Réchauffement climatique : un défi pour les assureurs !
Les catastrophes naturelles coûtent de plus en plus cher car les populations, du moins en Occident, sont de mieux en mieux assurées. Les fortes densités d’habitats et matériels contribuent à alourdir les factures des assureurs. L’augmentation de la fréquence des catastrophes est également mise en cause. Dans le Nord de l’Italie dans les villes de Milan, de Turin ou de Venise, les orages de l’été dernier ont occasionné de nombreux dégâts (vitres cassées, voitures inutilisables, panneaux solaires brisés) obligeant les compagnies d’assurance à indemniser leurs propriétaires à hauteur de 4,8 milliards d’euros, soit le montant le plus élevé jamais constaté en Europe pour un épisode orageux. Au cours de la décennie 2000 à 2009, seuls trois orages ont coûté à l’industrie plus d’un milliard d’euros (en valeur constante 2023). De 2010 à 2019, il y en a eu dix. Depuis 2020, il y en a déjà eu six. De telles tempêtes représentent désormais plus d’un quart des coûts du secteur de l’assurance liés aux catastrophes naturelles, selon le réassureur Swiss Re.
Le changement climatique est avancé par de nombreux experts pour expliquer l’augmentation des dégâts subis par les ménages et les entreprises. Les ouragans, les incendies de forêt et les inondations sont de plus en plus fréquents et plus violents. Dans de nombreuses villes construites sur des sols argileux comme c’est le cas à Londres, les sécheresses provoquent des affaissements de terrain mettant en danger de nombreuses habitations. À Amsterdam, les bâtiments reposant sur des pieux se fissurent en raison de l’assèchement des sols marécageux. Il en est de même dans les régions où la nappe phréatique s’abaisse. Les travaux de réfection des maisons pour les propriétaires atteignent bien souvent plus de 100 000 euros. Ces dépenses s’ajoutent à celles à l’isolation et au changement de système de chauffage. Selon l’agence MSCI, le coût global des travaux dépasserait 10 % de la valeur des bâtiments. En France, la facture s’élèverait à plus de 1 000 milliards d’euros sur vingt-cinq ans. Au niveau de l’OCDE, ce montant serait de 25 000 milliards de dollars.
Les effets du changement climatique sont susceptibles d’influencer le marché de l’immobilier qui est la principale classe d’actifs représentant environ les deux tiers du patrimoine mondial. Le secteur du bâtiment constitue un pôle important de l’activité économique en raison de ses liens avec de nombreuses industries : sidérurgie, ciment, bois, équipements, etc. L’immobilier est, par ailleurs, au cœur du système financier en raison du recours au crédit pour son financement. Pour le moment, les effets du changement climatique ne se reflètent que modérément dans les prix de l’immobilier. En France, le calendrier d’interdiction de locations de logements les plus énergivores n’a pas eu de conséquences sur les prix d’autant plus que les pouvoirs publics l’ont assoupli. Une étude parue dans la revue « Nature » souligne que si les seules pertes attendues du fait de l’augmentation des inondations étaient prises en compte, la valeur des maisons américaines baisserait de 120 à 240 milliards de dollars. Malgré tout, les acheteurs et vendeurs intègrent en partie les risques. Selon une étude publiée en 2018 dans le Journal of Urban Economics, le prix des maisons construites dans les plaines inondables de l’État de New York ont perdu près de 10 % de leur valeur après l’ouragan Sandy. En Californie, les maisons situées au sein des zones les plus exposées au risque incendie valent 5 % de moins que celle situées en-dehors de ces zones.
Progressivement, les effets du changement climatique se feront sentir de plus en plus durement. Les maisons en argile à Londres se fragilisent en lien avec la succession des hivers humides et des étés secs. Les sols argileux ont tendance également à se fissurer pouvant provoquer l’effondrement des maisons. Les deux cinquièmes du parc immobilier de Londres, soit 1,8 million de logements, sont susceptibles de s’affaisser d’ici 2030, selon le British Geological Survey. D’autres villes voisines, comme Oxford et Cambridge, sont également menacées. En 2070, tout le Sud Est de l’Angleterre serait concerné. La facture pour les assureurs liée aux des affaissements de maison a été évaluée à plus de 2 milliards d’euros par an. La solution pour éviter ce problème passe par la réalisation de fondation en béton armé. Le coût de ces travaux, par maison, dépasse 12 000 euros.
