Ne dites pas à maman que je suis libéral, elle me croit fonctionnaire et de gauche

25/03/2008, classé dans

NE DITES PAS A MA MAMAN QUE JE SUIS UN LIBERAL DE DROITE

Etre libéral et être de droite constituent presque un délit en France. Vous êtes par nature suspect, antisocial, réactionnaire et peu fréquentable. Vous êtes favorable à l’exploitation des salariés, au travail des enfants dans les mines, à la journée de 36 heures, à la suppression des vacances, à la diminution des salaires, à la domination sans partage des fonds de pension et du grand capital.

Libéral, c’est en soi une maladie, c’est une croix à porter chaque jour. Pour bien marquer que la frontière de l’inacceptable et du politiquement correct a été franchie, le libéral de droite est qualifié d’ultra-libéral. Le verdict est sans appel. Ainsi classifié, l’homme politique doit, chaque jour qui passe, justifier qu’il n’est pas un « salaud ».

Libéral, on peut l’être si, à la limite, on y ajoute le qualificatif de gauche. De suite, cela fait moderne, chic, intelligent. A ce titre, on n’a jamais entendu parler d’ultra-libéral de gauche. Egalement, sans pour autant être rejeté, recevoir la foudre médiatique ou être considéré comme un terroriste de la bonne pensée parisienne, on peut être aussi écologiste et libéral ; c’est la tendance Daniel Cohn Bendit. Certes, cela fait désordre dans le paysage de l’écologie mais cela n’empêche pas d’être tête de liste aux élections européennes en 1999.

A gauche, le libéralisme permet de se positionner, de se faire passer pour un Tony Blair ou un Bill Clinton français. Deux ministres de l’Economie et des Finances de gauche se sont positionnés sur ce créneau : Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Pour faire sérieux, pour être reconnu des électeurs et de la presse, un ministre de l’Economie se doit d’être moderne, propre sur lui et libéral de gauche. Christain Sautter n’obéissait pas à ces critères et n’a jamais eu le loisir de s’installer vraiment dans la fonction.

Libéral de gauche, on l’est par opportunisme, on occupe une niche du marché. Ainsi, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius ont eu des parcours idéologiques compliqués. Dominique Strauss-Kahn a commencé à la gauche du PS, Laurent Fabius fut un mitterrandien qui a épousé la pensée tortueuse de l’ancien Président de la République, du programme commun avec les communistes jusqu’à l’acceptation voire la glorification de l’économie de marché.

Le libéralisme de gauche, c’est avant tout un coup médiatique, c’est peut-être pour cela qu’il est adoubé par l’opinion publique. Mais, Laurent Fabius est-il le libéral qu’il prétend, a-t-il changé par rapport au début des années quatre-vingt, est-il plus sincère aujourd’hui qu’hier ? Est-il le Tony Blair français ? Est-il le représentant de la gauche moderne ? Ou avons-nous à faire à un simple positionnement habile ou à un relookage ?

Après son échec en 1986, après son échec comme Premier Secrétaire du Parti Socialiste en 1993, après la douloureuse affaire du sang contaminé, Laurent Fabius s’est reconstruit une image, une stature de chef modéré et moderne grâce au libéralisme.

Du jeune secrétaire d’Etat au budget et fils spirituel de Mitterrand de 1981 au Ministre de l’Economie de Lionel Jospin de 2000, Laurent Fabius passe sous silence certains aspects de son passé mitterrandien.

Jeune et brillant, Normalien, Sciences Po, Enarque, agrégé de lettres, le Conseil d’Etat, un vrai parcours d’un « libéral à la française ». Au moment de s’engager en politique, Laurent Fabius aurait hésité entre giscardisme et mitterrandisme pour, après calcul électoral et étude de marché, tomber du côté gauche. Il est marié à Françoise Castro, ancienne assistante de François Mitterrand et qui travailla, des années durant, dans l’ombre pour maintenir les liens entre le Président de la République et son jeune poulain. Bon sportif et cavalier émérite, il participe à l’émission « la tête et les jambes » du côté jambes et gagne bien évidemment. Il adhère au parti socialiste en 1974 et devient en 1976 conseiller économique du Premier Secrétaire du PS, François Mitterrand. En 1979, il devient porte-parole du PS et en 1981 responsable de la campagne présidentielle. Laurent Fabius est élu en 1978 député de la Seine Maritime et réélu depuis lors dans une circonscription traditionnellement ancrée à gauche. Prudent, il n’a jamais essayé de conquérir la mairie de Rouen même après le décès de Jean Lecanuet.

Aujourd’hui, Laurent Fabius tente de se faire passer pour un gestionnaire rigoureux, or il y a tromperie sur la marchandise. De 1981 à 1983, il est au cœur d’un pouvoir qui rêve d’imposer une autre logique, c’est l’époque du socialisme dans un seul pays. Le Gouvernement de Pierre Mauroy a deux maîtres : Keynes et Marx. Avec Jacques Attali, Laurent Fabius est en grande partie responsable du programme socialiste français reposant sur la nationalisation et la relance par la consommation. Selon Pierre Mauroy, tous les problèmes de 1981/1986 proviennent de ce programme idiot. Laurent Fabius applique une politique dont les principales caractéristiques sont : la limitation de l’ouverture de la France à l’extérieur, la création d’un gigantesque secteur nationalisé, le plus important du monde libre et la réduction du temps de travail. La relance par l’augmentation des dépenses publiques. Son passage au budget a été marqué par un dérapage sans précédent des dépenses et par une envolée des impôts.

