Quand les passions envahissent le monde du travail
Dans les années 1990/2000, les candidats à l’emploi avaient tout avantage à mettre en avant leurs passe-temps lors de leur recrutement. Ces derniers devaient souligner leurs capacités à occuper l’emploi postulé sans pour autant s’avérer être chronophages. La lecture, le cinéma étaient souvent mentionnés. Le « sport loisir », comme la course à pied ou la natation, était bienvenu. Les candidats devaient faire preuve d’une originalité maîtrisée. Dans les années 2020, les hobbies ont cédé la place aux passions. Les recruteurs à la recherche de profils atypiques, à forte motivation, capables de s’adapter à toutes les formes d’organisation sont attentifs aux projets passionnels et personnels. La participation à des associations caritatives, de protection de l’environnement, d’insertion sociale, etc., est louée à condition évidemment qu’elle soit effective. Les candidats se doivent d’étonner quand hier ils se devaient d’être classiques dans leurs choix de vie. De nombreuses entreprises se battent désormais pour recruter des sportifs de haut niveau considérant que leurs passions constituent un atout majeur, que ce soit dans la production ou dans la vente.
Les candidats comprennent de plus en plus l’intérêt de valoriser leurs activités extraprofessionnelles. Selon une étude de Jon Jachimowicz et Hannah Weisman de la Harvard Business School qui a analysé plus de 200 millions d’offres d’emploi aux États-Unis, le nombre de personnes mentionnant explicitement leur « passion » a augmenté, passant de 2 % en 2007 à 16 % en 2019. Les algorithmes de sélection prennent de plus en plus en compte les parcours atypiques. La pratique de la pâtisserie est ainsi, aux États-Unis, un facteur positif de recrutement. Cette pratique est considérée comme un moyen de socialisation et de partage. La passion comme vecteur de recrutement ne s’arrête pas aux activités extraprofessionnelles. La présentation de son travail de manière passionnée facilite, selon une autre étude de Jachimowicz et de Ke Wang de la Harvard Kennedy School, la mobilité professionnelle et les promotions. Si les comportements colériques ou caractériels n’ont plus lieu d’être dans les entreprises, l’expression des émotions semble être un critère positif. Rire et pleurer ne seraient plus honteux du moins aux États-Unis.
La passion utile pour l’entreprise est une question de mesure car si elle est excessive, elle peut fausser le jugement. Pour les entreprises, l’erreur serait de récompenser l’engagement plutôt que la compétence. L’étude précitée de Jachimowicz et de Wang constate que la passion mal canalisée peut provoquer des erreurs de jugement importants. La gestion de salariés passionnés est plus complexe. La question du dosage au sein des équipes apparaît cruciale. Les psychologues d’entreprises estiment que la passion se doit d’être non pas obsessionnelle mais harmonieuse. Elle se doit être gérée de manière professionnelle comme sont amenés à le faire les sportifs de haut niveau. Elle ne doit pas devenir une contrainte et déboucher sur un comportement compulsif dans lequel les salariés concernés perdent tout recul.
Une étude menée par des universitaires de l’Université Duke, de l’Université de l’Oregon et de l’Université d’État de l’Oklahoma a révélé que les salariés les plus passionnés et les plus motivés étaient ceux qui se voyaient confier les tâches que les autres salariés ne souhaitaient pas ou plus réaliser. Aussi étrange que cela puisse paraître, si le salarié passionné reçoit plus de promotions que les autres, il n’est pas gagnant sur le terrain des revalorisations. Comme quoi, la passion, un peu mais pas trop n’en faut.
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