La Russie, l’Europe et la France : étude

17/01/2012, classé dans

L’Europe cherche sa voie et a renoué les fils de l’histoire. Elle a péri sous les coups des idéologies, de deux conflits mondiaux et de la guerre froide. Depuis la fin du rideau de fer, elle est à la recherche d’un destin. Elle est menacée de marginalisation avec le développement des pays émergents et avec le face à face annoncé entre la Chine et les Etats-Unis. Refonder une communauté de destin est indispensable pour être un acteur de la mondialisation, pour offrir de nouvelles perspectives aux peuples qui composent cet espace unique qui s’étend du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne à la Russie, de la Suède, de la Norvège, de la Pologne, de l’Estonie à la Grèce, à l’Italie… L’Europe est plurielle et cela a été bien souvent son problème. La reconnaissance des diversités n’a pas été une constante mais ce sont bien ses différences qui ont fait le rayonnement de l’Europe. Elle n’est jamais aussi rayonnante quand elle s’ouvre sur l’extérieur, quand elle favorise les échanges, quand elle prône la liberté. La Renaissance, le siècle des Lumières, la Révolution industrielle, l’Europe a donné ses lettres de noblesse aux arts de l’Antiquité à nos jours, aux sciences et aux techniques. Bouillonnement créatif, l’Europe ne peut pas se résumer à Londres, à Paris, à Berlin, à Milan ou à Saint-Pétersbourg. Si l’Europe a été riche, elle le doit à ses penseurs, à ses chercheurs qui bien souvent savaient dépasser les frontières.

L’URSS a disparu le 8 décembre 1991 mettant un terme au régime communiste qui était en place depuis 1917. Cette fin n’avait pas été anticipée par les occidentaux. La réouverture au monde de la Russie n’a pas permis de lever tous les préjugés bien au contraire elle en a créé de nouveaux. La Russie est tout à la fois proche et lointaine, proche car à quatre heures d’avions de Paris, loin car elle n’est pas encore une destination touristique ou commerciale classique pour les Français. Il y a tout à la fois un phénomène d’attraction et de répulsion face à la Russie.

Notre grand voisin a toujours joué un rôle clef en au sein du continent européen. Des guerres napoléoniennes à la seconde guerre mondiale, la Russie a été au cœur des conflits qui ont marqué notre histoire contemporaine.

La Russie est un des grands pays de la culture et des sciences. Si le Royaume-Uni a toujours la carte du splendide isolement ou le partenariat privilégié avec les Etats-Unis, les autres grands pays du Continent, l’Allemagne, l’Italie, la France et la Russie ont construit par influence successive une culture qui leur est propre.

La France et la Russie, c’est une vieille histoire pas toujours calme mais qui n’en finit pas de se construire et de s’enrichir. Placés de part et d’autre de l’Europe, ces deux pays sont des acteurs incontournables du continent.

Depuis de nombreux siècles liés, les deux pays se connaissent mal. Fortement marqués par leur culture nationale, par l’importance donnée à la souveraineté et à l’indépendance, la Russie et la France ont été plus des alliés de raison que de réels partenaires. Après l’apparition au cœur de l’Europe de l’Allemagne, après son unification en 1871, la Russie devient l’allié de la France dans le cadre d’une alliance de revers. Après 1958, le Général de Gaulle développe les relations avec l’URSS afin de contrebalancer l’hégémonie américaine. Aujourd’hui, la raison tout comme l’amitié qui lie les deux nations, doivent nous conduire à développer un réel partenariat gagnant-gagnant pour les deux parties.

1. La Russie a toujours été une puissance européenne proche de la France

Placés de part et d’autre de l’Europe, la Russie et la France entretiennent des relations anciennes et fortes. L’attraction entre les deux pays se manifeste à de nombreux niveaux, diplomatique, commercial et culturel. Plus largement, la Russie a été un des principaux acteurs du continent européen à travers les siècles. Elle est partie prenante des alliances et des contre alliances. La vie européenne a tourné autour de la France, de la Russie, du Royaume-Uni et à partir de la fin du 19ème siècle autour de l’Allemagne et de l’Italie qui ont supplanté l’Autriche. La Russie s’est éloignée de la partie occidentale après la révolution de 1917 même si de fait, elle était au cœur du clivage qui en a résulté. Les Européens restent marqués par la confrontation Est/Ouest qui a entraîné une extra-territorialisation de la Russie devenue puissance mondiale. La fin de l’URSS, il y a déjà 20 ans, n’a pas permis une réintégration de la Russie dans le jeu européen. La Russie est un territoire de mystères, de légendes. De la présence des cosaques 1814 sur les Champs Elysées à la peur de l’invasion des chars russes après 1945, il y a toute une mythologie sur la Russie. Les différends passés ne doivent pas masquer l’interdépendance des cultures et le rang que la Russie occupe en Europe.