Sous son autorité de 1981 à 1986, le déficit budgétaire est passé de 0,5 à 3,53 % du PIB ; en 1981, les dépenses de l’Etat ont été augmentées de 20 % et en 1982, elles progressent de 27 % ; les emplois publics s’accroissent, de 1981 à 1983, de plus de 170 000. Laurent Fabius a créé l’impôt sur les grandes fortunes, a augmenté l’impôt sur le revenu avec l’instauration d’une tranche à 56 %, a doublé l’imposition des droits de mutation à titre gratuit. Un vrai libéral sans aucun problème…. C’était le temps de l’application des 110 propositions et de la rose à la main. L’échec fut cinglant : l’inflation s’emballa ; la balance commerciale enregistra ses déficits les plus importants depuis la seconde guerre mondiale ; les comptes des entreprises se dégradèrent ; le taux d’épargne chuta ; le chômage augmenta, les 2 millions de demandeurs d’emploi furent dépassés en 1982 ; le franc fut dévalué à trois reprises ; l’endettement extérieur explosa, plus de 300 milliards de francs en janvier 1983, la France dut négocier des emprunts dans des conditions difficiles auprès de créanciers comme l’Arabie Saoudite ou le Koweït.

Lors de la crise budgétaire et financière du mois de mars 1983 durant laquelle le franc est attaqué et la sortie du SME étudiée, Laurent Fabius ne s’oppose pas à la tentation de l’aventure et à l’application d’une politique économique anti-européenne et suicidaire que prônent certains dans l’entourage du Président de la République. Bien au contraire, il fait parti du clan des opposants à la rigueur budgétaire.

Jusqu’au dernier moment, il ne prend pas la mesure de l’état dégradé de l’économie française et des finances publiques. Ce n’est qu’après avoir interrogé le directeur du Trésor, Michel Camdessus que Laurent Fabius change de camp et rallie à lui Pierre Bérégovoy. Mais de 1983 à 1984, Laurent Fabius et Pierre Bérégovoy menèrent une guerre larvée contre Jacques Delors, Ministre de l’Economie de l’époque, afin de l’empêcher de devenir Premier Ministre et d’appliquer sereinement sa politique de retour aux grands équilibres. Autre temps, autres discours…

Après le débat sur la sortie de la France de l’Union européenne et le choix de la rigueur, Laurent Fabius passe du budget à l’industrie. L’heure n’est plus au socialisme dans un seul pays, mais comment sauver les socialistes de la déroute annoncée pour les élections législatives de 1986. A la tête d’un superministère de l’Industrie, Laurent Fabius a comme mission de rajeunir l’outil industriel français. Il joue au mécano industriel et se crée un réseau dans le milieu économique. Après les grandes nationalisations de 1981/1982, le secteur public plonge dans le rouge ; les pertes s’accumulent et les entreprises publiques loin d’être les vecteurs de la politique de gauche sont de véritables boulets. En 1983, après les folles expériences du début du septennat, le retour forcé à un certain réalisme impose aux socialistes le respect des règles de bonne gestion.

De 1984 à 1986, c’est le temps du parapluie. A 37 ans, Laurent Fabius devient, en juillet 1984, le plus jeune Premier Ministre de ces trois dernières Républiques. Pour la presse, François Mitterrand se nomme à Matignon, mais rapidement le Président prend ombrage du Premier Ministre dans lequel il voit sa jeunesse disparue et un concurrent possible. La méfiance s’accroît d’autant plus que François Mitterrand bat des records. Laurent Fabius passait son temps à soigner son image en vue d’une éventuelle candidature à l’élection présidentielle.

Laurent Fabius de 1984 à 1986 est, par Jacques Faizant, symbolisé comme l’homme au parapluie évitant de prendre des coups et ayant comme objectif l’immobilisme. La prudence guide ses pas. Pas de vague après les grandes manifestations en faveur de l’école privée en juin 1984, pas de vague en matière d’impôt, on baisse la TVA comme aujourd’hui, pas de réforme de peur de se mettre à dos les classes moyennes et les fonctionnaires, tout est sacrifié au profit de la côte de popularité. Son discours est une petite musique de nuit sans relief et sans surprise. Laurent Fabius se distingua de François Mitterrand en condamnant la venue à Paris du Premier Ministre polonais, Jaruzelski. Pour marquer sa différence avec Mitterrand, il prononça en 1985 la phrase devenue célèbre « Lui c’est lui, moi c’est moi ».

Il essaie de moderniser la fonction de Premier Ministre. Dans une interview au journal « Le Matin », aujourd’hui disparu, il déclare « au jeu des définitions, je dirais que je suis un socialiste moderne, pragmatique et amoureux de la liberté ». Laurent Fabius commence à revêtir le masque du libéral de gauche. 1981 est oublié ; Laurent Fabius privilégie, pour le secteur public, l’autonomie de gestion et pose, pour la première fois à gauche, la question de l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques. Les résultats sont décevants, si l’inflation est contenue, le déficit budgétaire demeure supérieur à 3 % du PIB et le chômage poursuit sa progression. Pierre Bérégovoy afin de trouver les ressources nécessaires pour éponger la dette publique est contraint d’accepter la mutation du marché financier français. La libéralisation est effectuée au profit de l’Etat et non au profit des entreprises, le marché obligataire s’hypertrophie et asphyxie le marché en actions. C’est aussi à cette époque que les liens entre les socialistes et le milieu des affaires se tissent pour exploser en affaires lors de la législature 1993/1997.

Seize ans après son départ de Matignon, Laurent Fabius revient dans une équipe gouvernementale auréolée d’un nouveau masque, celui du libéralisme de gauche. A croire que le passé marque moins à gauche qu’à droite. Valéry Giscard d’Estaing, jugé par tous comme un des hommes politiques les plus brillants de ces cinquante dernières années, ne s’est jamais relevé de son échec de 1981 malgré des efforts de communication gigantesques. De même, il suffit qu’un homme de droite ait eu une jeunesse agitée et frondeuse pour que, toute sa vie durant, on la lui jette comme une sentence définitive. Qu’un Premier Ministre de gauche ait eu des accointances avec un mouvement d’extrême gauche, personne ne s’en offusque.

