Transition énergétique, la nouvelle frontière

04/02/2023, classé dans

Le premier choc pétrolier a 50 ans. En 1973, les pays de l’OPEP emmené par l’Iran et l’Arabie Saoudite utilisèrent le prétexte de la guerre du Kippour contre Israël pour multiplier par quatre le prix du baril. Depuis plusieurs années, les pays arabes, emmenés par l’Iran avaient décidé de prendre le contrôle du marché pétrolier que ce soit à travers la fixation des prix ou par la nationalisation des gisements. L’augmentation de l’inflation en Occident justifiait à leurs yeux une hausse du prix du pétrole. Le deuxième choc est lié à la chute du Shah d’Iran en 1979 et à la prise du pouvoir dans ce pays par les mollahs. Le retrait d’un des plus importants pays exportateurs a contribué au triplement du prix du baril. Les pays pétroliers souhaitaient également réagir à la forte dévaluation du dollar qui minait leurs revenus. Ce deuxième choc s’est achevé en 1986 avec le premier grand recul du prix du baril depuis 1973, recul provoqué par l’arrivée sur le marché de nouveaux producteurs (Nigéria, Angola, Venezuela, etc.). Ce phénomène se reproduira en 2015 avec l’essor du pétrole de schiste. En 2023, après une remontée des cours générée par la guerre en Ukraine, les prix sont de nouveau orientés à la baisse. Deux écoles se font face. La première prévoit que la transition vers les énergies décarbonées sera rapide et provoquera une baisse de la demande mondiale de pétrole ; la seconde estime que celle-ci continuera à croître en raison des besoins des pays émergents et de ceux de l’Afrique qui connaissent une forte augmentation de leur population. La faiblesse des investissements, ces dernières années, pourrait, en outre, peser lourdement sur l’offre de pétrole favorisant une progression des prix. Le pétrole et le gaz demeurent incontournables comme l’a prouvé la guerre en Ukraine. Avec le charbon, ils représentent plus des quatre cinquièmes de l’approvisionnement énergétique primaire mondial. La croissance de la population mondiale qui devrait atteindre 10 milliards de personnes d’ici la fin du siècle contre 8 milliards en 2022 devrait conduire à une augmentation de la consommation. L’amélioration du niveau de vie au sein des pays émergents et l’essor des classes moyennes à l’échelle mondiale devraient favoriser la consommation. Dans de nombreux secteurs comme le bâtiment ou la sidérurgie, l’énergie carbonée est difficilement substituable à faibles coûts.

Malgré tout, la rente pétrolière pourrait durer moins longtemps que prévu. Sheikh Zaki Yamani, un ministre saoudien du pétrole qui s’est fait connaître en tant que l’instigateur de l’embargo arabe sur le pétrole de 1973 a déclaré que « l’âge de pierre ne s’est pas terminé faute de pierre, et l’âge du pétrole se terminera bien avant que le monde ne soit à court de pétrole ». Il est convaincu que les innovations dans les sources d’énergie et les carburants alternatifs finiront par desserrer l’emprise du pétrole sur l’économie mondiale.

