Les nouvelles équations de la science économique

14/09/2019, classé dans

Taux d’intérêt à long terme bas sur longue période, plein emploi sans inflation, la science économique est confrontée à une situation nouvelle l’obligeant à revoir ses modèles même si ces nouveautés peuvent également s’analyser par les évolutions structurelles constatées ces dernières années : tertiarisation, baisse des gains de productivité, vieillissement de la population, aversion aux risques. L’analyse comportementale est de plus en plus prise en compte pour expliquer les enchaînements économiques.

L’économie en travaillant sur des données mouvantes doit en permanence revoir ses modèles. Lors de ces soixante-dix dernières années, il a fallu prendre en compte la montée en puissance de l’État providence et la mondialisation. Dans les années 70, les Keynésiens ont dû faire face à la baisse de l’effet multiplicateur des dépenses publiques et d’investissement du fait de l’ouverture des économies extérieures. L’impact des plans de relance était réduit par la progression des importations qu’ils provoquaient. Les plans de relance favorisaient ainsi les partenaires disposant de capacités de production excédentaires. Par ailleurs, la courbe de Philips liant taux de chômage et inflation avait été mise à mal par la stagflation. Logiquement, le plein emploi génère une hausse des prix qui génère un ralentissement économique et du chômage, chômage qui provoque par ricochet une baisse des prix. Or, dans les années 70/80, un fort taux de chômage a cohabité avec une inflation importante. Les mécanismes de régulation ne fonctionnaient plus en raison notamment des règles d’indexation des salaires par rapport aux prix et du mode de création monétaire.

Des changements sont à l’œuvre depuis plusieurs années. Certaines équations économiques à court et à long termes sont modifiées.

À court terme, l’inflation est déconnectée de l’emploi. L’arbitrage s’effectue alors entre chômage et inflation ; les politiques stimulantes de la demande (budgétaire, monétaire, salariale) font baisser le chômage et monter l’inflation (il y a courbe de Phillips de court terme).

Au sein de l’OCDE, le taux d’inflation est inférieur à 2 % depuis près de 10 ans quand sur cette période, le taux de chômage est passé de 9 à 4,3 %. L’exemple des États-Unis montre que soutenir la demande en situation de plein emploi peut conduire à une baisse du chômage structurel. L’augmentation du déficit public et de la dette n’a pas d’effet sur les prix et sur les taux d’intérêt. Autrefois, un déficit important provoquait un relèvement des taux d’intérêt à long terme. Ce n’est plus le cas actuellement. Après la grande récession de 2009, certains gouvernements avaient espéré que les plans de relance décidés au niveau du G20 provoquent de l’inflation afin de réduire à terme le poids des dettes publiques. Des entreprises avaient même acquis des assurances afin de se prémunir de l’inflation.

L’inflation reste faible du fait de l’accroissement de la concurrence provoqué par le développement d’Internet. Ce dernier a permis l’apparition d’un nouveau réseau de distribution. Il facilité l’essor de l’offre et sa rencontre avec la demande (places de marchés comme Airbnb, le Boncoin, Uber, etc.)

Le monde digital avec son rendement marginal nul ou presque a modifié le mode de constitution des prix.

L’inflation n’est pas déterminée, même à long terme, par la croissance de l’offre de monnaie. La base monétaire a été multipliée par plus de 3 en dix ans sans que cela entraîne de poussée inflationniste.

Sur le long terme, il était jusqu’à présent admis que les prix étaient déterminés par la politique monétaire et le taux d’intérêt réel par l’équilibre entre l’offre et la demande de biens et services (entre l’épargne et l’investissement). Logiquement, les taux d’intérêt à long terme dépendent de l’équilibre entre investissement et épargne. Or, aujourd’hui, ils réagissent avant tout aux stimuli de la politique monétaire. Les taux d’intérêt réels à long terme restent, sur longue période, déterminés par la politique monétaire. La possibilité pour un État d’emprunter à taux négatif à 50 ans comme la Suisse prouve le changement de paradigme. Certes, les taux faibles s’expliquent également par l’abondance de l’épargne et par une profonde aversion aux risques des acteurs économiques. Le taux d’inflation reste faible car les taux d’intérêt à court et long terme le sont. Il y a une inversion de la relation.

Ce changement de modèle est-il transitoire ou est-il le reflet de l’évolution de l’économie qui est très majoritairement tertiaire ? Les rapports de force pour la fixation des salaires ont évolué en raison de l’éclatement des structures économiques. Les gains de productivité sont plus faibles que dans le passé car la majorité des emplois créés sont liés aux services et sont de nature présentielle (services de proximité). Le vieillissement de la population induit également de profonds changements. L’accroissement des revenus provoque rapidement une augmentation du taux d’épargne et non celle de la consommation. La volonté de se constituer une épargne de précaution pour faire face aux difficultés de l’âge (retraite, santé, dépendance) perturbe également la demande et la constitution des prix. L’aversion aux risques génère une augmentation de la valeur de certains actifs comme l’immobilier. Les primo-accédants étant assez rares, le marché est dominé par des opérations au sein du monde des propriétaires âgés. Les gains des plus-values ne sont qu’en partie absorbés par le marché de la consommation, une part non négligeable étant thésaurisée sur les dépôts à vue, les livrets et les fonds euros de l’assurance vie.

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