Pourquoi voter pour la droite alors que la gauche réussit à concilier le libéralisme avec le social ? Pourquoi voter à droite alors qu’elle ne diminue pas les impôts et que ses talents de gestionnaire laissent à désirer ? Dans leur livre « la gauche imaginaire », Gérard Desportes et Laurent Mauduit affirment que Lionel Jospin, Premier Ministre, a trahi ses idéaux de gauche pour mettre en œuvre une politique libérale, favorable aux capitalistes démoniaques. Mais, en quoi la politique de Lionel Jospin est-elle libérale ? Il y a confusion des genres. Ce n’est pas parce que le Premier Ministre a abandonné les chimères de 1981 et du socialisme dans un seul pays qu’il s’est converti au libéralisme. Ce n’est pas parce qu’il ne nationalise plus, qu’il n’a pas restauré l’autorisation administrative de licenciement, qu’il n’a pas imposé aux entreprises l’embauche de 350 000 emplois jeunes qu’il est libéral. De même, comment affirmer que la gauche plurielle est devenue libérale parce qu’elle n’a pas doublé le montant des minima sociaux ni étendu le RMI aux jeunes de moins de 25 ans.

Gérard Desportes et Laurent Mauduit critiquent la timidité du Gouvernement de Lionel Jospin vis à vis de la fonction publique. Ils jugent nécessaire l’application immédiate des 35 heures, la création de nouveaux emplois publics et l’augmentation des rémunérations des fonctionnaires, l’abandon des fameux critères de Maastricht et, de ce fait, l’assainissement des finances publiques. Avec de telles mesures, les deux auteurs ont l’intention de faire sauter la banque. Une chose est certaine, ils rêvent d’une France, hors de l’Union européenne qui serait la nouvelle Albanie du XXIème siècle.

Lionel Jospin a abandonné le romantisme d’extrême gauche de sa jeunesse pour se convertir au réalisme ; il est passé entre temps à l’école François Mitterrand. Il a parfaitement compris que pour gagner à la présidentielle, il ne faut pas apeurer les classes moyennes.

Mais tout cela n’en fait toujours pas un libéral même de gauche. Lionel Jospin ne veut pas accroître ce que l’on appelle la trappe à pauvreté en vertu de laquelle il peut être financièrement plus intéressant de rester sans emploi que de prendre un travail faiblement rémunéré. C’est avant tout du bon sens. En revanche, il n’a rien fait pour encourager la reprise d’activité ou l’initiative et pour limiter les effets de seuil générés par un grand nombre de prestations sociales.

Certes, le Premier Ministre n’a pas, en 1997, obligé Renault à revenir sur la fermeture de l’usine de Vilvorde ; il ne l’a pas fait car il ne pouvait pas faire autrement. Dans le cas contraire, il aurait ruiné l’image de Renault qui venait d’être privatisé, il aurait ralenti le redressement de cette entreprise qui depuis sa prise de participation dans Nissan est louée par tous.

Lionel Jospin serait un grand libéral car il privatise plus qu’Alain Juppé et Edouard Balladur. C’est vrai en ce qui concerne les recettes récoltées, c’est faux en ce qui concerne la réalité du transfert au privé des entreprises publiques. Le Gouvernement de Lionel Jospin a récupéré environ 100 milliards de francs entre 1997 et 2000 ; cette somme colossale s’explique par la valorisation des actifs en bourse. Par ailleurs, par idéologie et par souci de ne pas trop déplaire à ses encombrants alliés communistes, Lionel Jospin ne privatise pas, il ouvre le capital des entreprises publiques aux capitaux privés. L’Etat reste majoritaire, continue à nommer les dirigeants, mais fait appel à l’argent des investisseurs privés qui doivent se cantonner à quelques strapontins au sein des conseils d’administration. Les socialistes aiment l’argent du privé et veulent conserver la maîtrise du pouvoir sur les entreprises publiques. Ainsi, France Télécom et Air France, deux entreprises dont les activités appartiennent à des sphères ultra-concurrentielles, sont contrôlées à plus de 50 % par l’Etat. Certes, le Gouvernement a du se résoudre à privatiser totalement le Crédit Lyonnais. Mais, ce n’est pas au nom de l’efficacité qu’il l’a fait, mais contraint et forcé par la commission de Bruxelles qui, au nom du grand marché unique et du respect de la concurrence, entend interdire les subventions aux entreprises publiques. En vertu de quoi, Air France pourrait recevoir de l’argent frais de son actionnaire public alors que ses concurrentes devraient convaincre les investisseurs privés du bien-fondé d’une augmentation de capital ? L’Etat devait donc choisir entre laisser mourir, faute d’argent, les grandes entreprises publiques françaises ou les privatiser. Fidèle à sa tradition, la gauche a opté pour le jugement de Salomon. Les investisseurs privés et les petits actionnaires apporteront du capital pendant que l’administration continue à gérer. Pourquoi les actionnaires privés acceptent-ils d’être traités en vache à lait ? Premièrement, le Gouvernement, pour les attirer, pratique le dumping en proposant des actions avec une décote, il a de ce fait un bradage volontaire des actifs de l’Etat ; deuxièmement, les actionnaires privés pensent qu’un jour ou l’autre pour financer les retraites, payer les dettes ou faire face aux dépenses, l’Etat sera contraint de vendre ses participations, les présents de la première heure seront alors peut-être les gagnants au moment de la privatisation totale.

Les gouvernements passent mais les procédures de privatisation restent toujours aussi obscures. En plus de 14 ans de privatisation, la carte du capitalisme français a été amplement dessinée par l’Etat. A ce titre, la plupart des chefs d’entreprise sont aujourd’hui énarques, centraliens ou polytechniciens. Les liens entre le pouvoir et les milieux économiques et entre ce dernier et l’administration résistent à l’épreuve des privatisations. Ce n’est pas le marché, ce ne sont pas les actionnaires qui décident du nom des dirigeants des entreprises privatisées mais l’Etat et les réseaux d’influence qui gravitent autour de lui. La toute puissance du libéralisme n’est même pas capable de s’imposer au sein même du monde de l’entreprise en France ; alors nous sommes bien loin de la dictature libérale.

La gauche serait moderne et ferait du libéralisme sans le dire. Elle seule pourrait moderniser les vieilles structures de notre pays car elle dispose de relais au sein des forces vives, au sein des syndicats, chez les intellectuels, dans la presse… Quelles modernisations, quelles réformes de structures ont été engagées depuis 1997 ? Rien d’essentiel ! La fiscalité, la gestion de l’Etat, les collectivités locales, la sécurité sociale, l’éducation nationale ; c’est le statu-quo qui prédomine. La gauche pratique la gestion au fil de l’eau dans l’attente des élections ; or comme il y a toujours une élection à venir, ce type de gestion a vocation à perdurer.

