d’énergie fossile mais aussi préparer son pays aux énergies de demain.

Tous les plans de relance, en 2008 et 2009, engagés par les grandes puissances comportaient des actions en faveur des énergies renouvelable. La Russie sur la géothermie, sur l’éolien, sur l’hydro-électricité a évidemment un rôle à jouer.

Il ne peut y avoir d’un côté les pays producteurs d’énergies polluantes mais indispensables et de l’autre des consommateurs exigeant des énergies propres. Il faut marcher de pair faute de quoi nous serons tous perdants.

Redéfinir une politique nucléaire : des normes internationales de sûreté nucléaire

La France et la Russie sont deux grands pays producteurs d’énergie nucléaire qui maîtrise l’ensemble de la chaine de production.

Des coopérations existent déjà : protocole d’accord signé en 2010 entre EDF et Rosatom : coopération sur toute la chaine du combustible ; Création d’une co-entreprise entre Vanatome et CKBA : création d’une entreprise de sous-traitance pour les réacteurs russes de 3ème génération

On ne sortira pas demain du nucléaire du fait que pour assurer le socle de production dont nous avons besoin il est incontournable.

En revanche, il faut refonder le modèle.

La Russie et la France devrait avec quelques autres pays devraient prendre une initiative commune.

Il faut réaffirmer la crédibilité du nucléaire. Les autorités de sûreté nucléaire de la Russie (Rostekhnadzor), de la France (ASN), du Royaume-Uni et celles des autres Etats producteurs devraient établir des normes de sûreté communes et admettre des contrôles internationaux de leurs centrales.

Sur le nucléaire, la France doit certainement également faire un peu le ménage en particulier en ce qui concerne Eurodif et admettre dans l’approvisionnement en uranium enrichi que plusieurs sources sont possibles. La Russie a développé une filière de production compétitive et de qualité qui à la légitimité d’accéder au marché européen. Eurodif, à travers la construction de sa nouvelle usine Besse 2 utilisera la technique de la centrifugation et non plus la diffusion gazeuse.

  1. 2. Création d’une grande place financière du secteur de l’énergie

La création d’une grande place financière à Moscou

Aujourd’hui, le commerce de barils papier atteint chaque jour dix fois celui de la consommation quotidienne mondiale de barils physiques. Ce marché financier est aujourd’hui essentiellement réalisé par le New York Mercantile Exchange.

A côté de New York, il y a une place pour Moscou.

La Russie est devenue un acteur financier de premier plan : les réserves de changes sont les troisièmes du monde ; ses fonds souverains sont amenés à être des acteurs de plus en plus incontournables.

En outre, le marché de l’énergie a besoin d’avoir une place financière de référence. Compte tenu du positionnement central de la Russie au sein de la plaque eurasienne, il y a un rôle à prendre.

Il faut, à ce titre, se féliciter de la création d’une coopération entre paris Europlacce et Moscou pour le développement de Moscou comme place financière, décidée l’année dernière à l’occasion de la visite de Nicolas Sarkozy.

  1. II. ACTEUR INTERNATIONAL DE LA FUTURE REGULATION DU MARCHE DE L’ENERGIE
  1. 1. Moscou, un acteur responsable

La Russie, vieux pays, pays à la fois producteur et consommateur placé au cœur de la principale zone de consommation peut du fait de ses réserves et de son potentiel jouer un rôle phare en matière de régulation du marché.

Le monde de l’énergie est multipolaire. Ce qui est essentiel, c’est de rapprocher les intérêts des consommateurs et des producteurs, c’est de donner de la visibilité pour investir.

La Russie a besoin de moderniser ses infrastructures et donc souhaite sans nul doute bénéficier d’un prix correct de l’énergie qui ne fluctue pas au gré de la spéculation et des crises.

Les pays consommateurs doivent accepter de payer plus chère l’énergie afin de permettre le renouvellement des réserves et d’éviter les ruptures d’approvisionnement.

La Russie par son expérience et son positionnement international peut jouer dans les prochaines années un rôle plus pro-actif en matière de définition d’une politique internationale de l’énergie.