La Russie à la base du concert des nations européennes

L’Europe d’après la chute de l’Empire romain est marquée par les migrations de peuples provenant de l’est, de l’Asie. Les territoires de la Russie furent les premiers concernés par ses invasions qui ont atteint toutes les rives européennes.

Dans cet immense territoire aux frontières longtemps incertaines, la steppe méridionale, zone de passage entre l’Asie et l’Europe qui ouvre sur la mer Noire, apparaît la première dans l’histoire. De grands empires s’y développent, sur une longue période, tels que les Cimmériens, les Scythes, les Goths, les Huns et les Khazars entre 1200 avant Jésus-Christ et 970 de notre ère. Il s’agit de populations nomades qui ajoutent aux techniques venues d’Asie centrale la culture des Etats méditerranéens. Ainsi, la civilisation de l’antiquité classique s’est transmise par les villes grecques du Pont fondées aux VIII° et VII° siècles avant J-C. et par le royaume hellénistique du Bosphore Cimmérien. Les apports culturels ne cesseront de se multiplier. Les Slaves, longtemps en butte à la tyrannie des Goths et des Huns, vont s’émanciper de cette tutelle et coloniser peu à peu toute la plaine qui s’étend de la Baltique à l’Oural, de l’océan arctique à la mer Noire. Ils vont assimiler des peuples sans culture originale tels que les Baltes ou les Finnois. Ils progressent le long des fleuves et des rivières, fondent des centres commerciaux. Pacifiques, ils entretiennent de bonnes relations avec les tribus qu’ils rencontrent. Vers 780, des aventuriers scandinaves que l’on appelle « Varèges » ou « Russes » déferlent par la Volga et le Dniepr et s’emparent des principales cités. Ils attaquent Constantinople et conquièrent Kiev, avec une figure légendaire, Askold. Un « état russe « de fait prend naissance sous l’hégémonie de Kiev avec l’assimilation des slaves, d’abord considérés comme des vassaux, mais que leur sens du commerce a très vite émancipé. Les échanges entre la Scandinavie et Byzance sont en plein essor. Vladimir 1er le Grand, prince de Novgorod, apparaît comme le vrai fondateur de l’Etat russe ; après avoir pacifié le pays, il s’assure une place dans la chrétienté en se faisant baptiser afin de pouvoir épouser une princesse byzantine.

L’épanouissement de la Russie connaît alors une double menace : les invasions mongoles avec Gengis Khan, se traduisent en 1240 par la destruction de Kiev qui mettra des siècles à se relever. Auparavant la chute de Constantinople et la création d’un empire latin en 1204 a donné l’impression que l’église romaine (qui commence l’évangélisation de la Baltique par les Allemands) pourrait déboucher sur une véritable conquête de la Russie par les Occidentaux. Il n’en sera rien, car la Russie est entrée dans une période de déclin. En dehors de Novgorod qui colonise le nord du pays, les villes restent peu actives. La civilisation en pâtit. Les propriétés sont de plus en plus morcelées à chaque succession et se réduisent souvent à la taille d’un domaine.

Ses deux successeurs vont placer la Moscovie au premier plan. Ivan III se voit reconnaitre comme le souverain de toute la Russie, après avoir annexé la plupart des principautés voisines. Certains princes abandonnent la Lituanie pour se rallier au nouvel homme fort. Il se considère comme l’héritier des empereurs byzantins et développe une forte tendance à l’absolutisme. Il est à l’origine des premières structures politiques de la Russie unifiée avec des bureaux et une assemblée, la douma, où se réunissent les boyards et les hommes de l’entourage. Cette évolution se poursuit avec son successeur qui accentue encore le caractère absolutiste. Mais la sécurité qui règne alors que les pillards d’autrefois ont totalement disparu favorise une effervescence intellectuelle et artistique, parfois qualifiée de « renaissance russe ». Moscou, embellie dès le 15°siècle par les architectes et les peintres voit les artistes italiens affluer pour reconstruire les églises et le Kremlin en s’inspirant des traditions russes.