La succession d’évènements climatiques violents peuvent entraîner la non-habitabilité des maisons. Les inondations à répétition, les canicules, les feux de forêts, comme la montée des eaux des océans peuvent obliger des propriétaires à quitter leur maison, ce qui pose la question éventuelle de leur indemnisation. Les assureurs et les pouvoirs publics sont amenés à apprécier le coût des indemnisations liées aux catastrophes à celui généré par l’abandon de parties de territoires devenues non propices à l’habitation. Aux États-Unis, les assureurs ont déboursé plus d’un milliard de dollars pour réparer les dommages résultant des 28 catastrophes naturelles dénombrées. Certains territoires sont plus concernés que d’autres dont certains se caractérisent par une forte densité humaine. 40 % des constructions à Amsterdam sont susceptibles d’être affectées par la montée des eaux. Les villes de Miami, Guangzhou et de New York sont celles qui sont susceptibles, en raison du prix de l’immobilier, de connaître les destructions les plus coûteuses. À Miami, l’information des propriétaires sur les risques climatiques était jusqu’à maintenant assez lacunaire. Depuis le mois de mars 2024, les vendeurs de logements doivent mentionner s’ils ont déjà fait l’objet d’inondation. Les assureurs rechignent de plus en plus à couvrir les risques climatiques sachant que plusieurs ont, ces dernières années, fait faillite. Le montant des primes augmente fortement. Pour une maison familiale, il atteint plus de 11 000 dollars ce qui oblige les ménages les plus modestes à vendre. Néanmoins, le maché immobilier de la Floride est toujours en croissance. Au cours des cinq dernières années, le prix des logements y a progressé de près de 80 %, selon l’indice Case-Shiller.
En raison d’une moindre couverture assurantielle, les risques dans les pays en développement ou émergents sont moins bien connus. Or, nombre d’entre eux sont exposés aux dérèglements climatiques et notamment à la montée des eaux. Au sein de ces pays les grandes agglomérations se situent en bord de mer. Une étude publiée en 2017 par l’association Christian Aid suggère que Calcutta et Mumbai en Inde et Dhaka au Bangladesh seraient les plus exposées.
Les autorités ne sont pas totalement désarmées face au changement climatique. À Tokyo, le drainage des cours d’eau a été améliorée et des dispositifs de protection contre le phénomène de submersion ont été créés après le passage du typhon Kit qui avait inondé 42 000 bâtiments en 1966. En 2017, le typhon Lan, d’une même ampleur, n’a inondé que 35 bâtiments. Les gouvernements sont néanmoins confrontés à l’hostilité croissante des populations vis-à-vis des politiques visant à réduire les émissions des gaz à effet de serre. Le gouvernement allemand, par exemple, avait prévu d’interdire les nouvelles chaudières à gaz dès le début de 2024. Cette mesure aurait contraint de nombreux propriétaires à installer de nouveaux systèmes de chauffage. Le coût moyen des travaux a été évalué à 15 000 euros par ménage concerné, après prise en compte des subventions. Compte tenu des réactions des Allemands, cette mesure a été reportée et sera aménagée. Il en a été de même en France où le gouvernement avait prévu l’interdiction, à compter de 2026, d’installation de nouvelles chaudières à gaz. L’interdiction ne vaut désormais que pour les logements neufs.
Pour respecter les engagements pris dans le cadre des Accords de Paris en 2015, les gouvernements doivent consacrer, jusqu’en 2030, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, plus de 570 milliards de dollars par sur le seul poste de la rénovation des bâtiments, bâtiments qui sont à l’origine de 18 % des émissions des gaz à effet de serre. Or, en 2023, seulement 250 milliards de dollars de dépenses ont été consacrés à cet objet. Pour accélérer la transition écologique, des responsables politiques comme Emmanuel Macron et des économistes proposent l’instauration de taux d’intérêt verts. Ces taux qui seraient bonifiés s’appliquerait aux prêts visant à financer des investissements contribuant à limiter le réchauffement climatique. A contrario, les autres prêts seraient assortis de taux plus élevés. L’application de ces taux verts serait susceptible de provoquer la baisse des prix des logements ne répondant pas aux normes environnementales. Il n’est pas certain que cela soit bien accepté par les propriétaires. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à juger la réglementation environnementale excessive. Ils estiment que les mesures imposées par les pouvoirs publics n’empêcheront pas l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre. La procrastination et la fatalité caractérisent une proportion non négligeable des ménages occidentaux. Les pouvoirs publics sont conscients qu’ils sont amenés à légiférer pour réguler le marché de l’immobilier. En Floride, malgré les menaces d’inondation, soulignées avec ironie par l’écrivain américain TC Boyle dans son dernier roman, « Un ciel si bleu », les constructions en zones inondables se poursuivent. Les nouveaux arrivants supposent que les contribuables prendront à leur charge les investissements nécessaires pour la mise en sécurité de leurs biens. Il est fort probable que cet espoir ne se réalise pas, avec comme conséquence, d’importantes pertes.
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