La question immobilière est-elle un problème ?
L’indice mondial des prix des logements du FMI, exprimé en termes réels, est bien au-dessus du sommet atteint avant la crise financière de 2007-2009. En une génération, les prix ont été multipliés par deux en valeur réelle au sein de l’OCDE. Au Canada, à Halifax, la plus grande ville de la Nouvelle-Écosse, la progression depuis la fin de l’année 2019 est de 50 % selon Knight Frank, une société immobilière. Entre 2005 et 2021, les prix de l’immobilier ont augmenté de plus de 48 % au sein de l’Union Européenne et de plus de 40 % en France. Sur la dernière année, la hausse dépasse 7 % au sein de l’Union européenne. Elle est même de 16 % en Estonie ou de 11 % en Allemagne. Ces taux sont des moyennes, dans certaines villes ou quartiers, elles peuvent dépasser 20 %.
Si durant des années, la hausse des prix de l’immobilier était restée mesurée, depuis 2015, une accélération est constatée. De 2005 à 2021, elle atteint près de 70 %, ce qui reste deux fois plus faible que la hausse qu’a connue la Suède (+ 140 %).
Une exaspération croissante des populations face à l’augmentation des prix de l’immobilier
L’immobilier attire depuis des années les convoitises des investisseurs. Berlin qui se caractérise par une forte proportion de locataires (80 %) doit faire face à une crise du logement sans précédent. Jusque dans les années 2010, la capitale était réputée pour le montant modéré des loyers. La concentration de l’offre (promoteurs, établissements financiers) a provoqué leur augmentation entraînant un mouvement de contestation au sein de la population. Un référendum populaire a été organisé afin de demander la nationalisation des logements et l’éviction des investisseurs institutionnels. À Séoul, le prix de l’immobilier a augmenté de 70 % depuis 2017. Cette hausse a provoqué la défaite de l’équipe municipale sortante en 2021.
Au Canada, des propositions visant à interdire l’achat par des non-résidents de biens immobiliers sont à l’étude. En France, des élus insulaires sont également favorables à une telle mesure. En Suède, en juin, le gouvernement n’a pas été reconduit notamment parce qu’il avait proposé de laisser le marché jouer un plus grand rôle dans la détermination des loyers, et refusé de le réguler. À Berlin, la Cour constitutionnelle a invalidé la loi de plafonnement des loyers promulguée par la municipalité mais des militants qui avaient rassemblé suffisamment de signatures ont demandé la tenue d’un référendum sur la saisie de logements appartenant à de grands propriétaires privés. En réaction, la municipalité a récemment annoncé que, dans le but d’augmenter l’offre, elle allait acheter près de 15 000 appartements à deux grandes sociétés immobilières pour la somme de 2,46 milliards d’euros. Selon le centre de réflexion britannique « Center for Cities », une partie du vote en faveur du Brexit en 2016 s’explique par le coût croissant de l’immobilier au Royaume-Uni qui oblige des Britanniques à migrer de plus en plus loin en périphérie des grandes villes.
Un nombre croissant de logements du centre des grandes agglomérations et des zones littorales était, avant la crise sanitaire, loués en saisonnier via les plateformes réduisant l’offre des locations traditionnelles. Plusieurs villes ont tenté de limiter cette pratique en imposant des taxes ou obligeant les propriétaires à effectuer des compensations.
L’immobilier, victime d’une bulle ?
Dans son dernier rapport sur la stabilité financière, le FMI a averti que « les risques de baisse des prix des logements semblent être importants », et que, s’ils devaient se matérialiser, les prix dans les pays riches pourraient chuter jusqu’à 14 %. Aux États-Unis, le prix des maisons est “supérieur d’un tiers” à leur plus haut niveau d’avant la crise des subprimes, et devrait encore augmenter, selon Goldman Sachs de 16 % d’ici la fin de 2022 aux États-Unis. Selon UBS, en Europe, à Hong Kong, et dans plusieurs villes canadiennes comme Toronto ou Vancouver, « le risque d’une bulle s’accroît ». Francfort figurerait en tête de liste des villes européennes ayant le marché immobilier le plus déséquilibrés, selon l’indice mondial des bulles immobilières d’UBS publié le 13 octobre 2021. En Nouvelle-Zélande, où les prix ont augmenté de 24 % l’année dernière, la banque centrale juge cette évolution dangereuse. La remontée de son taux directeur, en octobre dernier, n’a pas pour le moment, calmé les ardeurs. Les prix de l’immobilier continuent également d’augmenter en République tchèque, même si la banque centrale a relevé ses taux à plusieurs reprises en 2021. En France, il est trop tôt pour apprécier les conséquences du durcissement des conditions par le Haut Conseil de la Sécurité financière qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022.
