Quand l’enseignement se mondialise et se capitalise

20/04/2019, classé dans

Les études de l’OCDE ou de la Commission de Bruxelles le confirment année après année, les résultats d’un pays dépendent de la qualité de son système de formation. La mondialisation et la digitalisation renforcent le poids de l’éducation. Les problèmes économiques français sont imputés, en partie, à la qualité perfectible de son système de formation initiale et professionnelle. La polarisation des emplois entre le haut de gamme et le bas de gamme rend le développement de filières de formation d’excellence crucial. L’enseignement a été longtemps perçu sous un angle national, surtout en France (existence d’un Ministère de l’Éducation nationale). Or, l’enseignement s’internationalise de plus en plus. Cette tendance concerne non seulement les élèves ou les étudiants qui peuvent être amenés à poursuivre leurs études dans plusieurs pays mais aussi les structures en charge de délivrer les formations qui, pour les plus reconnues d’entre elles, sont désormais présentes à l’international.

L’internationalisation s’exprime également à travers la compétition à laquelle les États et les établissements d’enseignement supérieur se livrent pour bien figurer dans les classements comme celui réalisé par l’université Jiao Tong de Shanghai. Ces classements ont conduit de nombreux pays à revoir l’organisation de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, afin d’améliorer leur renommée et trouver de nouvelles sources de financement, de plus en plus d’écoles internationalisent leurs activités. L’ouverture d’antennes à l’étranger a concerné dans un premier temps les établissements d’enseignement supérieur comme Sciences Po Paris. Mais depuis quelques années, les établissements d’enseignement primaire et secondaire s’y mettent également. Ainsi, la Westminster School créée en 1560 a prévu d’ouvrir un établissement à Hong Kong. L’école devrait ouvrir ses portes en septembre 2020 et comptera 2 500 élèves âgés de 3 à 18 ans. Elle sera suivie par cinq autres établissements de taille similaire dans d’autres villes chinoises au cours des dix prochaines années. Westminster éduquera ainsi vingt fois plus d’enfants en Chine qu’en plein cœur de Londres.

La demande d’établissements de qualité augmente à l’échelle internationale. Au sein des pays émergents, l’enrichissement d’une partie de la population permet à ses enfants d’accéder à des établissements privés de renom. En outre, avec la baisse du taux de fécondité, les familles peuvent consacrer plus d’argent pour leurs enfants. En Chine ou en Corée, les parents ont une très forte ambition pour leur progéniture. En Occident, c’est la crainte du déclassement qui incite les parents à rechercher des établissements de qualité. Il est communément admis que dans les prochaines années l’obtention de bons emplois passera par une formation de haut niveau. L’élévation du niveau moyen d’éducation rend plus difficile l’accession aux postes les plus prestigieux du fait d’une concurrence plus vive.

De plus en plus de parents confient leurs enfants au secteur privé tant dans les pays émergents qu’en Occident. La massification de l’enseignement public, les problèmes de recrutement qu’il rencontre sont autant de facteurs qui expliquent cette évolution. Parmi les arguments mis en avant par les parents optant pour le secteur privé figure sa plus aptitude à intégrer les nouvelles technologies et méthodes d’enseignement.

Ce phénomène est lié au rôle de plus en plus crucial de l’éducation pour accéder aux postes les plus valorisants et les plus rémunérateurs. Cela s’explique également par le fait qu’une classe moyenne supérieure se développe au sein des pays émergents.

Les XIXe et le XXe siècles ont été marqués par la montée en puissance de l’enseignement public qui a pris le relais des Églises et des Entreprises. Le secteur privé enregistre une forte croissance depuis le début du XXIe siècle. Au niveau des pays du G20, le nombre d’inscriptions dans les écoles privées par rapport à l’ensemble des inscriptions est passé de 10 à 17 % au primaire et de 19 à 27 % au secondaire. Il convient de préciser que dans certains pays comme la France, la frontière entre privé et public est floue, les établissements sous contrat pouvant bénéficier de professeurs payés par l’État. Aux Pays-Bas, si les trois quarts des élèves sont inscrits dans des écoles privées, la grande majorité d’entre elles sont financées par des fonds publics.

En Amérique latine, le rôle important de l’Église catholique et la faible qualité des services publics ainsi que la croissance rapide expliquent l’essor de la demande d’enseignement privé. Dans la majeure partie de l’Asie du Sud et de l’Afrique, la pauvreté, les migrations et la croissance démographique empêchent les gouvernements de dispenser l’éducation dans de nombreuses villes. Le secteur privé est donc important et se développe rapidement. Les élites ont déjà quitté les systèmes publics et beaucoup de gens de la classe moyenne et des plus pauvres les suivent. Le privé assure la formation des enfants des classes supérieures et peut être également présent dans les quartiers difficiles désertés par les pouvoirs publics. Même dans des pays reconnus pour la qualité de leur système d’éducation nationale publique comme le Vietnam, le privé connaît une forte croissance.

En Chine, si officiellement, le passage dans les écoles publiques demeure obligatoire en particulier pour le primaire et l’enseignement secondaire, les parents n’hésitent pas à inscrire leurs enfants pour des cours du soir dans le privé.

Même si l’offre d’enseignement est très peu concentrée, de plus en plus de groupes d’établissements apparaissent. Ils font appel à des capitaux extérieurs et certains sont même cotés en bourse. L’enseignement devient un secteur capitalistique comme les autres. De grandes chaînes se constituent à l’échelle internationale, telles que Gems Education, une société basée à Dubaï qui compte 47 écoles principalement au Moyen-Orient, Cognita, une entreprise britannique avec 73 écoles dans huit pays et Beaconhouse School Systems, une entreprise pakistanaise qui compte 200 écoles dans sept pays.

L’éducation demeure un secteur très réglementé. Les Gouvernements n’apprécient guère la montée en puissance du privé qui est accusé d’accentuer les inégalités. La présence d’écoles d’origine étrangère est perçue comme un risque d’ingérence. Aux États-Unis, certaines universités ont remis en cause leur partenariat avec des institutions chinoises suspectées de réaliser des opérations d’espionnage.

En France, les écoles privées gagnent du terrain. Ainsi, selon une note de l’Éducation nationale, en 2016, le collège public a perdu près de 10 000 élèves. Les parents justifient leur choix par la recherche d’une meilleure qualité de l’enseignement, une présence plus assidue des professeurs et un meilleur encadrement des élèves. Si dans les années 1980, le public obtenait les meilleurs résultats aux examens, aujourd’hui, les premières places sont occupées par des établissements du secteur privé. Le lycée Stanislas à Paris peut ainsi s’enorgueillir d’obtenir 100 % de mention au Bac. En maternelle, où il n’y a pas vraiment d’enjeux ou d’examens, la proportion d’élèves dans le privé est de 14 %. Au collège, pour la seule classe de 6e, le pourcentage d’élèves dans le privé atteint les 22 %. L’offre privée se multiplie tant pour le primaire, le secondaire que pour l’enseignement supérieur. Pour le moment, l’internationalisation concerne, en France, les grandes écoles d’enseignement supérieur qui sont, par ailleurs, en retard, par rapport à leurs homologues étrangers. La présence de très nombreux établissements dont la répartition géographique suivait le découpage administratif français explique en partie ce retard. Le regroupement en cours réalisé tant pour des raisons budgétaires qu’au nom de la visibilité internationale devrait déboucher sur l’intégration de plus en plus poussée des établissements dans des réseaux internationaux.

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