L’accusation de déviance libérale que l’on tend à faire à Lionel Jospin comme on faisait des procès en sorcellerie doit faire rire Tony Blair, Gehrard Schröder ou Bill Clinton qui se réclamant de gauche poursuivent, dans chacun de leur pays respectif, une politique d’inspiration libérale. Lors du sommet européen de Lisbonne, les 23 et 24 mars 2000, Lionel Jospin et la France se sont retrouvés isolés. Il a été décidé durant ce sommet afin de fortifier la croissance d’ouvrir à la concurrence les marchés publics et les grands services publics. Dans leur bonté, nos partenaires ont accordé à notre pays du temps pour s’adapter à cette nouvelle donne. Cette mansuétude traduit bien que nos socialistes sont en retard d’une révolution.

La France est le mauvais élève de l’Europe ; elle est en retard dans la transposition des directives. Seule la Grèce est derrière nous dans ce domaine. La France est en retard dans la libéralisation des marchés et des services publics. La France est en retard dans l’assainissement de ses finances publiques. Au vu de ce bilan, Lionel Jospin n’est pas aussi bon gestionnaire qu’il le prétend.

Lorsque le Gouvernement se trouve dans l’obligation vis à vis de ses partenaires européens d’appliquer des directives de déréglementation et de libéralisation, il le fait toujours à reculons et à minima. Ainsi, pour la libéralisation du marché de l’électricité, il a dû admettre que les entreprises pourraient être desservies par des entreprises autres qu’EDF, mais il a imposé de telles règles et de telles contraintes, que cette ouverture du marché ressemble à une fermeture. Ainsi, les entreprises productrices devront appliquer les mêmes règles sociales qu’EDF. Par ailleurs, EDF demeure à la fois transporteur avec ses lignes et producteur d’énergie électrique avec ses centrales. Elle est donc une voie de passage obligée comme l’est France Telecom avec son monopole en matière de boucle locale même si ce monopole commence à s’effriter du fait de la pression européenne et d’internet.

Que dans les autres pays européens, EDF se comporte en entreprise privée, acquiert des réseaux, vende son énergie, tout cela est considéré comme normal. Jouez aux libéraux à l’extérieur des frontières mais pas à l’intérieur. Les consommateurs étrangers profitent de la concurrence alors que nous finançons nos monopoles pour qu’ils puissent se développer à l’extérieur, belle division du travail. Quand France Telecom qui est majoritairement détenu par l’Etat achète, pour 330 milliards de francs, une entreprise britannique, Orange, tout le monde applaudit. Il ne faut pas oublier que cet achat n’a été rendu possible que par la rente que France Telecom nous a soutiré avec son monopole sur la boucle locale. Pour les appels à longue distance, on a le choix entre une multitude de sociétés, mais avant cela il faut avoir un abonnement chez France Telecom, abonnement qui augmente, d’année en année, comme le coût des communications locales.

Lionel Jospin, épaulé par Laurent Fabius, tente de faire croire qu’il a opté, comme leurs collègues allemands ou anglais, pour la baisse des prélèvements obligatoires et ainsi donné raison à Laurent Mauduit et Gérard Desportes sur le tournant libéral du gouvernement. C’est oublié un peu vite que Lionel Jospin a battu tous les records de prélèvements obligatoires en 1999 avec un taux de 43,7 % du PIB. Même Alain Juppé n’avait pas obtenu un tel résultat. Depuis 1997, les impôts, taxes et cotisations se sont accrus de plus de 400 milliards de francs. Certes, pour se dédouaner, le Premier Ministre explique que les recettes fiscales entrent plus vite avec la croissance. En France, lorsque par leur travail, les Français créent 100 milliards de francs de richesses supplémentaires, plus de 70 % sont capturées par l’Etat. Rien n’interdit de restituer aux Français les fruits de la croissance. Les gouvernements allemands et anglais l’ont fait ; Lionel Jospin a préféré rester au milieu du gué. En effet, dans le courant de l’année 2000, le Premier Ministre a annoncé un plan de réduction des impôts de 80 milliards de francs. N’espérez pas que le montant des impôts prélevés en 2000 soit inférieur de 80 milliards de francs à celui de 1999 ; il s’agit d’une réduction de 80 milliards de francs par rapport à l’augmentation attendue. En valeur absolue, il n’y aura pas de baisse, mais une augmentation, simplement un peu moins forte que ce qu’elle aurait dû être. Face à nos partenaires qui lancent des plans de plusieurs centaines de milliards de francs de baisses, le plan Jospin apparaît bien timide.

De toute façon, il ne faut pas oublier que depuis 1997, le Gouvernement de Lionel Jospin a créé plus de treize impôts, taxes ou contributions et a pris plus de 40 mesures de relèvements d’impôt. Il a ainsi créé une contribution sociale sur les bénéfices qui remplace la surtaxe sur les bénéfices, une taxe générale sur les activités polluantes, une taxe sur l’industrie pharmaceutique, une taxe sur les logements vacants, une taxe de 7,5 % sur les contrats d’assurance-vie, une taxe de 20 % sur les contrats d’assurance-vie lors des successions, une taxe sur les ventes directes de médicaments, un prélèvement sur les radiologues et les biologistes, une contribution sur les retransmissions audiovisuelles de manifestations sportives, une taxe sur les contribuables qui se délocalisent, l’exit tax, une taxe sur les dividendes dans le cadre du régime des filiales, une taxe de santé publique de 2,5 % sur les tabacs.