Des inflexions qui ne changent pas la donne
Avec la crise sanitaire, des inflexions sont constatées en Europe avec une moindre augmentation des prix dans les grandes capitales et une préférence marquée pour les agglomérations de taille moyenne et les villes en bord de mer. En France, dans les régions, les prix augmentent fortement quand ils sont orientés à la baisse à Paris.
Les facteurs de hausse demeurent
Plusieurs facteurs contribuent à la hausse du prix des logements. Les bilans des ménages restent robustes et leur l’appétence à dépenser plus pour améliorer leurs conditions de vie, la pénurie de l’offre du fait de la raréfaction du foncier, le coût croissant de la construction avec l’application des normes environnementales et les contraintes d’approvisionnement participent à cette hausse. Trois facteurs se distinguent néanmoins :
- Les ménages aisés et déjà propriétaires de logements dans les grandes agglomérations alimentent la montée des prix. Ils contribuent à générer des phénomènes d’exclusion sur certains territoires. Les migrations en provenance des grandes métropoles vers les villes du littoral ou vers les villes de taille moyenne provoquent des hausses de prix empêchant les résidents locaux de trouver des logements correspondant à leurs revenus. Ce phénomène devient un problème social en Bretagne, en Corse ou à Bordeaux. Les faibles taux d’intérêt avantagent ceux qui disposent d’un apport, d’un capital à mobiliser. Ils favorisent l’augmentation des prix plus qu’ils ne rendent l’immobilier accessible aux primo-accédants. Aux États-Unis, les acquéreurs sont moins vulnérables à la hausse des taux d’intérêt, du fait qu’une large majorité des prêts est à taux fixe. Par ailleurs, les prêts hypothécaires sont moins pratiqués en 2021 qu’en 2007. Au Royaume-Uni, presque toutes les nouvelles hypothèques sont à taux fixe, les accords sur cinq ans étant désormais plus courants. Selon UK Finance, un organisme professionnel, près des trois quarts de tous les emprunteurs hypothécaires ne seront pas affectés à court terme par la récente hausse des taux de la Banque d’Angleterre. Le fort taux d’épargne surtout parmi les 20 % des ménages les plus aisés facilite également l’achat de biens immobiliers et donc la hausse de leur prix.
- L’évolution des préférences est la deuxième raison pour laquelle les prix mondiaux des logements peuvent rester élevés. De plus en plus de personnes travaillent à distance, ce qui signifie une demande accrue de bureaux à domicile. D’autres veulent de plus grands jardins. Cette course à l’espace explique environ la moitié de la hausse des prix des logements britanniques pendant la pandémie, selon l’analyse de la Banque d’Angleterre. Les transactions portant sur des maisons individuelles ont par exemple augmenté, tandis que celles portant sur des appartements ont diminué.
- Les politiques de protection de l’environnement aboutissent dans tous les pays avancés à la réduction du foncier disponible pour la construction. Par ailleurs, le coût croissant de cette dernière n’incite pas les promoteurs à se lancer dans des opérations importantes. La multiplication des recours en matière de construction qui allonge les délais et augmente les coûts est également dissuasive. De manière plus conjoncturelle, les pénuries de matériaux et de main-d’œuvre contribuent à l’augmentation des prix de l’immobilier. Les constructeurs sont confrontés à des coûts et des retards plus élevés pour les matières premières telles que le ciment, le cuivre, le bois et l’acier, et doivent faire face à la pénurie de gens de métier ce qui fait augmenter les salaires. Les bénéfices exceptionnels et l’amélioration des marges de certains constructeurs de maisons suggèrent que bon nombre d’entre eux ont été en mesure de répercuter les augmentations de coûts sur les acheteurs. DR Horton, le plus grand constructeur de maisons aux États-Unis, a déclaré que le prix de vente moyen de ses maisons avait augmenté de 14 % en 2021, contribuant à une croissance de 78 % du bénéfice par action.
Certains goulots d’étranglement de l’offre pourraient néanmoins s’atténuer. En octobre, le FMI a noté que les mises en chantier mondiales de logements avaient commencé à se redresser, bien qu’elles soient encore « considérablement en deçà des niveaux du début des années 2000 ». Selon les chercheurs de Freddie Mac, qui finance une grande partie du financement hypothécaire américain, le déficit de logement aux États-Unis serait de 3,8 millions en 2021, contre 2,5 millions en 2018. D’autres estimations mettent le manque à gagner plus près de 5,5 millions. En Angleterre, 345 000 nouveaux logements par an seraient nécessaires pour répondre à la demande. En France, le déficit serait de près de 200 000 par an.
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