Pour en finir avec le libéralisme…

25/03/2008, classé dans

POUR EN FINIR AVEC LE LIBÉRALISME ANTISOCIAL

Le libéralisme est rejeté car jugé antisocial. Le libéralisme, c’est l’égoïsme petit bourgeois par excellence. Le libéralisme est de droite, voire d’extrême droite. Bien évidemment, ces raccourcis ne reposent sur aucun fondement. Il n’y a pas plus opposé que fascisme et libéralisme, d’un côté la dictature, la centralisation, le contrôle de tout, des pensées, de l’économie, des industries, des services et des individus ; de l’autre, l’autonomie et la responsabilité. Pourquoi de tels amalgames, c’est tout simple : l’amicale des anciens compagnons de route du communisme s’est trouvée une nouvelle cause à défendre. Après s’être fourvoyés dans la défense de la patrie des travailleurs, l’URSS, ils ont décidé de se consacrer à la lutte contre le modèle qui l’a emporté bien malgré eux, le modèle libéral. La nostalgie des combats de jeunesse est encore vivace. A défaut d’être pro-communistes, continuons à être anti-américains, telle est la devise de cette amicale. Les années passent et les Etats-Unis est toujours le grand satan.

Le libéralisme, c’est donc l’ennemi du peuple à abattre par tous les moyens. A force de simplifier, il a été oublié que le libéralisme qui correspond à un mode de production des richesses peut s’accompagner d’une politique sociale active et efficace. Il est possible d’avoir le même niveau de protection sociale que la France a atteint aujourd’hui, tout en appliquant une politique véritablement libérale. Le libéralisme n’est pas une idéologie qui ordonne de faire table rase du passé ; c’est avant tout une méthode et un comportement ; une méthode qui privilégie le contrat, l’initiative et la liberté ; un comportement qui valorise la responsabilité.

Il n’est pas antinomique de mettre en œuvre une politique véritablement libérale tout en menant des actions de solidarité en faveur des plus démunis. La concurrence ne conduit pas à l’écrasement du petit ou du faible. Bien au contraire, la concurrence suppose que le plus faible puisse accéder au marché. La pauvreté, l’exclusion et le chômage se sont accrus en France alors que les gouvernements développaient des dispositifs d’aide, multipliaient les prestations sociales et augmentaient les subventions tant aux entreprises en difficultés qu’aux associations luttant contre l’exclusion. Pendant vingt ans, les dépenses publiques ont augmenté sans pour autant freiner la précarité et la dégradation de la situation morale et financière des plus pauvres. Condamne-t-on pour autant l’interventionnisme public, remet-on en cause les prestations sociales ? Bien évidemment, non !

Arrêtons de récuser les solutions libérales par avance. Prenons le cas de la Sécurité sociale et plus précisément le cas de l’assurance-maladie. Le système français est, à la fois, le plus individualiste et le plus centralisé de la planète. Individualiste car chaque Français a la possibilité de choisir son médecin, d’en changer quand il veut, d’en voir dix dans la semaine, si cela lui fait plaisir ou le rassure. La grande majorité des médecins exercent en tant que professions libérales et en tant que fonctionnaires car rémunérés indirectement par la Sécurité sociale donc par de l’argent public. Centralisé car la Caisse nationale d’assurance maladie gère les dossiers de la quasi-totalitéé des Français. Certes, les dossiers sont réglés au niveau local par les caisses primaires et par les caisses régionales d’assurance maladie, mais il n’en demeure pas moins qu’elles sont toutes rattachées à la Caisse nationale. Une superadministration digne de la défunte Union soviétique. Cette monstruosité administrative n’a comme concurrent que l’Education nationale.

Le carnet santé distribué, en pure perte, aux assurés sociaux et la carte « Vitale » ont, ces dernières années, montré les limites de cette centralisation. Envoyées à tous les assurés une carte maladie informatique alors que les praticiens n’étaient pas équipés pour lire, ces cartes et que les logiciels n’étaient pas prêts ou défaillants constituait une hérésie. Mal préparée, l’instauration de la carte Vitale qui avait pour objectif la rationalisation de la gestion des dossiers médicaux a été un échec tel que les assurés l’ont conservé sans pouvoir s’en servir pendant au moins deux ans et qu’il faudra leur prochainement une nouvelle une carte appelée « Vitale 2 ».

De même, la Couverture maladie universelle a clairement montré que l’assurance maladie avait atteint ses limites. La prise en charge par les caisses primaires de la couverture sociale des plus démunis qui étaient jusqu’en 1999 assurée en partie par les départements a bloqué l’ensemble du système. Les retards dans le traitement des feuilles de soins se sont accumulés passant de 15 jours à plusieurs mois. Au premier semestre de l’an 2000, les bénéficiaires de la CMU ont du faire preuve de patience pour être reçus par les services des caisses primaires. En situation d’exclusion, ils étaient contraints de perdre des journées pour obtenir la CMU alors qu’auparavant ils étaient pris en charge par les départements. L’assurance maladie du fait de sa lourdeur est incapable de s’adapter tant à la révolution informatique qu’à de nouvelles missions que lui confie le législateur. Il est surprenant que des demandes de prises en charge pour des soins dentaires par exemple se fassent par échange de courriers et nécessitent des délais pouvant atteindre huit semaines alors que tout pourrait être informatisé.

Lent, administratif, mais socialement juste ? Même pas. La prise en charge des dépenses de santé des Français demeure partielle et se dégrade. En matière de remboursement des soins, la France occupe le 7ème rang en Europe avec un taux de 74 % contre 89 % en Belgique ou 83 % au Royaume-Uni. Le taux de mortalité des jeunes adultes de 25 à 44 ans est un des plus élevés d’Europe.

Heureusement qu’il y a les complémentaires pour améliorer le remboursement des dépenses de santé. A ce titre, personne ne trouve choquant que la concurrence dans ce domaine existe. Mutuelles, compagnies d’assurances, ce n’est pas le choix qui manque. Personne n’a demandé le transfert à l’Etat ou à l’assurance maladie de ce type de couverture. Depuis que toutes les compagnies d’assurance ont été privatisées, ce sont des affreux capitalistes comme AXA qui se chargent pour des millions de Français de régler une partie des dépenses de santé. Les mutuelles et les compagnies d’assurance ont réussi le pari de l’informatisation ; le patient a de moins en moins besoin d’envoyer de documents à sa couverture complémentaire, le remboursement s’effectue automatiquement.

Pourquoi ne pas admettre la concurrence dans le régime général ? Pourquoi ne pas donner la possibilité de choisir sa caisse de paiement ? Pourquoi ne pas laisser les mutuelles ou les assurances assurer la gestion de la couverture de base ? En aucun cas, cette instillation de la concurrence ne signifierait la remise en cause des droits actuels. Il suffirait que, par contrat, les différentes caisses s’engagent à couvrir les assurés sociaux au minimum dans les mêmes conditions. En cas de non-respect de cette clause, les caisses ne seraient plus habilitées à percevoir de recettes issues des cotisations sociales ou de la CSG ou de tout autre moyen de financement mis en place par le législateur qui aura, par ailleurs, tout le loisir de définir les prestations de base.

Un tel système marquerait-il la fin du paritarisme tel que nous le connaissons depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? Il faut souligner que, de toute façon, le rôle des partenaires sociaux s’est réduit au fil des années. L’assurance-maladie est, dans les faits, étatisée. La CSG qui est un impôt proportionnel sur le revenu acquitté par tous les Français est la principale ressource de l’assurance maladie. Ce sont, par ailleurs, les services du ministère de la Santé qui dirigent et élaborent les grandes décisions. Les établissements hospitaliers sont sous le contrôle de l’Etat tout comme les cliniques dont l’agrément est attribué par le Ministère de la Santé. Les partenaires sociaux négocient à la marge et grapillent quelques prébendes au passage. Officiellement à la fois censeurs ce qui est leur rôle normal et gestionnaires, les syndicats ont perdu dans le paritarisme à la française leur légitimité. Dans un système avec de la concurrence, ils pourraient surveiller, juger et être les véritables défenseurs des assurés sociaux. Ils sortiraient gagnants de cette mutation.

Il apparaît difficile de conserver un système qui ne responsabilise ni les praticiens, ni les patients et qui encourage les dépenses improductives. Actuellement, il y a très peu de sanctions contre le nomadisme médical et contre la surprescription. Personne n’imagine que l’administration pourra attribuer à chaque Français son médecin comme il le fait pour les enfants en les affectant autoritairement dans des établissements. Pourquoi ce qui ferait scandale dans le domaine médical ne le ferait pas dans le domaine scolaire ? Il faut souligner que si on arrive à connaître le niveau des établissements scolaires, leur réputation, leurs résultats, il n’en est pas de même pour les médecins. Pas de publicité, pas d’évaluation publique, on choisit son médecin par le bouche à oreille ou par hasard. On confie sa vie à un inconnu. Assez surprenante cette méthode qui associe le tirage au sort avec la roulette russe.

Notre système assurance maladie avantage les personnes aisées ayant des relations. Disposant de l’information, elles accèdent aux bons établissements, aux meilleurs spécialistes qui sont prêts à leur accorder le temps nécessaire. Elles peuvent demander des examens en surnombre, demander conseils et contre-conseils et tout cela est pris en charge par assurance maladie Avec l’instauration des honoraires libres, la sélection par l’argent joue à plein. Le patient a le choix soit d’attendre des mois un rendez-vous dans un hôpital public avec un spécialiste, soit payer le prix fort pour le rencontrer dans le cadre de consultation en honoraire libre. Ce qui est rare est cher ; or le diagnostic d’un très bon médecin est forcément une prestation rare donc cher. Le problème du système actuel, c’est qu’il essaie de faire croire le contraire et qu’il est tout sauf transparent.

