Osons le profit !
Le profit est un gros mot dans la langue française. En l’écrivant ou le prononçant, nous avons le sentiment d’enfreindre un interdit ; nous nous sentons obligé de nous justifier. Il est politiquement incorrect. Le profit, les bénéfices sont, en France, illégitimes. L’annonce au printemps des bénéfices des entreprises du CAC 40 ne sonne pas l’heure des félicitations en faveur des bons gestionnaires mais provoque un flot de critiques. Le profit n’est perçu que sous l’angle de l’exploitation des salariés par le patronat, comme un gain indu prélevé sur le travailleur ou le consommateur. Est-ce la traduction de notre culture catholique ou plutôt de réminiscences compte tenu du faible nombre de pratiquants réguliers ? Est-ce l’influence persistante du marxisme qui a imprégné, à défaut d’être lu, notre classe politique ? Est-ce notre jalousie, notre goût de l’égalitarisme qui nous amène à détester des revenus que touchent les actionnaires ? Il y a sur ce sujet une énigme française.
Le profit est assimilé au capitalisme et serait même son vice. Or, il est loin d’occuper le rôle principal de l’économie de marché que certains voudraient l’affubler.
Le profit est depuis le début de la science économique moderne sujet à discussion. Pourtant, il y a une forte convergence entre les économistes libéraux dit classiques et les marxistes. Pour ces deux courants, le profit est voué à disparaître, à tendre vers zéro. Chez Schumpeter, c’est une phase transitoire liée à la rente procurée par l’innovation. Pour Marx, la loi des rendements décroissants a pour conséquence une disparition progressive mais inévitable du profit.
Chez l’auteur classique, Ricardo, la baisse du profit est liée à l’augmentation de la population (Ricardo) et chez le père des libéraux, Adam Smith, c’est l’augmentation de la concurrence qui pèse sur les prix.
Mais, qu’est-ce que le profit ?
Le profit, c’est l’inverse d’une perte. C’est la marque d’une entreprise qui peut poursuivre et développer son activité. Mais, au-delà de ces considérations, la notion de profit a toujours fait débat au sein des économistes.
Pour les marxistes, le profit est généré par la plus-value apportée par le travail. Il symbolise l’exploitation du facteur travail. Pour Schumpeter, le profit est le fruit de l’innovation. Le profit disparaîtra à partir du moment où l’innovation se diffusera. Seules de nouvelles innovations permettent au profit de se maintenir. Certes, chez quelques classiques comme Marshall ou Say, le profit est le produit naturel de l’activité de l’entreprise ou de l’organisation. L’activité de l’entreprise est un facteur distinct du capital et du travail et doit être rémunéré en tant que tel.
Le profit est l’expression d’une efficience globale de l’entreprise. Il nait à travers une bonne combinaison des facteurs de production, à travers la planification des objectifs et des moyens de l’entreprise. Il repose sur l’innovation et sur le dynamisme et il repose sur la prise de risque pris par l’entrepreneur, par l’actionnaire… Il est la conséquence d’un avantage d’ordre matériel, intellectuel ou moral qu’une personne ou qu’une collectivité peut tirer de quelque chose. Toute action est susceptible de générer un profit.
Pour ces auteurs classiques, le profit est un indicateur et un outil. Le profit est un critère de choix, un instrument de décision. Le profit est un critère de l’efficacité relative des entreprises.
Le financement des entreprises par des ressources longues nécessite des profits, des bénéfices. Mais, il ne faut pas oublier que le profit est un mécanisme d’accroissement du capital au profit de l’entreprise qui en est à l’origine mais aussi au profit d’autres entreprises en fonction des décisions pris par les actionnaires.
Certes, le profit n’est pas exclusivement le résultat d’une efficience productive. Il peut être aussi le résultat d’une rente de situation ou d’un monopole. Il peut être généré par la cession d’actifs, par une réduction des coûts, par un dépeçage de l’entreprise… Il peut être généré par la corruption, par un trafic illégal ou par l’exploitation des salariés…
Mais faut-il condamner le profit au nom de quelques abus qui peuvent, par ailleurs, donné lieu à des poursuites pénales ou civiles. Les parties prenantes ou les ONG sont utiles pour dénoncer les comportements abusifs. Mais, il ne faut pas se tromper d’adversaire.
Le profit prend différentes formes. Il peut être assimilé à la différence entre le prix de vente et les coûts de production, c’est-à-dire l’excédent brut d’exploitation. Le profit est un solde résiduel entre les charges et les recettes d’exploitation. Il constitue alors les bénéfices de l’entreprise.
Au niveau macro-économique et de la comptabilité nationale, le profit correspond à l’excédent brut d’exploitation. La part distribuée aux salariés est enlevée de ce profit.
Quand les mots bénéfices ou profit sont prononcés, l’idée qui court derrière est celle d’actionnaires qui gagnent de l’argent en dormant. Il est ainsi oublié qu’ils ont porté une partie du risque de l’entreprise sur leur épaule.
Par ailleurs, ce profit si détesté ne va pas entièrement dans la poche d’actionnaires endormis. Il sert à rembourser les dettes de l’entreprise, à payer l’impôt sur les sociétés, à financer l’épargne salariale (intéressement et participation), à l’autofinancement de l’entreprise et à verser un dividende aux actionnaires.
Le profit est un des éléments du processus de valorisation des entreprises ce qui permet à la fois de financer le développement des entreprises, d’organiser des fusions, des acquisitions, d’intéresser le personnel et de rémunérer les investisseurs.