Avec l’accession d’Ivan IV, on atteint une situation extrême. Son surnom de « le terrible » n’est pas un vain mot. A son couronnement, il prend le titre de « tsar de toute la Russie ». Il distribue à sa garde personnelle les terres qu’il enlève aux princes et qui représentent la moitié de la superficie du pays. Sa morgue et ses méthodes indisposent l’Occident qui entretenait de bonnes relations avec Ivan III. Un blocus de la Moscovie est organisé pour priver le pays des armes et des ingénieurs de l’Europe. Ivan le Terrible se rapproche des Anglais qui viennent de d’atteindre la mer Blanche en 1553 et les Hollandais qui fondent Arkhangelsk. Mais il n’est pas de taille à lutter contre une coalition qui unit le Danemark, la Suède, la Lituanie et la Pologne. Il doit même céder des terres à la Suède après une guerre interminable. Mais il prend sa revanche en Asie et ouvreaux colons russes les terres noires de la Volga et du Don. La Pologne empêche la percée sur la Baltique. Elle profite de la disparition d’Ivan IV et de son remplacement par des personnages falots pour réaliser à son profit l’union avec la Russie et le ralliement des Russes à l’église romaine par l’union de Brest qui consacre la conversion au catholicisme de la hiérarchie orthodoxe et de la majorité des princes russes de Lituanie. Face à la dégradation de la situation en raison des querelles pour s’emparer du trône, les Polonais interviennent, occupent Moscou et font proclamer tsar Ladislas, fils du roi de Pologne par les boyards.

1.1. La France et la Russie, un couple de mille ans

A travers les relations entre la France et la Russie, c’est l’histoire de l’Europe qui se déroule. Il n’y a pas de relations franco-russe sans que puisse être prises en compte les relations avec la Prusse, puis l’Allemagne, avec l’Autriche, la Pologne ou avec le Royaume-Uni. Ce rapport entend rendre compte de l’importance de la Russie dans le concert européen tout en se focalisant sur les relations franco-russes.

A l’époque des rois, les liens commencent avec les mariages. C’est ainsi qu’en 1051, Anne Laroslavna, fille du prince de Kiev Laroslav le Sage, épouse le Roi de France, Henri 1er. De ce mariage est issue une lignée de rois de France dont Philippe 1er couronné en 1059.

Les relations diplomatiques entre les deux nations sont donc anciennes et ont comme particularité d’avoir toujours été maintenues quels que soient les régimes en place. Les contacts ont toujours été maintenus même durant les périodes délicates.

Ses relations dans le passé se manifestaient par le fait en particulier que le Tsar, lors de son accession au trône, envoyaient des coursiers au Roi de France pour lui annoncer la nouvelle.
Les relations commerciales entre les deux nations ont pris forme autour de traité d’amitié et de commerce. Le premier fut signé sous Louis XIII. Un second traité de commerce fut négocié par Louis XIV.

En 1717, Pierre 1er effectue une visite officielle en France et en 1721, Jacques de Campredon après avoir négocié la paix entre la Russie et la Suède devient le premier ministre plénipotentiaire de la France en Russie. En dehors des périodes de conflit, les visites des chefs d’Etat dans chacun des pays sont nombreuses et sont l’occasion de nombreuses manifestations, preuves d’amitié.

La Russie a participé activement à toutes les grandes expositions universelles organisées par la France notamment celles de1867, de 1878 et de 1900.

La France et la Russie ont été souvent alliées et de temps en temps opposés. Il n’en demeure pas moins que même en période de conflit, une admiration respective demeure la règle. L’histoire est agitée, en particulier, au début du 19ème siècle avec les confrontations entre deux hommes d’exception, Alexandre 1er et napoléon 1er.

Par définition, hors situation exceptionnelle durant le 1er Empire, les deux pays n’ont pas de conflits territoriaux à la différence de l’Allemagne, de l’Autriche Hongrie ou de l’Empire Ottoman. Ce sont les alliances et les intérêts croisés qui sont à la base des conflits qui ont émaillé les deux pays.

La première coalition à laquelle la France et la Russie avec l’Autriche participent date de 1757 au temps de l’Impératrice Elisabeth Petrovna en 1757 avec comme adversaire, la Prusse. La France et la Russie s’engagent ainsi dans la « Guerre de Sept ans ». La première grande rupture intervient en 1793 avec dénonciation du traité de 1787. Les navires français sont interdits de pénétrer dans les ports russes. Le climat révolutionnaire en France, avec la Terreur, explique cette rupture.

