Essai : Juste Un autre Monde

09/02/2010, classé dans
JUSTE UN AUTRE MONDE ou demain n’est pas écrit

Depuis 2008, à juste titre, le monde économique a été accaparé par la gestion de la crise la plus forte et la plus rapide jamais rencontrée depuis 1929. La violence de la récession et la menace systémique ont conduit les acteurs publics à engager les finances publiques pour des montants sans précédent en période de paix. 2008/2009 sont des années d’économie de guerre mais sans guerre. Ce choc tectonique ne doit pas nous faire oublier les défis structurels auxquels nous sommes confrontés et qui ne sont pas sans lien avec la crise actuelle. Le monde est confronté à quatre chocs qu’il se doit de régler de manière concomitante : le choc démographique, le choc économique, le choc financier et le choc environnemental.

La croissance dépend de trois facteurs, le travail, le capital et le progrès. Le capital est lui-même produit de l’investissement (épargne, prêts…) du travail et de l’innovation. L’accumulation de richesses est également liée aux capacités de la planète à alimenter l’économie (matières premières, énergie, nombre d’actifs disponibles, niveau de formation). La croissance des ces deux cents dernières années a été, de ce fait, avant tout le produit de l’augmentation des gains de productivité et du nombre des actifs (et tout particulièrement du nombre d’actifs de mieux en mieux formés). Or, cette belle équation est remise en cause. En effet, le vieillissement de la population, phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité moderne, se traduira par une diminution des actifs et, in fine, du nombre d’habitants. Par ailleurs, mais cela peut être provisoire, les gains de productivité, surtout en Occident, se sont, depuis quelques années, ralentis. La croissance est portée non plus par les vieux pays mais par les pays émergents entraînant une redistribution des richesses accumulées depuis le début de la révolution industrielle.

Les institutions financières ont cru contourner l’obstacle de l’appauvrissement de la croissance des pays anciennement industrialisés en procédant à une valorisation forcenée du capital et à une modification artificielle de l’échelle des risques mais la crise les a momentanément rappelées à l’ordre. La croissance de la valeur du capital ne peut pas être déconnectée de celle du PIB et, en outre, la créance n’a de valeur que si elle peut être honorée. L’altération de la notion de risques provoque des bulles spéculatives qui sont amenées à se dégonfler de manière rapide comme cela a été constaté en 1997 avec la crise asiatique, en 2000 avec Internet ou en 2008 avec les subprimes. Il est à noter que l’éclatement des bulles spéculatives est occasionné par le ralentissement de l’économie et non l’inverse.

L’Occident, après plus de 200 ans de révolution économique, a accumulé un stock impressionnant de capital qui se matérialise tant physiquement (infrastructures, bâtiments, usines…) que de manière immatérielle (brevets, savoir-faire…). Or, pour certains experts, nous serions arrivés à un moment charnière du développement de l’économie mondiale.

L’endettement des pays occidentaux semblerait être la preuve d’un transfert imminent du pouvoir en faveur des pays émergents. Les réserves de change de la Chine, plus de 3000 milliards de dollars, la puissance à venir des fonds souverains, plus de 10 000 milliards de dollars d’ici 2015, la croissance à deux chiffres de certains pays d’Asie sont autant de signes de l’entrée dans une nouvelle ère économique.

Ce bouleversement économique se déroule avec en toile de fond, une mutation économique de 1er ordre. La vie humaine s’étire de plus en plus et le nombre d’enfants par famille tend naturellement vers 2 voire en dessous dans certains pays. Le monde économique rajeunit quand l’humanité vieillit.

Si l’allongement de la durée de la vie constitue une chance pour chaque individu, il est porteur au niveau économique de lourdes menaces : décroissance, déficits publics…

Derrière la crise économique actuelle générée par une financiarisation de l’économie, se profile un choc de plus grande importance qui modifiera en profondeur la structure de la société durant de nombreuses années, le choc du vieillissement et la diminution du nombre d’humains vivant sur la planète terre qui devrait s’amorcer autour de 2050.

Cette mutation démographique aura un impact sur l’ensemble des données économiques et en premier lieu sur les comportements d’épargne et d’investissement. Le défi d’adaptation ne sera pas facile surtout pour les pays émergents qui passeront, en quelques années, d’une population marquée par de forts taux de fécondité et une part des moins de 20 ans élevée à une population se caractérisant pas un nombre d’inactifs âgés élevé. Ils devront supporter en simultanée une double transition démographique quand les pays occidentaux auront connu des transitions démographiques étalées sur 200 ans.