Cette prédiction a pris un tout nouveau relief avec la guerre en Ukraine qui joue le rôle de catalyseur en faveur des énergies renouvelables. Si en 1973, les pays occidentaux ont découvert le pouvoir dont disposait les pays de l’OPEP, ils s’en sont vite accommodés en exportant des biens d’équipement, de consommation ainsi que des armes tout en recyclant les flux financiers dont ces derniers ont bénéficié grâce à l’augmentation des prix du pétrole. Avec la Russie, l’affaire est tout autre du fait que ce pays dispose d’une force militaire conséquente. Ses intérêts sont divergents de de ceux des pays de l’OCDE. De siècle en siècle, ce pays craint l’encerclement tant physique qu’intellectuel. Au temps de Napoléon, le Tsar défendait le maintien de monarchies et voulait lutter contre « l’esprit des Lumières ». Le régime soviétique avec le rideau de fer souhaitait un développement autocentré, l’idée de l’exportation de la Révolution ayant été vite oubliée. L’ouverture sur l’Ouest après la chute de l’URSS a été courte. Elle s’est progressivement refermée à partir de l’accession de Vladimir Poutine en 1999 avec une critique de plus en plus affirmée des valeurs occidentales. Face aux menaces des pénuries de pétrole et de gaz, la Commission européenne et les États membres de l’Union européenne ont adopté des politiques de développement des énergies renouvelables. Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), le pic de consommation de pétrole et de gaz pourrait intervenir entre 2030 et 2040. Après ce pic, la demande en pétrole ou en gaz baissera-t-elle lentement ou rapidement ? Pour Bill Gates, la décarbonation des activités économiques passe par une grande variété de solutions dont la capture des gaz à effet de serre. Il serait, selon lui, illusoire de penser qu’il sera possible de supprimer le pétrole et le gaz du mix énergétique. John Kerry, l’envoyé spécial du président américain pour le changement climatique, considère que la réduction des émissions de CO2 sera réalisée grâce à de nouvelles technologies. Ses dernières déclarations ont été vertement condamnées par Greta Thunberg. Avec d’autres experts de l’environnement, elle pense que la lutte contre le réchauffement climatique passe, le plus rapidement possible, par un abandon total des énergies carbonées. Dans cet esprit, Mark Jacobson, un professeur d’ingénierie de l’Université de Stanford – dont les recherches ont été à la base de l’approche politique connue sous le nom de « Green New Deal » – estime que le monde doit s’attaquer de toute urgence aux fléaux connexes du réchauffement climatique, de l’insécurité énergétique et de la pollution atmosphérique locale. Il considère que « nous avons 95 % des technologies dont nous avons besoin déjà disponibles sur le marché ». L’éolien et le solaire sont des énergies compétitives, pouvant s’affranchir de leur caractère aléatoire en produisant de l’hydrogène vert. Leur capacité de production d’ici la fin de la décennie devrait représenter l’actuelle production électrique de la Chine. Des progrès sont réalisés pour le stockage dans des batteries de l’électricité renouvelable. La Californie et l’Australie sont en pointe sur ce dossier.

Le développement des énergies renouvelables au sein des pays de l’OCDE bute  sur les contraintes administratives et les problèmes de compétences. Quand la France a réussi, dans les années 1970 et 1980 à construire des dizaines de réacteurs nucléaires en une décennie, elle a besoin d’une vingtaine d’années pour en construire de nouveaux. La création de parc d’éoliennes donne lieu en France comme en Allemagne ou aux États-Unis à de nombreux recours de la part d’associations de propriétaires ou de défense de l’environnement. Les permis de construire s’accumulent sans déboucher sur un nombre significatif de réalisations. Le rapport serait d’un à huit. Le manque de  main-d’œuvre qualifié freine également les projets. Le secteur de l’énergie est à la recherche de milliers d’ingénieurs et de techniciens.

La vitesse du processus de substitution des énergies renouvelables aux énergies carbonées est insuffisante pour espérer la limitation à deux degrés du réchauffement climatique. L’option de la rupture technologique demeure donc d’actualité. L’espoir d’avancées sur la fusion nucléaire avec le recours à de nouvelles techniques de la part de startup demeure. La création de dispositifs de capture et de séquestration du carbone est également envisagée. Pour obtenir la neutralité carbone d’ici 2050, les besoins en capitaux sont importants. Afin de les attirer, les projets se doivent d’être ambitieux. Les éoliens et le solaire ne sont pas à mêmes à générer des flux suffisants d’investissement. La transition énergétique est la nouvelle frontière du XXIe siècle. Afin d’être atteinte, elle suppose de retrouver l’esprit de pionniers et de s’affranchir des pesanteurs du passé.

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