De 1799 à 1815, la vie des deux pays est rythmée par les relations complexes des deux empereurs, Alexandre 1er et Napoléon 1er. Attirance, méfiance, admiration, détestation, ils ont partagé tous les sentiments. Il y avait sans nul doute du respect entre ces deux grands stratèges. De part et d’autres, de grandes victoires en avril 1799, le maréchal Souvorov emporte en Italie à Adda une victoire tout comme à Novi ou à Trébie. A cela répondent les victoires de Masséna à Zurich et de Brune à Bergen.

L’opposition entre la France et la Russie s’explique par le fait que les deux puissances dominent l’Europe continentale laissant les mers aux Anglais. L’affaiblissement de l’empire Autrichien et les divisions allemandes rendent la concurrence entre les deux Etats difficilement gérable. La Russie est devenue alors par la croissance de ses territoires et son essor démographique la première puissance d’Europe. Alexandre 1er emploie ses immenses ressources à tenter de devenir l’arbitre du continent. Il fait des avances à Bonaparte pour partager avec lui ce rôle, les deux hommes ont des rapports complexes, faits d’attirance mutuelle, de méfiance derrière une admiration réelle. Un traité d’amitié est signé à Paris en 1801, mais la politique hégémonique de la France finit par inquiéter Alexandre qui se sent dépassé. Il rompt les relations diplomatiques en 1804 et participe aux troisième et quatrième coalitions. Le 2 décembre 1805, les armées russes et autrichiennes sont battues à Austerlitz. Un armistice est signé, mais les hostilités reprennent rapidement et se traduisent par les défaites d’Eylau et de Friedland pour les armées de la coalition. Un traité de paix et d’amitié est signé cette fois à Tilsitt. Napoléon et Alexandre 1er se rencontrent à Erfurt en 1808 pour fortifier la paix, par le traité de Vienne en 1809. Cette paix sera fragile. L’alliance franco-russe va voler en éclat, lorsqu’Alexandre, qui venait de détacher la Suède du camp français, somme Napoléon de retirer toutes ses troupes d’Allemagne. Pour toute réponse, l’empereur part le 9 mai pour l’Allemagne et prend le 20 mai la tête de la Grande Armée. La guerre est déclarée le 22 juin 1812. Les troupes françaises entrent dans Moscou le 18 septembre. L’incendie de la ville aux trois quarts, le harcèlement d’une armée russe qui avait pratiqué la tactique de la terre brûlée, des températures exceptionnellement basses à partir de novembre entrainent la retraite de Russie et le début de la chute de l’empire. Alexandre se sent assez fort pour libérer toute l’Europe avec l’appui de la Prusse, puis de l’Autruche, ainsi que les Etats allemands. L’armée russe entre ainsi à Paris en avril 1814. L’intermède des 100 jours débouche sur la défaite de Waterloo le 18 juin 1815 et l’occupation d’une partie de la France par 250 000 militaires russes. L’évacuation définitive du territoire est effective le 30 novembre 1818. Les traités de Vienne de 1815 consacrent l’avance russe vers l’ouest. Alexandre se proclame roi de Pologne. Il se pose en garant de la paix en Europe.

Il est à noter que sous Napoléon 1er, un autre corse joue le rôle de conseiller auprès d’Alexandre 1er, Charles André, comte Pozzo di Borgo. Son rôle fut important dans la campagne de Russie et dans la négociation de la paix après la chute de l’Empereur des Français.

Les relations se normaliseront après la Guerre de Crimée qui voit les deux anciens rivaux, le Royaume-Uni et la France s’allier contre la Russie en 1854. Napoléon III et Alexandre II se rencontrent à Stuttgart en 1857. C’est le début d’un rapprochement entre les deux Etats qui se manifeste par la visite du Tsar en France en 1867 pour l’Exposition Universelle. La défaite de la France face à la Prusse en 1871 et l’avènement de la 3ème République ne modifie pas ce processus d’alliance. En 1888, le premier grand emprunt russe est lancé afin d’accélérer le développement industriel de la Russie. En 1891, l’alliance franco-russe est signée avec comme symbole la visite de la flotte française à Cronstadt. En 1893, c’est au tour de la flotte russe de se rendre à Toulon. De 1896 à 1914, les visites de chefs d’Etat sont régulières et aboutissent à un affermissement des relations diplomatiques, militaires et économiques des deux pays.

Une histoire commune sous forme de ponts

Un des symboles de l’amitié de cette fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle prend la forme de deux ponts, l’un enjambant la Seine, le Pont Alexandre III, inauguré pour l’Exposition universelle de Paris en 1900, la première pierre fut posée par le tsar Nicolas II de Russie en 1896. A ce pont, répond celui de « la Trinité » à Saint-Pétersbourg. Le Pont de la Trinité fut construit en 1897 sur la Neva par l’entreprise française des Batignolles. La première pierre fut posée le 24 août 1897 en présence du président de la république française Félix Faure et de l’empereur Nicolas II dans le cadre de festivités marquant l’Alliance franco-russe et fut inauguré en 1903.

