Et si la solution à la crise passait par les corps intermédiaires

02/12/2018, classé dans

Emmanuel Macron a gagné l’élection présidentielle de 2017 en faisant fi des corps intermédiaires. Il a bénéficié d’un concours de circonstances qu’il a lui-même, en partie, façonné. Sa victoire a été obtenu en s’appuyant sur un mouvement constitué un an avant le 1er tour de l’élection, composé de membres en déshérence des partis politique traditionnelles et de membres dits de la société civile. Cet assemblage fait de bric et de broc, sans réel colonne vertébral, sans élus madrés a réussi le tour de force de remporter l’élection présidentielle et les élections législatives. L’affaire Fillon, la chute de la Maison Hollande aboutissant à la candidature d’un frondeur du PS à l’élection présidentielle en la personne de Benoît Hamon, ont permis à un candidat sans passé de s’imposer. Il a été également porté par le rejet de l’opinion des anciens partis, des anciens notables. Mais, au premier tour, Emmanuel Macron n’a obtenu que 24 % des suffrages exprimés et 18 % des inscrits. 56 % des Français ayant voté le 24 avril 2017 ont choisi peu ou prou des candidats refusant le système politique et économique actuel. Ce vote de défiance a été masqué par le résultat du second tour.

 

Par sa prestance, par sa volonté de restaurer l’image de la République, Emmanuel Macron avait réussi son début de mandat aidé en cela par une conjoncture économique accommodante, la croissance dépassant 2 % en 2017. Mais, fort de la méthode qu’il l’a porté au pouvoir, il a poussé la logique de la destruction des vieux corps intermédiaires jusqu’au bout. Il a marginalisé les syndicats et les collectivités locales accentuant la remontée au sommet de tous les problèmes. Il n’a pas été en capacité de transformer son mouvement « La République en Marche » en véritable parti politique, lieu de débats, lieu d’échanges, s’appuyant sur un large réseau d’élus locaux. Il a certes réussi à affaiblir les Républicains et le Parti socialiste en y puisant quelques ministres. Il n’a pas pu non plus s’empêcher de fragiliser son allié centriste, le MODEM, François Bayrou pouvant à tort ou à raison avoir le sentiment d’être lâché par le pouvoir.

 

Le Président de la République, pris par l’euphorie de l’après élection, n’a pas profité de l’état de grâce, état de plus en plus éphémère, pour réformer la constitution. Il aurait du passer par référendum, en usant de l’article 11 des institutions, dès le mois de septembre 2017 et non passer par le chemin de croix parlementaire. Il aurait montré sa détermination et cela d’autant plus si cette révision constitutionnelle s’était accompagnée de la suppression du Conseil Economique Social en Environnemental et des départements.

 

Après avoir restauré l’image présidentielle en 2017, le Président prend un malin plaisir depuis à l’abimer. Du débat avec Jacques Bourdin et Edwy Plenel aux selfies avec les jeunes Guadeloupéens en passant par les jeunes technos dénudés sur les marches de l’Elysée, Emmanuel Macron n’arrive plus à trouver le ton juste. Si au début de son mandat, sa parole était rare, depuis, il a tendance à saturer les écrans. En ayant nommé un gouvernement de techniciens, il est devenu le seul politique au sein du navire. Son Premier Ministre s’est mué en collaborateur. Au fil des mois, le pouvoir s’est désincarné. Les tergiversations pour remanier le gouvernement après le départ de Gérard Collomb ont donné l’impression que le manche n’était plus tenu. Mettre deux semaines pour remplacer deux ou trois ministres ne correspond guère à l’idée d’un pouvoir sur de ces choix. Il en est de même sur les objectifs.

 

L’exécutif a manqué cruellement de cohérence et de pédagogie en ce qui concerne la politique économique et sociale. La France souffre d’un double déficit, budgétaire et commercial. Elle est confrontée à une dette qui atteint de jour en jour la zone dangereuse des 100 % du PIB. Mais, les Français considèrent avoir consenti de nombreux efforts pour réduire les déficits. Ils estiment que la répartition des charges n’est plus équitable. Depuis 2008, leur pouvoir d’achat évolue peu. Certes, à la différence des Italiens, des Grecs ou des Espagnols, il n’y a pas eu de diminution surtout chez les plus modestes comme le souligne une récente étude de l’INSEE mais le ressenti est tout autre. L’augmentation du prix du logement, des taxes et plus récemment du pétrole a miné le moral des ménages. Le poids des dépenses pré-engagées (logement, assurances, intérêts, abonnements divers et variés) a progressé depuis vingt ans.