S’il est irrationnel qu’un même patient puisse sans aucune pénalisation financière au nom de la liberté consulté plusieurs médecin pour un même mal, il est également irrationnel qu’un médecin puisse consacrer moins de 15 minutes à ses patients. Il faut, sans nul doute, aller vers le médecin généraliste de référence librement choisi par le patient. Ce dernier doit certes avoir toujours la possibilité de demander l’avis d’un autre médecin . Chaque patient doit avoir aussi la possibilité d’en changer une à deux fois par an. Le passage par le médecin de référence serait obligatoire pour consulter un spécialiste sauf en ce qui concerne bien évidemment les soins dentaires, ophtalmologiques, dermatologiques ou gynécologiques faute de quoi le remboursement serait réduit. Il conviendrait de limiter le nombre de patients par médecins. On a bien institué les 35 heures pour les salariés ; pourquoi ne pas limiter le nombre de patients par médecins. Le Gouvernement a, par un système compliqué de pénalisation tarifaire, institué des quotas d’actes alors pourquoi ne pas jouer sur le nombre de patients vu par un médecin dans une journée dans son cabinet. Il conviendrait, de manière simultanée, afin d’éviter une montée aux extrêmes des contestations d’améliorer le remboursement de certains soins. Par souci d’égalité, le taux de remboursement est le même quel que soit le niveau de revenu ; de ce fait, ce système pénalise les personnes modestes et ne permet par une couverture de l’ensemble des soins. Pourquoi ne pas imaginer que le régime de base de la Sécurité sociale soit progressif ? Un forfait de non-remboursement pourrait être instauré pour les revenus dépassant un certain plafond, les complémentaires auraient la possibilité de le prendre à leur charge. En contrepartie de ce forfait, le taux de remboursement pourrait être également amélioré.

Il est, en revanche, vain d’espérer une baisse des dépenses de santé ou même une stabilisation. Tout concourt à leur augmentation. Il y a le vieillissement inéducable de la population française ; vieillissement qui à travers sa forme la plus dure, la dépendance, provoquera une augmentation des dépenses médicales. De 2000 à 2020, les personnes de plus de soixante ans passeront, en France, de 11 à 17 millions, les personnes âgées de plus de 85 ans passeront de 1 million à 2,1 millions. En 2050, notre pays compterait plus de 4,5 millions de personnes de plus de 85 ans. Selon une étude réalisée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse, le nombre de personnes fortement dépendantes réduites au lit ou au fauteuil pourrait atteindre 1,2 millions en 2020. Il y a, en second lieu, au sein de toute la population une volonté de rester en forme le plus longtemps et de consacrer une part croissante de leurs revenus aux dépenses de santé. En dernier lieu, les nouvelles techniques, les nouvelles découvertes coûtent de plus en plus chères. Pour lutter contre le cancer, le sida, la maladie de Parkinson, il faut mettre des moyens de plus en plus importants. L’exploitation du génome humain exigera des ressources que seules de très grandes entreprises ou de très grands laboratoires publics peuvent mobiliser. L’évolution des dépenses de santé de ces cinquante dernières années est claire et sans appel. Elles sont passées de 2 % à plus de 12 % du PIB de 1950 à 2000. Elles ont triplé lors de ces vingt-cinq dernières années. La France n’a pas le record de dépenses de santé ; elle est doublée par les Etats-Unis, la Suisse et l’Allemagne.

Les hôpitaux sont montrés du doigt car responsables de plus de 50 % des dépenses de santé. Les hôpitaux en France, c’est Kafka au quotidien. Gérés par des administratifs complètement dépendants du ministère de la Santé et de la lourde hiérarchie et en guerre permanente avec les médecins, les professeurs qui considèrent les hôpitaux comme leur domaine. Cette incompréhension ne facilite pas la bonne gestion et n’offre pas les meilleures garanties pour la mise en œuvre de prestations de qualité. On côtoie le pire et meilleur dans les hôpitaux en France ; des services d’extrême qualité à la pointe de la technologie dotés de spécialistes de grand renom vivent à côté de vrais mouroirs. Il y a surtout une vétusté inadmissible dans certains hôpitaux. A Paris, au sein même d’établissements réputés, il est fréquent de tomber sur des services ayant un matériel hors d’âge. Pourtant, 300 milliards de francs sont consacrés, chaque année, à l’hôpital public qui réalise plus de 15 millions d’interventions chirurgicales. L’hôpital public est au bord de l’asphyxie. Pour expliquer ce mal qui l’affaiblit de jour en jour, il y a en premier lieu des causes externes. En effet, l’hôpital public a été appelé à suppléer les défaillances de la médecine de ville et des services de lutte contre l’exclusion. Pour les admissions dans les hôpitaux et les soins hospitaliers, la France arrive en tête. Dans les grandes villes, les services des urgences ressemblent à la cour des miracles. Les sans-abri tentent de trouver un havre pour la nuit dans ces services. Les personnes isolées, en mal d’affection, essayent de calmer leur douleur en passant dans ces services ouverts toute la nuit. En second lieu, les hôpitaux sont de plus en plus asphyxiés par les dépenses de personnel. Les hôpitaux emploient plus de 840 000 personnes, un Etat dans l’Etat. Comme dans les ministères, la répartition du personnel ne correspond pas aux besoins. Les services difficiles sont désertés ou laissés aux débutants ; il s’agit en particulier des urgences. En outre, le caractère très militaire de l’organisation hospitalière ne facilite pas la pénétration du progrès et des nouvelles techniques de gestion des ressources humaines. Les mandarins supervisent de loin et n’aiment guère consulter les infirmières ou les aides soignantes. Plusieurs castes cohabitent, sans se connaître, dans les hôpitaux au détriment bien souvent du malade qui est tenu à l’écart, abandonné à lui-même et considéré comme un pion. Il y a d’un côté les professionnels et de l’autre le patient. Des progrès dans l’humanisation des hôpitaux ont été réalisés, ces dernières années, mais ils sont encore très largement insuffisants.

Autre grand blocage qui empêche la rationalisation de notre système de santé ; le nombre trop important de lits d’hôpital, 20 à 30 000 lits de trop qui coûtent chers au système de santé. Le nombre pour 1000 habitants atteint en France 8,5 contre 4 aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Autrefois, un patient pour une intervention même bénigne restait au minimum une semaine voire deux ; maintenant, il n’est pas rare soit de sortir dans la journée, soit de sortir au bout de deux ou trois jours. Cette évolution diminue automatiquement le nombre de lits nécessaire. Par ailleurs, la révolution technologique qu’a connu la médecine, tant pour le diagnostic que pour les interventions, a comme conséquence une concentration des séjours dans les grands établissements. Cette révolution aurait du conduire à la fermeture d’unités vétustes n’ayant pas le matériel et les compétences nécessaires pour réaliser, en toute sécurité, des opérations. Or, c’était oublié que dans de nombreuses villes, l’hôpital est le principal employeur et donc le principal pourvoyeur de ressources. Tout élu qui se respecte se bat pour obtenir que son hôpital soit doté de tout le matériel de pointe disponible même si cela ne se justifie pas compte tenu du nombre limité d’opérations pratiquées. Il en résulte un véritable gaspillage, une mauvaise allocation des ressources, des plateaux sous utilisés et sous équipés. Les patients ne sortent pas vainqueur de cette inflation de lits et d’équipements. En effet, il est impossible d’équiper tous les établissements correctement et on manque de personnel. L’hôpital près de chez soi, c’est bien ; c’est rassurant à condition qu’il soit en bon état de marche ce qui n’est pas toujours le cas. Il conviendrait d’accepter au minimum une spécialisation des établissements pour éviter des doublons. Le Ministère de la santé a décidé de mettre en œuvre cette spécialisation mais il doit faire face à l’hostilité des élus et des habitants des villes concernées qui veulent tous conserver leur maternité ou leur hôpital général.

Tous les plans de maîtrise des dépenses de santé seront donc voués à l’échec sur le long terme. Ils peuvent simplement infléchir, un temps, la courbe. La question n’est pas le niveau des dépenses de santé mais leur utilisation et leur efficacité. Le toujours plus doit être remplacé par le toujours mieux.

Plus de liberté, plus de responsabilité pourraient également s’appliquer à l’Etat. Le libéralisme n’impose pas la suppression de l’Etat ; il ne faut pas confondre libéralisme et anarchisme. L’Etat libéral, ce n’est pas obligatoirement un Etat réduit au minimum, c’est avant tout un Etat efficace.

La gestion publique est, en France, très centralisée et très rigide. L’administration française fonctionne comme une armée géante qui tente de prouver son efficacité en temps de paix par toujours plus de dépenses. De multiples rapports dont en particulier ceux de la Cour des Comptes ont souligné l’archaïsme de la gestion de l’Etat. Sur ce sujet, on peut également citer l’excellent rapport sur la comptabilité de l’Etat remis par Jean-Jacques François le 30 juin 1999 au Premier Ministre.

Ce rapport est sans appel sur la gestion de l’Etat. Ainsi, il souligne que « la mécanique administrative et financière de l’Etat ne fait pas figurer au premier plan de ses préoccupations la notion de bonne décision. Quelles sont les sanctions et les récompenses d’une bonne ou mauvaise décision financière ? Il n’y en a pas. Seules les fautes contre la régularité sont prévenues, recherchées, sanctionnées. »

L’auteur de ce rapport insiste sur les conséquences de l’absence de comptabilité patrimoniale pour l’Etat qui est une source de très importants dysfonctionnements. Le budget de l’Etat se présente sous la forme d’un compte d’entrées, sorties. Cette présentation comptable très dépouillée résulte de l’application des grands principes budgétaires qui ont été forgés durant tout le XIX ème siècle : l’annualité, l’universalité et l’unité. Plus de 1600 milliards de francs de budget sont gérés en amateur. Un commerçant, un ménage, en prenant en compte la différence des montants en jeu, ont des comptabilités plus élaborées.