Les deux pays partagent les grandes souffrances du 20ème siècle

Les deux pays ont été confrontés de manière terrible aux deux conflits mondiaux du 20ème siècle qui ont ravagé l’Europe et ont profondément touche les âmes des deux peuples. Les sacrifices humains, les destructions et l’horreur des combats ont marqué durant des décennies la vie politique, sociale et culturelle des deux nations.

Il faut souligner que fidèle à l’amitié franco-russe construite à la fin du 19ème siècle, la France a été un des premiers pays à reconnaître dès 1924 l’URSS et un pacte franco-soviétique de non-agression et de non-ingérence a été signé en 1932. En 1935, un traité d’assistance mutuelle est signé par le Président du Conseil, Pierre Laval et l’ambassadeur russe, Vladimir Potemkine.

L’URSS reconnaît en 1941 l’autorité du général de Gaulle et le Comité national de la France combattante. En 1943, le gouvernement russe reconnaît le Comité français de la libération nationale.
En 1944, l’URSS reconnaît le Gouvernement provisoire de la République Française. Le Général de Gaulle effectue un voyage de 15 jours en Russie du 27 octobre au 13 novembre 1944. Le 10 décembre 1944, un traité franco-soviétique d’alliance et d’assistance mutuelle est signé par les deux Etats. Il sera dénoncé en 1955 ce qui n’empêchera pas des visites d’Etat en Russie et en France en 1956 et 1960.

1.2. La France et la Russie, une relation qui a été maintenue après 1917 et après 1947

A partir de 1917 mais surtout après la seconde guerre mondiale avec la guerre froide, les relations entre l’Europe et l’URSS sont dépendantes des relations entre les deux super grands que sont les Etats-Unis et justement l’URSS. L’Europe est divisée en deux, l’Europe de l’Ouest qui opte pour une alliance avec les Etats-Unis et l’Europe de l’Est qui entre dans le giron de l ‘URSS. Deux systèmes idéologiques, deux systèmes politiques, deux systèmes économiques se font front avec comme symbole la construction du Mur de Berlin en 1961. Les échanges entre les deux blocs se réduisent au strict minimum.

Cette séparation de l’Europe est une négation de ce qu’elle a été, une zone d’échanges certes pas toujours pacifiques.

Nul n’imagine en 1979 au moment de la guerre d’Afghanistan de 1979 que la partition de l’Europe pourrait disparaître dix ans plus tard.

La Russie au cœur de la France gaulliste

Le retour du Général de Gaulle au pouvoir, en 1958, entraîne un renforcement sensible des relations entre les deux Etats. Le Général de Gaulle souhaite s’affranchir des Etats-Unis et jouer un rôle de médiateur entre les deux grands. Cette volonté se traduit par plusieurs déplacements et notamment celui de 1966 qui se conclut par une déclaration franco-soviétique du 30 juin qui créé la chambre de commerce franco-soviétique dont le siège est à Paris et une représentation à Moscou. Cet accord a été durant un quart de siècle à la base des échanges économiques entre les deux nations.
Les rencontres entre les Chefs d’Etat et de gouvernement se sont maintenues malgré la guerre froide. Il y a toujours eu une volonté de maintenir des relations entre les deux nations.

Avec la fin de l’URSS et la mondialisation, il faut écrire un nouveau chapitre

La fin de l’URSS, le passage à l’économie de marché des Etats anciennement membres du pacte de Varsovie a modifié la donne du continent.
L’Europe terre de conflits a cessé d’être un enjeu pour les deux grandes puissances. Les Etats-Unis bénéficiant alors d’une forte croissance ont été les grands gagnants des années 90. Ils étaient l’unique superpuissance. Le modèle américain était le modèle de référence et choisit en tant que tel par les pays d’Europe centrale et de l’Est ainsi que par la Russie. Cette volonté d’imiter les Américains a débouché sur un nombre de déconvenues dans les années 2000. Après le tout américain, les tentations du rempli sur soi sont devenues fortes. Certes l’Union européenne a intégré un très grand nombre des anciens Etats du Pacte de Varsovie mais n’a pas su moderniser ses institutions. Ce qu’elle a gagné en surface, elle l’a perdu en efficacité.