 

Face à cette situation connue, le Gouvernement d’Edouard Philippe a pris des demi-mesures, baisse des cotisations sociales en deux temps, augmentation de la CSG, baisse progressive de la taxe d’habitation et hausse des taxes sur l’essence. Il a supprimé en partie l’ISF en maintenant une imposition sur l’immobilier. Il a instauré le Prélèvement Forfaitaire Unique de 30 % qui n’a pas été du tout compris ou qui a été perçu comme une disposition favorable aux riches. Ces mesures ne constituent pas une politique. Quand le Président de la République et le Premier Ministre veulent maintenir le cap, quel est-il ? Souhaitent-ils assainir les finances publiques mais dans ce cas quelles sont les mesures de réduction des dépenses ? Veulent-ils améliorer le pouvoir d’achat mais alors pourquoi un tel mélange de dispositions contradictoires ? face à cette politique, de nombreux Français considèrent être lésés. Certes, beaucoup de contre-vérités circulent sur les chaines d’information continue et sur les réseaux sociaux. Certaines personnes affirment gagner moins de 500 euros par mois quand le minimum vieillesse est de 830 euros et le RSA de 550 euros. De même, des retraités affirmant gagner autour de 1000 euros crient leur colère vis-à-vis de la majoration de la CSG qu’elles n’ont pas pu subir car elle ne s’applique qu’à partir de 1166 euros.

 

Les explications rationnelles n’impriment plus au sein d’une population désenchantée. Les propos parfois arrogants du Président de la République ont nourri le rejet dont il fait l’objet. La question des taxes sur le gazole a provoqué l’exaspération des Français qui sont toujours prompts à en découdre. La France reste un pays éminemment marquée par la Révolution, par les coups de sang du peuple. Le pouvoir est rarement légitime surtout s’il montre des faiblesses. De la Fronde sous Louis XIV au 13 mai 1958 avec le retour au pouvoir du Général de Gaulle, la France a connu de nombreux changements de régimes et de tentative de coups d’Etat. La prise de la Bastille et la décapitation de Louis XVI constituent des marqueurs bien présents dans notre inconscient collectif. Le pouvoir est faible en France car un simple incident de parcours peur entraîner sa perte. De 1830 à 1958 en passant par 1848, 1871 ou tristement 1940, en quelques jours, quelques heures, un pouvoir bien installé peut sombrer. En mai 1968, il s’en est fallu de peu que le Général de Gaulle qui avait institué la 5e République ne soit contraint de partir par la petite porte.

 

Face à un mouvement des Gilets Jaunes sans représentant officiel même si la sémantique des interventions de ses porte-parole fleure bon les éléments de langage de la France Insoumise, le pouvoir se doit de rapidement reprendre la main. Faute de quoi, le sentiment que le régime puisse tomber se diffusera. Les casseurs, les révolutionnaires plus ou moins en herbe s’ils sentent que l’animal est blessé, n’auront pas d’état d’âme pour l’achever. S’il en est ainsi à la chasse, il en est de même en politique. Les Gilets jaunes jouent la montée aux extrêmes dans la crise actuelle. Ils ont compris qu’ils avaient placé dans un coin le pouvoir. Toute concession de la part de ce dernier aboutira à une surenchère en matière de revendications. Le Président à défaut du gouvernement doit donc reprendre l’initiative. Il pourrait essayer de remettre dans le jeu les syndicats qui sur cette affaire ont été court-circuités. Emmanuel Macron pourrait souhaiter que la CGT, par exemple, appelle à la grève générale avec l’organisation de manifestation bien organisée. Cette grève pourrait déboucher sur un Grenelle version 2018 réunissant les partenaires sociaux. A la clef, le pouvoir devra lâcher du lest mais de toute façon il a déjà commencé. Certes, il faudra négocier avec l’Europe et cela ne sera pas facile compte tenu des propos que le Président a tenu sur le laxisme italien. Mais, cela peut s’arranger. En parallèle aux négociations, les syndicats devraient annoncer un arrêt des conflits sociaux permettant l’interdiction des manifestations des gilets jaunes jusqu’à nouvel ordre.

 

La question évidemment sera du financement des mesures et de la restauration de la compétitivité de la France. Cette question, en l’état actuel, ne peut pas être traitée par un exécutif isolé. Dans les entreprises, les accords de compétitivité ont été conclu en réunissant patronat et syndicats. Au niveau du pays, le Gouvernement doit apprendre à prendre en compte les corps intermédiaires. C’est peut-être une leçon à tirer de la crise actuelle. Cela ne sera pas facile au vu de la défiance qui règne à l’encontre de ces corps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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