Philippe Crevel signataire d’un article sur les retraites

18/05/2010, classé dans

A l’initiative de la Fondation pour l’Innovation Politique, plusieurs économistes ont co-signé un article visant à rappeler les enjeux du débat sur les retraites et combattre cinq idées fausses sur le sujet

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Cinq idées fausses pour ne pas réformer en profondeur le système des pensions

e débat sur les retraites paraît vif et passionné, mais il est également brouillon, l’empilement des régimes rendant le sujet singulièrement complexe, et les échanges ne reposent pas toujours sur des données tangibles. Certes, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a fourni des projections précises, mais certains remettent en cause son impartialité.

On entend donc parfois tout et n’importe quoi : il n’y a pas de problème de déficit des retraites, il suffit de taxer les banques, on ne peut pas travailler plus tard à cause du chômage… Il convient de remettre un peu d’ordre dans ces assertions, qui semblent souvent fabriquées à l’emporte-pièce.

Idée fausse no 1 : on essaie de nous faire peur avec un problème qui n’est pas si important. D’après le scénario central du COR, si l’on ne change rien, la somme des futurs déficits annuels du régime des retraites à l’horizon 2050 s’élèvera à plus de 100 % du PIB (et il ne s’agit pourtant pas d’un scénario dit « pessimiste »).

C’est ce chiffre que les économistes nomment « dette implicite », dans la mesure où c’est une dette dont on est à peu près sûr qu’elle va se former au cours des prochaines années. Elle s’ajoute à la dette publique « explicite », dont tout le monde connaît le poids qui représente environ 80 % du PIB. Ces chiffres sont potentiellement explosifs. Ils le deviennent, par exemple, si nos créanciers décident de nous faire payer des taux d’intérêt plus élevés que ceux pratiqués aujourd’hui.

Idée fausse no 2 : on peut régler le problème en augmentant les cotisations. Les cotisations retraite représentent aujourd’hui environ 25 % des salaires bruts. On peut théoriquement éponger le déficit des retraites en portant cette part à 30 %.

Mais avec deux conséquences possibles que le plus grand nombre rejettera sans doute si on les présente clairement : un alourdissement du salaire brut, c’est-à-dire du coût du travail, entraînant une augmentation du taux de chômage structurel, augmentation qui serait largement concentrée sur les personnes les moins qualifiées, et qui entraînerait une augmentation des indemnisations versées par l’Unedic ; ou une diminution du salaire net et donc, toutes choses égales par ailleurs, du pouvoir d’achat des salariés.

Idée fausse no 3 : il faut taxer les banques pour alimenter le fonds de réserve des retraites. Cette idée paraît séduisante parce qu’il est toujours confortable d’aller chercher l’argent là où il se trouve (les profits bancaires par exemple, mais ce pourrait être aussi les profits pétroliers) pour le transférer là où il manque (la Sécurité sociale).

Mais cette proposition est opportuniste et, d’une certaine façon, elle n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Si, demain, une nouvelle crise bancaire éclate, devra-t-on supprimer cette taxe ? En outre, quel lien fait-on entre les banques et les retraites ? Que les banques cotisent pour abonder un fonds de stabilisation financière, pourquoi pas ? Mais un fonds de réserve des retraites, il n’y a pas de raison logique.

Idée fausse no 4 : repousser l’âge de départ en retraite va augmenter le nombre de chômeurs. Cette idée se fonde sur l’affirmation selon laquelle le taux de chômage des seniors serait élevé en France. Certes, le taux d’emploi des 55-65 ans y est relativement faible (39 %). Mais cette faiblesse est due pour la plus grande partie à celle du taux d’emploi des 60-64 ans, qui s’élève à 13 % chez nous. A cet égard, notre score est le plus bas de tous les pays développés. Ainsi, globalement, la faiblesse du taux d’emploi des seniors est, dans notre pays, essentiellement due à un âge de départ en retraite plus précoce qu’ailleurs.

En outre, le taux de chômage des plus de 55 ans est largement lié au fait que les entreprises sous-investissent dans cette catégorie de salariés. Pourquoi ? Parce que l’âge effectif de départ en retraite est trop précoce pour leur permettre de rentabiliser leur investissement. Les entreprises ne recrutent pas les plus de 55 ans, parce qu’elles considèrent qu’ils n’ont pas d’avenir ! Un comble quand on connaît l’allongement continuel de l’espérance de vie. En réalité, c’est largement la façon dont est conçu notre système de retraite qui cause le chômage des plus de 55 ans.

Idée fausse no 5 : les promoteurs de la réforme veulent remplacer le système par répartition par un système par capitalisation. La réforme ne consiste pas à remplacer un système par répartition par un système par capitalisation. Toutes les études disponibles en la matière ont montré que le système de retraite « optimal » était constitué d’une combinaison de répartition et de capitalisation.

Les ayatollahs de la répartition comme ceux de la capitalisation sont à cet égard à côté de la plaque. D’ailleurs, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les pensions financées par des prélèvements obligatoires représentent encore 60 % du revenu des plus de 65 ans (ce chiffre s’élève à 85 % en France). De façon un peu ironique, ce sont les fonctionnaires qui ont le plus facilement accès à la retraite par capitalisation via le Prefon, un fonds de pension dirigé par les syndicats.

Il n’y a pas de solutions faciles pour rendre notre système de retraite moins déficitaire et plus transparent. On ne réglera pas ces problèmes sans regarder la réalité en face, c’est-à-dire sans modifier l’organisation du système, sans organiser le rapprochement des différents régimes, et sans augmenter le taux d’emploi des plus de 60 ans. Pourquoi ne pas avoir l’honnêteté de le reconnaître ensemble ?


Les auteurs

Nicolas Bouzou, directeur d’Asterès, directeur d’études à l’école de droit et de management de Paris-II-Assas

Philippe Crevel, secrétaire général du Cercle des épargnants ;

Francis Kramarz, chercheur au Crest, professeur chargé de cours à l’ Ecole polytechnique ;

Dominique Reynié, professeur à Sciences Po, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique.

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