L’impôt sur le revenu a été, à plusieurs reprises, alourdi. L’avantage tiré de l’application du quotient familial a été réduit. La réduction d’impôt pour les emplois de proximité a été diminuée pénalisant ainsi les familles et les retraités qui recourent à des gardes d’enfant et à des aides ménagères. Les personnes âgées sont les principales victimes de la politique fiscale du Gouvernement de Lionel Jospin avec la majoration de la CSG, l’abaissement du plafond de l’abattement de 10 % qui leur est applicable pour l’impôt sur le revenu et la limitation de l’avantage tiré de la demi-part supplémentaire dont bénéficient les veufs et veuves ayant eu des enfants. Avec de telles mesures et au-delà même de l’effet de la croissance, il n’est pas surprenant que le produit de l’impôt sur le revenu progresse à grande vitesse.

Le libéralisme de gauche est une escroquerie, un montage médiatique mais le plus surprenant c’est qu’en face, à droite, le libéralisme on ne veut pas connaître et ce serait plutôt le divorce permanent.

Depuis 1958, rares sont les hommes politiques de droite à se revendiquer du libéralisme. Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, même les démocrates ou les travaillistes se réclament du libéralisme. En France, il y a comme une gène, un problème culturel pour un homme de droite de s’affirmer libéral.

Il y a le sentiment confus que l’opinion publique droguée de subventions prenne peur. C’est aussi une question d’origine et de formation. Tous les leaders à droite sont ; tous ou presque, issus de la fonction publique. Le Général de Gaulle, Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, Alain Juppé, Philippe Séguin, François Bayrou, François Léotard, Raymond Barre, Edouard Balladur ont tous en commun d’appartenir à la fonction publique. La liste est loin d’être exhaustive. En plus, il faut signaler que les deux autres grands réservoirs à hommes politiques de droite sont la médecine avec, par exemple, Philippe Douste-Blazy et les avocats comme Nicolas Sarkozy. Fonctionnaires, médecins et avocats vivent dans ou à proximité de la zone d’influence de l’Etat. Ils sont des enfants de notre Etat hégémonique. Ayant fait de longues études de droit, Sciences-Po, l’Ena, Normal, Polytechnique ou médecine, ils sont tous convaincus de la supériorité de la chose publique. Même parcours estudiantin et professionnel que les hommes de gauche, il n’est donc pas illogique que les idées des hommes politiques de droite diffèrent peu. Il n’est pas étonnant que le débat droite/gauche soit de moins en moins conflictuel. Une fois le mur de Berlin tombé, une fois l’Empire soviétique désagrégé, une fois l’expérience du socialisme dans un seul pays tenté en 1981, qu’est-ce qui peut distinguer un homme de droite d’un homme de gauche ?

Personne n’ose avouer son libéralisme. Pourtant la politique est devenue un grand marché sur lequel se confrontent, en toute liberté et de la manière la plus sauvage qu’il soit, l’offre, c’est à dire les femmes et hommes politiques, et une demande issue des différentes composantes du corps électoral. Avec les sondages, les études marketing, le recours à des coachs, aux techniques les plus modernes de vente, les hommes politiques se positionnent sur le marché comme une marque de pâtes. Certains n’hésitent pas se positionner selon le principe des niches comme une marque automobile le ferait.

La scène publique est accaparée par les anti-libéraux. Combien de passages de José Bové à TF1 et combien pour Alain Madelin ? Combien de pages contre la mondialisation dans la presse ? Combien pour mettre en avant l’évolution de l’économie mondiale ? Pourquoi une telle disproportion ? C’est déjà une question de relais. Globalement, les médias qu’ils soient de gauche ou pas sont par nature légitimistes et conservateurs. Ils sont à la fois pour le Premier Ministre et le Président de la République même quand ils n’appartiennent pas au même camp. Globalement, ils sont pour les valeurs de gauche mais sans mouvement. Ils sont un tantinet poujadistes. Ils aiment interviewer le Français qui râle sur le retard des avions, sur le bruit des camions, sur le retard des versements des allocations.

Par ailleurs, à droite, ne cherchez pas de grands chefs d’entreprise parmi les députés ou les sénateurs ; ils considèrent à tort ou à raison qu’ils ont mieux à faire que de perdre leur temps dans des joutes de palais, sans enjeu. Ils savent que le pouvoir n’est plus dans les ministères et que les fonctions ministérielles ne sont pas financièrement intéressantes. Ne cherchez pas des salariés. Sans garantie de retrouver leur emploi en cas de mésaventure électorale, ils réfléchissent à deux fois avant de se présenter à une élection. Le mode de sélection des candidats les pénalise. Les partis de droite comme de gauche privilégient les fonctionnaires car nous sommes en terre connue.

La parité et l’arrivée d’un grand nombre de femmes dans la vie politique changeront-elles la donne ? En retenant une vision machiste, on pourrait penser que si les hommes se sont fait hara-kiri avec autant de facilité, c’est que la politique est complètement dévalorisée, la féminisation d’une profession étant jugée comme le signe de sa dépréciation. Les femmes féminiseront-elles la politique ou la politique les masculiniseront-t-elles ? Réponse d’ici une dizaine d’années.

La France, pays dans lequel le secteur public emploie un quart de la population active, est dirigée par des fonctionnaires. Sous Napoléon III, les candidats fonctionnaires étaient dénoncés. Certes, à l’époque, il n’y avait pas le statut de la fonction publique et les fonctionnaires étaient placés dans un état de dépendance vis à vis du pouvoir central. Les choses ont-elles vraiment changées ? Certes, ce n’est pas la peur de perdre leur place dans la fonction publique qui guide les positions des députés fonctionnaires, mais un réflexe corporatiste. Le Ministre de l’Economie et des Finances, Christian Sautter, s’est retrouvé bien seul au Parlement pour mener à bien sa réforme de l’administration fiscale, une des moins productives d’Europe. Sa réforme qui avait comme objectif de regrouper la direction des impôts et celle de la comptabilité publique, deux directions en charge du calcul et du recouvrement d’un grand nombre d’impôts. Cette réforme aurait permis l’instauration d’un correspondant fiscal unique pour les contribuables. Ces derniers comprennent mal aujourd’hui pourquoi le service chargé de calculer leur impôt n’est pas celui chargé de le percevoir.