L’économie est mouvement. C’est pour cette raison qu’il est si difficile de prévoir la conjoncture. Avec la mondialisation le nombre des acteurs, entreprises, négociants, Etats… intervenant sur la scène internationale s’accroît. Les économistes qui ont de nombreux points communs avec les météorologues sont meilleurs pour analyser, à froid, les évènements passés que pour les anticiper. La modestie est de mise quand il s’agit d’anticiper des évolutions à 50 ou 60 ans. Certes, la démographie obéit à des lois moins mouvantes que la finance, la politique budgétaire ou la politique monétaire. Certes, les évolutions démographiques sont assez prévisibles mais ne sont pas exempts de sauts d’humeur. Ainsi, les facteurs climatiques, voire épidémiologiques, pourraient modifier la situation tout comme la réalisation de progrès rapides dans le traitement des cancers. Il n’en demeure pas moins que compte tenu des données passées et présentes, il est probable que le vieillissement en cours ne s’arrête pas durant les cinquante prochaines années.

La crise démographique qui se profile semble se superposer aux autres crises qui troublent notre quotidien. La crise financière, la crise économique, la crise de l’endettement, le choc environnemental s’entrechoquent avec le choc du vieillissement au point que les pouvoirs publics peinent à fixer les priorités. Contrairement aux thèses de Fukuyama, l’histoire est loin d’être finie, elle commence aujourd’hui car les femmes et les hommes doivent répondre à une série de défis. La guerre de 1914 avait fait prendre conscience que l’humanité était mortelle ; celle de 1940 et la guerre froide qui l’a suivie que l’Homme pouvait avec la bombe nucléaire se suicider quasi instantanément. Les terriens de 2010 découvrent que leur mode de vie à l’occidental est fragile et peut être remis en cause par a nature tout comme par les lois de l’économie. A la différence de la peur du conflit nucléaire qui pose de manière immédiate la survie de l’espèce humaine, nous sommes amenés à agir pour nous mêmes mais aussi pour les générations futures or se projeter à 50 ou à 100 ans est un exercice extrêmement difficile pour l’être humain car pour paraphraser Keynes demain nous sommes tous morts.

La double face du choc démographique

En 2050, la terre comptera plus de 9 milliards d’habitants, les pays d’Asie et d’Amérique Latine auront économiquement rattrapés, sauf accident de parcours, les pays ex-développés. L’Afrique, il faut l’espérer, sera sortie du sous-développement.

La cohabitation de 9 milliards de terriens aspirant à vivre comme les Occidentaux d’aujourd’hui représente une menace pour l’équilibre planétaire. Jamais, une espèce animale n’aura connu une telle croissance démographique en aussi peu de temps avec à la clef la maîtrise de son espace naturelle. Cette domination, sans partage, de l’homme a comme cause la réduction de l’influence de ses prédateurs et sa capacité à asservir les ressources de la planète à son profit. L’homme est devenu son propre prédateur à travers la violence et à travers la destruction de son espace de vie.

Durant les années soixante et soixante-dix, la surpopulation rimait avec famine. Les reportages télévisés montraient fréquemment des enfants squelettiques du Sahel aux ventres énormes. L’Afrique mais aussi l’Asie connaissait les affres de la faim, des récoltes insuffisantes… Avec la révolution verte, avec la diffusion des techniques agricoles modernes, la famine n’a pas entièrement disparu mais est devenue plus rare, plus limitée. L’idée que la terre compte d’ici 40 ans neuf milliards d’habitants n’effraie plus personne. Certes, avec le réchauffement climatique, certes, avec l’occidentalisation des habitudes alimentaires, des tensions sur les marchés agricoles sont inévitables tout comme l’accès à l’eau restera un problème de grande ampleur. Le catastrophisme n’est pourtant pas de rigueur d’autant qu’une amélioration des rendements est attendue avec les OGM, certes bannies en France mais au-delà de nos frontières.

Neuf milliards d’hommes et de femmes vivant sur terre. Ce chiffre et l’emballement démographique des deux derniers siècles est à mettre en parallèle avec l’extrême vulnérabilité à laquelle était confrontée l’espèce humaine il y a quelques dizaines de milliers d’années.

