Au-delà des illusions économiques de fin de campagne
La France a connu, en 2009, comme le reste du monde sa plus grave crise depuis 1945. Depuis deux ans, les économies occidentales tentent de trouver des solutions pour éviter la répétition de la crise de 1929, c’est-à-dire une longue période de stagnation.
Les menaces sont nombreuses. Elles sont d’ordre structurel : vieillissement de la population, tendance à l’augmentation des prix des matières premières, faibles gains de productivité, endettement élevé des Etats des pays occidentaux. Elles sont aussi d’ordre plus conjoncturel : risque de contraction du crédit à l’exportation, ajustement économique et financier en cours générant un accroissement du chômage.
Les plaies des crises bancaires et financières sont longues à se cicatriser. La restauration d’un nouvel équilibre plus stable signifie des ajustements en profondeur : diminution de l’endettement non productif, amélioration de la compétitivité et développement de l’offre ou à défaut diminution de la consommation.
L’économie, comme souvent voire comme toujours en France, n’aura pas été au cœur de la campagne électorale. Le principe « l’intendance suivra » aura été la règle. Au début de la campagne, le thème « produire en France » avait retenu l’attention avant d’être éclipsé par d’autres slogans.
Néanmoins, il y aura eu une constante avec la recherche de bouc-émissaires. Ce sont « les riches » et « le secteur financier ». Ils ont permis d’occulter les vraies questions économiques qui se posent à la France : comment développer l’offre ? Comment repositionner sur le haut de gamme l’outil industriel ? Comment faciliter le financement des entreprises ? Comment favoriser l’investissement et donc les bénéfices ?
Il est plus facile d’accuser les banquiers et les traders de tous les maux de la terre que d’admettre que ce sont les Etats qui achètent depuis plus de 20 ans de la croissance à crédit. Il est plus facile d’affirmer que les institutions financières sont responsables de la crise que de revenir aux fondamentaux de la croissance, c’est-à-dire du travail, du capital et du progrès technique. La dérégulation financière a été initiée dans les années 80 afin de faciliter le financement des Etats. Les subprimes et autres produits dits toxiques ont été alimentés par des taux d’intérêt faibles imposés au nom du maintien de la croissance à un niveau acceptable. Les pays dits avancés ont eu recours à un double dopage, budgétaire et monétaire.
Depuis 1981, le débat économique n’a que très peu progressé. Il est toujours très difficile d’avoir une discussion rationnelle et dépassionnée sur le profit, les taux de marge ou le financement des entreprises.
Ainsi, les Français restent de marbre face à la dégradation du taux de marge des entreprises. L’écart avec les entreprises allemandes est passé de 15 à 24 points de 2001 à 2010. Le rendement net après impôts des fonds propres est passé de 12 à 24 % entre 1999 et 2008 en Allemagne contre 4,6 à 6,2 % en France.
Les entreprises françaises n’ont pas pu hausser leur production en raison de leur difficulté d’accéder à des ressources longues, en raison de bénéfices trop faibles.
Les seules questions qui s’imposent en France sont celles du pouvoir d’achat et de la consommation quand il faudrait mettre en avant l’offre. Or, sans offre compétitive, il ne peut y avoir de consommation. Le principe keynésien de relance par la demande est usé et a vécu.
Nos voisins ont mis en œuvre des plans d’assainissement de leurs finances publiques bien plus ambitieux que les nôtres mais surtout ils ont adopté des mesures visant à favoriser l’offre productive (diminution des contraintes pesant sur l’offre, sur le marché du travail, mesures en faveur de l’investissement…).
L’idée de relocaliser l’industrie française obéît, certes, à une logique d’offre mais est complètement surannée. Le retour du made in France pour les chaussettes ou les chemises est une illusion voire une escroquerie. Sommes-nous prêts à amputer notre pouvoir d’achat pour de telles chaussettes ? L’avenir économique de la France passe-t-il par le retour de l’industrie de grand-papa ? Pourquoi alors ne pas rouvrir les mines ? Investir dans le passé ne rapporte rien. Les relocalisations ne peuvent être que très partielles et lier à une montée en gamme ou au recours à des technologies innovantes.
Bien évidemment que l’industrie n’est pas condamnée en France mais cela suppose une modification du positionnement économique. Du fait de ses coûts mais aussi grâce à sa productivité, la France a, par définition, vocation à imiter l’Allemagne et à se positionner sur le premium. LVMH, Hermès, Airbus, Ariane Espace, Air Liquide et bien d’autres prouvent que les entreprises françaises peuvent occuper les créneaux du haut de gamme. C’est par l’innovation dans toutes ses formes que l’économie française peut redémarrer.
Le protectionnisme constitue une grave illusion qui se répand à grande vitesse au sein de la société française. Le repli économique rime avec déclin et appauvrissement. La Chine en a fait l’amère expérience du 17ème jusqu’au 20ème siècle. La France contrairement aux idées reçues est moins ouverte sur l’extérieur que ses principaux partenaires économiques. Les échanges extérieurs représentent 71 % du PIB allemand contre 42 % en France. Les Allemands importent deux fois plus que les Français. La France ne joue pas suffisamment la carte de l’intégration commerciale.
La tentation protectionniste serait suicidaire au moment où les pays émergents entament une mutation. De pays ateliers, ils deviennent des pays de consommateurs. La Chine a enregistré des déficits commerciaux au début de l’année. Entre les infrastructures et des biens de consommation sophistiqués, les Chinois achètent de plus en plus de produits allemands, américains… La France a tout à gagner de cette évolution. Ce n’est pas l’heure de fermer les frontières mais bien au contraire de les ouvrir. Il ne faut pas oublier que les échanges entre deux pays sont les plus intéressants pour les deux quand ils ont des niveaux de développement proche. Les pays émergents font en un quart de siècle ce que les Européens ont mis 200 ans. Le passage d’une économie rurale à une économie industrielle et tertiaire à grande vitesse a été rendu possible par justement l’intégration mondiale, par l’existence de flux d’échanges permanents et par imitation des modèles existants.
La France avec 56 % de dépenses publiques et 44 % de prélèvements obligatoires est un pays socialisé, voire étatisé. Il ne saurait y avoir de campagne électorale sans que les candidats promettent un rôle accru de l’Etat. La création d’une banque publique d’investissement ou le doublement du Livret A entrent dans la lignées des propositions colbertistes mais elles marquent également, par leur faiblesse, l’épuisement d’un discours né après 1945 et qui n’a été que peu renouvelé. Les candidats, à la différence de ce qui se passe au Royaume-Uni, en Espagne et en Allemagne, ne veulent pas ou ne peuvent pas s’affranchir d’un discours démagogique. Une fois les élections passées, après quelques mois d’euphorie, le retour aux tristes réalités s’imposera avec à la clef un ou plusieurs plans d’ajustement. L’absence de cohérence entre les promesses et les actes empêche la mise en œuvre de politique économique sur le long terme. L’adaptation au fil de l’eau prime sur l’application de réformes structurelles.
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