Quand on est salarié, chef d’une petite entreprise personnelle, sans fortune personnelle, avant de se présenter à une élection, on est immanquablement saisi d’un grand vertige. Comment pourrais-je mener campagne, comment pourrais-je retrouver un travail le jour où je serais battu ? Le fonctionnaire ne se pose pas toutes ces questions.

La modernisation de notre démocratie passe, sans nul doute, par une défonctionnarisation du Parlement. Il convient que les élus représentent l’ensemble de la population. Il ne faut pas empêcher les fonctionnaires d’acquérir un mandat électif ; il faut simplement permettre aux autres catégories de pouvoir le faire. Nous aurions droit à une émeute si nous imposions aux fonctionnaires qui veulent se présenter à une élection législative de démissionner au préalable de la fonction publique comme en Angleterre. Mais, une fois élu, ne serait-il pas logique qu’un fonctionnaire opte entre son mandat et son statut ? En revanche, il conviendrait qu’en cas de défaite, des possibilités de retour dans la fonction publique soient ouvertes et cela quelle que soit l’origine des élus. De même, pourquoi ne pas améliorer le régime de réembauche prioritaire pour des anciens salariés devenus élus ? Ces mesures qui ont pour objectif de rétablir une certaine équité permettrait l’arrivée dans le monde politique de Français et de Françaises ayant des parcours personnels et professionnels plus variés.

Même quand ils ne sont pas fonctionnaires, les élus de la nation ne sont pas enclins à défendre le libéralisme et cela même quand ils appartiennent à un parti ou à un groupe se réclamant du libéralisme. Notre système politique façonne des conservateurs et des interventionnistes. Le cumul des mandats a facilité l’émergence de l’élu distributeur de subventions. Le choix de la représentation par circonscription permettant d’identifier son élu entraîne par définition le clientélisme.

N’existant localement que par ses deux guichets, n’existant que par ses demandes auprès des administrations, l’élu français n’a guère l’envie de couper le robinet et de réduire son influence en réclamant la diminution des interventions économiques et sociales de la puissance publique.

L’élu est prisonnier de son rôle. Sollicité en permanence pour octroyer à telle ou telle personne un logement, un emploi, une subvention, un service, un passe-droit, il en vient à penser que la France est composée de socio-démocrates en ce qui concerne la dépense et de poujadistes en ce qui concerne les impôts. Paralysé par les sondages d’opinion et relancé en permanence par la France du malheur, il a par nature une vision tronquée de la sphère économique et sociale. Confronté au quotidien aux personnes en difficulté ou aux spécialistes de la revendication en tout genre, il lui est difficile d’être le défenseur d’un libéralisme qui est caricaturé par les médias.

La droite n’ose déjà pas se dire de droite, alors libérale, encore moins. La gauche a bien compris que face à une droite qui a honte de ses idées, il fallait la pousser dans ses retranchements en caricaturant ce qu’elle n’arrive déjà pas à accepter. Bannis les mots, droite, sécurité, libéralisme, bannis les mots, responsabilité, diminution du nombre de fonctionnaires, bannis les mots, diminution des dépenses publiques et devoirs. A partir de ces bannissements, de ces refoulements, il est fort compréhensible que la droite ait besoin d’une psychanalyse permanente.

Le libéral a la lèpre, favorable à l’exploitation des pauvres, à la domination de l’argent, la gauche le voit comme un esclavagiste. Peu importe si Alexis de Tocqueville fut rapporteur, en 1839, à l’Assemblée nationale du projet de loi relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies.

Le libéral, c’est bien connu, fut anti-dreyfusard. Une fois de plus, peu importe que le libéral mette en avant la défense des droits de l’Homme au nom de la vérité de la justice alors que les antidreyfusards s’opposaient à la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus au nom de la raison d’Etat.

Les libéraux sont pétainistes ? Bien sûr au cœur de leur idéologie, le corporatisme, la réglementation des marchés et le racisme guident leur action. Soyons sérieux, le fascisme et son frère de lait le communisme sont l’un comme l’autre à l’opposé de la pensée libérale.

Peu importe que le libéralisme ait pour fondement même le respect de l’individu et l’égalité des hommes pour les droits comme pour les devoirs. Peu importe que le libéralisme suppose la tolérance et le respect de tous, peu importe que le libéralisme passe par la défense des plus petits au nom de la libre concurrence. Qu’on se le dise, le libéral est un tortionnaire, un serial killer qui s’ignore.

Un libéral quoi qu’il fasse, est un être à surveiller. Il n’est donc pas étonnant qu’à droite, peu de femmes et d’hommes politiques se revendiquent du libéralisme. Depuis de nombreuses décennies, le libéralisme vit, en France, caché. Certes, Valéry Giscard d’Estaing, a osé se déclarer libéral un temps, mais il n’oubliait jamais d’accoler au terme libéral ceux d’européen et social.

Jacques Chirac, en radical socialiste parfait qu’il est, a été libéral de 1986 à 1988. Son échec à la présidentielle de 1988 l’a certainement dissuadé de l’être à nouveau. Lors de la première cohabitation, la droite, influencée par les idées défendues par Ronald Reagan et Margaret Thatcher a mis en œuvre le programme le plus libéral de ces cinquante dernières années : réduction rapide du déficit public, diminution des dépenses publiques et du nombre de fonctionnaires, diminution des impôts, privatisation, libération des prix, déréglementation, toute la palette de la politique libérale y était. Si cet épisode s’est conclu par une défaite électorale, provoquée par les errements du gouvernement en Nouvelle Calédonie, au Liban et par le machiavélisme de François Mitterrand, les résultats de la politique du gouvernement de Jacques Chirac étaient bons : diminution du chômage, croissance forte, inflation maîtrisée. Cette expérience a prouvé que lorsque le libéralisme est appliqué, cela n’aboutit pas obligatoirement au désastre.

