Entreprise, aimer ne suffit pas !

28/08/2014, classé dans

Manuel Valls aime les entreprises. Après la période de la finance honnie, c’est l’époque des épanchements amoureux avec les entreprises. La passion peut être dangereuse car, c’est bien connu, elle rend aveugle.

Avec un chômage qui progresse à toute vitesse, plus de 500 000 demandeurs d’emploi supplémentaire depuis le mois de mai 2012, les pouvoirs publics s’en remettent au secteur marchand pour sauver ce qui est possible de l’économie française. Depuis dix ans, cette dernière a subi une désindustrialisation sans précédent avec, en parallèle, la progression du déficit commercial. Le secteur du bâtiment et de la construction qui a, en partie, compensé le déclin industriel, avec une chute des permis de construire et des mises en chantier, a basculé dans une violente crise obligeant les pouvoirs publics à recourir aux expédients habituels. Les services ne sont pas également à la fête. Le tourisme souffre de la digitalisation de l’activité et de l’économie du partage en vertu de laquelle chacun d’entre nous peut se transformer en petit hôtelier sans en supporter les charges. Les banques et les assurances doivent également faire face à un contexte financier tendu et à l’émergence de nouveaux modes de consommation par Internet. Comme les crédits publics s’épuisent pour financer des contrats aidés, le Gouvernement s’en remet donc au secteur privé.

Est-ce que l’amour suffira aux entreprises pour investir et embaucher ? Pas certain, certes, il vaut toujours mieux être aimé que détesté. Certes, les plus belles passions naissent des haines les plus fratricides.

La reconnaissance d’une crise structurelle née des rigidités et du poids croissant du secteur public constituent en soi une petite révolution. Au-delà des mots, cet amour doit déboucher sur des actes ; le risque est grand d’en rester aux incantations. D’ici les élections locales de 2015 et l’engagement de la campagne présidentielle en 2016, il reste un an utile pour mener des grandes réformes qui, par ailleurs, n’ont pas, toutes, vocation à faire plaisir au patronat qui est bien souvent, en France, de nature conservatrice.

Cinq axes pourraient être retenus.

La réforme des cotisations sociales. Il faut en finir avec le bricolage des exonérations de charges sociales qui s’empilent. Le système est tout à la fois incompréhensible, injuste et inefficace. Il crée des effets de seuils n’incitant pas les employeurs à augmenter leurs salariés ou à les promouvoir. La conséquence est la création d’une chape de plomb au-dessous de laquelle se situe un nombre croissant d’actifs dont les salaires évoluent entre 1 et 1,6 fois le SMIC. Afin de simplifier le maquis des cotisations sociales, il conviendrait d’instituer un abattement à la base applicable à tous les salariés. Ainsi, par exemple, les 500 premiers euros de salaire seraient exonérés de charge. Il n’y aurait plus d’effet de seuil. Le système de cotisations serait légèrement progressif. Cette proposition a été faite par Bernard Bruhnes qui avait été conseillé du Premier Ministre Pierre Mauroy mais aussi par Hervé Novelli, Ministre des PME sous Nicolas Sarkozy et de tendance libérale.

Remettre en cause les oligopoles. Le débat sur les professions réglementées, notaires, expert-comptables, pharmaciens… occulte celui sur les oligopoles. La France, à la recherche de champions nationaux, a souvent favorisé l’émergence d’oligopoles voire de monopoles. Il en résulte des surcoûts pour les consommateurs. Si le débat en matière de téléphonie mobile est bien connu, il l’est moins en matière de grande distribution ou de banques. Ainsi, quatre centrales d’achat sont à la base de 70 % du commerce en France. Cinq grandes banques captent une part importante du marché. Il n’y a presque plus de banques régionales contrairement à l’Allemagne. Il en est de même pour l’assurance. En matière de transport que les entreprises soient publiques comme la SNCF ou privées comme Air France, les pouvoirs publics ont favorisé le statuquo en matière de concurrence même si les règlements européens prônent l’inverse. La tentation du champion national provient de la volonté de créer des entreprises capables de rivaliser au niveau européen ou au niveau mondial. Pour certains secteurs, cela s’est révélé exact mais le consommateur en a payé les frais sans pour autant que des créations d’emploi soient au rendez-vous. Les pouvoirs publics s’honoreraient à aller à l’encontre des oligopoles. Ils pourraient soit faciliter l’accès de nouveaux acteurs, soit les couper en plusieurs entités comme cela a été réalisé dans les années soixante au Etats-Unis avec les compagnies de téléphone.