Dans la comptabilité de l’Etat, il n’y a pas de chapitres réservés à l’amortissement, ni de provisions. Cette absence constitue une véritable insouciance et un refus de préparer l’avenir. Selon le rapport, les bombes à retardement, des dépenses non provisionnées auxquelles l’Etat devra prochainement faire face, sont évaluées entre 500 et 1000 milliards de francs. Dans les faits, l’Etat à la différence des entreprises privées n’établit pas de bilan. La valeur des biens n’est pas pris en compte comme le coût des services. L’Etat sera confronté à une crise grave de son système financier d’ici trois à cinq ans du fait du caractère archaïque de sa gestion et de l’obsolescence des procédés informatiques. L’Etat n’a aucune vision claire de ses engagements à venir. Ainsi, du fait de l’absence de provisions, les charges s’accumulent. La retraite symbolise parfaitement cette imprévoyance. Du fait de la pyramide des âges, le coût des retraites des fonctionnaires devrait augmenter de 15 milliards de francs par an à partir de l’an 2005 pour atteindre un surcoût de 100 milliards de francs en 2015. Selon un rapport commandé par Alain Juppé et élaboré par Raoul Briet, le coût des retraites pour les fonctionnaires de l’Etat passerait de 108 milliards de francs en 1995 à 153 en 2005 puis à 226 milliards de francs en 2015. Autre zone d’incertitude, les engagements des établissements publics rattachés à l’Etat. Pour soustraire certaines activités du droit budgétaire, pour accorder parfois à juste titre une plus large autonomie, les gouvernements ont pris l’habitude de multiplier les établissements publics. Les universités, les musées mais aussi EDF ou la SNCF sont des établissements publics. Or, le rapport de Jean-Jacques François souligne que les relations de l’Etat avec les établissements publics sont particulièrement complexes. Ainsi, 112 milliards de francs d’actifs seraient immobilisés au sein de ces établissements alors que les subventions de l’Etat à leur profit atteignent 170 milliards de francs et que leur situation nette accusait un déficit de 1999 milliards de francs en 1996 et de 34 milliards de francs en 1997. A force de multiplier les structures, l’Etat ne sait plus trop où se trouve son argent. Fréquemment, dans des lois de finances rectificatives, les gouvernements opèrent à la sauvette des ponctions sur les établissements publics.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Etat ne connaît pas, en l’an 2000, son patrimoine immobilier. Il est évalué entre 260 et 450 milliards de francs. Cette approximation prouve l’absence de comptabilité patrimoniale. L’Etat ne connaît pas la valeur de son patrimoine et est incapable d’en avoir une gestion rationnelle. L’Etat subira, en effet, une perte de 60 milliards de francs de 2000 à 2010 du fait de l’absence de programmation en matière d’entretien et de l’ignorance des pouvoirs publics sur l’étendue du patrimoine. La simple mise à niveau du parc immobilier de l’Etat coûterait au minimum 5 à 6 milliards de francs par an.

Le rapport de la Cour des Comptes sur la fonction publique de l’Etat de 1999 a également souligné, comme les années précédentes, que le système d’organisation actuelle était source de gaspillages et d’inégalités. Est-il admissible qu’en l’an 2000, l’Etat soit incapable de savoir par ministère le nombre de fonctionnaires qui y travaillent. ? L’Etat français, premier employeur européen, même avec l’appui des moyens informatiques puissants, n’arrive pas à gérer son personnel. Comment ne pas comprendre que l’allègement des structures est la seule solution pour améliorer les services offerts et pou réaliser d’importantes économies budgétaires.

Il y a urgence pour la modernisation de la comptabilité publique. Laurent Fabius en était convaincu en tant que Président de l’Assemblée nationale. Il avait, à ce titre, élaboré une série de propositions afin de rendre plus transparent la gestion publique. Désormais, Ministre de l’Economie et des finances, la mise en musique de ses propositions buttent sur les résistances du Ministère de l’Economie et des Finances. La comptabilité de l’Etat devrait, par souci d’efficacité, se rapprocher de la comptabilité des entreprises et intégrer les notions simples que sont les provisions et les amortissements. De même, à côté du compte d’exploitation, l’Etat doit élaborer un bilan qui retrace, avec précision, ses actifs et son passif. De telles réformes ne sont pas impossibles à réaliser. Nos voisins se sont engagés dans un processus de modernisation de leur comptabilité publique sans que cela provoque des cris.

Compte tenu des règles budgétaires en vigueur, un véritable cercle vicieux du toujours plus de dépenses fonctionne en France. Plus de 90 % des dépenses de l’Etat sont reconduites automatiquement d’une année sur l’autre au nom des fameux services votés qui correspondent au montant de crédits nécessaires pour assurer le fonctionnement des services de l’Etat. Il faut une décision, un acte volontaire pour réaliser des économies. La dépense est naturelle et implicite. Elle s’impose d’elle-même. Sa suppression doit être explicite. Il n’y a pas de discussion parlementaire sur les services votés ; il y a un simple enregistrement. Il faudrait renverser la preuve. Il faudrait que les Ministres puissent justifier le bien-fondé des crédits de fonctionnement ou des crédits d’investissement et mentionnent quelles économies ils entendent réaliser. L’objectif d’une entreprise, c’est produire plus, mieux et pour moins cher. L’Etat ne connaît pas cette règle pourtant simple. Ces dernières années, les économies budgétaires ont été réalisées sur les dépenses d’investissement, ce qui est le plus facile car elles ne modifient en rien le fonctionnement à court terme des services. La conséquence de cette pratique est simple ; sur un budget de 1600 milliards de francs, les dépenses civiles d’investissement s’élèvent à moins de 75 milliards de francs. Ce sous-investissement est porteur de dépenses supplémentaires pour l’avenir. En effet, en n’investissant que parcimonieusement, l’administration se prive de gains de productivité. Surtout, en n’entretenant pas ou mal son patrimoine, l’Etat devra consacrer d’ici quelques années des sommes importantes pour le remettre à niveau.

L’informatisation ou internet n’ont eu que peu d’impact sur les structures de l‘Etat. On crée de nouvelles directions, de nouveaux emplois mais on ne restructure qu’avec difficulté. Il y a une véritable résistance au changement. En 1987, à la direction de la communication du ministère des Affaires Etrangères, on travaillait encore avec des télescripteurs fonctionnant avec du papier carbone de plus de sept plis. Les dépêches étaient découpées à la main et adressées aux bureaux intéressés. Rien d’exceptionnel sauf que dans les placards étaient rangés des ordinateurs sur lesquels on aurait pu consulter les dépêches. Plus de liasse de papiers carbone, plus d’armoires débordantes de dépêches AFP ou Reuter, juste des écrans. Mais, l’installation des ordinateurs aurait nécessité la réorganisation d’un service. Pas de droits acquis simplement des habitudes et l’absence de volonté. Le travail sur les télescripteurs et sur le papier carbone n’avait rien d’enthousiasment. La preuve, la nuit venue, la surveillance des dépêches était assurée par des appelés du contingent. Il a fallu attendre plus de cinq ans pour que l’ordinateur soit accepté.

Dans les fascicules budgétaires tels qu’ils sont votés en loi de finances par le Parlement chaque année, tout est prévu, la nature des dépenses, les emplois. Pour s’adapter à l’imprévu, le gestionnaire public doit ruser et se jouer des règlements. On ne vote pas sur un objectif, fournir tel ou tel service aux Français, mais sur la nature de la dépense, le versement d’une prestation ou l’achat de crayons. De manière surprenante, la question des objectifs à atteindre, diminution du chômage, réalisation d’infrastructures, lutte contre l’exclusion ne transparaît pas à la lecture des documents budgétaires. L’affectation précise des crédits prive les gestionnaires de toutes marges de manœuvres. Par souci d’efficacité, il conviendrait d’accroître l’autonomie de gestion au sein des ministères. Les ministères et en dessous les différentes directions devraient disposer d’une plus grande autonomie budgétaire et pouvoir librement sous le contrôle de la Cour des Comptes et du Parlement gérer les crédits en fonction des objectifs fixés par la loi. Les ministères dépensiers, c’est à dire, à titre d’exemple, l’agriculture, l’éducation nationale, l’emploi, dépendent aujourd’hui du Ministère du Budget qui considère qu’il est le seul à savoir bien gérer. L’histoire récente ne lui donne malheureusement pas raison. Il faut casser cette dépendance qui déresponsabilise et qui est source de dysfonctionnements.

Il faut également accroître la mobilité au sein des différentes administrations. L’Etat est unique tout comme le statut général de la fonction publique, mais il existe plus d’une centaine de sous-régimes qui régit la vie des fonctionnaires. Un fonctionnaire du ministère de l’Economie et des finances même à emploi et à ancienneté identique n’est pas traité de la même façon qu’un fonctionnaire du ministère de l’Emploi ou de l’Intérieur. Les primes, les horaires, les avantages diffèrent. Tout ceci freine le passage d’un ministère à un autre. De ce fait, lorsque dans un ministère, il y a nécessité d’accroître le nombre d’emplois, il n’y a pas d’autres possibilités que d’augmenter le nombre de fonctionnaires. Il est difficile de réaliser des transferts. Cela serait, en outre, perçu comme un signe de faiblesse de la part du ministère qui verrait partir un ou plusieurs de ces fonctionnaires. La crédibilité d’un ministre tient à sa capacité de maintenir voir d’augmenter le nombre de fonctionnaires qu’il a sous ses ordres.

Depuis des années, la fuite en avant a caractérisé la gestion des ressources humaines au sein de l’Etat. Face à une crise au sein de la fonction publique, les gouvernements successifs ont eu recours à l’augmentation des effectifs, des primes et des rémunérations. Ces augmentations, souvent non fondées ont asphyxié le budget de l’Etat. Ainsi, le budget de l’Etat en 2001 prévoit plus de 7000 créations de poste, c’était le prix à payer pour régler le conflit de Bercy et mettre un terme à la grogne des enseignants.

