Europe, Europe, Europe, il faudrait passer aux choses sérieuses !

19/09/2016, classé dans

Le sommet de Bratislava des 16 et 17 septembre a vocation à relancer la construction européenne après la décision des Britanniques de quitter l’Union européenne afin de contrecarrer les forces centrifuges. Lors d’un discours devant le Parlement européen, Jean-Claude Juncker a indiqué  que « l’Union européenne traverse une crise existentielle ». Il a demandé aux Etats membres de prendre leurs responsabilités pour sortir de l’ornière. Angela Merkel a déclaré que « l’Europe était dans une situation critique » en phase avec François Hollande qui souligné que « l’Europe était menacé de dislocation ». Face aux périls, les 27 se sont accordés à relancer la construction européenne. La déclaration commune indique notamment que « nous nous sommes engagés à offrir à nos citoyens, dans les mois qui viennent, la vision d’une UE attrayante, dans laquelle ils puissent avoir confiance et qu’ils pourront soutenir. » Le Président du Conseil a néanmoins refusé d’assister à la conférence de presse franco-allemande.

Au-delà des déclarations, l’absence de vision et de stratégie communes demeure. Les six prochains mois seront complexes à gérer car plusieurs Etats sont engagés dans des processus électoraux ou connaissent des crises gouvernementales (France, Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, etc.). En outre, de plus en plus d’Etats européens supportent mal d’être instrumentalisés dont l’Italie par le couple franco-allemand surtout quand celui-ci patine. Le Royaume-Uni constituait un contrepoids pour de nombreux pays en particulier d’Europe du Nord qui se sentent désormais un peu orphelins.

La France tente de se repositionner

La France a longtemps eu un rôle important dans l’élaboration des politiques européennes et le fonctionnement des institutions grâce des  commissaires engagés comme Raymond Barre ou Jacques Delors. Elle était une force de proposition. La puissance de son administration compensait la faiblesse récurrente de son économie. Avec l’échec du référendum de 2005 et un débat politique de plus en plus autocentré, la France a perdu en force de proposition et en capacité d’influence.

Pendant des années, les fonctionnaires détachés à Bruxelles travaillaient pour la Commission sans oublier leurs origines. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La langue française a fortement reculé ces dix dernières années. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que les documents administratifs émanant des institutions européennes sont de moins en moins souvent traduits en français.

Les responsables français éprouvent les pires difficultés à manœuvrer dans un cénacle à 28 ou 27. A 5 ou 9 Etats, le jeu de l’Union européenne était relativement simple ; à 27, la négociation est incontournable. Il faut savoir convaincre, ruser, marchander…. Or, à ce jeu-là, les Britanniques, les Allemands, les Portugais voire les Grecs sont meilleurs que les Français. L’art du consensus n’est pas une spécialité française que ce soit en interne ou au niveau européen.

Plusieurs dossiers sont en panne depuis des années : la défense, la sécurisation des frontières, les travailleurs détachés, la gestion des crises asymétriques, etc..

La défense, un no-man’s land

La France a refusé en 1954 la Communauté Européenne de la Défense (CED), projet qu’elle avait initié en 1950. Il constituait une réponse à la menace soviétique tout en contournant la question du réarmement allemand. Le traité a été proposé à ratification au mois de mai 1952. Il a été ratifié par la République fédérale d’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Il a été rejeté par l’Assemblée nationale française le 30 août 1954. La coalition du non à la CED rassemblait les Gaullistes qui considéraient que le projet remettait gravement en cause l’indépendance française et tous ceux qui n’avaient pas digéré l’absence de soutien des Etats-Unis à la France durant la guerre d’Indochine (la chute de Dien-Bien Phu était intervenue le 7 mai 1954 et les accords de Genève marquant la fin du conflit ont été signés au mois de juillet 1954).

L’idée de la défense européenne fut mise en sommeil jusque dans les années 80. Le départ de la France du commandement militaire de l’OTAN en 1965 traduisit la volonté de la France de ne pas être liée par des positions qui pourraient porter atteintes à ses intérêts et à son indépendance. Après le décès de Staline et avec la détente qui s’en suivit, la France a tout en restant dans le camp occidental joué sa propre partition.

L’idée de forces européennes renait avec le renouveau de la guerre froide au début des années 80.La crise des missiles SS20 permet un rapprochement des positions. La création d’unités franco-allemandes en est un symbole. Néanmoins, dans les faits, hormis des exercices en commun et des coopérations entre services de renseignement, peu de progrès sont constatés. A titre d’exemple, les Etats européens n’arrivent pas à s’entendre pour la fabrication d’un avion militaire. Il ressortira de cette division, deux modèles, l’Eurofighter (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne et Italie) et le Rafale (France)…. Cette incapacité à coopérer nuira à la constitution d’une industrie européenne de l’armement à la différence de ce qui a été fait avec l’aviation civile.

La chute du mur en 1989, la première guerre du Golfe ainsi que le déclin des dépenses militaires modifièrent la donne. L’intervention de l’OTAN à laquelle participa la France en Afghanistan donna lieu à des débats sur une plus grande intégration des armées européennes. La deuxième guerre en Irak en 2003 bloqua cette évolution.

