Aux origines du déclassement économique de la France
Le déclin de la France est une antienne de son histoire contemporaine. La population française a la nostalgie facile, du Grand Siècle de Louis XIV à la fin des Trente Glorieuses en passant par Napoléon ou l’Empire coloniale. La défiance française, un mal récurrent, aboutit à redorer des périodes passées autrefois honnies. Malgré une croissance soutenue, la présidence du Général de Gaulle ne fut pas une promenade de santé. Elle fut marquée par la guerre d’Algérie de 1958 à 1962, la grève des mineurs en 1963 et évidemment mai 1968 qui faillit mettre à bas les nouvelles institutions.
La thèse du déclin de la France est loin d’être une idée neuve. De nombreux auteurs ont écrit sur le déclin qui peut être culturel, moral ou économique, de Nicolas Baverez à Alain Finkielkraut. Déjà, au XIXe siècle, cette thèse était présente dans les débats. La crise de la Covid-19 lui a une nouvelle fois redonné corps. L’absence de masques et de lits de réanimation lors du premier confinement et, plus récemment, le démarrage difficile de la campagne de vaccination vaccins alimentent le débat sur le déclassement de la France. La France a l’impression de revivre en permanence la retraite de Russie de 1812 ou la débâcle de juin 1940.
Depuis une vingtaine d’années, La France, éprouve les pires difficultés à surmonter les différentes crises auxquelles elle doit faire face. Le pays semble s’être enrayé au tournant du siècle. Le PIB par habitant de la France est passé du 6e au 20e rang en une vingtaine d’années. En 2020, il représentait 82 % de celui de l’Allemagne et 60 % de celui des États-Unis, contre respectivement 90 % et 85 % en 2005. Pour atténuer les chocs économiques, les gouvernements ont essentiellement joué sur le volant des dépenses publiques avec à la clef un accroissement de la dette publique. Au fil des décennies, les points forts du pays s’effilochent : la sidérurgie, l’automobile, l’industrie du médicament et désormais l’aéronautique. Avec les États-Unis et le Royaume-Uni, la France est le pays qui a connu la désindustrialisation la plus rapide et la plus forte au sein de l’OCDE. L’emploi manufacturier est passé de 2000 à 2020 de 14 à 9 % de l’emploi total. La valeur ajoutée de l’industrie représente moins de 10 % du PIB en 2020, contre 12 % il y a vingt ans. Depuis 2003, le solde industriel est constamment négatif et a tendance à s’accroître. Les entreprises industrielles françaises se sont délocalisées en Europe de l’Est, en Afrique du Nord et en Asie. En moins de vingt ans, le poids de la France dans les exportations mondiales a été divisée par deux. Il est passé de 6 à moins de 3 % quand l’Allemagne passait sur la même période de 10 à 8 %. Les services n’arrivent plus à compenser le déficit industriel. La France se caractérise par le poids très faible du secteur technologique. Sa capitalisation boursière s’élève à 5 % de la capitalisation totale, contre près de 30 % aux États-Unis et 15 % en Allemagne. Le déclin de la France est avant tout la conséquence de la faible taille de son système productif. Le taux d’emploi est inférieur de 10 points à celui de l’Allemagne, du Japon ou du Royaume (65 % contre plus de 75 %). La France se caractérise par un départ précoce à la retraite, autour de 62 ans quand, en moyenne, au sein de l’OCDE, ce dernier intervient vers 64 ans. Le nombre d’heures de travail par an figure parmi les plus faibles. Ce volume réduit d’heures travaillées n’est qu’en partie compensé par un niveau élevé de la productivité. Celle-ci ne progresse néanmoins plus depuis plusieurs années.
Les compétences insuffisantes de la population active
Parmi les grands pays, la France se classe dans les derniers pour l’enquête PIAAC (compétences des adultes), aux environs de la moyenne pour l’enquête PISA (compétences des jeunes), et en dernière position pour l’enquête TIMSS (niveau en mathématiques et sciences des enfants). Les compétences de la population active et des jeunes sont insuffisantes au regard du niveau de développement. Elles tendent, en outre, à diminuer au fil des années à la différence de ce qui est constaté en Allemagne et dans les pays d’Europe du Nord. Cette évolution freine la modernisation des entreprises et alimente la désindustrialisation, aux pertes de parts de marché à l’exportation et à la faiblesse du taux d’emploi. La France compte ainsi deux fois plus d’emplois sous qualifiés que l’Allemagne. Elle se caractérise par un nombre important de décrocheurs à l’école et au sein du monde du travail. Les pays ayant de bons résultats aux enquêtes PIAAC et PISA comme le Japon, la Suède ou l’Allemagne possèdent un stock de robots en valeur relative bien plus important que ceux qui sont mal classés comme la France, l’Espagne ou la Grèce. Il en est de même pour le poids de l’industrie au sein de la valeur ajoutée. Les pays qui ont augmenté leurs exportations ces vingt dernières années sont ceux qui enregistrent de bons résultats pour l’enquête PIAAC et PISA.
La faiblesse de l’effort de recherche
En baisse depuis 2007, les dépenses publiques de recherche et développement en France s’élevaient à 0,8 % du PIB en 2019, quand elles atteignaient 1 % en Allemagne et en Suède. Les dépenses privées en la matière étaient, toujours en 2019, inférieures à 1,5 % du PIB en France. Elles dépassaient 2,1 % du PIB aux États-Unis ainsi qu’en Allemagne et atteignaient 2,5 % au Japon et en Suède. Le nombre de brevets triadiques pour 100 000 habitants était de 0,3, en 2019, en France, contre 0,4 aux États-Unis, 0,6 en Allemagne et 1,4 au Japon. La faiblesse de la recherche développement est une des causes et une des conséquences de la désindustrialisation. Elle contribue également au recul des parts de marché à l’exportation.
La question lancinante du financement des entreprises
La France souffre également d’une insuffisance du financement des entreprises nouvelles et technologiques comme c’est le cas dans un grand nombre d’États européens. Seuls le Royaume-Uni et les Etats d’Europe du Nord font figures d’exception en la matière, les États-Unis et la Chine étant loin devant. Le renouvellement des entreprises est plus lent en France que dans les autres pays. Les taux d’intérêt faibles les incitent à privilégier le financement bancaire à celui par le marché. Cette préférence rend les entreprises plus fragiles en période de retournement de marché.
Le retour d’une croissance en France suppose une augmentation du taux d’emploi, ce qui nécessite au préalable un effort de formation important associé à un accroissement de dépenses de recherche. La montée en gamme de la production française et l’essor des secteurs technologiques sont nécessaires. Une réorientation de l’épargne vers des placements longs plus à risque est évidemment souhaitable. La création d’un véritable marché des capitaux européens favoriserait le développement du capital risque. La profondeur du marché européen est actuellement insuffisante pour garantir la croissance des start-ups qui doivent, en outre, surmonter les barrières linguistiques qui existent au sein de l’Union européenne.
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