La voiture, c’est foutu ?
Pour la quatrième année consécutive, les ventes de voitures particulières neuves ont, en France, baissé de 5,7% en 2013 et se sont élevées à 1,79 million d’unités.
Evidemment que la crise qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat, une augmentation du chômage et qui se traduit également par un durcissement à l’accès au crédit expliquent cette diminution.
Mais au-delà des facteurs conjoncturels, il ne faut pas négliger que de nombreux facteurs structurels jouent contre l’achat de voitures.
Le premier élément à prendre en compte est l’urbanisation de la France. Aujourd’hui, près de quatre Français sur cinq vivent en milieu urbain. En effet, 77,5 % de la population française vit en zone urbaine, soit 47,9 millions d’habitants, selon l’INSEE. Les villes occupent désormais 21,8 % du territoire, soit une progression de 19 % en dix ans. La progression de ces dernières années est plus forte que celui enregistré dans les années 80 et 90. Les grandes métropoles de Paris, Nantes, Bordeaux, Toulouse, de Montpellier ou de Lyon attirent de plus en plus de personnes. Or, cette densification de a population a pour conséquence la montée en puissance des transports en public. La voiture est, en outre, pénalisée dans ces grands centres urbains du fait que depuis vingt ans la réalisation de nouveaux axes de communication routière n’a pas suivi la progression de la population. Les embouteillages dissuadent les urbains à acquérir une voiture. A Paris où l’offre de transport public est importante et où les difficultés de circulation et de stationnement sont connues, moins d’un habitant sur deux a une voiture, soit le taux le plus faible de France.
L’urbanisation a un autre impact, l’augmentation du coût du logement. En France, le prix de l’immobilier a doublé en dix ans. Cette appréciation concerne essentiellement les grandes métropoles. Quand les charges liées au logement représentent plus du quart du budget des dépenses d’un ménage, ce dernier est contraint de réaliser des arbitrages qui peuvent aboutir à reporter l’achat d’une nouvelle voiture.
La contrainte économique et financière est relative. Contrairement à certaines idées reçues, le coût de la voiture est aujourd’hui moins élevé que dans les années 60 en proportion du revenu. Le nombre de jours de travail nécessaire pour acheter une voiture s’est fortement contracté. Même sur ces vingt dernières années, la part de l’automobile dans le budget des ménages est passée de 11,1 à 9,4 %. Si le poste achat est en baisse, en revanche, les dépenses annuelles liées à l’entretien (carburant, entretien, péages) augmentent. Elles ont progressé de 1000 euros en vingt ans. Mais, les ménages doivent faire face à de nouvelles dépenses et une fois de plus effectuer des choix. Ainsi, la forte augmentation des dépenses liées à Internet, à la communication nécessite de réaliser des économies. Par ailleurs, les Français voyagent moins longtemps mais plus loin. De e fait, le recours à des modes de transports rapides s’accroit. Le développement d’un réseau ferré à grande vitesse dissuade de nombreux Français d’utiliser la voiture pour aller dans le Sud de la France, sur la côte atlantique… De même, l’essor des compagnies aériennes low cost a permis à de nombreux Français de voyager à moindres frais et plus souvent. Il n’est pas étonnant que le nombre de kilomètres parcourus avec sa voiture diminue. Il est passé de 13 000 kilomètres à 11 755 kilomètres de 1990 à 2010.
Le vieillissement de la population joue également contre l’automobile. L’achat d’une voiture est assez lié à famille, amener les enfants à l’école ou aux différentes animations, transporter les courses, se déplacer pour les vacances… Une fois les enfants élevés et partis, l’usage de la voiture diminue et son usure avec retardant d’autant l’acquisition d’une nouvelle voiture qui sera, par ailleurs, plus petite.
La voiture s’est banalisée. C’est devenu un outil et moins un symbole. Moyen d’émancipation, marqueur social dans les années 60 et 70, la voiture est devenue un moyen de transport. C’est assez logique. La diffusion de l’automobile à toutes les classes sociales s’est réalisée durant les années 70 et 80. A partir du moment où la quasi totalité des Français ont une voiture, sa possession n’est plus un élément différenciant. Le parc de voitures particulières atteint plus de 31 millions. Il était de 6 millions en 1960 et de 21 millions en 1980. Malgré la crise, il continue de progresser ; + 0,2 % en 2012. Plus de 83 % des ménages ont une voiture et 30 % en possèdent plus d’une contre respectivement 71 et 15 % en 1980. Le succès répété du Mondial de l’Automobile, tous les deux ans à Paris, montre néanmoins que la voiture conserve néanmoins un pouvoir d’attraction fort dans la population.