Il y a 50 000 ans, la population humaine se comptait en centaine de milliers. Ce n’est qu’avec l’amélioration des techniques de chasse, développement du harpon, de l’arc et des flèches, ainsi qu’avec l’invention de la sagaie, que le nombre d’humains dépasse le million d’unités vers – 40 000 avant Jésus Christ.

400 ans avant Jésus Christ, le monde comptait environ 150 millions d’humains. En 1400, la population a plus que doublé pour atteindre 374 millions. En 1700, la planète porte 682 millions d’êtres humains, en 1800, 968 millions. Il aura fallu 40 000 ans pour atteindre le premier milliard d’habitants. Il faudra 200 ans pour multiplier la population par six et 250 ans pour la multiplier par 9.

Néanmoins, au moment même où nous sommes sur la route des 9 milliards d’êtres humains, sans nous en rendre compte, nous sommes entrés dans l’âge de la stabilisation voire du déclin démographique. Nous nous rapprochons de l’asymptote. De 1950 à aujourd’hui, la progression de la population humaine a été de 150 % ; elle ne devrait augmenter que de 50 % d’ici 2050.

Au 1er octobre 2009, la population humaine était évaluée à 6,8 milliards d’habitants.

L’expansion démographique a deux fondements, le recul de la mortalité infantile et l’allongement de l’espérance de vie. L’espèce humaine, de marginale et fragile est devenue une espèce endémique qui a colonisé la quasi-totalité de la terre en l’asservissant du moins en partie. Ce phénomène sans précédent s’est construit sur le progrès. L’amélioration des techniques de chasse, le progrès agricole, la capacité accrue à se déplacer, l’amélioration des conditions sanitaires, les découvertes dans le domaine de la santé et surtout la capacité à démultiplier la force humaine naturelle grâce à la production maîtrisée de l’énergie ont modifié le rapport de l’homme à la nature.

La première transition démographique se caractérise par la diminution du taux de mortalité infantile qui, épaulée par la croissance, aboutit à la baisse du taux de fécondité.

La diminution du nombre d’enfants morts en bas âge conduit à une réduction des naissances. Par ailleurs, l’enfant qui était source de création de richesses par le travail qu’il pouvait fournir devient avec l’élévation des revenus une source de coûts (éducation, dépenses de santé…). En outre, dans le cadre d’une vision patrimoniale qui s’impose au fur et à mesure de l’élévation des richesses, la diminution du nombre des héritiers devient un objectif d’autant plus que le principe d’égalité de traitement des enfants s’est progressivement imposé dans un grand nombre de pays.

L’évolution de la mortalité infantile

La mortalité infantile est restée à des niveaux élevés jusqu’aux portes du 19ème siècle. Ainsi, sous l’Egypte romaine (33 ans avant JC – 258 après JC), elle est évaluée à 329 pour 1000 naissances. En 1300, elle était de 218 en Angleterre. En France, en 1740, le taux de mortalité infantile est de 296. Ce taux est celui du Japon en 1800.

De banal, la mort d’un enfant avant un an est devenue exceptionnelle. Ce n’est plus le tiers ou le cinquième des enfants qui meurt dans sa première année mais de 0,3 à 5 % des enfants dans la grande majorité des pays.

Avec un taux, en 2008, de 2,31 décès pour 1000 naissances, Singapour possède le plus faible taux de mortalité à l’échelle mondiale. La France est au 4ème rang avec un taux de 3,33 pour mille. 71 pays sur 221 ont un taux inférieur à 10 pour 1000 et 171 sur 221 ont un taux inférieur à 50 pour 1000. La très grande majorité des pays ayant un taux de mortalité infantile supérieur à 50 est en Afrique (l’Angola avec un taux de mortalité infantile de 180 pour mille obtient le plus mauvais résultat).

Pour en revenir à la France, le taux de mortalité infantile était, en 1900, de 150 pour mille, il a été divisé par trois, en 50 ans, pour atteindre 52 pour mille. De 1950 à 2010, soit en soixante ans, il a été divisé par 17.

La convergence démographique des pays en développement s’effectue de plus en plus rapidement. Comme pour la diffusion des connaissances, les pays partis plus tard rattrapent rapidement les vieux pays. Si les transitions démographiques se sont étalées sur deux siècles pour les pays occidentaux, c’est en quelques décennies que les pays dits en voie de développement passent d’un système à forte fécondité et à forte mortalité à un système à faible natalité et à faible mortalité. La convergence des modes de vie s’affranchit des frontières, des religions, des civilisations…

La mesure du vieillissement de la population est un indicateur intéressant pour déterminer l’ampleur de la mutation démographique à laquelle nous sommes confrontés.