Dans une entreprise, les effectifs des établissements, de services évoluent en fonction de la conjoncture, en fonction des techniques. Pour l’Etat, la seule règle en vigueur est le toujours plus. Ainsi, en 1970, le Ministère de l’agriculture comprenait 28 000 agents pour 2,8 millions d’agriculteurs. Ils sont aujourd’hui 32 850, sans compter les fonctionnaires européens, pour 966 000 agriculteurs. On est ainsi passé d’un fonctionnaire pour 100 agriculteurs à un fonctionnaire pour 29 agriculteurs. De même, le taux d’activité dans la flotte de commerce a été divisé par trois et le nombre de fonctionnaires au ministère de la mer a augmenté de 25 %.

Comme pour son patrimoine, l’Etat ne sait pas exactement combien de fonctionnaires travaillent en son sein et combien sont affectés à des tâches qui n’ont rien à voir avec leur métier d’origine. Bien que l’insécurité augmente, bien qu’il manque de policiers dans les banlieues, 10 000 gardiens de la paix sont en charge de travaux de bureau ; 1000 agents sont affectés à des tâches syndicales, mutualistes ou associatives, 264 sont affectés à l’orchestre de la police. Un policier sur sept n’est pas un policier.

Pas assez de policiers, pas assez d’enseignants, pas assez de gardiens de prisons, c’est peut être vrai. Pour autant, la France ne manque pas de fonctionnaires. Sans compter les effectifs des établissements publics, les enseignants du privé sous contrat, les effectifs de la Poste et de France Telecom et les appelés du contingent, les effectifs de la fonction publique atteignent en France 4,536 millions de personnes. Il y avait, au 31 décembre 1996, 146 000 enseignants privés sous contrats et donc payés par l’Etat. 292 000 salariés travaillent dans des établissements publics et 451 000 à la Poste et France Telecom. En prenant en compte ces différentes catégories, 5,425 millions de personnes travaillent pour les pouvoirs publics. En y ajoutant la Caisse des Dépôts, les sociétés d’économie mixte et les entreprises publiques dont le personnel bénéficie d’un statut proche de celui en vigueur dans la fonction publique, on atteint le chiffre de 6 millions. Avec plus de 20 % de la population active dans la fonction publique, la France est en tête de tous les grands pays occidentaux. Depuis vingt ans, nous avons assisté à une progression ininterrompue sans pour autant que la qualité des services rendus aux citoyens s’améliore. De 1980 à 1996, les trois fonctions publiques ont connu une augmentation de leur effectif de plus 800 000 (230 000 pour l’Etat, 390 000 pour les collectivités territoriales, 146 000 pour les hôpitaux). Les frais de personnel (charges sociales+pensions et traitements) sont passés de 279 à 613 milliards de francs de 1980 à 1998. Dans une note interne réalisée par Jean Choussat, l’inspection des finances fait état d’un sureffectif de 10 %, soit près de 500 000 agents dans la fonction publique en France. Le sureffectif coûterait 150 milliards de francs à l’Etat par an, près de la moitié de l’impôt sur le revenu ou le montant des taxes sur les carburants.

Avant de procéder à de nouvelles créations d’emplois publics, il conviendrait au préalable s’il n’est pas possible de procéder à des transferts entre services ou entre ministères. Il faut avoir conscience que l’embauche d’un fonctionnaire à l’âge de vingt-cinq ans crée une dépense publique durant une cinquantaine d’années compte des frais de pension.

Il ne s’agit pas de geler les effectifs de la fonction publique ; il s’agit de gérer de manière la plus économe possible. Toujours dans un souci d’efficacité, il conviendrait d’instiller de la souplesse dans le recrutement. Le recours systématique au concours couplé à la limite d’âge est générateur de sclérose et crée une barrière étanche entre le privé et le public. Il y a deux France, celle du secteur privé et celle du secteur public qui s’ignorent et se haïssent. Cette absence de porosité est contre-productive. Le secteur public se prive de l’expérience de salariés du privé et de même des fonctionnaires quels que soient leur niveau auraient tout à gagner de faire des allers et des retours dans le privé. Le pantouflage dans les entreprises est aujourd’hui essentiellement réservé à une toute petite caste d’énarques.

La question des relations avec le privé sera d’actualité dans les prochaines années. En effet, de 2000 à 2012, la moitié des fonctionnaires en poste partiront à la retraite. Le nombre des départs passera de 58 000 à 85 000 par an. Selon le Commissariat général au Plan, l’Etat se doit d’adapter les recrutements en fonction des besoins et non procéder au renouvellement automatique. Mais surtout, il devra remplacer des fonctionnaires expérimentés or compte tenu de la pyramide des âges de la fonction publique, il ne pourra pas uniquement jouer sur l’avancement des fonctionnaires un peu plus jeunes. Il devra, sur des emplois demandant des qualifications et de l’expérience mettre, des jeunes recrutés par concours et qu’il faudra former en urgence. Durant les années de chômage, la fonction publique constituait un véritable refuge. Dans les années quatre-vingt et dans la première partie des années quatre-vingt-dix, lorsque les parents étaient interrogés par sondage sur leurs souhaits en ce qui concerne la carrière de leurs enfants, la réponse était simple : fonctionnaires. Il n’était pas rare que des jeunes ayant accompli un troisième cycle présentent leur candidature à des concours catégorie B voire C de la fonction publique, concours accessibles à des candidats niveau bac ou deug. Cette recherche de la protection absolue ne sera pas sans poser des problèmes au sein de la fonction publique. Une grande partie des femmes et des hommes recrutés ces dix dernières années sont surqualifiés par rapport aux missions qui leur sont confiées. Il en résulte une amertume, une exaspération et un sentiment de révolte qu’il faudra gérer. En quelques années, la situation s’est complètement retournée. L’Etat ne fait plus recettes. L’ENA n’attire plus et est contrainte de publier des publicités pour inciter les jeunes à concourir au plus prestigieux concours de la fonction publique. Moins de 1000 candidats, une baisse de plus de 40 % en moins de cinq ans, l’énarque ne fait plus rêver. Cette crise des vocations obligera peut-être l’Etat à réaliser des gains de productivité.

En plus de ces problèmes de recrutement, dans les prochaines années, l’Etat devra faire face à des dépenses de pension en très forte augmentation. Selon Bercy, les engagements de l’Etat en matière de retraite des fonctionnaires coûteront 4000 milliards de francs de quoi faire passer la dette de l’Etat à plus de 8000 milliards de francs soit 100 % du PIB contre 58 % en 2000. Actuellement, les pensions des anciens fonctionnaires sont prélevées directement sur le budget de l’Etat. Il n’y a pas de caisse de retraite. Le Commissariat général au plan propose, à juste titre, que l’Etat crée en système de retraite pour les fonctionnaires d’Etat afin d’individualiser la dépense. Les dépenses de retraites des agents de l’Etat devraient être clairement identifiées dans le budget de l’Etat comme pour les autres régimes. Ainsi, on pourrait clairement connaître leur coût, fixer le montant des cotisations et rendre les acteurs un peu plus responsables. Au nom de l’égalité, un rapprochement avec le régime général des salariés du privé s’impose. Pour éviter une remise en cause brutale des droits acquis, le passage de 37,5 à 40 ans de cotisations dans la fonction publique pourrait ne concerner que les nouveaux entrants sachant que 45 % des fonctionnaires actuels prendront leur retraite d’ici 2012. On pourrait également proposer un système à la carte : intégration des primes en contrepartie d’un allongement de la durée de cotisation, non-intégrationn des primes mais dans ce cas pas d’allongement de la durée de cotisation. Le gouvernement ferait bien de s’inspirer de l’exemple canadien. En effet, le gouvernement canadien a réexaminé l’ensemble des programmes afin de trier ce qui doit continuer à appartenir au secteur public. 120 organismes gouvernementaux ont été transformés ou restructurés. 45 000 des 220 000 fonctionnaires appartiennent désormais au secteur privé ou sont partis à la retraite avec en contrepartie une indemnisation.

En regardant attentivement les offres d’emplois publiés par les quotidiens ou par les hebdomadaires, vous ne tomberez pas sur une offre concernant, par exemple, le poste de directeur du budget ou de directeur des ressources humaines au sein d’un ministère. Il y a peu de chances pour qu’un chasseur de tête vous propose le poste. Les textes en vigueur permettent pourtant de recruter pour des postes de direction des non-fonctionnaires mais cela ne se fait pas ou presque pas. Alain Madelin en tant que Ministre de l’industrie l’avait fait de 1986 à 1988. Il avait résisté à la pression des membres influents des différentes directions de son ministère. Les postes à responsabilité au sein des ministères appartiennent aux écoles de formation des fonctionnaires : l’ENA, Polytechnique par exemple. Mais pour être directeur du budget ou directeur des impôts, il faut, en outre, être sorti dans les premiers à l’ENA une vingtaine d’années auparavant et si possible avoir fait un peu de cabinet ministériel. On peut nommer quelqu’un extérieur au sérail du Ministère à condition qu’il soit issu des grands corps : Conseil d’Etat, Cour des Comptes, Inspection Générale des Finances mais noter bien, il s’agit toujours d’un fonctionnaire.

