Richesse trop vite acquise ne profite pas toujours

31/07/2021, classé dans

Quand les richesses augmentent, les ménages sont censés consommer et les entreprises investir davantage. Cette règle vaut avant tout en cas d’enrichissement réel, fruit du progrès technique et de la croissance. Le faux enrichissement en lien avec une valorisation artificielle des actifs a de moindres effets sur la consommation et l’investissement. En cas d’augmentation dite normale des richesses, une baisse du taux d’épargne des ménages est alors constatée. En parallèle, les entreprises ont tendance à accroître leurs investissements. Cependant, ces corrélations peuvent être remises en cause en cas de répartition inégale de la création de richesses. Si cette dernière bénéficie avant tout aux ménages les plus aisés, ces derniers ont une propension plus élevée que la moyenne à épargner. En ce qui concerne les entreprises, si les profits sont concentrés sur quelques entreprises, un phénomène de rente se développe, n’amenant pas une progression de l’investissement productif.

Des phases anormales de création de richesses apparaissent quand la valorisation des actifs est liée à des mouvements spéculatifs ou à des arbitrages du fait du contexte économique et monétaire. Depuis la mise en place des politiques monétaires accommodantes après la crise des subprimes, les biens immobiliers et la valeur des actions connaissent une forte appréciation, en partie déconnectée du cycle productif. Les faibles taux d’intérêt sur les obligations d’État entraînent un transfert de capitaux vers les actions et l’immobilier. Sur moyenne période, le poids relatif des différentes classes d’actifs étant constant, l’augmentation du montant total des obligations d’État en lien avec la progression des déficits publics conduit à la valorisation des actions et de l’immobilier. L’effet prix sur ces deux dernières classes d’actifs compense l’effet quantitatif sur la première.

Si l’élévation de la richesse liée au cycle production provoque une hausse de la consommation et de l’investissement, ce n’est pas le cas quand elle est imputable à des effets purement financiers. Les ménages ont alors tendance à épargner de plus en plus et les entreprises à conserver d’importantes liquidités.

Plus ou moins consciemment, les ménages comme les responsables d’entreprises donnent l’impression de distinguer la « vraie richesse » de la « fausse richesse », la première venant du progrès technique, de l’amélioration des biens et services quand la seconde est le produit de la baisse des taux d’intérêts ainsi que des rachats d’obligations par les banques centrales. L’indice S&P 500 aux États-Unis a été multiplié par dix en vingt ans, l’indice européen, Eurostoxx par quatre. Sur la même période, le prix des maisons a plus que triplé aux États-Unis et a doublé au sein de la zone euro.

La forte augmentation de la base monétaire, de 1 000 à 8 000 milliards de dollars de 2007 à 2021 aux États-Unis et de 800 à 6 000 milliards d’euros pour la zone euro sur la même période, n’est pas le résultat d’un processus économique normal. La monnaie est un miroir fragile, son accumulation n’est pas synonyme de richesses réelles, les Espagnols et les Portugais l’ont appris à leurs dépens au cours du XVIe siècle.

La valorisation des actifs immobiliers et des actions devrait inciter les agents économiques à moins épargner. En effet, chaque acteur économique se fixe plus ou moins explicitement un objectif de capital. Si ce dernier s’apprécie, l’effort d’épargne à réaliser pour atteindre l’objectif est moins important. Par ailleurs, l’augmentation de richesses permet d’emprunter d’avantage et donc d’investir d’autant plus que les taux sont bas. Les patrimoines des ménages atteignent des records, plus de 8 fois leur revenu disponible contre 6 fois il y a vingt ans.

Depuis 2014, la valorisation du patrimoine n’entraîne pas une baisse de l’épargne. Aux États-Unis comme en Europe, le taux d’épargne des ménages avait, en effet, tendance à augmenter avant même la survenue de la crise sanitaire. Cette épargne supplémentaire n’est pas exclusivement placée dans les actifs enregistrant une forte augmentation, bien au contraire, une part importante est conservés, liquidée sous forme de dépôts à vue ou de livrets bancaires faiblement rémunérés.

Pour les entreprises, si la hausse de la capitalisation boursière a conduit à une hausse de l’investissement entre 1998 et 2000, depuis 2009 et surtout à partir de 2014, le lien s’est distendu. En Europe, la formation de capital brut fixe obéit avant tout à l’évolution de la demande. Elle progresse néanmoins moins vite que la valorisation des actions. Aux États-Unis, il convient de souligner que les indices boursiers sont portés par les valeurs des entreprises technologiques qui sont celles qui investissent le plus. Néanmoins au regard de leurs capacités financières, leurs investissements restent assez modestes. Ces entreprises ont un comportement de rentier en essayant de protéger au maximum leur marché.

D’autres facteurs expliquent la faible transmission de l’accroissement de richesse à l’économie réelle. La succession rapide des crises incite les agents économiques à maintenir un fort volant d’épargne de précaution. Par ailleurs, le vieillissement des populations conduit à une augmentation de l’effort d’épargne.

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