Il a fallu 114 ans à la France pour que la proportion de personnes de plus de 65 ans passe de 7 à 14 % (entre 1850 et 1960). Il n’a fallu que 71 ans pour les Etats-Unis, 24 années au Japon. Il en faudra que 25 pour la Chine qui atteindra le taux de 14 % avant 2050 ; Pour le Vietnam, le délai ne sera que de 17 ans tout comme la Syrie. Pour l’Iran, le doublement mettra 20 ans à s’effectuer et se produira avant 2050.

Néanmoins, d’ici 2050, la croissance de la population mondiale sera à 98 % issue des pays, aujourd’hui, les moins développés, 38 % pour le continent africain et 51 % pour l’Asie.

Les pays développés atteindront leur maximum en 2030 avec 1,2 à 1,3 milliard d’habitants avant de décliner. Leur population représentait le tiers de la population mondiale en 1950 ; aujourd’hui, environ 20 %. En 2050, ce taux ne sera plus que de 13 %. L’Europe, en cent ans, verra son poids passé au sein de la population mondiale de 20 à 7 %. L’érosion de la France est plus mesurée car sa population passera de 1,6 % à 0,8 % de 1950 à 2050.

Ce vieillissement se traduit également par l’augmentation de l’âgé médian, (l’âge qui divise en deux parties égales la population, la moitié a plus que cet âge et donc la moitié a moins que cet âge) qui passera de 28 ans aujourd’hui à plus de 38 ans en 2050 à l’échelle mondiale.

Pour les pays développés, l’âge médian qui était de 29 ans en 1950 atteint déjà, aujourd’hui, 38 ans. Il atteindra près de 46 ans en 2050.

Les pays d’Asie connaissent une évolution comparable. Ainsi, l’âge médian était de 22 ans en 1950 ; il est, en 2009, de 28 ans et atteindra 40 ans en 2050. L’Afrique n’échappera pas à ce vieillissement. Du fait du démarrage tardif du processus de transition démographique, l’âge médian est resté constant sur ce continent, de 1950 à aujourd’hui, autour de 19 ans mais il devrait atteindre 28 ans en 2050.

Du fait du maintien d’un fort volant d’immigration et d’une natalité plus dynamique, l’âge médian serait, en Amérique du Nord, de 41 ans en 2050 contre 47 ans en Europe.

Quelles sont les facteurs qui aboutissent à une inversion des flux démographiques. Pourquoi autour des années 2050, la population humaine se stabilise voire décline ?

En termes de flux, l’obtention du pic démographique en 2050 s’explique par la baisse du taux de fécondité qui serait inférieur à 2,1, le seuil de renouvellement des générations, sur tous les continents à l’exception de l’Afrique. A partir ce moment là, le non remplacement des générations aboutit après un certain temps de latence liée à l’allongement de la durée de vie et à un effet masse, à une baisse de la population. En effet, la population se met à diminuer à partir du moment où le nombre de morts sur un territoire donnée est supérieure sur l’année au nombre de naissances et au nombre de personnes qui ont choisi de s’installer sur le territoire en question. Même si le taux de fécondité descend en-dessous de 2,1, la population peut continuer à augmenter du fait que des générations peu nombreuses arrivent en fin de vie et que des générations nombreuses sont en pleine période de procréation. De même, les gains d’espérance de vie conduit à freiner la mortalité en retardant l’arrivée de la faucille. C’est pour ces raisons que la démographie est souvent comparée à un tanker. Les évolutions sont lentes à se dessiner mais sont prévisibles longtemps à l’avance.

La chute du taux de fécondité est impressionnante. Il était de 5 en 1970 et n’est plus, en 2009, que de 2,6, une division par deux en 40 ans, essentiellement le résultat s’un alignement des pays asiatiques et d’Amérique latine sur les standards européens.

La fin du péril jeune

Le premier effet visible de la baisse de la fécondité est la diminution du nombre de jeunes. Ce nombre se stabilise à l’échelle mondiale et a déjà commencé à décliner dans les pays occidentaux. Ainsi, les 0/14 ans passeraient de 207 à 190 millions dans les pays développés d’ici 2050.