A la recherche des fameuses voix du centre, les hommes de droite sont capables d’être plus socialistes que les socialistes. Moins bons connaisseurs des arcades de l’administration, ils se font plus souvent manipuler par les différentes directions. Ainsi, afin de permettre à la France de respecter les critères de Maastricht, le Gouvernement d’Alain Juppé en 1995 opta pour un plan d’augmentation des impôts et pour une politique monétaire dure, ce qui ne fit qu’accroître le ralentissement de l’économie française. Face à une direction du budget qui avait retenu comme ligne bleue des Vosges, les fameux 3 % de déficit public, Alain Juppé se résigna à augmenter la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’ISF. Or, ces hausses en freinant l’activité ont ralenti les rentrées fiscales et accru les dépenses sociales. En 1997, la direction de la prévision qui dépend du Ministère de l’Economie, souligne à travers une note secrète, mais amplement commentée que la France ne pourrait pas respecter les critères de Maastricht ce qui obligeait de mettre en œuvre un nouveau plan d’augmentation des impôts. Cette note aurait incité le Président de la République à dissoudre l’Assemblée nationale au mois de juin 1997 afin de ne pas faire campagne au début l’année 1998 avec, dans le dos, le tour de vis fiscal. La droite a perdu les élections, la gauche n’a pas eu besoin de matraquer fiscalement, elle a opté pour des augmentations progressives. La croissance est revenue à partir du second semestre 1998 et la France a intégré sans problème la zone euro. Autres signes de dépendances vis à vis des services, les Ministres de droite nouvellement nommés du fait de l’absence de réseaux au sein de l’administration laissent aux grands directeurs le soin de composer à leur place leur cabinet.

Les hommes politiques de droite ne savent pas, non plus, jauger les syndicats. Ils sont effrayés par la moindre manifestation et apeurés par la moindre réaction d’un syndicaliste. En 1995, Alain Juppé avait complètement sous-estimé l’impact de son plan de refonte globale de la Sécurité sociale. En mélangeant tous les sujets, il a agrégé contre lui toutes les oppositions. En voulant traiter l’assurance-maladie et les régimes spéciaux de la fonction publique, il s’est mis à dos à la fois les médecins et les fonctionnaires. Traumatisé par les grandes grèves de l’hiver 1995, Alain Juppé et son ministre de l’Economie se sont, durant deux ans, contentés de gérer au fil de l’eau. Ils ont freiné par tous les moyens l’instauration de fonds de pension en France de peur que Force Ouvrière fasse la révolution. Pourtant, tous les sondages réalisés sur ce sujet, pour une fois, sont concordants ; à plus de 70 %, les Français sont favorables à l’instauration de compléments de retraite par capitalisation. Il a fallu l’obstination du député des Vosges, Jean-Pierre Thomas, pour faire adopter contre l’avis des Gouvernements, que ce soit celui de 1993 ou celui de 1995, une proposition de loi sur les fonds de pension. Mais l’opposition des cabinets ministériels eut raison de son obstination en empêchant la sortie des décrets d’application avant la dissolution de l’Assemblée nationale de 1997.

La faiblesse du courant libéral provient de l’organisation même de la droite. Malgré les changements de Républiques, depuis la révolution française, la droite n’a jamais été représentée par un parti fort, organisé, structuré en courants et avec une base conceptuelle clairement identifiée. La droite française a toujours été caractérisée par ses divisions et par sa désorganisation. Les partis sont avant tout des machines électorales désormais centrées sur l’élection majeure de la vie politique française : l’élection présidentielle.

Depuis 1958, la droite est dominée par le parti gaulliste qui s’est constitué sous l’idée d’un rassemblement dépassant le clivage droite/gauche. Au delà de ce principe repris du bonapartisme, ce parti a été créé pour épauler le Général de Gaulle. S’il n’y avait pas eu ce personnage historique, un tel parti aurait été perçu comme un mouvement à tendance fascisante. Directement lié à un homme, le parti gaulliste a survécu à sa mort par l’instauration d’un double culte : le culte du Général de Gaulle et le culte du chef. Parti sans fondement idéologique au fonctionnement militaire, il est, pour reprendre la classification traditionnelle de René Rémond, l’héritier du parti bonapartiste. Il représente une véritable exception française. Dans aucun des grands pays démocratiques, un parti ne fait référence à un homme mort il y a plus de trente ans. La CDU n’est pas hantée par Adenauer, le parti conservateur anglais par Churchill et le parti démocrate américain par Roosevelt. La vie politique française tourne, plus de trente ans après son départ du pouvoir, autour du Général de Gaulle. La création, en 1978, d’un deuxième pôle au sein de la droite ne s’est pas fait à partir d’idées mais autour d’une volonté de mettre un terme à l’hégémonie du RPR et autour de celle de fournir au Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, un parti, l’UDF.

A droite, à un parti correspond un homme. A gauche, le PS a survécu à la disparition de son fondateur, François Mitterrand, de même le Parti communiste existe depuis le Congrès de Tour de 1921.

L’UDF aurait pu être le parti libéral dont rêvait Raymond Aron, mais pour son initiateur, Valéry Giscard d’Estaing, l’UDF était libérale, mais aussi sociale et européenne. Dans les faits, l’UDF rassemblait, avant son éclatement en 1998, des indépendants, des démocrates chrétiens, des radicaux refusant le programme commun de gauche. L’UDF qui était une confédération et non un parti n’a jamais eu, surtout après la défaite de VGE en 1981, de corps de pensée. Composée de conservateurs bien marqués à droite et de centristes qui ont toujours un œil sur le côté gauche de l’échiquier, l’UDF n’incarnait pas véritablement un courant politique. Dans les sondages, l’UDF était très largement distancée par le RPR alors que grâce à sa bonne implantation locale, elle réussissait à faire presque jeu égal. Parti de notables, elle a toujours cherché à se constituer une image nationale.

La création en 1998 de Démocratie Libérale et son départ de l’UDF constituent une première dans l’histoire de la droite. C’est la première fois qu’un parti se crée en mettant en avant un positionnement conceptuel. A gauche, on sait que le PS est socialiste et que le PC est communiste. A droite, on a tendance à vouloir avancer masqué, Rassemblement Pour la République, Force Démocrate, Union pour la Démocratie Française. Alain Madelin brave les interdits quasi freudiens de la droite en se positionnant sur un créneau politique clair, en ne faisant pas référence à un personnage historique et en se voulant ainsi l’héritier de Tocqueville, de Bastiat ou de Constant.