Le profit est un indicateur de bonne santé de l’entreprise. Nous devrions nous réjouir quand les entreprises françaises battent des records de bénéfices. Plus le profit est élevé, plus l’entreprise pourra attirer de nouveaux investisseurs et conserver ses actionnaires. Une des plus belles entreprises françaises, Air Liquide, a toujours pris soin de ses actionnaires lui permettant d’avoir un développement régulier.
Certes, chez les classiques, l’autofinancement n’est pas une source d’efficacité car il n’est pas soumis aux principes de rentabilité. A la différence d’une dette ou d’une action, l’autofinancement est moins soumis à l’obligation de résultat. Certes, les actionnaires qui préfèrent que l’entreprise conserve une partie des bénéfices attendent une amélioration légitime du rendement de leurs actions.
Marx comme Ricardo se sont trompés. Le profit a résisté aux crises du capitalisme et constitue toujours un indicateur efficace.
Le profit fait de la résistance car l’économie de marché est en adaptation permanente avec le maintien d’un fort courant d’innovations (produits, commercial…). La persistance des gains de productivité et la concurrence ont empêché la disparition du profit. Certes, nous avons assisté à une concentration accrue des entreprises, voire la formation d’oligopoles mais la capacité d’innovation l’a toujours emporté. Ainsi, récemment, la société Microsoft a détenu un quasi-monopole de fait dans la fourniture de logiciels (windows, suite bureautique). Contrairement au siècle précédent, les tentatives de démantèlement de ce monopole offrant une réelle rente de situation ont échoué. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui ce monopole est remis en cause par le développement de nouvelles interfaces comme Androïd. Google a réussi à effriter la toute-puissance de Microsoft tout en instituant une situation de monopole de fait en matière de recherche sur Internet. Comme quoi, le combat n’est jamais fini.
Il est de bonne guerre d’affirmer que le profit a augmenté au détriment de la rémunération des salariés. Il est répété que les fonds de pension imposeraient des retours sur investissement de 15 %. Or, la réalité est tout autre. Seules 16 % des PME, en France, versent des dividendes. Pour les grandes entreprises, les dividendes distribués représentent, en moyenne, 4,7 % de la valeur ajoutée. Pour un quart d’entre-elles, cette proportion dépasse 7 %.
La répartition de la valeur ajoutée selon le rapport « partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunération en France » rédigé en 2010 par Jean-Philippe Cotis (directeur général de l’INSEE) » est restée globalement stable. Certes, il faut souligner que l’autofinancement est en recul.
La contestation du profit doit amener à une réflexion globale sur la notion même de capitalisme.
Le rejet du profit, en France, souligne l’existence d’un malaise qui ne peut pas être nié. Le rejeter au nom de son irrationalité ne résoudrait pas le problème. L
Avec la montée en puissance de la problématique du développement durable et la crise financière, de plus en plus de voix s’élèvent afin de remettre en cause ce fondement du capitalisme.
Depuis plus de deux cent ans, la force du capitalisme provient de sa capacité d’intégrer des éléments qui lui sont a priori hostiles. Le fordisme permettant aux salariés d’acheter ce qu’ils produisent, la protection sociale offrant une couverture santé/vieillesse aux actifs puis à l’ensemble de la population n’allaient pas de soi mais sont devenus consubstantiels de l’économie de marché.
Le modèle capitaliste est aujourd’hui critiqué tant comme sources d’inégalités sociales que par son rôle dans la dégradation de notre environnement. Le capitalisme est perçu comme un mécanisme d’exploitation de l’ensemble de la planète pouvant amener la disparition de l’espèce humaine. La surexploitation des matières premières, les émissions des gaz à effet de serre, la multiplication des déchets sont pointés du doigt pour souligner l’insoutenabilité du système économique. La formule d’Helmut Schmidt « les profits d’aujourd’hui, sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » valable à court terme serait-elle bombe à retardement ? Le profit, expression de la myopie capitaliste serait contre-productif. Ian Davis de la société de conseil Mac Kinsey affirme que « le profit n’est pas une fin en soi mais un signal envoyé par l’entreprise à la société ». Keynes se serait-il trompé en privilégiant le présent en vertu de l’adage « demain, nous sommes tous morts » et nier qu’en raison de nos modes de production et de consommation« nous serons tous morts, demain ».
A quoi bon de garantir aujourd’hui un profit si demain sa réédition se révèle impossible du fait de la disparition des matières premières, du marché solvable, des équipements et infrastructures matérielles et immatérielles qui l’ont rendu possible.
Le capitalisme a un nouveau défi après le marxisme ; il doit faire face à la disparition des biens gratuits que sont l’air, l’eau. Il doit intégrer la notion de patrimoine commun. La notion de capital s’élargit. Elle intègre le capital humain (travail+intelligence+culture+savoir-faire), le capital financier, le capital fixe : infrastructure/machines/outils, le capital de connaissances et le capital naturel (matières premières, énergie, biodiversité…).
Le capitalisme par rapport à d’autres modes d’organisation comme le communisme a un atout de premier ordre : les notions de rareté est au cœur du paradigme. Le marché est un système qui permet d’apprécier la notion de rareté. C’est par le marché, par les prix que notre système de production se détournera des énergies fossiles.
Le débat de la décroissance est vain. La décroissance consiste à opter pour le déclin et à une acceptation des inégalités. Elle entérine le phénomène de rentes. Ceux qui ont déjà le nécessaire pour vivre convenablement peuvent accepter la décroissance ; les autres non.
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