La France entre deux eaux après la fin de l’URSS

La chute de l’URSS a modifié les rapports entre la France et la Russie. La France a perdu son rôle d’intermédiaire privilégié. Dans un premier temps, la Russie d’Eltsine a développé les liens avec les Etats-Unis. L’Allemagne qui avait été avec la France un des soutiens financiers majeurs durant les dernières décennies a retrouvé toute sa place en termes économiques. La France a négligé la relation avec la Russie. Il a fallu la visite de Nicolas Sarkozy en 2009 à Saint-Pétersbourg pour prendre conscience qu’une nouvelle ère s’ouvrait.

Le 29 octobre 1990, un nouveau traité franco-soviétique est signé et cela pour la première fois depuis 1944. Il sera remplacé en 1992 par un traité franco-russe qui crée notamment le Conseil économique financier, industriel et commercial, CEFIC, qui organise au niveau des ministères de l’Economie la coopération en la matière. Ce traité prévoit des relations régulières entre les dirigeants des deux pays et une concertation sur les grands sujets.

Des liens toujours forts et une nouvelle ambition

La France a contribué à la participation de la Russie au G7 devenu G8 ainsi qu’au processus d’adhésion à l’OMC.

Entre une Europe tentée de se refermer sur elle-même et une Russie qui du fait de son positionnement a cherché sa voie entre les Etats-Unis et l’Asie, les relations entre les deux pays ont été moins fortes dans les années 2000 et tout particulièrement sur le plan économique.

Après les attentats du 11 septembre 2001, il est créé un Conseil de coopération sur les questions de sécurité entre les deux pays afin de renforcer le dialogue stratégique.

La France et la Russie, en particulier en ce qui concerne la guerre en Irak, prennent de plus en plus de positions communes, positions également partagées avec l’Allemagne.

Cette communauté de vue s’est exprimée le 19 octobre 2010 à Deauville dans le cadre d’un sommet réunissant Angela Merkel, Dimitri Medvedev et Nicolas Sarkozy.

A cette occasion, les chefs d’Etat et de gouvernement ont confirmé leur engagement en faveur du renforcement du partenariat stratégique UE-Russie. Ils ont également exprimé leur soutien aux négociations en cours sur le nouvel accord UE-Russie, à la mise en œuvre de l’initiative « Partenariat pour la modernisation », ainsi qu’à la coopération dans les domaines de la sécurité et de la politique étrangère.

Afin de donner du sens à ce partenariat, ils ont vivement souhaité que des progrès soient accomplis pour définir les étapes d’un régime de circulation sans visa lors du sommet UE-Russie.
L’Allemagne, la France et la Russie soutiennent la vision stratégique d’un espace commun fondé sur les valeurs de la démocratie et de l’État de droit et dans lequel les personnes, les biens, les services et les capitaux circuleraient librement.

Conformément au principe selon lequel la sécurité de tous les Etats de la communauté euro-atlantique est indivisible, le Président Nicolas Sarkozy, le Président Dimitri Medvedev et la Chancelière Angela Merkel ont également réaffirmé leur engagement à travailler ensemble sur les questions de sécurité dans les zones euro-atlantique et eurasienne.

Ils ont appelé au renforcement de la coopération institutionnelle et opérationnelle entre la Russie et l’UE, tout comme dans le cadre du Conseil OTAN-Russie, afin de lutter contre les menaces communes qui pèsent sur notre sécurité.

Ils ont convenu d’examiner la possibilité d’une coopération plus étroite, susceptible de contribuer de manière très concrète à la confiance mutuelle et de faciliter l’action collective dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises.

Les relations entre la France et la Russie se sont affermies en 2010 avec l’année croisée franco-russe ponctuée par plusieurs rencontres au sommet entre les chefs d’Etat et chefs de gouvernement.

Nicolas Sarkozy à l’occasion de son déplacement à Saint-Pétersbourg au mois de juin 2010 a déclaré « qu’entre nos deux pays, entre nos deux peuples, il existe une soif réciproque de l’autre, qui s’est nourrie de l’histoire et de la culture. Le succès de l’Année croisée France-Russie en apporte une confirmation éclatante. Ces relations privilégiées entre nos deux pays s’appuient désormais également sur des relations économiques en plein essor ». Il a également affirmé qu’ « il n’y a plus de nuage entre la France et la Russie ». Il a ajouté que « l’Europe et la Russie doivent travailler de façon stratégique, de façon très proche et dans un rapport de confiance ».