Pour des raisons d’organisation et afin de bénéficier de la logistique et de l’information, la France réintégra l’OTAN en 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a souhaité créer un pôle européen au sein de l’Alliance atlantique en se rapprochant des britanniques. Il avait même été question de partager un porte-avion. Devant l’absence de volonté des Etats-majors, le gouvernement français s’est retourné vers l’Allemagne qui reste fidèle à sa conception défensive et non interventionniste. Face à la multiplication des fronts d’intervention, les gouvernements français considèrent que ses armées assurent des missions de sécurité dont profitent tous les Etats membres. A ce titre, ils suggèrent à demi-mot que les Européens participent à l’effort de guerre. Pour le moment, la France a reçu comme réponse un silence poli

Avec le départ du Royaume-Uni, la France reste la seule au sein de l’Union à disposer d’une armée capable de projeter plusieurs dizaines de milliers de soldats en-dehors de ses frontières. Même si l’Allemagne a décidé d’accroître ses dépenses militaires, les budgets européens de défense cumulés représentent 33% du budget militaire américain. Face à ce déséquilibre, de plus en plus de voix se font entendre aux Etats-Unis sur le sujet d’un désengagement de l’Europe.

Le sommet de Bratislava devrait aboutir à l’adoption d’un catalogue d’intentions qui ont déjà été présentées lors de la réunion du triangle de Weimar (France, Allemagne et Pologne), le 28 août dernier : exploiter pleinement les possibilités offertes par les traités depuis 2009 dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune; élargir le Triangle de Weimar au groupe de Visegrád (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie) ; tenir une réunion annuelle du Conseil européen sous forme de Conseil de sécurité européen ; développer une capacité européenne civile et militaire de planification et de conduite d’opérations.

Mais, le consensus en matière de défense est très fragile. Ainsi, la France bloque toujours la constitution d’un  projet d’embryon de service de renseignement européen. Il est pourtant admis qu’il faudrait très rapidement tripler le nombre d’agents affectés à la cybercriminalité. Nombreux jugent nécessaire la fusion de la DGSE et du Service fédéral allemand de renseignement, le BND.

Le marronnier de la création d’une police européenne des frontières

La constitution d’une véritable police des « frontières Schengen » financée sur un budget européen s’impose. Cette police serait l’embryon d’un « FBI » communautaire capable de régler les problèmes liés aux migrations et de terrorisme. Aujourd’hui, ce sont les Etats aux marges de Schengen qui doivent assurer le respect du droit communautaire en matière de migration et de sécurité. Certes, un organisme européen (Frontex) a été institué mais ses moyens apparaissent limités au regard des problèmes de sécurité actuels. Frontex est une agence européenne responsable de la coordination des activités des garde-frontières dans le maintien de la sécurité des frontières de l’Union avec les États non-membres. Son budget est de quelques centaines de millions d’euros quand certains estiment ses besoins à 2 milliards d’euros.

En matière de sécurité intérieure, la constitution d’un réel Conseil de sécurité européen et la mise en place d’un service européen du renseignement intérieur sont avancées

Le silence radio sur les questions économiques et sociales

Faute de consensus, la Commission européenne comme les Etats s’en sont remis à la Banque centrale européenne pour répondre aux défis posés par la Grande Récession et la crise des dettes publiques. La politique monétaire est une des rares politiques de nature fédérale mise en œuvre au sein e l’Union. Si longtemps la rigueur budgétaire a servi de paravent à l’absence de politique économique commune, elle est aujourd’hui mise en sourdine du fait de la montée de la contestation des peuples. Or, la politique monétaire ne peut pas tout ! Par ailleurs, l’Europe ne connaît que la gestion de crise. Elle sait répondre à chaud à un problème majeur mais elle n’est pas capable de traiter en amont et en aval. Depuis l’adoption du traité de Maastricht, la question de la mise en place de fonds d’action conjoncturelle ou de fonds pouvant venir en aide à un pays commençant à s’enfoncer dans une crise est restée lettre morte.

Le problème des travailleurs détachés n’a toujours pas été traité. Au nom de la libre circulation des hommes, des biens, des services et des capitaux qui est un des principes fondateurs de l’Union européenne, il ne peut y avoir d’entrave au fait que des actifs d’un Etat aillent travailler dans un autre Etat. Compte tenu des différences de charges sociales entre Etats membres, les écarts de coûts de travail peuvent être importants surtout pour des métiers où les niveaux de productivité sont proches ou identiques (chauffeurs de camion par exemple). Initialement, l’idée avait été d’instituer un étage européen de sécurité sociale auquel auraient pu être rattachés les travailleurs détachés. Ces derniers auraient dû acquitter des charges selon un barème européen à un organisme communautaire qui aurait pu soit répartir les ressources entre les Etats, soit servir directement des prestations sociales. Il convient de souligner que pour résoudre les déséquilibres sur les comptes courants entre Etats membres, l’organisation de transferts sociaux entre Etats membres est la meilleure des solutions.

La fiscalité, une harmonisation en panne

L’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés prévue de longue date au sein de l’Union et plus particulièrement entre la France et l’Allemagne est toujours en attente de réalisation. Ces dernières années, au gré des dérogations, il a même été noté un recul en ce qui concerne la TVA.

Pour les fondateurs de l’Europe, l’idée d’avancer vers le fédéralisme devait se faire par des voies détournées. Aujourd’hui, à force d’avoir tournicoté, cette idée n’est plus portée par les dirigeants européens d’où l’impression que l’Europe est une impasse. Pour relativiser les problèmes actuels, il faut se remémorer que les Etats-Unis, un pays neuf, a mis plus de 13 ans, entre la déclaration d’indépendance intervenue le 4 juillet 1776 et la ratification de la constitution fédérale le 4 mars 1789 pour devenir un véritable Etat fédéral.

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