Il n’en demeure pas moins que sur trois partis de la droite parlementaire, deux ne disposent de référents idéologiques ou conceptuels clairement identifiés. Le RPR est avant tout chiraquien ce qui signifie qu’il peut être tout à la fois, souverainiste et pro-européen, girondin et jacobin, libéral et travailliste. L’UDF se veut européenne et sociale avec une dose de libéralisme, girondine mais pour un Etat fort, moderne mais attachée aux valeurs de Jean-Paul II. Le succès de l’extrême droite provient certainement de cette incapacité de la droite classique de définir des positionnements clairs. Depuis vingt-cinq ans, la droite vit sur un match Giscard d’Estaing, Chirac, match sans règle où tous les coups sont permis et qui n’aura de fin qu’avec la disparition d’un des deux protagonistes. Il est même possible que le match se poursuive outre-tombe. Le conflit des deux hommes a pris naissance dès la nomination de Jacques Chirac comme Premier Ministre en 1974. Ce dernier ne supportait pas d’être traité en collaborateur alors qu’il représentait la principale formation de la majorité. Poussé à la démission par deux de ses proches collaborateurs de l’époque, Marie France Garaud et Pierre Juillet, Jacques Chirac n’a, de 1976 à 1981, eu de cesse d’affaiblir le Président de la République. La guerre de tranchée a porté ses fruits à l’exception près que François Mitterrand qui n’était censé faire qu’un petit tour à la Présidence resta 14 ans. De sa défaite qu’il considère comme nulle, non avenue et injuste, VGE a tenté par tous les moyens de réaliser le come-back du siècle. Il a décidé de repartir à zéro en se présentant en 1982 à une élection cantonale, puis à l’élection municipale de Chamalières en 1983. Il a provoqué une élection législative partielle en 1984 pour retrouver le Palais Bourbon. En 1986, il s’est présenté à la fois aux élections régionales et aux législatives. Elu Président de la région Auvergne, il est en 1989 tête de liste pour les élections européennes. En 1988, il a du accepter de ne pas être candidat à la présidentielle ; Raymond Barre, son ancien Premier Ministre, a osé lui prendre son créneau. Par voie de conséquences, VGE est resté neutre durant la campagne. Heureux que Mitterrand soit réélu, il a espéré que son successeur ne dissolve pas l’Assemblée nationale et gouverne avec des élus de droite et de gauche. Malgré son bon score aux élections européennes de 1989, il ne parvint jamais à se réimposer comme leader national n’ayant plus de lieutenants prêts à mourir de lui. De 1989 à 1995, un combat féroce s’engage pour exclure du jeu politique l’ancien Président de la République. Jusqu’au dernier moment, VGE a cru à sa chance pour l’élection présidentielle de 1995, publiant même un ouvrage programme, « dans cinq ans, l’an 2000 ». L’UDF décida contre sa volonté de soutenir Edouard Balladur ce qui le porta tout naturellement à appeler à voter pour Jacques Chirac qui ne fit aucun geste en retour, croyant l’ancien adversaire à la retraite. Mais, depuis cinq ans, VGE est devenu un spécialiste de la guérilla politique en menant avec rapidité et froideur des actions visant à déstabiliser à petit feu le Président de la République. L’Europe, le quinquennat, le calendrier de 2002 autant de sujets qui permettent à Giscard de montrer qu’il demeure un excellent chasseur. Valéry Giscard d’Estaing a commencé sa carrière politique dans les années cinquante, Jacques Chirac dans les années soixante. L’un et l’autre ont eu des mandats électifs alors que le Général de Gaulle était Président de la République. Dans aucun autre pays occidental, des hommes ou des femmes ont à leur actif une telle longévité sur la scène politique et médiatique. Il s’agit d’une nouvelle exception à la française.

Tout tourne autour de cette guerre de 25 ans. François Léotard, Gérard Longuet, François Bayrou et quelques autres ont dépensé beaucoup d’énergie à vouloir éliminer VGE pour leur propre compte mais surtout pour celui de Jacques Chirac. Au RPR, les représentants de l’UDF et de DL sont jugés plus dangereux que ceux du PS. Ce combat d’homme a occulté complètement les idées, les programmes. Les partis de droite n’ont pas opté pour une stratégie de niches. Ils ont décidé de chasser sur les mêmes terres, celles des électeurs du marais. A force de vouloir plaire aux électeurs indécis, ils ont pris la couleur grise de leur cible laissant le champ libre au développement des tentations extrémistes.

Les partis de droite, véritables écuries pour les élections présidentielles, n’ont pas de cohérence interne. On trouve des libéraux à l’UDF, au RPR et à Démocratie Libérale. On trouve des anti-libéraux dans ces trois partis. On trouve des européens à l’UDF bien sûr mais aussi à DL et au RPR. On trouve également des anti-européens dans ces trois partis. Les courants sont transpartis et non organisés. Le choix d’adhésion à un parti s’effectue en fonction d’affinités vis à vis d’un responsable, en fonction de considérations idéologiques, géographiques ou familiales. On est centriste de père en fils. Jacques Barrot, Dominique Baudis, Pierre Méhaignerie ou Bernard Bosson en sont les meilleures preuves. Cette règle vaut également chez les gaullistes avec Jean Louis Debré ou Michèle Alliot-Marie.

Partis de notables, les partis de droite ne sont pas structurés comme peuvent l’être le PS et le PC. Moins de cadres, moins d’organisation, les partis de droite ne sont pas les vecteurs du nouvel ordre libéral que Viviane Forrester voit partout. Elle serait étonnée par l’amateurisme sympathique qui prédomine à droite. Les légions ultra-libérales sont faibles. Hormis le RPR qui tente de conserver un maillage national, les autres partis ne sont présents que par l’existence au niveau local de notables. Les partis politiques n’existent pas dans les petites villes. Les élus arrivent à agréger des militants qui choisissent de soutenir leur démarche et non celle du parti auquel ils appartiennent. Comme les syndicats, les partis ne font pas recettes. Moins de deux millions de personnes possèdent une carte à jour.

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