Le 25 août 2010, devant l’ensemble des ambassadeurs français réunis à Paris, le Président de la république a déclaré « avec la Russie, nos intérêts sont communs et doivent permettre de développer un partenariat sans précédent pour la sécurité de l’espace euro-atlantique.

2. La culture européenne, le ciment de l’espace euro-russe
A travers l’exemple des relations franco-russes

2.1. Des échanges culturels anciens résistants aux vicissitudes de l’histoire

La Russie, c’est l’Europe et l’Europe sans la Russie, n’est pas l’Europe ; En matière culturelle, cette maxime est une évidence.

La culture russe est partie prenante de la culture européenne. Que ce soit en littérature, dans l’architecture, dans la peinture ou au cinéma, les artistes russes ont eu et ont une influence de premier plan. Le rôle de l’Etat et de l’église ne sont pas sans lien avec cette influence.

La France et la Russie sont deux pays à forte densité culturelle. Ils ont en commun l’art du roman, celui de la peinture, le sens de l’histoire et une passion pour la politique. La culture européenne repose, depuis la Renaissance, sur l’imbrication tumultueuse d’influences diverses en provenance non seulement de tous les grands sous-ensembles du continent mais aussi de l’extérieur. La force de la culture européenne se trouver dans le pluralisme, dans la polyphonie des idées et des valeurs et dans le respect des différences. L’Europe a disparu quand elle a nié ce droit à la différence. Le point commun entre les cultures russe, allemande, anglaise, italienne, c’est la combinaison de l’universalisme et du pluralisme. Le doute, l’esprit critique caractérisent cette culture européenne symbolisée par Hegel, Kant, Descartes, Dostoïevski ou Kundera.

La Russie a en commun avec la France la peur de la perte de souveraineté. Si les influences sont admises, elles ne doivent pas devenir envahissantes faute de quoi une réaction se produit. La Russie aime la polyphonie en matière culturelle afin de développer son propre esprit, la culture slave qui intègre et digère les éléments extérieurs. Ainsi, la Russie a su puiser pour fonder sa culture des éléments à l’esprit français et allemand mais ce qui fait sa richesse, c’est son enracinement dans le territoire, dans l’espace russe avec son climat, ses distances, ses villes. Les personnages de Dostoïevski ou de Tolstoï ne peuvent pas être rattachés à l’esprit français ou allemand ; ils sont avant tout russes mais aussi européens. La culture russe, à travers l’histoire, constitue un de piliers majeurs de la culture européenne.

De tout temps, les échanges culturels entre la France et la Russie ont été nombreux. Du fait de la présence de Français, protestants et normands en particulier fuyant l’oppression dans leur pays, la culture française s’est diffusée dans de nombreuses régions russes. Les premières vagues migratoires commencent à la fin du 17ème et au début du 18ème siècles. Si les catholiques qui émigrent ne connaissent pas le Russe, il en est tout autrement pour les huguenots qui pratiquent plusieurs langues. Les huguenots occupèrent des postes importants dans la marine (Villebois, de Brigny) mais également dans le secteur médical (Lestocq), l’industrie (Montbrion). A partir du milieu du 17ème siècle, l’apprentissage du Français se développe au sein des établissements scolaires réservés à l’élite. Ainsi, au collège de l’Académie des Sciences, la moitié des jeunes cadets avaient choisi le Français. A la cour, le Français devient surtout à l’accession au trône d’Elisabeth, une langue fréquemment usitée. Les diplomates, les médecins l’utilisent fréquemment. En 1742, une troupe de la Comédie Française joue en Russie, en Français, ce qui suppose que le public comprend la langue.

A partir de 1730, de nombreux Français occupent des emplois dans les maisons de la grande noblesse russe. Toutes les professions y sont représentées, les cuisiniers, les perruquiers, les confiseurs, les précepteurs…

