Réussir le rendez-vous de 2008
A la fin du quinquennat, en 2012, le nombre de personnes de plus de soixante ans sera supérieur à celui des moins de vingt ans. Cet évènement sans précédent dans l’histoire démographique française est la marque d’une véritable révolution, l’allongement de la durée de la vie. Trop souvent, le débat public se limite à la question du papy-boom, miroir du baby boom, ou à la question du financement des retraites à venir ; or l’allongement de la vie a des conséquences sur l’ensemble de la société. Dans les prochains mois, les pouvoirs publics devront effectuer des choix pour rééquilibrer les comptes des régimes vieillesse, mais aussi pour améliorer les conditions de vie des retraités et faciliter la cohabitation d’un grand nombre de générations.
A la question des régimes spéciaux et à celle du rééquilibrage des régimes par répartition s’ajoutent celles liées à la dépendance et à l’emploi des seniors. Il y a aussi la question lancinante de l’irrigation de notre économie en capitaux.
Philippe Crevel
La révolution démographique au cœur du quinquennat
Sous Louis XV, l’espérance de vie ne dépassait pas 35 ans ; la moitié des enfants mourraient durant les premières années de leur vie. Aujourd’hui, l’espérance de vie atteint 77 ans pour les hommes et 83 ans pour les femmes. Chaque année, nous gagnons un trimestre sur la mort. De ce fait, plus de la moitié des jeunes filles qui naissent cette année vivront jusqu’en 2107.
Jusque dans les années soixante-dix, la vie humaine se distribuait en trois périodes de durée inégale, la période de la formation, d’une vingtaine d’années au maximum, qui s’achevait pour les hommes par le service militaire ou par le mariage – la période dévolue au travail qui s’étirait sur quarante ans – puis enfin la retraite, réduite à une petite dizaine d’années. Ce schéma appartient, depuis vingt ans, au passé. Le temps de la formation s’allonge pour tous les jeunes quelle que soit leur origine sociale ; la crise économique les ayant incités à retarder leur entrée dans le monde professionnel. Pour mémoire, en 1936, plus de la moitié des jeunes hommes de 13 ans travaillaient. L’instauration de la retraite à 60 ans et le développement des préretraites à 55 ans, voire avant, ont conduit à raccourcir également la vie active. En 50 ans, elle s’est réduite de 8 ans. La durée de la retraite, sous le double effet de l’allongement de la durée de la vie et de la cessation précoce de l’activité professionnelle, a doublé. De ce fait, si en 1950, la durée de la retraite était, en moyenne, de dix ans, une personne de 37 ans, en 2007, a toutes les chances de connaître une retraite de plus de 23 ans.
Trop souvent, notre regard sur l’avenir des retraites reste fixé sur la ligne bleue du taux de fécondité ; or les incidences de l’évolution de ce dernier qui restent minimes en France sont marginales face au défi du vieillissement de la population. En effet, malgré un taux de fécondité proche du taux de renouvellement des générations, la part des personnes de plus de soixante ans au sein de la population augmentera rapidement pendant les quarante prochaines années. Même la survenue d’un nouveau baby boom ne changerait que faiblement la donne. Seule l’arrivée massive de jeunes actifs issus de l’immigration pourrait modifier la pyramide des âges qui ressemble de plus en plus à une grosse bonbonne.
La situation française diffère de celle qui prévaut en Allemagne ou en Italie, pays qui enregistrent des taux de fécondité de moins d’1,5 pour mille. La population française continuera de croître jusqu’en 2050 ; elle devrait alors atteindre selon l’INSEE, 70 millions d’habitants.
Le problème ne concerne pas que les pays occidentaux. Ainsi, « La Chine va devenir vieille avant d’être riche, au contraire des pays industrialisés » indique un spécialiste de la question, Stuart Leckie, président d’une société de gestion de fonds de Hong-Kong, Stirling Finance. Les plus de 60 ans représentaient 13% de la population en 2005, selon des estimations officielles, soit près de 170 millions de personnes. L’allongement rapide de l’espérance de vie (de 49 ans en 1949 à 71,4 en 2005) couplé à la politique de l’enfant unique et un taux de fertilité tombé à moins de 1,7 expliquent cette situation explosive.