Moins de jeunes aujourd’hui, c’est automatiquement, moins d’actifs demain. Leur nombre commencera à décroître, au niveau mondial, à compter de 2045.

Pour l’Europe, le déclin s’est déjà amorcé au point qu’en 2050 il y aura moins d’actifs qu’en 1950. Les Etats-Unis ne connaitraient pas cette évolution du fait de leur taux de fécondité et du maintien d’un haut niveau d’immigration.

Les deux grands réservoirs en termes de force de travail demeurent l’Asie et l’Afrique. En Asie, d’ici 2045, la population active augmenterait d’un milliard. En Afrique, le nombre de personnes en âge de travailler serait multiplié par deux soit un gain de 800 millions. Les actifs occidentaux ne représenteront plus que 12 % des actifs mondiaux contre 20 % en 2008 et 27 % en 1980.

Du fait des effets de masse et de décisions politiques prises il y a un demi-siècle (un enfant par couple en Chine), le vieillissement de la population ressemble à une vague qui frappera tous les continents, elle sera plus ou moins haute mais elle touchera toutes les rives.

Le monde comptera alors plus de 2 milliards de personnes âgées de plus de 60 ans. 80 % des seniors vivront dans des zones qui jusqu’à maintenant étaient considérées comme pas ou peu développées. Près des deux tiers des personnes âgées vivront en 2050 en Asie.

Effet de masse, les fortes naissances des années quatre-vingt donneront d’importantes légions de retraités dans les années 2050. Mais cette mutation est évidemment, en grande partie, liée à l’extraordinaire progression de l’espérance de vie à l’échelle mondiale qui est passée de 20 ans en 1950 à 66 ans en 2008. Ce triplement de l’espérance de vie est le résultat de gains obtenus en fin de vie. Le recul de la barrière de la mort n’a pas atteint sa limite. Il y a encore quelques années, il était admis que les centenaires resteraient des exceptions. Or, aujourd’hui, cette frontière mythique est de plus en plus souvent atteinte et dépassée. La France comptait environ 200 centenaires en 1950, ils sont plus de 14 000 en 2009 et devraient être plus de 30 000 en 2050. La nouvelle barrière ou plutôt porte se situe maintenant autour de 120 ans.

Le cap de 2050 nous emmène donc vers des terres inconnues du moins à l’échelle notre histoire contemporaine, celles d’une terre peuplée de personnes âgée, avec moins de jeunes, moins d’actifs et à terme avec moins d’humains. A l’exception des périodes des grandes guerres mondiales, des grandes épidémies, sur longue période, le nombre d’humains n’avait pas cessé d’augmenter.

Cette baisse attendue de la population mondiale n’est que le produit de décisions individuelles liées à des choix de vie, à des contraintes financières, à des contraintes de logement. Les facteurs sociologiques, la soif de liberté, la soif d’accéder à un certain standard de niveau de vie ont eu raison des propensions natalistes étatistes, idéologiques ou religieuses. La concurrence entre plusieurs communautés en guerre ou en opposition peut retarder mais pas indéfiniment la baisse du taux de fécondité. Ainsi, le taux de fécondité des Palestiniens tend à décliner et à se rapprocher de celui des Israéliens qui a, certes, augmenté ces dernières années en relation avec une immigration en provenance d’Afrique.

La fécondité évolue au même rythme que l’urbanisation de la population. Plus de trois terriens sur quatre vivront en milieu urbain d’ici 2050. Cette urbanisation se traduit par des changements de structures économiques et sociales importantes qui ont un impact direct sur la démographie ; sachant que bien souvent c’est l’absence de débouchés, de travail qui a incité les habitants des campagnes à émigrer vers les villes.

Le vieillissement touchera donc tous les pays dont certains devront dans des délais très courts mettre en place des systèmes d’assurance et de solidarité. Dans les pays à dominante rurale, comme cela était le cas en France jusqu’au 19ème siècle voire dans la première partie du 20ème, les personnes âgées étaient prises en charge par leurs familles et les plus démunis par les hospices. Cette solidarité traditionnelle a cessé avec l’industrialisation et l’urbanisation des économies. Les liens entre les familles se sont relâchés avec l’urbanisation ne permettant plus une gestion en interne de la dépendance qui autrefois était une période courte de la vie. Surtout, la période entre la cessation d’activité et la mort n’était que de quelques années ; maintenant, en moyenne, nous comptons en décennies. Cette révolution oblige et obligera les Etats, les actifs à consacrer une part croissante de la richesse produite à financer les personnes à la retraite.

