Attention aux voies sans issue

06/10/2014, classé dans

La croissance, c’est de l’emploi, du capital et du progrès technique. Nous ne manquons ni de travail, ni de capital. En ce qui concerne le progrès technique, nous sommes schizophrènes. Nous ne sommes pas les derniers à acquérir les dernières nouveautés tout en mettant en avant, à tort ou à raison, le principe de précaution.

Notre défaut de croissance mine les structures de la France. Malgré nos indéniables atouts, la France est encalminée dans une stagnation. L’insuffisance de l’investissement, la faiblesse des gains de productivités minent ns capacités de rebonds.

Les pouvoirs publics et les organisations patronales partagent le constat et même si les discours sont différents s’accordent sur la solution, la diminution des coûts salariaux. En effet, si la France perd des parts de marché, si la France est confrontée à un chômage de masse, la faute en revient à la faible compétitivité des entreprises françaises.

Pour redonner de l’air aux entreprises, il faut donc réduire les coûts et accroître la flexibilité. Evidemment, que cette politique peut déboucher sur des résultats. Mais, n’est-ce pas une victoire à la Pyrrhus à laquelle nous nous préparons ? Cela fait plus de vingt ans, que de manière plus ou moins continue, la France pratique cette politique de la chasse aux coûts. Depuis 1993, avant même l’instauration des 35 heures, les gouvernements ont entrepris d’alléger les charges sociales sur les bas salaires. Cet allègement vise à rendre plus rentable l’emploi d’actifs à faibles qualifications. Cette politique s’est amplifiée avec la réduction du temps de travail au point de représenter plus de 30 milliards d’euros soit plus du tiers de notre déficit public. Les femmes et hommes politiques de droite comme de gauche ont choisi cette solution de facilité car elle est censée avoir des effets rapides sur la courbe du chômage. La multiplication des emplois aidés obéit à la même logique. Pour compenser la faible employabilité, il n’y a pas d’autres solutions que de réduire le coût du travail. C’est la reconnaissance d’une défaite pour l’économie française et pour le système de formation.

La réduction des charges sur les bas salaires a deux inconvénients majeurs. Elle conduit à spécialiser notre économie sur des produits à faibles marges à la différence des Allemands qui ont privilégié le haut de gamme. Elle crée, en outre, une chape de plomb ; les salariés français sont cantonnés dans des emplois à faibles qualifications et à faibles rémunérations. Les effets de seuils freinent considérablement les évolutions professionnelles. Est-il logique que la France ait deux fois plus d’emplois sous qualifiés que l’Allemagne ? Sommes-nous aussi mal formés que cela ? Je ne le crois pas !

Nous nous trompons de combat. Le concurrent du salarié français n’est pas le Chinois, le Roumain ni même le Polonais. Le concurrent se situe dans des pays à même niveau de vie et à même niveau de productivité. Il est Allemand, Suédois, Américain, Anglais ou Italien. Nous devrions, par ailleurs, moins guerrier et utiliser le terme de partenaire. L’économie n’est pas une série de bataille mais une somme de contrats gagnant / gagnant.

Par rapport à nos partenaires, sommes-nous réellement pénalisés par nos coûts salariaux ? C’est loin d’être évident. Le salarié français coûte cher, c’est un fait mais aussi cher qu’un Belge ou un Suédois. Il est moins cher qu’un Allemand dans l’industrie et plus cher dans les services. Les écarts ne sont pas suffisants pour expliquer à eux seuls notre panne économique. Est-ce que nous ne travaillons pas assez ? Là également, la réponse n’est pas évidente. En comptabilisant l’ensemble des actifs, le nombre d’heures travaillées est, en France, supérieure à celui de l’Allemagne. A ce titre, en zone euro, le pays dont le nombre d’heures du travail est le plus élevé est la Grèce or, nul ne prétend que ce pays est un exemple à suivre. Il faut évidemment relier durée du travail et productivité.

Le droit du travail français est-il aussi destructeur de richesses que certains le prétendent ? Nous n’avons pas l’exclusivité de la question. En Allemagne, en Italie, au Japon, la question des rigidités du droit du travail est également un débat. En France, les entreprises ont contourné les rigidités en recourant aux contrats à durée déterminée, à l’intérim voire aux auto-entrepreneurs. Plus de 80 % des embauches s’effectuent, actuellement, en CDD. La France est un des rares pays où le poids des travailleurs non-salariés s’accroît. Les fameux seuils de 50 et 100 salariés sont plus psychologiques que réels car les obligations sociales qui y sont associées s’appliquent de manière progressive.