Pour un redécoupage de la vie
Le problème du financement de la retraite n’est donc qu’un des aspects de la mutation que nous allons connaître dans les quarante prochaines années. Une nouvelle gestion des âges s’impose de gré ou de force à nous. La France n’est pas tout à fait consciente de l’ampleur de cette mutation.
Pouvons-nous conserver la frontière des 60 ans quand nos partenaires la reculent au-delà de 65 ans ? Que signifie cette frontière quand elle correspond au deux tiers de la vie humaine ? Pouvons-nous nous satisfaire tant sur un plan individuel que collectif de réduire la vie active à une trentaine d’années soit moins de la moitié de l’espérance de vie moyenne des Français, d’autant plus que les dépenses de santé, les dépenses liées à la dépendance et les dépenses de formation augmenteront ? Il y a des choix de société à opérer, choix qui ne sont pas sans incidence sur notre future croissance. La nouvelle gestion des âges de la vie devrait sans nul doute autoriser un panachage des périodes de formation, de travail ou consacrées à la réalisation de projets personnels. Une vie étirée sur quatre-vingt ans ne peut pas se dérouler comme une vie de cinquante ou de soixante ans.
Vers des familles à quatre générations mais à géométrie variable !
La société a été longtemps un assemblage de trois grandes générations, les petits-enfants, les parents et les grands-parents. Les deux guerres mondiales et les accidents de la vie (automobile, accidents du travail) avaient même au cours du vingtième siècle pour conséquence de restreindre les parentèles à deux niveaux. Au vingt-et-unième siècle, sauf catastrophe, quatre générations seront amenées à cohabiter. Une telle évolution n’est pas sans incidence sur l’organisation des solidarités. La canicule du mois d’août 2003 a démontré tristement que de nombreuses personnes de plus de quatre-vingt ans vivaient coupées du monde. La solitude a été la principale cause de mortalité durant cet été. Dans une société de plus en plus mobile dans laquelle plus d’un mariage sur trois se termine par un divorce, il y a de nouveaux liens sociaux à développer. Entre un adolescent de treize ans et son arrière grand-mère de plus de quatre-vingt-cinq ans dont les enfants et petits enfants auront peut-être divorcé, les relations ne sont pas naturelles. Les familles décomposées et recomposées n’obéissent plus aux vielles solidarités liées à la transmission du capital. Désormais, les enfants héritent à l’âge de la retraite et non plus au cœur de l’âge actif. L’héritage est donc déconnecté de la vie professionnelle ; il devient un élément constitutif de la retraite. Faciliter la donation devient un élément fondamental de la mobilité du capital. La France aurait également tout à gagner à mettre en place une législation favorable au trustee permettant le transfert d’un patrimoine à un tiers, en franchise fiscale, le temps de régler les problèmes familiaux ou lorsque les héritiers ne peuvent ou ne veulent pas assurer sa pérennité et son développement.
Améliorer les petites pensions !
Le nouveau Président s’est engagé à revaloriser les petites pensions comme d’ailleurs l’ensemble des autres candidats. Nul ne pourrait leur reprocher cette promesse qui reçoit l’approbation de 94 % des Français selon le sondage réalisé par l’institut CSA à la demande du Cercle des Épargnants au mois de février 2007. Il faut, en outre souligner que contrairement à certaines idées reçues le montant des pensions reste en France inférieur aux montants des salaires. Ainsi, la pension moyenne d’un homme s’élève à 1455 euros et à 822 euros pour une femme. A ce titre, il faut noter que le prix moyen d’hébergement en maison de retraite avoisine 1500 euros.
Néanmoins, de réels progrès ont été accomplis depuis quarante ans. Ainsi, si en 1970, 27 % des retraités vivaient en dessous du seuil de pauvreté, ils ne sont en 2006 que 4 % selon les statistiques de l’INSEE. Le nombre de personnes bénéficiant du minimum vieillesse est passé de 2,5 millions en 1959 à 600 000 en 2005. Le taux de remplacement pour les salaires modestes est, en France, un des meilleurs de l’OCDE.