Si depuis 1950, la proportion des seniors par rapport à la population active, au niveau mondial, était restée constante autour de 10 % ; ce taux dépassera 25 % en 2050.

En Europe, ce taux sera de 50 % ; c’est-à-dire deux actifs pour une personne de plus de 65 ans.

Les Etats-Unis du fait de l’augmentation de leur population active (immigration et taux de fécondité élevés) sont moins touchés que les autres pays anciennement industrialisés. Les pays les plus touchés par le vieillissement sont l’Allemagne, le Japon et la Russie. La France tout comme la Suède ou le Royaume-Uni sont dans une situation intermédiaire.

Les pays émergents ne peuvent pas se réjouir des déboires des pays occidentaux. Les quatre pays Brésil, Russie, Inde et Chine cumuleront 45 % de la population mondiale de 65 ans en 2040. La question est de savoir s’ils auront d’ici là mis en place un système de retraite performant.

Paupérisation par le vieillissement de la population

Durant de nombreuses décennies, la forte croissance de la population de moins de 18 ans constituait un handicap pour le décollage des pays dits en développement. Plus de bouches à nourrir constituait un frein pour le développement. Les thèses malthusiennes ont longtemps régné en maître même si, bien souvent, ce sont des peuples jeunes qui ont permis de réaliser des sauts économiques de grande ampleur. Le décollage industriel du Royaume-Uni ou de l’Allemagne s’accompagne d’une forte natalité et d’une baisse de la mortalité infantile. Ces deux pays tout en s’industrialisant ont également été des pays d’émigrants à destination des Etats-Unis. La France n’a pas bénéficié du même élan du fait de la Révolution et des guerres qui en ont résulté et du fait d’une baisse très précoce de la natalité. Il n’en demeure pas moins que la France atteint son apogée au moment où elle est la puissance démographique la plus importante en Europe, c’est-à-dire entre le règne de Louis XIV et Napoléon 1er.

Avec le vieillissement accéléré de la population mondiale, des économistes considèrent que nous sommes face à un réel risque d’appauvrissement. Le taux de croissance potentielle, celui que doit connaître un pays en dehors des chocs conjoncturels, devrait baisser du fait de la baisse de la population active.

L’accroissement du nombre des inactifs nécessitera pour maintenir le pouvoir d’achat un choc de productivité. A défaut, de gains de productivité et sans apport extérieur de population, il y aura automatiquement une baisse de PIB.

Une étude de l’ONU reprend cette analyse et considère que d’ici 2050, une perte de 6,6 points du PIB par habitant est probable. Pour l’Europe, le manque à gagner serait de 18 % soit une perte de 0,3 à 0,4 % par an et par individu. Pour l’Amérique du Nord, le coût serait de 9 % soit une perte par an et par habitant de 0,2 %.

Pour le Japon, la chute pourrait être très importante, 30 % soit 0,6 % par an et par habitant. Le Japon pourrait, sans le savoir réellement, s’être engagé dans ce processus de repli depuis vingt ans.

La Chine connaîtrait une contraction comparable à celle de l’Europe. En l’état actuel, seuls l’Inde et l’Afrique seraient gagnantes.

La conséquence est une modification en profondeur de la géographie économique. Le poids de l’Europe reculerait de près de 12 points dans le PIB mondial quand celui des Etats-Unis augmenteraient de 4 points et celui de l’Asie de 8 points. L’Afrique sauf inversion économique majeure ne verrait son poids s’accroître que d’un point.

En Asie, le poids économique du Japon sera divisé par deux passant de 10 à 5 % du PIB mondial de 2005 à 2050 quand sur la même période la Chine passera de 12 à 18 %. L’Inde qui pèse 5 % du PIB mondial devrait atteindre 9 % en 2050.

Les Etats-Unis devraient résister économiquement du fait de leur fort taux de fécondité et de l’immigration. Le PIB par habitant d’ici 2050 devrait croître au-dessus de la moyenne mondiale à la différence de l’Europe.

Pour contrecarrer ce mouvement, les deux solutions sont l’augmentation de la population active à travers soit l’immigration, soit à travers le recul de l’âge de départ à la retraite ou l’accroissement de la productivité.

