Donald Trump, de la contestation à l’appropriation du système, la route sera pavée d’embûches
Le 8 novembre 2016, Donald Trump remporte 279 grands électeurs contre 228 pour Hillary Clinton. La victoire républicaine est totale car le « Old Party » renforce ses positions à la Chambre des Représentants et au Sénat. Dans les deux chambres, les Républicains disposent de la majorité absolue (51 sièges contre 47 au Sénat ; 239 sièges contre 193 à la Chambre des Représentants).
Le Parti démocrate ne réussit pas une nouvelle fois la passe de trois, c’est-à-dire de faire élire pour un troisième mandat successif un candidat issu de ses rangs.
Ce vote est celui des « petits blancs » non diplômés ne vivant pas au cœur des grands centres urbains. Il est le quatrième marquant le rejet des classes politiques traditionnelles. Après la Grèce, l’Autriche et le Royaume-Uni, c’est au tour de la première puissance économique mondiale d’émettre un vote contestataire a priori pas rationnel mais qui illustre le désarroi d’une partie de la population.
Comme au Royaume-Uni, les électeurs rejettent les représentants traditionnels de la classe politique et adhèrent à des candidats populistes. Ils accusent les premiers de mentir et de ne pas tenir compte de leurs intérêts tout en choisissant des élus qui mentent tout aussi bien, voire plus.
La tentation du repli semble gagner un grand nombre d’États. La crainte des attentats, de la mondialisation, de la digitalisation provoque une crispation croissante de la population.
Les États-Unis, un pays habitué au coup de tête des électeurs
Les États-Unis n’en sont pas à leur premier coup de tête électoral. Ainsi, en 1976, Jimmy Carter qui avait peu d’expérience politique l’avait emporté sur le chevronné Gerald Ford. En 1980, c’est Ronald Reagan, acteur de série B, gaffeur invétéré, qui est élu contre ce même Jimmy Carter. En 2000, George W Bush qui est certes le fils de son père, ex Président des États-Unis – mais qui avait connu des problèmes d’alcoolisme et de drogues, avait remporté l’élection contre le très diplômé et reconnu Al Gore. Déjà en 1912, les électeurs américains avaient créé la surprise en ne reconduisant par Theodore Roosevelt et en lui préférant le pacifiste Woodrow Wilson.
Le système à un tour accentue les sautes d’humeur de l’électorat. En outre, en votant État par État, il y a amplification des votes de sanction. Ainsi, au nombre de voix Hillary Clinton obtient le même nombre de voix que son adversaire (48 %). Néanmoins, elle n’a remporté qu’une petite vingtaine d’États quand Donald Trump en a gagné une trentaine.
Un vote blanc, âgé et masculin
58 % des blancs ont voté Donald Trump contre 8 % des afro-américains et 29 % des hispaniques.
53 % des hommes ont voté Donald Trump pour seulement 42 % des femmes. Les diplômés ont majoritairement voté Hillary Clinton.
Une victoire des classes moyennes en mal de reconnaissance
Le vote Donal Trump est un vote de classe moyenne. Les revenus les plus modestes ont voté démocrate quand les revenus les plus élevés se sont partagés entre les deux partis. C’est aussi un vote rural et de banlieue.
L’élection du milliardaire Donald Trump est avant tout la victoire de l’Amérique profonde, des classes moyennes contre les minorités, élites comprises.
Le retour du plein emploi et les légères augmentations de revenus enregistrées depuis un an n’ont pas suffi à convaincre les électeurs d’élire le candidat soutenu par le Président sortant.
La mondialisation, la robotisation et la crise de 2008 ont provoqué la destruction de nombreux emplois réservés jusque-là aux classes moyennes. Ses représentants à défaut de pouvoir tous occuper des postes dans des start-up se sont retrouvés en situation de déclassement.
Aux États-Unis, les emplois de la classe moyenne sont passés de 60 % de l’emploi total, en 1970, à moins de 45 % en 2015.
La montée des inégalités est de plus en plus durement ressentie car l’ascenseur social semble casser pour un grand nombre d’Américains.
Le programme économique et social de Donald Trump est-il réaliste ?
Donald Trump a bâti un programme économique très généraliste lui permettant de rassembler les opposants aux Démocrates. Il a indiqué que l’équilibre budgétaire n’était pas sa priorité ce que le met en contradiction avec la majorité républicaine du Congrès qui imposé un plan de réduction du déficit public à Barack Obama.
Donald Trump, même si la majorité du Congrès est républicaine, devra négocier pas à pas ses réformes. En effet, les Républicains sont ; tout comme les Démocrates, assez divisés. Par ailleurs, de nombreux élus ne l’ont pas soutenu. Compte tenu de son âge, 70 ans, un second mandat n’est pas automatique. De ce fait, il est fort probable que les élus Républicains commencent dès maintenant à penser aux primaires de 2020.
L’application du programme de Donald Trump risque de rencontrer l’opposition de puissants lobbies. En effet, l’automobile, la pharmacie, la chimie, etc. ont profité de l’ALENA pour délocaliser au Mexique et au Canada certaines usines. La fin de l’accord commercial ou son durcissement ainsi que l’édification d’un mur iraient contre leurs intérêts. De même, ces positions très dures vis-à-vis du développement durable fera peut être plaisir aux responsables de l’industrie pétrolière mais beaucoup moins à ceux des entreprises spécialisées dans l’énergie renouvelable, secteur qui commencent à prendre de l’importance aux États-Unis.