Il y a urgence !
Dans les prochaines années, le besoin de financement des seules retraites s’accroîtra irrémédiablement. Aujourd’hui, il représente de 12 à 13 % du PIB ; il devrait d’ici 2050 atteindre 18 % du PIB. Ce calcul ne prend pas en compte la progression des dépenses de santé dont 50 % sont imputables aux personnes de plus de 60 ans. Il faudra trouver pour les seuls régimes spéciaux environ 120 milliards d’euros.
S’ils sont favorables à des mesures de solidarité et à un relatif statu quo, les Français sont de plus en plus inquiets pour l’avenir de leurs pensions (64 % en 2007 contre 61 % en 2006). Ce sont les jeunes actifs et les salariés modestes qui sont les plus angoissés. Pour régler le problème des retraites, les actifs s’en remettent à l’État et à la Sécurité sociale pour 56 % d’entre eux tout en acceptant l’idée d’un système mixte, répartition/capitalisation.
Demain n’attend pas !
Depuis deux ans, la Caisse nationale d’assurance vieillesse ainsi que les deux grands régimes complémentaires que sont l’AGIRC et l’ARRCO enregistrent des déficits. Cette dégradation des comptes est imputable à la cessation d’activité de nombreux salariés de moins de 60 ans ayant cotisé durant 40 ans. Cette disposition de solidarité s’avère pernicieuse car elle conforte l’idée que le départ précoce en retraite est un acquis. Elle ne contribue pas à la remontée du taux d’emploi des 55/65 ans qui est en France un des plus faibles de l’OCDE ; le taux est de 36 % contre au moins 50 % chez nos principaux partenaires. Sur ce sujet, il y a un véritable travail de pédagogie à mener afin que les employeurs et les salariés changent d’attitude. En effet, près de 60 % des Français sont opposés au recul de l’âge légal de départ en retraite à 65 ans quand le Bundestag allemand a adopté un projet de loi le portant à 67 ans.
Le problème n’est pas qu’économique. Le salarié âgé est réputé coûter cher et moins rentable, ce qui reste à démontrer. Le problème est avant tout sociologique. Durant des années, les gouvernements ont tenté de régler le problème du chômage en multipliant les préretraites et en donnant la priorité à l’emploi des jeunes. Cette politique qui a été inefficace en matière de lutte contre le chômage a contribué à discréditer le travail des seniors. L’échec de la taxe Delalande qui visait à pénaliser les entreprises licenciant les salariés de plus de 55 ans a démontré que l’activisme en la matière n’est pas toujours récompensé. Un effort doit être entrepris pour diminuer le coût du travail et pour favoriser l’essaimage à travers le développement des métiers de consultants. Il faut surtout favoriser la retraite à la carte avec des départs progressifs.
« La réforme, toujours…. »
Avec la loi Fillon, la moitié du chemin a été effectuée. L’objectif de l’ancien Ministre des Affaires sociales, devenu Premier Ministre, n’était pas de régler d’un coup de baguette l’ensemble du problème des retraites mais de lancer un processus permettant d’ajuster au fur et à mesure les recettes aux dépenses. Le rendez-vous de 2008 s’inscrit dans ce cadre. Seuls pour le moment les régimes spéciaux échappent au processus d’harmonisation engagé en 2003. La solution qui a été privilégiée par les Gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin a été de transférer la charge des régimes spéciaux au régime général avec le cas échéant le paiement d’une soulte à l’État de la part de l’entreprise concernée. In fine, le contribuable sera amené à financer les régimes spéciaux qui en plus des conditions exorbitantes du droit commun qu’ils offrent à leurs bénéficiaires connaissent de forts déséquilibres démographiques.
Pour en finir avec les régimes spéciaux, créons un régime exceptionnel
Il est à noter que 71 % des Français sont favorables à une suppression des régimes spéciaux et cela quelles que soient leurs sympathies politiques. Néanmoins, les capacités de blocage des professions concernées constituent un frein à l’engagement de réformes en la matière.