Favoriser les fonds de pension et les trustee. La France souffre d’un double problème, la faiblesse des fonds propres des entreprises et le déficit récurrent de son assurance-vieillesse. L’épargne demeure investie dans des produits sans risque et peut en phase avec le financement des entreprises. Par ailleurs, les gouvernements de droite ou de gauche gèrent la question des retraites en acceptant insidieusement la baisse du taux de remplacement des pensions. Sur le modèle allemand, il serait opportun de généraliser pour l’ensemble des actifs la création de compléments de revenus par capitalisation avec une option « dépendance ». Ces fonds de pension devraient être cogérés comme l’épargne salariale par les partenaires sociaux Aujourd’hui, les grandes entreprises financent les retraités étrangers et sont contraintes pour attirer des capitaux qu’elles ne trouvent pas sur le sol national de verser des dividendes importants. En créant des fonds de pension, les futurs retraités français bénéficieraient de la croissance de l’économie mondiale tout en contribuant à financer les entreprises nationales. Par ailleurs, pour faciliter les transmissions d’entreprise qui sont amenées à se multiplier dans les prochaines années, l’instauration d’un véritable statut du trust serait un réel progrès. Les propriétaires d’entreprise devraient pouvoir transférer, en franchise fiscal le capital de leur entreprise  à des trustees permettant de régler les successions en douceur. La fiscalité actuellement en vigueur favorise les cessions à des grands groupes souvent étrangers avec à la clef des destructions d’emplois et de valeur.

Améliorer l’image de la France. La France a besoin de capitaux étrangers tant pour financer la dette que l’investissement des entreprises. Or, aujourd’hui, du fait d’une image dégradée, la France recule d’année en année pour l’accueil des investissements directs étrangers. Les 35 heures et le taux d’impôt sur les sociétés élevé comme le débat de la taxe de 75 % ont contribué à cette situation. Aujourd’hui, la fiscalité, c’est avant tout de la communication. La France se doit d’avoir un régime fiscal en phase avec l’air du temps. Il faut abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés autour de 28 % le plus tôt possible avec le cas échéant un élargissement de l’assiette. De même, il faut faire de même pour l’impôt sur le revenu. Il faudrait revenir à un taux de 40 %. Il est assez surprenant d’avoir des taux marginaux de 41 voire de 45 % avec des taux moyens d’imposition de 20 % voire moins pour les contribuables les plus aisés. Les 35 heures renvoient l’image d’un pays qui ne travaille pas ; ce qui est faux dans la réalité et dans les statistiques mais les symboles ont la peau dure. Il faut inverser la charge en fixant le temps de travail à 39 ou 40 heures mais en encourageant les partenaires sociaux de négocier des accords en-dessous. Il est certain qu’une augmentation du temps de travail aiderait les PME qui n’ont pas les moyens de jongler avec l’annualisation du temps de travail.

Créer une cogestion à la Française. La France n’en finit pas d’être hantée par la guerre des classes sociales, d’un côté les ouvriers ou les employés, de l’autre les chefs d’entreprise ou les cadres supérieurs. Cette opposition stérile est alimentée par les deux bords. Le patronat juge les syndicats irresponsables quand ces derniers ne veulent en aucun cas aider les premiers à s’enrichir. Il faut sortir par le haut de cette confrontation. Les salariés devraient avoir le tiers des sièges dans les conseils d’administration afin d’être informés et de participer à l’élaboration des stratégies des entreprises. La cogestion fonctionne en Allemagne ; pourquoi pas en France ? Pour l’épargne salariale, des représentants des syndicats siègent, au côté des dirigeants ; dans les fonds communs de placement qui gèrent les titres d’entreprise. En règle générale, cela se passe très bien. Même au sein des comités exécutifs, il ne serait pas superflu que des représentants des syndicats puissent être présents. Cette révolution aurait un fort impact pédagogique et modifierait dans la durée les relations sociales.

Pour sortir des ornières de la crise, il convient de bouger les lignes, d’oser changer de modèle au risque de se tromper. La France s’est endormie à force d’appliquer dans tous les domaines le principe de précaution. Du Consulat à 1958, les réformes de structures sont réalisées sur des périodes courtes avec un engagement total des pouvoirs publics. De la refondation juridique de la France à l’ouverture à l’Europe en passant par la réalisation du Paris moderne sous Haussmann, les pouvoirs publics avaient décidés d’être agiles et mobiles.

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