Qui maîtrise la technologie, maîtrise la croissance !

29/05/2021, classé dans

Entre le Xème et le XIVème siècle, avant d’entamer une phase de déclin de près de 600 ans, la Chine était la première puissance économique mondiale. En inventant la boussole et l’imprimerie, elle était alors le cœur de l’économie mondiale. La volonté des Empereurs de ne pas partager les fruits de la croissance, le protectionnisme qui en résulte ainsi que les désordres politiques ont eu raison de la puissance chinoise. Après la Grande Peste, l’Europe reprend le flambeau de la croissance grâce à une soif nouvelle d’innovations qui permet de rompre avec le Moyen-Âge. La technologie civile et militaire ainsi que les échanges sont, depuis la sédentarisation des humains, la clef de voûte de la croissance et de la puissance économique et géopolitique.

La compétition technologique entre les nations est un fil rouge de l’histoire internationale. Le rôle des innovations militaires joue un rôle majeur dans les conflits armées, de l’invention du fusil à la bombe nucléaire en passant par le canon et le radar. Les innovations militaires irriguent l’ensemble de l’économie plus ou moins rapidement. Internet, il ne faut pas l’oublier, est au départ un réseau, l’Arpanet, issu de la collaboration entre l’armée américaine et plusieurs centres universitaires (première émission de données le 29 octobre 1969). Avec la chute de l’URSS, les États occidentaux ont réduit durant des années leurs budgets militaires afin de profiter, croyaient-ils, des dividendes de la paix. Cette baisse a été nette en Europe qui pendant cinq décennies était le champ de bataille potentiel de la rivalité entre le monde libre et le monde communiste. La diminution des budgets militaires a certainement facilité l’émergence d’une recherche privée plus autonome que dans le passé autour des GAFAM, même si elles n’ont pas coupé les ponts avec les agence de recherche de l’État fédéral américain. La montée en puissance de la Chine dont le modèle est étatique provoque depuis quelques années des craintes sur la maitrise à terme des technologies disruptives. La volonté des autorités chinoises de dominer, d’ici 2049, année du centenaire de la Chine communiste, le monde sur les terrains de la science et de la défense, inquiète les Américains.  Les tensions sur le déploiement de la 5G en sont un des symboles. Cette compétition redevient militaire. L’intelligence artificielle, les armes hypersoniques, les biotechnologies sont capables de remettre en cause les rapports de force entre les grandes puissances, rapports qui depuis 1991 sont figés. En 2019, les cinq États qui dépensent le plus en dépenses militaires sont les États-Unis, loin devant, la Chine, l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Inde. Les pays européens, Royaume-Uni compris, arrivent après. Ensemble, ils n’assurent que 12 % des dépenses militaires mondiales. Lors de ces trente dernières années, l’Europe a divisé par plus de deux son effort militaire (rapporté au PIB), ce qui est sans précédent depuis le XVIIIe siècle. L’Europe est devenue un continent pacifiste mais au prix d’une dépendance aux États-Unis de plus en plus forte. Cette dépendance concerne la sécurité mais aussi l’accès aux technologies de pointe.

La rivalité sino-américaine et la crise sanitaire pourraient changer le regard des gouvernements sur les questions de défense. Aux États-Unis, le processus de privatisation de la recherche pourrait prendre fin au profit d’un interventionnisme plus important de l’État fédéral. La recherche et développement publique américaine était passée de près de 2 % du PIB en 1964 à 0,66 % du PIB en 2016. Depuis 1980, les cinq premiers groupes privés technologiques américains dépensent plus en recherche que l’État. Grâce aux budgets des agences, les pouvoirs publics américains arrivent encore à orienter les dépenses en particulier dans le domaine spatial. En revanche, l’Europe décroche du fait d’un recul des dépenses publics consacrées aux techniques de pointe. Faute de moyens, de volonté européenne et en raison de mauvais choix, Ariane Espace est de plus en plus marginalisée au niveau du lancement de satellites. Ce marché attire de plus en plus de convoitises. Le même constat pourrait être fait au sujet des drones ou des vitesses hypersoniques. L’impossibilité politique d’instituer une Europe de la défense depuis l’échec de la CED en 1954 a de lourdes conséquences économiques. Elle est, en partie, à l’origine des faiblesses du vieux continent en matière informatique et de nouvelles technologies. Dans les années 1960, les autorités américaines refusaient de transférer aux Européens des technologies dites sensibles mais ils acceptaient de valider ou pas certaines recherches. C’est ainsi que la France a pu concevoir la bombe atomique et les lanceurs, à partir de quoi elle a pu développer sa filière civile d’énergie nucléaire. Aujourd’hui, dans un contexte sino-américain, il n’est pas certain que les Américains soient aussi coopératifs que par le passé.

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