2.2. Les idées des philosophes des Lumières se diffusent dans l’élite russe

Il est indéniable que Louis XIV et le grand siècle ont joué un rôle majeur dans la construction des relations de la France et de la Russie. Il y a une volonté manifeste de connaissances, de concurrence entre les deux pays qui perdura sur deux siècles. Pierre le Grand décida d’ouvrir la Russie sur l’Europe et de l’imposer dans le concert des nations européennes.
Ce souverain a opté de tirer profit des découvertes techniques européennes pour les adapter à la Russie pour engager un puissant processus de modernisation. Il importa de la France l’Académie et le zoo.
L’attrait de la France se renforce après le décès de Pierre le Grand. La France qui est sommet de sa puissance constitue pour de nombreux intellectuels russes un modèle. Lomonossov écrit : « La vraie puissance de la France, qui lui a assuré son rayonnement, elle la doit aux sciences, avant tout à celle de la langue, épurée et ornée toujours plus, grâce à l’œuvre d’habiles écrivains. » C’est en France que Trediakovski avait découvert, à la Sorbonne et au Collège de France, les vertus de la langue, son importance dans la formation de la culture nationale. L’Assemblée russe fondée par Trediakovski, en 1735, s’inspire de l’Académie française.
Les revues qui se créent, au milieu du 18ème siècle ainsi que le théâtre d’État fondé en 1756 portent à la connaissance d’une société la culture française. La première revue fondée en Russie l’a été par un Français et a été rédigée en français. En réaction à la progression de la langue française, plusieurs revues et courants de pensée tentent de limiter l’influence de cette langue.

Catherine II du fait de sa formation joua un rôle important dans le développement de la culture française en Russie. Enfant, elle a été confiée à une huguenote française. Elle lui apprit la langue et la culture française.

Catherine fut une grande lectrice de l’Encyclopédie, du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, L’Esprit des lois de Montesquieu et l’Essai sur les mœurs de Voltaire, l’histoire d’Henri IV, son monarque favori, mais aussi les Lettres de Madame de Sévigné, la Vie des Dames galantes firent partis de ses livres préférés.

De ce fait, il n’est pas surprenant qu’elle confia l’éducation de son fils à d’Alembert l’éducation de son fils.

De même, elle a entretenu des relations avec Voltaire. Elle échangea pendant quinze ans une correspondance régulière avec le philosophe. De même, elle aida Diderot à payer ses dettes. Elle le pensionna. Diderot rêva de mettre en œuvre ses idées sur l’organisation de la société en Russie. Catherine, pragmatique, considérait que l’état de la Russie ne s’y prêtait pas, mais elle retint quelques suggestions. C’est également un sculpteur de Falconet qui reçut commande d’exécuter la statue de Pierre le Grand, le fameux Cavalier de bronze.

Catherine II écrivait en français et Elle traduisait de nombreuses œuvres françaises et favorisait la diffusion des traductions françaises. Elle contribua à propager les idées qui agitaient la France : la liberté d’expression, la limitation de l’autorité du souverain, le doute religieux.

Catherine de Russie paracheva l’œuvre de Pierre en dotant la Russie de l’Académie littéraire dont l’Assemblée russe avait été la préfiguration. En la créant, en 1783, elle eut pour cette institution la même ambition que le cardinal de Richelieu : « Situer l’existence et les débats d’une assemblée de lettrés dans l’organisation de la société, consacrer la place de l’écrivain dans la nation ».

La période révolutionnaire française fut propice à une diffusion des idées libérales mais aussi à l’arrivée des émigrés. Ce double phénomène favorisera l’usage du français. Le Tsar Paul Ier accueillit avec faveur de nombreux nobles français. Il faut souligner que le futur Roi, Louis XVIII, le prince de Condé, le duc de Châtillon, la princesse de Tarente, le duc de Richelieu firent un passage à Saint-Pétersbourg. L’abbé Nicolle ouvre dans la capitale un collège français où les plus grandes familles russes envoient leurs enfants.

Ce foisonnement de penseurs, d’intellectuels favorisa sans nul doute l’apparition de grands artistes russes au 19ème siècle comme Dostoïevski, Tourgueniev, Tolstoï ou Pouchkine qui succomba de la faute d’un Français.

Si de nombreux intellectuels français ont séjourné en Russie, il faut souligner également que la culture russe a également imprégné la culture française. De nombreux romanciers russes ou d’origine russe ont été célébrés en France comme le romancier Yvan Tourgueniev, le prix Nobel de littérature de 1933 Yvan Bounine ou l’écrivain Henry Troyat. Il faut également mentionner Diaghilev qui anima un vaste mouvement culturel russe à paris de 1903 à 1909. En 1903, le salon d’automne rassemble plus de 750 œuvres russes. Rimski-Korsakov, Rachmaninov et Glazounov se sont fait connaître au théâtre des Champs Élysées. A partir de 1909, les ballets russes rencontrent un important succès en France. Il faut également citer Victor Toujansky, Marina Grey, Gabriel Matzneff ou Andrei Makine dont les livres écrits en Français traduisent avec justesse l’âme russe. De nombreux révolutionnaires russes fréquentèrent également Paris comme Lénine ou Trotski.

Cette vitalité des relations entre la France et la Russie demeure forte comme en témoigne le succès de l’année de la Russie en France et de la France en Russie en 2010.

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