Pour améliorer la compétitivité des entreprises, la baisse des salaires est plus ou moins prônée que ce soit directement ou indirectement avec l’allongement de la durée du travail. Or, s’engager dans cette voie serait contreproductif. En effet, au-delà de l’effet sur la motivation des salariés, une telle pratique occasionnerait une chie de la consommation qui représente plus des  du PIB français. Il y aurait une auto-alimentation de la crise avec des gains à court terme mais certainement à long terme. Les salaires nets sont, en France, déjà nettement inférieurs à ceux versés en Allemagne ou dans les pays d’Europe du Nord. Faut-il jouer sur les charges et les prélèvements ? La France est, en matière de prélèvements obligatoires, quatre points au-dessus de la moyenne européenne. Mais, en la matière, il faut être prudent avec les comparaisons. La classification des impôts et des cotisations diffèrent selon les pays. Ainsi, les cotisations pour les régimes de retraite complémentaire sont des prélèvements obligatoires quand les cotisations aux régimes supplémentaires allemands ne le sont pas. Par ailleurs, en France, certaines dépenses, en particulier dans le domaine de l’éducation, de la formation, de la santé relèvent de la sphère publique quand dans d’autres pays cela n’est pas le cas. Les dépenses publiques sont, dans notre pays, importantes car le poids des services publics est élevé.

Au lieu de focaliser le débat sur la question des coûts et des heures de travail, plus d’énergie devrait être consacrée à la question du positionnement des entreprises françaises, de l’investissement ou de l’innovation.

Si les entreprises françaises enregistrent de mauvais résultats, notamment à l’exportation, cela est dû à leur positionnement. Il faut chercher des marchés en cohérence avec nos coûts de production ce qui suppose au préalable un effort d’investissement. Or, il diminue dangereusement depuis plusieurs années. Il serait certainement plus efficace, à moyen terme, d’affecter tout ou partie des 17 milliards d’euros d’allègements de charges sur l’innovation, les infrastructures et l’investissement. En termes de messages, il serait plus motivant et mobilisateur de se battre pour positionner un plus grande nombre d’entreprises sur le haut de gamme que de renier les coûts. S’il y a un combat à mener à Bruxelles, c’est celui de l’engagement d’un plan en faveur de la recherche en s’inspirant du plan Eureka initié, en son temps, par François Mitterrand.

Il faut également sortit des chemins battus en matière de charges sociales. Pour réellement en finir avec la question des exonérations de charges, ne faudrait-il une fois pour toute clarifier leur mode de calcul. En lieu et place des allégements sur les bas salaires, ne faudrait-il pas créer comme le souhaitait Bernard Bruhnes, ancien conseiller de Pierre Mauroy et Hervé Novelli, ancien Ministre dans le Gouvernement de François Fillon, un abattement de charges sur 500 premiers euros. Un tel abattement favoriserait les bas salaires sans pour autant générer d’effets de seuils. Pour éviter des effets d’aubaine, il conviendrait de prévoir un dispositif spécifique pour le travail à temps partiel et l’intérim. De même, il conviendrait comme cela est promis d’élection en élection d’effectuer un tri entre ce qui relève des cotisations sociales et ce qui est de la sphère fiscale. Les dépenses familiales et les dépenses maladie n’ont pas à relever des cotisations sociales.

Le Gouvernement devrait sans nul doute trouver des solutions au développement du travail détaché qui occasionne des licenciements dans les secteurs du bâtiment et du tourisme. Il devrait demander à la Commission de Bruxelles de réfléchir à l’instauration d’un régime de cotisations spécifiques pour les travailleurs détachés. Toute entreprise faisant travailler des salariés, de manière détachée, devrait acquitter des cotisations qui seraient non celles du pays d’origine, ni celles du pays d’accueil mais des cotisations fixées par l’Union européenne qui répartirait les sommes collectées entre les régimes sociaux concernés. Un tel système permettrait de compenser les différences de charges sociales et serait l’amorce d’un régime social européen.

La politique économique française a toujours eu tendance à être régressive. La France a toujours éprouvé à s’adapter dans les périodes de mutations rapides. Cela fut le cas au début de la première révolution française et à la fin du 19ème siècle où le protectionnisme avec les tarifs Méline était censé protégé notre économie. Les phases d’ouverture, de participation volontariste au progrès sont rares et ne se font pas sans résistance. Il en a été ainsi sous le Second Empire ou de 1958 aux années 70. Les pouvoirs publics devaient faire face aux corporatismes et aux conservatismes car il y avait un large consensus pour aller plus haut, plus loin. Ce qui manque à la France aujourd’hui, c’est peut-être l’ambition !

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