La fiscalité
Sur la fiscalité, ses propositions sont plutôt favorables aux personnes aisées et ne devraient pas concourir à réduire les inégalités. Ainsi, il souhaite rendre moins progressif le barème de de l’impôt fédéral sur le revenu. Il propose un barème avec trois tranches au lieu de sept actuellement avec un taux marginal ramené de 39,6 à 33 %.
Taux du barème | |
moins de 75.000 dollars | 12 % |
entre 75.000 et 225.000 dollars | 25 % |
plus de 225.000 dollars par an | 33 % |
Il s’est prononcé pour la suppression des droits de successions, répondant ainsi à une revendication des conservateurs.
Il a également proposé la déduction des frais de garde des enfants. Cette mesure est plutôt favorable aux classes moyennes mais est coûteuse à financer.
Pour les entreprises, il souhaite abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés de 35 à 15 %. Il n’a pas annoncé comment il entendait financer cette mesure.
Au niveau des augmentations d’impôts, il a prévu la création d’une taxe de 10 % sur le rapatriement des bénéfices réalisés à l’étranger.
Les dépenses publiques
Donald Trump entend réduire les dépenses fédérales de 750 milliards de dollars et relancer l’investissement public. Il a promis de ne pas toucher aux dépenses militaires même s’il souhaite moins d’interventions extérieures.
La tentation de l’isolationnisme
Donald Trump propose un moratoire sur tous les nouveaux accords commerciaux et la remise en cause éventuelle de celui signé avec le Canada et le Mexique. Il est opposé aux traités transatlantique, transpacifique et sur le climat (COP21).
Le nouveau Président souhaite accroître les sanctions douanières contre « les pays qui trichent en subventionnant leurs produits ». Il entend avoir une politique plus agressive à l’encontre de la Chine accusée d’être responsable de près de la moitié du déficit commercial. Il a promis de poursuivre les Chinois pour le vol de propriété intellectuelle, lutter contre le dumping commercial chinois et la manipulation de la monnaie chinoise.
L’énergie, la fin du développement durable ?
Sur l’énergie, en plus de l’annulation du plan climat de Barack Obama et de l’accord de Paris (COP21), il propose la relance de l’extraction de charbon en simplifiant la réglementation environnementale. Pour le pétrole, il s’est également prononcé en faveur de l’extraction offshore. Il a indiqué qu’il était favorable au projet de la société TransCanada qui prévoit de créer un oléoduc entre le Canada et les États-Unis. Ce projet avait été rejeté par l’administration démocrate.
Politique monétaire
Donald Trump souhaiterait contrairement à la coutume que le mandat de Janet Yellen, Présidente de la Réserve fédérale, ne soit pas renouvelé en février 2018. Il considère que la FED devrait être plus en phase avec la politique du Gouvernement.
Immigration
Sur l’immigration, il entend tripler les effectifs des agents de police aux frontières et ériger un mur à la frontière mexicaine, financé par le Mexique sous menace de suspension des transferts d’argent des travailleurs mexicains illégaux.
Les conséquences politiques pour l’économie mondiale
Les pouvoirs du Président des États-Unis en matière économique sont bien moins importants que ceux dévolus à l’exécutif français. Certes, il peut influer mais les États-Unis reposent sur une série de contre-pouvoirs et sont un État fédéral. La menace protectionniste et une politique monétaire plus centrée sur les besoins du pays seraient évidemment nuisibles à la stabilité de l’économie mondiale. Il est difficile d’apprécier les risques pour la croissance tant que la composition de l’équipe présidentielle n’est pas connue.
Les relations avec la Russie devraient être moins conflictuelles. En revanche, celles avec les pays du Golfe pourraient l’être davantage tout comme celles avec la Chine. Pour l’Europe, il n’y a pas d’orientations particulières pour le moment.
Pour la France, quelles conséquences sur la vie politique ?
Le système français à deux tours rend plus difficile les surprises électorales. Le premier tour permet le défoulement quand le second tour se conclut par une élimination. Les dernières élections régionales en ont apporté la preuve. En revanche, les élections européennes à un tour s’étaient traduites par la victoire du Front National. Le jeu des alliances et l’effet crispation que génère l’entre-deux tours rendent compliquée la victoire d’un candidat non consensuel. Pour une élection à un tour, il suffit d’arriver en tête pour l’emporter.
Néanmoins, le sentiment de déclassement des classes moyennes est aussi fort en France qu’aux États-Unis, celui à l’insécurité l’est également ; de ce fait, il n’est pas impossible que l’électorat soit plus radicalisé que ce que traduisent les sondages. Pour les primaires à droite, cette situation pourrait renforcer Nicolas Sarkozy et Bruno Le Maire (au titre du renouveau) quand elle pourrait nuire à Alain Juppé (qui dispose néanmoins d’une avance dans les sondages) et à François Fillon.
À gauche, Jean-Luc Mélenchon crédité de 15 % des voix par certains sondages pourrait créer la surprise. Emmanuel Macron pourrait bénéficier d’une prime « hors système », en revanche son réservoir électoral qui se situe au centre voire au centre droit est déjà fortement convoité.
De son côté, Marine Le Pen entend capitaliser sur la victoire de Donald Trump sauf que son positionnement politique est un peu plus complexe. Elle s’appuie sur un électorat plus populaire que celui du Président américain et ne capte qu’une partie des classes moyennes. Par ailleurs, le système électoral qui permet à tous les autres concurrents de s’unir contre elle entre les deux tours, constitue un réel frein à son accession au pouvoir.
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