De nombreux hauts fonctionnaires ont déserté les ministères au profit du privé afin d’échapper à la pesanteur de l’administration, pour gagner plus ou par simple envi de faire autre chose. La multiplication de ces départs prive l’administration de nombreux bons éléments. De ce fait, il est de plus en plus délicat de trouver les personnes idoines pour des postes difficiles. Laurent Fabius a mis plusieurs semaines tant pour composer son cabinet ministériel que pour remplacer plusieurs grands directeurs de son ministère. L’administration doit s’ouvrir et se comporter en matière de recrutement comme une entreprise. Les fonctionnaires doivent accepter qu’un certain nombre de postes puisse être occuper par des femmes ou des hommes issus des privés afin d’éviter une sclérose des méthodes de travail et de gestion. Tout le monde sera gagnant avec l’instauration d’une plus grande mobilité entre les deux secteurs. Dans ces conditions, est-il nécessaire de conserver l’ENA ? Créer après la seconde guerre mondiale afin de fournir des cadres de haut niveau à l’administration et mettre un terme aux procédures de recrutement pas toujours transparentes que les différents ministères ou corps avaient mis en place. L’objectif de Michel Debré, le père fondateur de cette école, a été atteint. Personne ne nie la qualité de la formation délivrée par l’école, ni les compétences des élèves qui en sortent. Mais, l’ENA a créé une nouvelle caste qui se décompose en sous-castes. Cette école a dépassé les objectifs qui lui avaient été alloués. Elle dispose d’une sorte de monopole sur un grand nombre de postes à responsabilités que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Les postes de direction dans les ministères, les postes de direction dans les grandes entreprises, dans les établissements publics, dans les cabinets d’avocat, dans les sociétés de conseil, les postes de ministres, de Premier Ministre sont trustés par les énarques. Or, tout monopole est en soi source de dysfonctionnements. Ce qui est vrai pour Microsoft dans le monde des logiciels l’est pour l’ENA en ce qui concerne les postes de dirigeants.

Les anciens élèves de l’ENA forment un grand réseau aussi influent que peuvent l’être ceux des francs-maçons. Il y a un esprit de corps indéniable entre énarques. Convaincus de faire partis de l’élite, d’être les membres de la caste du savoir et de l’intelligence, ils ont tendance, de manière toute naturelle, de ravaler les non-énarques à de pauvres esprits tout juste bons à être commandés. La supériorité énarchique est certainement le principal enseignement dispensé par l’ENA. En donnant les clefs des ministères, des cabinets ministériels, des grandes entreprises publiques, les hommes politiques ont accepté le triomphe de cette école. Le grand réseau de l’énarchie n’est certes pas homogène. Il y a d’un côté ceux qui ont réussi à intégrer les grands corps et les autres. La vie d’un ancien élève ayant choisi le Conseil d’Etat à la sortie de l’école et celle d’un ancien élève ayant choisi, bien malgré lui, du fait de son rang de sortie, le ministère des affaires sociales ont toutes les chances d’être fort différentes. Il vaut mieux sortir dans les 12 premiers de l’ENA faute de quoi l’ENA peut laisser un goût amer. Le pantouflage, les ors de la République, les beaux postes sont avant tout réservés aux premiers. Ce classement de sortie conditionne toute la vie professionnelle des élèves. Pas de possibilité de rachat, pas de possibilité de passer d’administrateur des affaires sociales à conseiller d’Etat même si on n’en a les compétences. Seule une intervention politique et le passage par un cabinet ministériel peuvent tordre le coup à ces règles stupides. L’énarque considère que le simple fait d’avoir réussi un concours à vingt quatre ans lui donne des droits sur la société pour la totalité de la durée de sa vie professionnelle. Mis sur un piédestal dès le départ, il n’en descend pas jusqu’à sa mort. A l’ENA, on n’apprend pas la modestie et la relativité. Ce monopole des anciens élèves de l’ENA enferme l’Etat sur lui-même. L’introduction des innovations est lente. La suppression de l’ENA est périodiquement évoquée, surtout au moment des élections. Dans cette proposition radicale, il y a un peu la jalousie de ceux qui ne l’ont pas fait. Il y a aussi beaucoup de démagogie car personne n’ignore la force du réseau des anciens élèves. Certes, au nom de l’aménagement du territoire et afin de lutter contre le parisianisme, l’école a été faussement délocalisée en 1992, par Edith Cresson, à Strasbourg ; dans les faits, les locaux de Paris ont été conservés et l’enseignement s’effectue, certainement par souci d’économie, dans les deux villes à moins que ce soit pour aider la SNCF et Air France qui sont mis à contribution pour les navettes des élèves et des professeurs. Il faut mettre un terme au monopole de fait de l’ENA. Il faut créer des écoles concurrentes, des écoles supérieures d’administrations formant aux emplois publics de l’Etat comme à ceux des collectivités territoriales. Actuellement, il y a une séparation stricte entre l’ENA qui forme des élèves pour des emplois dans l’administration d’Etat et de la Ville de Paris et les IRA, institut régional d’administration, qui forme des élèves pour les collectivités territoriales. Il faut surtout supprimer l’automaticité d’emploi dans la fonction publique en cas de réussite du concours et la remplacer par des listes d’aptitudes. Les ministères pourront choisir sur ces listes et recruter après passage d’entretien de motivation.

De la concurrence, il faut en mettre dans les services publics, non pas pour les détruire, mais pour les conforter, les améliorer. Il faut cesser de diaboliser le privé et de vanter le secteur public. Lorsqu’un accident ferroviaire est survenu en 1999 au Royaume-Uni, la responsabilité en a été imputée à la compagnie privée. Un tel accident était impossible en France car la SNCF est publique. Au mois de juillet 2000, personne n’a imputé l’effroyable crash du Concorde au caractère public d’Air France.

Dans notre pays, l’association des mots service public, monopole, entreprise publique est reine. Pourtant, sans remettre en cause les fameux droits acquis, sans mettre à bas la politique d’aménagement du territoire, il serait souhaitable d’instiller de la concurrence dans nos grands réseaux publics. L’Europe ne nous le demande pas par masochisme mais au nom d’une plus grande efficacité. La France est la mauvaise élève de l’Europe. Avec la Grèce, notre pays est celui qui met le plus de temps pour appliquer les directives européennes surtout quand elles concernent les services publics. Qu’un des pays fondateurs de l’Union européenne soit constamment à la traîne et exige des délais supplémentaires d’adaptation, n’est pas très glorieux. Il serait tout à fait concevable sur le réseau ferré français de faire circuler des trains de différentes compagnies et de leur imposer des obligations de services publics qui donnerait lieu à des compensations de la part de l’Etat. Pour pouvoir accéder au réseau, les compagnies devront, par exemple, s’engager à desservir certaines villes. Cela ne coûterait pas plus cher aux contribuables qui consacre plus de 40 milliards de francs par an à la SNCF. Comme pour le téléphone, le coût du transport baisserait.

L’introduction de la concurrence permettra aux élus de mieux contrôler. Qui aujourd’hui osera crier que la SNCF n’effectue pas convenablement son travail compte tenu de l’osmose qui existe entre sa direction et son ministère de tutelle ? Qui osera critiquer la SNCF de peur de déclencher une grève ? Personne. Le monopole transforme les élus en vassaux. Instituer de la concurrence redonne du pouvoir aux élus qui peuvent choisir et imposer plus librement des obligations.

Air France demeure une entreprise contrôlée par l’Etat ; or, elle intervient sur un secteur ultraconcurrentielle sur lequel les entreprises sont privées. Il n’y a aucune raison si ce n’est politique et syndicale de maintenir dans le secteur public Air France. De toute façon, sa privatisation totale est inscrite à moyen terme. Pour se développer, pour acheter de nouveaux avions, Air France ne peut plus compter sur l’Etat qui est un actionnaire condamné à être financièrement passif. Au nom des règles de concurrence en vigueur au sein de l’Union européenne, l’actionnaire public ne peut plus, en effet, réaliser des dotations en capital. C’est la raison pour laquelle le capital d’Air France a été ouvert au privé.

Logiquement, les lignes intérieures françaises sont ouvertes à la concurrence, or force est de constater que hormis Air Liberté et AOM qui font partie du même groupe sur quelques lignes, peu de compagnies se sont précipité pour relier les différentes villes françaises. Cette situation résulte du quasi-monopole dont bénéficie Air France sur Orly Ouest et sur certains créneaux horaires. Afin de passer de la théorie à la pratique pour la concurrence aérienne, il faudrait remettre à plat les créneaux horaires sur les différents aéroports. Est-il normal que le billet Paris-New York coûte moins cher qu’un billet Paris Ajaccio. Pourquoi ne pas mettre aux enchères les créneaux horaires et les autorisations de décollage ?

Pour l’électricité et pour le gaz, le client ne pourrait que sortir gagnant de l’introduction d’une forte dose de concurrence. A la différence du transport ferroviaire pour lequel le législateur a créé récemment deux entités juridiques, une chargée de réseau, c’est à dire les rails et l’autre chargée du transport en tant que tel, pour l’électricité, le producteur est aussi distributeur. EDF et GDF contrôlent toute la chaîne. Certes dans ces deux secteurs, le monopole n’est pas parfait car il existe des compagnies privées ou publiques qui de manière marginale produisent de l’électricité ou assure la distribution du gaz de ville. Pourquoi ne pas appliquer à EDF et à GDF en France ce qu’elles font à l’étranger au nom du cher principe de réciprocité ? EDF soumissionne à des marchés de production ou de distribution aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. On pourrait imaginer que la construction d’une centrale électrique fera l’objet d’un appel d’offre tout comme la vente de l’électricité au particulier. Ainsi, une entreprise A pourrait produire de l’électricité, la vendre à une compagnie B qui utilise les lignes d’une compagnie C pour l’acheminer auprès des particuliers. A chaque fois, les marchés seraient conclus pour une durée déterminée. En fonction du cours des matières énergétiques, la compagnie B pourrait opter pour un producteur spécialisé dans la production d’électricité d’origine nucléaire ou pour un producteur spécialisé dans la production à partir du fioul. La traduction à minima de la directive européenne concernant le marché de l’électricité protège les acquis nationaux d’EDF. La France ne manquera pas d’être condamnée pour mauvaise application d’un texte européen.