L’instauration d’un système à deux vitesses entre le maintien des droits pour les anciens salariés et l’harmonisation pour les nouveaux entrants constitue une solution mais dont les effets ne seront que très progressifs.
L’autre solution serait d’inciter les salariés bénéficiant d’un régime spécial de rentrer dans le régime de droit commun. Un dispositif d’option pourrait être institué ; les salariés acceptant l’harmonisation, pourraient bénéficier d’un supplément de retraite par capitalisation avec un abondement majoré de la part de l’employeur.
Des habits neufs pour l’épargne retraite ?
Si l’instauration d’un système mixte est admise, les mots « fonds de pension » sont toujours bannis du langage politique. La loi Fillon, en 2003, avait, à ce titre, pris le soin de contourner le problème en créant deux produits dénommés Plan d’Épargne Retraite Populaire et Plan Épargne Retraite Collective, le premier appartenant à la famille des produits d’assurance individuelle et le second obéissant aux règles de l’épargne salariale. Pour éviter la création de véritables fonds dotés de la personnalité morale, le Gouvernement a choisi de recourir, en ce qui concerne le produit individuel, à des structures associatives, les Groupements d’Épargne Retraite Populaire. Ces associations assurent des fonctions de contrôle et de surveillance. La création des GERP est une source de complexité et de surcoûts ; rares sont ceux qui remplissent comme le Cercle des Épargnants leurs missions.
La montée en puissance du PERCO est progressive et conforme aux prévisions, celle du PERP est en demi-teinte. S’il a été souscrit par plus de deux millions de Français depuis sa création, l’encours reste modeste et surtout le nombre des nouveaux titulaires se réduit d’une année sur l’autre. Ces résultats, en phase avec ceux enregistrés lors de la création des contrats Madelin il y a une dizaine d’années, sont néanmoins décevants au regard des espoirs que ce produit avait généré lors de son lancement. Du fait d’une moindre communication des banques et des assurances, la notoriété du PERP a baissé selon le sondage Cercle des Épargnants/CSA de 42 à 34 % de 2006 à 2007. De même, l’intention de souscrire un PERP s’élevait au mois de février 2007 à 9 % contre 13 % un an plus tôt. Il souffre d’un désamour, en grande partie injuste, lié à un excès de contraintes.
A la question quel est le point fort du PERP, la réponse « la sortie en rente » arrive en tête. A la question, quelle caractéristique du PERP devrait être, en priorité, réformée, la réponse est « la sortie en rente ». Les Français seraient-ils schizophrènes ou normands ? Si les Français admettent le principe de la rente pour un produit retraite, ils veulent aussi avoir la possibilité de sortir en capital. Certes, le législateur autorise désormais pour le PERP une sortie en capital au moment de la cessation d’activité pour ceux qui souhaitent acquérir leur résidence principale, mais cette ouverture est encore trop modeste.
Comme pour le PERCO, il faudrait instituer une réelle option de sortie en capital. Il conviendrait également de pouvoir associer le PERP à la dépendance. Ainsi, les titulaires de ce produit pourraient déduire de leurs impôts, une partie de leurs cotisations à un produit d’assurance dépendance. En effet, l’autre grand enjeu du vieillissement de la population est la gestion de l’épineux dossier de la dépendance.
Le désintérêt des Français vis-à-vis du PERP s’explique également par leur souhait de bénéficier d’un produit d’épargne retraite mis en œuvre par leur entreprise. Ce désir pose le problème de la généralisation du PERCO dans les PME. La loi sur le développement de la participation et de l’épargne salariale de 2006 encourage la diffusion de ce produit au sein des petites structures. Il n’en demeure pas moins que la complexité de gestion d’un PEE ou d’un PERCO et les coûts qu’ils génèrent rendent sa diffusion difficile au sein des petites structures.
Le rendez-vous de 2008 conditionnera le paysage de l’épargne retraite de la prochaine décennie. Des fondations ont été posées avec la loi Fillon, il convient désormais de bâtir un système réellement populaire capable d’attirer les salariés et d’offrir de véritables compléments de revenus.
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