Les jeunes sont aujourd’hui moins enclins que leurs aînés à passer leur permis de conduire et à acquérir une automobile. Ils sont les principales victimes de la crise et ne disposent pas de moyens suffisants pour accéder à la voiture. Par ailleurs, ils ne jugent pas la voiture comme un élément clef pour s’émanciper des parents. Les rapports enfants / parents ont fortement évolué. Il y a moins d’opposition que dans le passé et les liens demeurent fort dans les premières années de la vie professionnelle. L’émancipation passe plus par les réseaux sociaux que par la voiture.
L’amélioration de la qualité des voitures est un autre facteur à prendre en compte. Autrefois, tout voyage de plus de 800 kilomètres nécessitait une préparation : vérification des niveaux d’huile, d’eau voire une révision. Aujourd’hui, les fameuses révisions s’effectuent tous les 25 000 kilomètres. Les pannes sont moins nombreuses et sont bien souvent électroniques plus que mécaniques. De ce fait, il n’est pas étonnant que les Français gardent plus longtemps leur voiture. La durée moyenne de détention est passée de 3,7 à 5 ans de 1990 à 2010. Par voie de conséquence, l’âge moyen des véhicules augmente ; il est passé de 5,9 ans à 8 ans sur la même période.
La voiture n’est pas foutue au regard des chiffres. C’est son usage qui se modifie. Il est certain que le covoiturage, l’auto-partage sont des pratiques amenées à se diffuser. A partir du moment où l’utilisation d’une voiture n’est pas une obligation quotidienne, que le nombre de kilomètres effectués diminue, le recours à ces nouvelles formes d’utilisation est assez logique. Mais, pour le moment, c’est encore des phénomènes marginaux.
L’automobile française est-ce la fin ? Renault (hors Dacia), Peugeot et Citroën ne représentent désormais plus que 48,7 % du marché, contre 52,8 % en 2008. Dans les années quatre-vingt, les constructeurs français détenaient environ 60 % des parts de marché. Cette baisse est assez logique du fait de l’augmentation du nombre de producteurs. Jusque dans les années 80, le marché européen se limitait à quelques marques, Renault, Peugeot, Citroën, Volkswagen, Fiat; Ford, Opel, Rover… Deux phénomènes ont modifié la donne, l’arrivée des marques de luxe sur les créneaux des moyennes et petites voitures et l’arrivée de nouveaux constructeurs japonais puis coréens. Il en a résulté une baisse des parts de marché pour les Français. Mais, à l’exception de l’Allemagne, tous les autres pays ont connu un effritement voire un déclin de leurs constructeurs nationaux (Royaume-Uni, Suède, Italie, Espagne).
Les marques françaises n’ont pas su monter en gamme et ont perdu la clientèle aisée voire moyenne qui a été conquis par les modèles premium allemands. Le succès de BMW (Mini comprise) et d’Audi témoignent que l’automobile fait toujours rêver. De même, les constructeurs français ont été longtemps absents des marchés des SUV et 4×4 en fort essor dans les années 90 et 2000. En revanche, Renault a su proposer une offre lowcost avec Dacia qui a réussi à conquérir 5 % du marché français
Les constructeurs français se sont internationalisés et sont présents, en Europe, en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. Certes, il faut regretter que cette internationalisation ai été trop lente et ait été réalisée au détriment es centres de production français mais elle est la condition de survie. Il n’en demeure pas moins qu’il est assez logique que le marché français n’échappe pas à cette internationalisation.
Les constructeurs français mettent en avant les coûts du travail pour expliquer tout ou partie de leurs problèmes. L’écart de coûts avec l’Allemagne ne permet pas de justifier la différence de résultats. Néanmoins, les constructeurs allemands ont utilisé à la perfection la division internationale du travail en privilégiant l’intégration de pièces en provenance des pays à bas coûts. Les usines allemandes sont des centres d’assemblages de puzzles dont les morceaux viennent des pays d’Europe de l’Est ou d’Asie. Ils ont réussi à maintenir leurs produits sur le haut de gamme par un fin travail de marketing et par un haut niveau d’investissement. Enfin, les constructeurs allemands bénéficient d’importants soutiens financiers à travers les réseaux bancaires des Länder.
La mobilité constitue une des révolutions majeures de ces cinquante dernières années. L’automobile doit partager cette avancée avec d’autres moyens de transports mais elle garde des atouts indéniables par la flexibilité et par la multiplicité des tâches qu’elle peut remplir. De ce fait, la fin de la voiture n’est pas pour demain. Les nouveaux marchés que sont l’Asie et l’Afrique constituent des débouchés immenses. L’avènement de nouvelles technologies permettant de réduire la pollution et e faciliter la circulation avec le développement de l’assistance à la conduite, constituent des enjeux de premiers ordres pour cette industrie qui reste structurante pour les économies occidentales.
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