De plus en plus, la vieille conception française du service public s’effrite avec l’arrivée des nouvelles technologies. Qui dit réseaux, dit concurrence. Personne ne s’offusque de pouvoir envoyer des @mail grâce à Wanadoo, Liberty Surf, hotmail, yahoo, caramail, AOL, etc… Pour envoyer en urgence un colis, une lettre, on peut passer par des entreprises privées ; alors pourquoi la Poste conserve-t-elle son monopole sur le courrier classique ?

Lourdeur et complexité caractérisent la sphère publique malgré le dévouement des millions de fonctionnaires qui y travaillent. Avant même le niveau excessif des prélèvements, ce que les Français reprochent à leur administration, c’est son côté courtelinesque. Rien que pour les prélèvements obligatoires, chaque employeur a au minimum six interlocuteurs : trois pour les impôts, direction générale des impôts, services des douanes, Trésor Public, trois pour la perception des cotisations sociales URSAFF, ASSEDIC et régimes de retraite complémentaire. Le versement des différents impôts et des différentes cotisations sociales intervient à des dates différentes. L’employeur est transformé, à son corps défendant, en auxiliaire de l’administration fiscale qui est une des moins productive du monde occidental. Les entreprises doivent gratuitement calculer leurs impôts, leurs taxes et leurs cotisations. Le projet d’instauration d’un interlocuteur unique lancé sous Dominique Strauss-Kahn et Christian Sautter serait une avancée non négligeable.

Cette pesanteur administrative se traduit par un nombre réduit de créations d’entreprises. Au-delà de l’extrême médiatisation des start-up, les Français qui souhaitent créer leur entreprise rencontrent d’énormes difficultés et sont découragés par les obstacles à franchir. Les banques qui ont été par leurs structures, jusqu’à une date récente des annexes des administrations ont une part de responsabilité dans le faible chiffre des créations d’entreprise. En 1999, moins de 270 000 créations ou reprises d’entreprises ont été enregistrées. Chiffre faible comparé aux 13 millions de Français qui souhaitent se lancer dans la création d’entreprise et des 3 millions qui ont en tête un vrai projet dans leur tête (étude IFOP, janvier 2000). La France ne compte que 2 350 000 entreprises pour une population de 60 millions d’habitants avec en outre un très faible nombre d’entreprises moyennes. La France économique se compose de très grandes entreprises de plus en plus internationalisées et une multitude de micro-entreprises. En revanche, il y a une absence nette d’entreprises de taille moyenne. Les droits de succession, l’ISF et plus globalement l’ensemble des prélèvements freinent le développement des entreprises familiales et incitent leur propriétaire à les vendre à de grands groupes.

Nonobstant le problème du niveau des impôts, les entreprises comme les particuliers sont confrontés à l’absence de neutralité de notre système fiscal. Les gouvernements en voulant aider les grandes entreprises ou tel ou tel secteur d’activité ont créé de toutes pièces un véritable maquis qui n’avantage personne sauf les sociétés de conseil et qui nuit au très grand nombre. Les différents mécanismes d’incitation fiscale, par exemple, en faveur du logement, du cinéma, des DOM-TOM, des actions françaises coûtent chers à tous les contribuables sans pour autant avoir un réel impact. Les DOM-TOM n’ont guère profité des dispositifs de défiscalisation. La qualité du cinéma français ne s’est pas améliorée malgré les SOFICA qui sont des sociétés de financements bénéficiant d’importants avantages fiscaux ; elles sont de ce fait devenues des sociétés de défiscalisation des investissements cinématographiques qui permettent aux producteurs d’accumuler des navets sans avoir à en payer financièrement les conséquences. Certes, la France a conservé une production cinématographique mais qui est de moins en moins regardée. Au nom de l’art et de la défense de l’exception française, un secteur public a été institué.

Être libéral ne signifie pas exiger la disparition des impôts et le retour aux vieilles solidarités. Un système fiscal libéral repose sur la neutralité ; le comportement des acteurs économiques ne doit pas être guidé par des mesures fiscales. Au nom de l’efficacité, le libéral exige que les prélèvements soient fixés au plus bas niveau possible pour financer les dépenses publiques. Le libéral peut accepter un haut niveau de dépenses publiques à condition que cela ne génère pas d’effet pervers sur l’activité, que ces dépenses ne dissuadent pas de travailler ou ne portent atteinte aux règles de la concurrence et qu’elles soient efficaces.

En France, on décourage à la fois les jeunes les plus dynamiques et les personnes les plus modestes. Du fait de la progressivité de l’impôt sur le revenu et des effets de seuil généré par l’application de plafonds de ressources pour l’octroi des allocations et des prestations, de nombreuses personnes sont incitées à rester au chômage, à travailler au noir et donc à refuser de se réinsérer. La trappe à pauvreté pourrait concerner plus de 800 000 personnes, le noyau dur du chômage. Il est fréquent de rencontrer des hommes ou des femmes qui jouent sur les prestations, qui font des allers-retours entre le monde du salariat et du chômage ,qui cumulent période de stages de formation permettant de prolonger les périodes d’indemnisation.

Mieux lisser les prestations en fonction des ressources, instituer un impôt négatif versé aux personnes qui reprennent une activité professionnelle, mieux contrôler l’utilisation des prestations et les conditions de leur obtention, tels devraient être les objectifs d’un Etat providence moderne. Au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, le guichet automatique à prestations et à subventions est remplacé par un suivi au fond des prestataires. Les gens honnêtes sont gagnants car ils disposent de moyens supplémentaires pour s’en sortir. Ne pleurons pas sur le sort des petits malins de l’ancien système ; ils retrouveront vite des petites combines à travers les méandres de l’Etat providence. En vertu de quoi il est scandaleux que le bénéfice d’une allocation qui est une créance de la société sur un individu soit conditionné. Le versement d’allocations chômage qui constitue une créance et non un droit sur la société suppose que l’attributaire recherche efficacement un emploi. Aujourd’hui, les allocations sont des droits de tirage automatiques. Les rusés en profitent mais le plus grand nombre en pâtit. En effet, l’anonymat qui prévaut dans le versement des allocations favorise l’exclusion. Laisser à soi même, ne connaissant l’administration que sous la forme du guichet, le chômeur, le parent isolé, le malade n’a aucune chance de rebondir.

Avec un taux marginal d’impôt sur le revenu de 53,25 % pour les revenus 2000, mais qui peut dépasser 72 % si on intègre la CSG, le RDS, les cotisations sociales, l’initiative est découragée. Lorsque 100 francs ne pèsent que trente francs, il y a forcément un problème. Pourquoi des Français partent à Londres, ce n’est pas pour le climat, pourquoi des Français partent aux Etats-Unis, ce n’est pas pour la nourriture, c’est pour créer et s’enrichir ; c’est humain même si cela ne fait pas plaisir aux jaloux et aux envieux. L’administration fiscale a beau répété que la fuite des Français est marginale, mais peut-on lui faire confiance alors qu’elle est incapable de prévoir les rentrées fiscales des trois prochains mois. Comme ce sont des jeunes qui partent, l’administration fiscale ne les a pas intégrés dans ses statistiques fiscales. Il n’y a pas obligatoirement diminution de l’assiette fiscale, il y a surtout un manque à gagner.

Pour conserver les créateurs pour attirer des entrepreneurs étrangers qui paieront des impôts, des cotisations retraite, il faut accepter d’abandonner les vieux clichés de l’Etat social-démocrate. Pour les socialistes, un système fiscal est juste à partir du moment où il est progressif. Plus vous gagnez d’argent, plus le mord fiscal doit faire mal. Vous gagnez 100, l’Etat vous en prend 30, vous gagnez 200, l’Etat vous en prend 80. Ce système qui dans le premier cas vous laissera 70 et dans l’autre 120 est jugé juste. Vous gagnez deux fois plus d’argent mais vous touchez moins de deux fois votre premier revenu après impôt. C’est la fameuse progressivité. Ce raisonnement repose sur le rejet de l’enrichissement, sur le fait que l’argent corrompt. Il repose sur le refus implicite du système marchand. Dans un Etat social-démocrate, seule la dépense publique est bonne et utile à la société ; les dépenses privées sont considérées contre-productives, nuisibles. Pourtant avec la TVA, la consommation rapporte plus que l’impôt sur les revenus. Même les placements financiers, pourtant décriées, génèrent des revenus, créent des richesses qui sont taxées.

L’introduction d’un système d’imposition plus proportionnel aurait un impact positif sur l’activité. Un tel système ne serait pas injuste. Celui qui gagne 200 paiera, pour reprendre l’exemple précédent, 60 soit plus que celui qui gagne 100 et qui acquittera un impôt de 30. Comme on peut le constater avec la TVA lorsqu’on diminue les taux, le produit fiscal pourrait s’accroître en raison d’un simple effet richesse. L’entrave fiscale disparue, il y a aurait une légalisation d’une partie du travail au noir et également un essor de l’initiative créateur de revenus. Tous les grands pays occidentaux ont réduit leurs taux marginaux d’imposition et accru le caractère proportionnel de leurs impôts, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne ont réduit leur nombre de tranche et abaissé leur taux marginal. Gehard Schröder a décidé d’abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés de 47,8 à 25 %, soit plus de 10 points en dessous du taux français. Il a aussi abaissé le taux marginal de l’impôt sur le revenu de 51 à 43 %.

Les prélèvements ont, en 1999, atteint un record, 45,7 % du PIB au lieu de 35 % en 1970, soit plus de 4000 milliards de francs. La France n’est dépassée au sein des pays occidentaux que par la Suède, le Danemark, la Belgique et la Finlande. De 1997 à 2000, les impôts, les taxes et les cotisations se sont accrus de plus de 500 milliards de francs et de 400 milliards de francs si on prend en compte l’érosion monétaire. En 1999, les pouvoirs publics ont capté plus de 70 % des fruits de la croissance. Cela ne serait pas dramatique si les services offerts par les administrations étaient irréprochables et si la France était un modèle en matière d’éducation, de recherche, d’insertion, de lutter contre la délinquance. Tel n’est malheureusement pas le cas. Il y a une mauvaise allocation des ressources. Pour moins cher, il est évident que l’on peut obtenir des services de meilleure qualité.