  1. 2. La Russie, un partenaire de référence pour l’Europe

La dépendance européenne vis-à-vis de la Russie est exagérée et surtout l’émotion qu’elle génère repose sur des contre-vérités nées sur notre passé tumultueux.

L’Europe a tout à gagner d’avoir en son sein un pays disposant d’importantes ressources pétrolières et gazières et la Russie a intérêt d’avoir des clients stables bon payeurs.

La Russie est un acteur sûre du fait de sa proximité et de sa stabilité politique et juridique au regard de ce qui se passe ou peut se passer chez d’autres producteurs.

Ce partenariat nécessite évidemment de la confiance et du respect de part et d’autres.

Bien évidemment, que chaque client européen veut être traité comme un client à part entière et ne pas être pris à témoin ou en otage du fait d’un différent entre un autre client et la Russie.

Il convient sans nul doute que les Etats membres de l’Union assure de leur solidarité des autres Etats membres qui pourraient souffrir d’une rupture d’approvisionnement énergétique et cela vaut tout particulièrement pour des Etats qui dépendent à plus de 50 % d’un seul fournisseur (Etats baltes, la Pologne par exemple.) les réseaux doivent être à double sens Est/Ouest mais aussi Ouest/Est.

Notre complémentarité existe au niveau de toute l’énergie. Ainsi, l’Europe a besoin du gas-oil russe et nous avons tous intérêts à améliorer l’efficience énergétique de l’essence pour éviter des déséquilibres en termes de consommation et de raffinages.

Le partenariat est par définition à plusieurs têtes :

  • Interconnexion et développement des réseaux
  • Innovation
  • Régulation du marché
  • Coopération financière

Il y a un intérêt commun à faciliter l’interconnexion des réseaux d’énergie.

La Russie demande à adhérer à l’Union pour la coordination du transport de l’électricité (UCTE). Cette demande est légitime et s’inscrit dans le cadre du partenariat et de la solidarité. Elle nécessite une convergence technique des différents réseaux pour éviter un effondrement par effet dominos.

Par ailleurs, un client n’a pas à s’ingérer dans le mode d’organisation du marché énergétique russe.

L’Europe se doit d’abandonner ses préjugés et vouloir imposer des règles qu’elle ne respecte pas en matière de concurrence.

Dans un pays aussi vaste que la Russie et face à des besoins en infrastructures gigantesques il est évident que l’entreprise productrice de gaz ou de pétrole ne peut pas se désintéresser de leur distribution. A ce titre qu’à fait l’Etat en France avec l’électrification du pays ? Y-a-t-il une vraie concurrence pour la production d’énergie nucléaire en France (surtout au moment de la montée en puissance dans les années 70 ?)

Conclusion

L’énergie est une source évidente d’innovations pour les prochaines années et la Russie doit multiplier les partenariats afin de valoriser ses acquis et être un acteur des énergies de demain.

C’est un secteur à forte intensité capitalistique et technologique. Il subit les modes et les aléas de la conjoncture mais exige du temps du fait de l’ampleur des investissements à réaliser.

De ce fait, les contrats, les partenariats en matière énergétique ne peuvent pas être remis en cause trop rapidement. Il faut laisser du temps au temps énergétique faute de quoi rien ne sera fait. La aussi, la Commission européenne au nom de la concurrence risque de tuer la poule aux œufs d’or. La reconstitution des réserves comme le développement d’énergies alternatives exigent de la stabilité.

Trop souvent, l’Europe parle de concurrence et les Etats européens veulent nationaliser le marché de l’énergie. Or le marché de l’énergie est avant tout de la responsabilité des entreprises. La Russie et l’Europe ont la chance d’avoir de très grandes entreprises énergétiques.

Aux Etats la responsabilité de définir les normes, les règles du jeu et aux entreprises le soin de construire des partenariats, des alliances, des deals…

C’est ainsi que nous pourrons contribuer à la création d’un espace économique commun reposant en autre sur l’énergie et l’innovation.

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