Un rebond démographique n’aura des effets qu’à vingt ou trente ans, c’est-à-dire autour de 2050 et ne saurait donc être intégré dans une analyse centrée sur les années 2010/2050. Par ailleurs, il est peu probable qu’à l’échelle internationale une nouvelle explosion démographique survienne.

Le défi technologique est donc crucial tant pour financer le surcroit de dépenses que génèrera le vieillissement de la population (urbanisme, retraite, santé, dépendance) mais aussi pour faire face à la diminution de la population active. Bien évidemment, ce défi s’impose à nous afin de limiter l’impact environnemental de notre développement.

Avec le Japon, l’Europe est la zone la plus concernée par le phénomène du vieillissement. Il est à remarquer que la stagnation économique a frappé en premier les pays en mal avec leur démographie (stagnation du Japon depuis le début des années quatre-vingt-dix, croissance lente de l’Europe depuis de nombreuses années). L’Europe a connu un décrochage manifeste dans les années quatre-vingt dix qui s’est traduit par un recul relatif plus rapide de son PIB que celui de sa population (par rapport respectivement au PIB et à la population mondiale). Le décrochage est intervenu tant dans l’Europe de l’Ouest que dans l’Europe de l’Est même si dans cette dernière zone il est nettement plus marqué.

Les tenants de la décroissance devraient réfléchir. Premièrement, en période d’expansion démographique, la croissance doit être suffisante pour maintenir le PIB par habitant. En période de déclin démographique, le taux de croissance potentielle aura tendance à décroître. Il faudra alors que sa diminution soit moins rapide que celle de la population faute de quoi, là encore, le PIB par habitant se contractera.

Le phénomène du vieillissement sera au cœur de l’actualité européenne durant plus de trois décennies. En effet, l’Europe se caractérisera par une forte progression de sa population âgée voire très âgée et par une contraction de sa population active. Les plus de 75 ans représenteront plus de 14 % en 2050 et les plus de 65 ans plus de 26 %.

Demain, trop ou pas assez d’épargne ?

La crise de 2007/2008 s’est caractérisée par l’insuffisance de l’épargne américaine et a abouti à la croissance rapide de l’endettement public. Les pays émergents autrefois créditeurs sont devenus les créanciers du monde occidental. Avant de crier à la faillite des pays anciennement industrialisés, il faut savoir garder raison en soulignant que le montant des actifs accumulés dépasse de loin le montant des dettes. Nous sommes engagés dans un phénomène de rééquilibrage. Il est certain que sur le long terme, les pays occidentaux devront mobiliser une partie plus importante de leurs richesses pour financer leurs dépenses sociales qu’elles soient prises en charge à travers des mécanismes publics ou privés. La tendance devrait aboutir à une consommation plus rapide de l’épargne sous réserve évidemment du niveau de la croissance.

Au niveau des individus, logiquement, les capacités d’épargne varient en fonction de l’âge. Le schéma classique s’articule en trois temps : période d’endettement en début de vie active, constitution d’une épargne dans une seconde partie de la vie active puis désépargne en fin de vie.

Or, ce schéma ne s’applique qu’imparfaitement à la France où le taux d’épargne atteint un maximum autour de 75 ans. Cette spécificité provient sans nul doute de la qualité du système de retraite et de la chute de la consommation qui intervient après 70 ans. Avec la baisse du taux de remplacement prévue dans les trente prochaines années, le taux d’épargne des seniors devraient baisser. Par ailleurs, le maintien en bonne santé des personnes âgées pus longtemps devrait favoriser la consommation.

Aux Etats-Unis, le taux d’épargne chute dès 55 ans et plonge autour de 65 ans du fait que la baisse des revenus est beaucoup plus importante au moment de la cessation d’activité. De ce fait, il est probable que le taux d’épargne des retraités français diminue à compter de 2020/2030.

En réalisant des projections à l’échelle des pays industrialisés (source ONU et Banque Mondiale), le processus de désépargne pourrait porter sur 15 points de PIB d’ici 2050. Selon le même principe et en prenant en compte en fait que les systèmes de retraite sont moins développés, le poids de l’épargne des pays émergents diminuerait de 10 points d’ici 2050. Ce dernier résultat est difficile à appréhender car il faut considérer l’impact de la croissance de ces pays.

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