Conscient du niveau excessif des prélèvements, le Gouvernement de Lionel Jospin présente annuellement son plan de baisses d’impôt. Dans les faits, il s’agit de plans de moindre progression des prélèvements. Au lieu d’augmenter de 580 milliards de francs, les impôts augmentent de 500 ou de 4000. Quel cadeau fantastique…. En 1997, la première décision de Lionel Jospin avait été de supprimer le plan quinquennal de baisse des impôts d’Alain Juppé. En 2000, trois ans plus tard, il a proposé en écho un plan triennal de réduction des prélèvements. Tout cela est très logique. Dans une tribune au journal Le Monde du 25 août 2000, Laurent Fabius, Ministre de l’Economie et des Finances, résume parfaitement la situation fiscale française, « par son poids et par sa répartition, elles constituent un handicap structurel majeur pour notre économie. Il y a un an, dans ces mêmes colonnes, j’avais écrit que la gauche ne courait guère de risques d’être battue par la droite mais qu’elle pouvait l’être par les impôts et les charges ». En 1997, lors des élections législatives, la droite avait été battue plus par les augmentations d’impôt de 1995 que par la gauche. Les Français sont de plus en plus dubitatifs face à la longue litanie des promesses de baisses d’impôt jamais traduites en actes.

Le plan fiscal de Laurent Fabius présenté le 31 août 2000 est-il libéral ? Sur trois ans, 120 milliards de francs de baisses d’impôt ont été programmés. Cela signifie aucunement que le montant global des impôts, cotisations et charges diminuera de ce montant. Au mieux, l’augmentation réelle des impôts sera inférieure de 120 milliards de francs à ce qui aurait pu survenir si le gouvernement n’avait pris aucune disposition. 120 milliards de francs, soi-disant, le plus grand plan fiscal de ces cinquante dernières années ; mais aucune réforme de fond, juste un savant saupoudrage. pas de simplification, pas d’atténuation des effets de seuils et du caractère anti-économique de la fiscalité française. Une vingtaine de milliards de francs pour l’impôt sur le revenu, une vingtaine pour l’impôt sur les sociétés, une vingtaine pour la CSG et quelques uns pour les taxes sur les carburants. La suppression de la vignette est une mesure sympathique mais elle aboutit à étatiser un impôt perçu par les départements. L’Etat s’est engagé à compenser la perte des recettes ce qui signifie que le contribuable national paiera à la place du contribuable local ; c’est souvent le même… Ainsi, le Gouvernement pratique un étrange tour de passe-passe. Il faut moderniser la fiscalité locale qui est aujourd’hui archaïque, injuste et rejetée mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’indépendance financière des collectivités locales. Il ne peut y avoir de baisse durable des prélèvements sans une réelle maîtrise des dépenses.

La stabilisation des impôts constituerait une véritable révolution tout comme leur simplification. Aujourd’hui, le premier bénéficiaire de la croissance, ce sont les administrations publiques. Plus les Français travaillent, plus l’Etat s’enrichit.

Ces recettes nouvelles auraient du être soit rendues aux Français sous la forme de baisses d’impôt, soit sous la forme de dépenses d’investissement afin de préparer l’avenir ; elles auraient pu être également consacrées au désendettement de l’Etat. Le Gouvernement a opté pour un saupoudrage. Quelques baisses d’impôts dont les montants n’ont rien à voir avec les ponctions réalisées depuis 1997. Une petite réduction du déficit qui laisse la France toujours au dernier rang des pays occidentaux. Des cadeaux offerts sous forme de dépenses courantes supplémentaires à quelques ministères en proie à des conflits sociaux récurrents.

Il est vain d’espérer un grand soir fiscal qui d’un coup de baguette magique moderniserait l’ensemble de la fiscalité française car sa complexité, sa structure n’est pas sans lien avec les caractéristiques de la société française. Le poids important de la TVA témoigne d’une préférence implicite pour l’impôt indolore. On paie plus de TVA que d’impôt sur le revenu durant l’année, mais pour le premier, on ne s’en rend pas compte à la différence du second. La CSG, le CRDS, les cotisations sociales passent également inaperçus or cumulés, ces trois prélèvements s’élèvent à plus de 2000 milliards de francs.

Pour l’impôt sur le revenu, l’existence de multiples réductions, de régimes dérogatoires, d’abattements et d’allègements donne l’impression aux contribuables de gagner de l’argent. Il est convaincu qu’il a réussi à détourner des caisses de l’Etat une partie de ses revenus. Par ces dispositifs, chacun a l’impression d’être, sans aucun risque, un fraudeur.

En France, le riche, c’est forcément l’autre que l’on jalouse. C’est pourquoi les impôts à rendement faible qui vise des clientèles très spécifiques sont toujours populaires. L’impôt de solidarité sur la fortune qui rapporte environ 10 milliards de francs en est le meilleur symbole. Taxant le capital essentiellement immobilier et financier, il est un frein au développement des entreprises familiales surtout lorsqu’il s’ajoute à d’éventuels droits de succession. Ce type d’impôt a beau être supprimé dans de nombreux pays occidentaux, il a été transformé en porte-étendard de la justice fiscale. Les symboles ne sont jamais aussi beaux lorsqu’ils sont inutiles voire dangereux.

En 1997, Lionel Jospin avait promis de ramener le taux normal de TVA à son niveau de mai 1995, soit 18,6 %. Il a fallu près de trois ans pour le ramener de 20,6 à 19,6 %. Pourquoi ce peu d’empressement à respecter une promesse électorale ? C’est tout simple, au sein de l’administration et de la classe politique, il y a un sentiment très amplement partagé, la TVA est un impôt indolore, efficace et qui frappe les importations. Indolore, c’est en parti exact. La TVA rapporte plus de 600 milliards de francs, soit deux fois le montant de l’impôt sur le revenu sans que les Français s’en rendent compte. Mais, l’augmentation de deux points en 1995 n’est pas passé inaperçue. 70 milliards de francs supplémentaires, ce n’est pas rien. 70 milliards de francs de prélèvements de plus, c’est 70 milliards de francs de pouvoir d’achat en moins, c’est moins de consommation, moins d’investissement, moins d’épargne. Les deux points de TVA ont joué un grand rôle dans la stagnation des années 95/97. Si l’augmentation de la TVA était vraiment indolore, pourquoi ne pas porter le taux normal à 25 voire 30 %. Les supporters de la TVA affirment que cet impôt permet de taxer les produits en provenance des pays à faibles coûts de main d’œuvre. Ce raisonnement protectionniste repose sur aucun fondement économique. Une chemine fabriquée en Chine et vendue à 50 francs hors TVA en France coûtera toujours moins chère qu’une chemise, made in France, vendue hors taxe 300 francs que le taux de TVA soit fixé à 17, 25 ou 40 %. Ce sont les consommateurs qui sortent perdants de ce genre de raisonnement. Heureusement, le projet de TVA sociale qui était d’actualité entre 1993 et 1995 a été abandonné. Les partisans de la TVA répètent que les baisses de taux d’un point n’ont aucun effet, que les entreprises ne répercutent pas la baisse sur les prix. Dans un marché ultra-concurrentiel, comme cela est le cas depuis le début des années quatre-vingt-dix, les comportements des entreprises ne sont plus ceux des années d’inflation durant lesquelles il fallait tout faire pour sauvegarder ses marges. Et puis, 35 milliards de francs obtenus par une baisse d’un point de TVA ne disparaissent pas d’un coup de baguette magique. L’argument de la non répercussion d’une baisse est doublement diffament pour les entreprises. Premièrement, on les accuse de vol ; deuxièmement, on leur dénie tout droit d’améliorer leurs résultats. En 1995, il était normal que les entreprises ne répercutent pas l’augmentation des deux points de TVA et réduisent leurs marges. En revanche, il est impensable qu’elles puissent les augmenter au moment d’une réduction de la TVA.

Notre système de TVA est source d’importantes distorsions de concurrence et favorise le travail au noir. Que le chocolat au lait soit taxé à 19,6 % et le chocolat noir à 5,5 %, est-ce vraiment logique ? Que le beurre soit assujetti au taux de 5,5% et la margarine à 19,6 % ; est-ce vraiment logique ? Que la restauration sur place soit soumise au taux de 19,6 % alors que les produits de la restauration rapide à emporter soit soumis au taux de 5,5 %, est-ce vraiment normal ? Non.

Ces distorsions sont d’autant plus importantes que l’écart entre le taux normal et le taux réduit est élevé ; il atteint 14,1 points. Un tel écart influe sur les comportements économiques et aboutit à pénaliser certains secteurs d’activité. Il conviendrait de rapprocher les deux taux. Par ailleurs, quand un bien, une prestation subit une taxation de près de 20 %, il y a une incitation à la fraude. Le Gouvernement l’a bien compris en ramenant le taux de TVA applicable aux travaux dans le bâtiment à 5,5 %.

Dans les prochaines années, le régime de TVA sera obligé d’évoluer au sein de l’Union européenne. Actuellement, malgré le marché unique, la TVA reste un impôt national. Les taux diffèrent d’un pays à l’autre ce qui est une source de complexités pour les entreprises. La Commission de Bruxelles a proposé, afin de résoudre ce problème, que les taux de TVA appliqué aux biens et prestations soient ceux du pays producteur. Une voiture produite en Allemagne pourrait être vendue, en France, au taux de 15 %, taux en vigueur outre-Rhin et non au taux de 19,6 %. Ce régime nécessitera de fait un rapprochement des taux de TVA ; le consommateur sera pour une fois gagnant.

La cristallisation du débat fiscal sur le taux marginal de l’impôt sur le revenu témoigne de l’emprise de la pensée sociale démocrate. Diminuer le taux marginal signifie aider les riches. A partir de quand devient-on riche ? Un million, deux millions de francs de revenus annuels ; non pour un célibataire à partir de 350 000 francs de revenus imposables. L’ennemi, ce n’est pas le vrai riche mais bien la classe moyenne, le petit bourgeois parisien ou de province.

Le vrai riche a toujours la possibilité de se délocaliser, de transférer tout ou partie de sa richesse dans un paradis fiscal. La Suisse n’est pas loin et l’internet permet de gérer à distance sa fortune. Les habitants du XVI ème arrondissement sont de moins en moins des électeurs mais des touristes de passage dans la capitale. Dans les grands hôtels parisiens, on peut croiser des Français de plus de 50 ans qui viennent travailler en Ile de France durant la semaine avant de repartir pour Bruxelles, Genève, Londres le week-end. Pour éviter de se faire remarquer par l’administration fiscale, il règle leur note en espèce. Travailleurs immigrés qui se cachent de l’administration, tel est le nouveau statut des riches ex-Français. Ils ne sont pas à plaindre avec leur maison au bord du lac Leman, avec leur Mercedes et leurs comptes répartis aux quatre coins de la planète, non ceux qui sont vraiment à plaindre, c’est nous qui restons comme des idiots en France, c’est l’Etat qui perd de l’argent, des recettes fiscales. Le riche n’est perçu que sous l’angle du profiteur, de l’exploiteur et non sous l’angle du créateur et du redistributeur de richesses. Le riche de nos jours n’est pas un Harpagon qui accumule sous son lit des pièces, des assignats ou des titres. Un riche consomme plus que la moyenne par définition, il investit plus que la moyenne. Mais, il est scandaleux qu’un riche soit riche. Il est inadmissible de gagner plusieurs millions par mois sauf quand on s’appelle Anelka. Il faut taxer celui qui est gagne beaucoup. Derrière ce goût prononcé pour la taxation, il y a bien évidemment la jalousie puis la conviction que la redistribution publique est supérieure à la redistribution privée ; il y a la conviction que l’allocation versée par l’Etat résout le problème de la pauvreté que la croissance.

Malheureusement, les milliers de milliards de prestations sociales ne sont pas financées par les impôts acquittés par les riches. Malheureusement, car si c’était le cas, cela signifierait que la France attirerait les riches de toute la planète. Non, ce sont les classes moyennes, voire les revenus modestes qui paient les allocations, les pensions, les prestations dont bénéficient les Français. La fameuse tranche marginale dont le taux était pour les revenus de 1999 fixé à 54 % n’a rapporté que 5,5 milliards de francs sur un total dépassant 330 milliards de francs.

Une personne à revenus et à capital importants qui fuit la France, c’est une perte fiscale pour l’Etat, pour les collectivités locales et pour les régimes sociaux. Mais, c’est surtout une perte pour l’ensemble de la communauté française qui se prive ainsi de créateurs d’entreprise, d’artistes, d’écrivains de talents, qui se prive de l’apport économique de personnes aisées. Par leurs compétences, par leur capacité de mobilisation sur leur nom, les riches sont les mieux placés pour créer des entreprises et donc des emplois. Souhaitant être à la pointe de la mode, ils consomment, investissent et contribuent à faire marcher plus rapidement l’économie du pays dans lequel ils sont.

La France compte tenu de ses atouts géographiques, climatiques, technologiques devraient non pas rejeter ses riches mais tenter d’attirer les riches des autres pays afin de capter une partie de leur revenus. Impossible en l’état actuel des mentalités ; mais pourquoi pas, la gauche n’a t-elle pas accepté de baisser le taux marginal de l’impôt sur le revenu. Pour conserver nos chefs d’entreprises familiales, il conviendrait certes d’abandonner l’impôt de solidarité sur la fortune qui malgré sa création récente constitue un archaïsme d’un autre âge. Nos voisins et en particulier les Allemands ont abandonné l’idée de taxer le capital. En France, chaque Gouvernement pratique la surenchère démagogique. Compte tenu du faible nombre de contribuables imposés à l’ISF, il est au nom de la justice sociale d’accroître toujours un peu plus l’ISF. Surtaxe de 10 %, déplafonnement, durcissement des règles d’imposition, chaque loi de finances se doit de comporter sa dose de mesures anti-riches. L’ISF rapporte 10 milliards de francs et touche moins de 300 000 personnes. Au nom de la justice sociale, la somme des impôts directs, impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, impôts directs locaux peuvent dépasser 85 % du revenu imposable. Trouvant ce taux de plafonnement trop généreux, il a été décidé en 1995 de plafonner le plafonnement. Cette réforme a pour conséquences que des contribuables puissent subir un prélèvement supérieur à 85 %. Comment voulez-vous qu’avec un tel taux, des Français ayant une fortune pas obligatoirement hors norme reste en France ? Un rapport de l’administration fiscale publiée au premier semestre de l’année 2000 tentait de minimiser l’impact des délocalisations fiscales qui se réduiraient à quelques centaines de cas par an. Selon le ministère de l’Economie et des finances, en ce qui concerne l’ISF, 350 personnes assujetties, soit 0,2 % du total, seraient partis en 1998 entraînant une perte fiscale de 140 millions de francs, soit 1,3 % du rendement de l’impôt et une perte en capital de 13 milliards de francs. Ces chiffres traduisent soit les personnes visées par l’ISF sont parties depuis longtemps, soit que l’administration fiscale n’arrive pas à évaluer les délocalisations fiscales.

La taxation du capital pour financer les administrations publiques est, par nature, contre-productive et archaïque. Abandonnée par nos partenaires économiques, elle résiste au nom de la justice sociale. Or, l’ISF comme les droits de succession sont destructeurs. Ils obligent bien souvent des dirigeants d’entreprise à vendre dans les pires conditions leur affaire ; les perdants sont bien souvent les salariés et la nation, les entreprises étant souvent acquises à faibles prix par des firmes étrangères. L’impôt sur le capital qui ne tient pas compte des revenus ou des bénéfices conduit au sous-investissement et freine le développement des entreprises ; il est l’ennemi du bulletin de salaire. Une entreprise, c’est un et même compte, ce qui est payé à l’Etat ne l’est pas aux salariés. Le sous-investissement entraînera une diminution du chiffre d’affaires qui aura des incidences sur l’emploi et les salaires.

Les biens professionnels sont exonérés d’impôt sur la solidarité sur la fortune à condition que les dirigeants détiennent au moins 25 % du capital. Si la participation des dirigeants tombent au-dessous de 25 %, ces derniers deviennent imposables sans pour autant gagner obligatoirement plus d’argent. Ce seuil bloque donc les ouvertures de capital des entreprises familiales qui sont condamnées soit à disparaître, soit à rester des petites PME. Le faible nombre d’entreprises familiales qui passent dans la cour des grandes entreprises s’explique par le caractère antiéconomique de la fiscalité du patrimoine.

Evoquer une éventuelle suppression de l’ISF provoque automatiquement une levée de boucliers à gauche. A droite, depuis l’abrogation de l’Impôt Général sur la Fortune, le prédécesseur de l’ISF, en 1986, plus personne ne veut rééditer cet exploit. A tort plus qu’avec raison, les élus de droite considèrent que la défaite de leur camps, en 1988, s’explique par cette suppression.

La réforme de l’impôt sur le revenu, la baisse de la TVA, la réduction des droits de mutation et la refonte voire la suppression de l’ISF sont impossibles à réaliser d’un coup dans un pays comme la France. Nos voisins ont pourtant réussi à mettre en œuvre des réformes fiscales de grande ampleur qui tout en diminuant les taux des impôts supprimaient des avantages acquis, des abattements, de réductions d’impôt. La réussite d’une réforme fiscale suppose un minimum de consensus national, un minimum de concertation et de dialogue avec l’opposition. La refonte des grands impôts ne peut pas prendre la forme d’une victoire sans appel de la majorité, d’un clan ou d’un parti. La vie politique française ne facilite pas l’application de grandes réformes du fait qu’elle s’apparente à une guerre civile permanente, le bruit des armes en moins. L’opposition a tout juste le droit de s’opposer mais certainement pas de travailler, de participer à l’élaboration de solutions. De toute façon, elle n’a guère envi d’être associer de peur de porter le nom de collabo du pouvoir.

Le libéral fait peur car il a été diabolisé en affreux capitaliste. Or, il existe une attente libérale forte dans l’opinion publique non pas pour remettre en cause ce que l’on appelle pompeusement les avantages sociaux mais pour réguler autrement la vie sociale. Depuis la seconde guerre mondiale, les Français s’en sont remis comme un seul homme à l’Etat. Ils ont depuis près de dix ans que l’Etat avait été incapable de régler le problème du chômage, de la pauvreté, de l’insécurité. Ils ont été effrayé par les dysfonctionnements étatiques en particulier dans les affaires du sang contaminé et plus récemment dans l’affaire de la vache folle. Ils ont compris qu’ils étaient l’éternel dindon de la farce à qui on demandait de payer pour des sinistres dont la responsabilité incombait aux pouvoirs publics. Ainsi, pour sauver le seul secteur bancaire public, la Cour des Comptes a dans un rapport publié au mois de décembre 2000 indiqué que le coût pour les Français avait dépasser les 140 milliards de francs. Ils ont pu constater l’immobilisme de l’Etat en ce qui concerne les retraites, les obligeant à recourir à des solutions individuelles. Ils ont été scandalisé par les affaires de financement des partis politiques. Face à ce sombre tableau, ils ont compris qu’il fallait qu’ils prennent en main leur vie et privilégié le contrat et la négociation. La quasi faillite de l’Etat est une chance pour la France. Elle permettra peut-être de redonner à la société civile toute sa place et mettre un terme au paradoxe français de l’Etat hégémonique.

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