Ode à la coopération internationale
Avec la crise économique brutale générée par la crise sanitaire, la tentation du repli sur soi est forte. Elle était déjà manifeste avant la diffusion à l’échelle planétaire du virus. Les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis en était une des manifestations. La montée du populisme dans de très nombreux pays prédispose à la recherche de solutions nationales. Pour autant, cette épidémie invite à plus de coopération internationale, les virus ne respectant pas les frontières. Par ailleurs, les multiples défis à relever sont de nature multilatérale, qu’il s’agisse du climat, des matières premières, des échanges internationaux ou des politiques monétaires.
La réduction des émissions des gaz à effet de serre ne peut passer que par une coopération internationale poussée. Jusqu’à maintenant, les pays occidentaux ont diminué leurs émissions, aidés en cela par leur désindustrialisation. En contrepartie, les émissions se sont accrues au sein des pays émergents. La mise en place de mesures contraignantes ne peut être que mondiale, faute de quoi les distorsions de concurrence conduiraient à des politiques protectionnistes dans certaines régions. Les pays ne respectant pas les accords joueraient le rôle de passagers clandestins. Ils profiteraient des efforts des autres sans avoir à en supporter les coûts. En l’état actuel, plusieurs pays dont les États-Unis refusent un système international coercitif au niveau de ces émissions.
Une révision des règles du commerce internationale
Depuis 2008, le poids du commerce international par rapport au PIB mondial stagne en raison des remises en cause du bienfait des échanges internationaux. Les arguments environnementaux ou sociaux sont soulevés. La crise sanitaire a pointé du doigt la dépendance des États occidentaux vis-à-vis de la Chine et des pays émergents, que ce soit pour les masques ou pour les équipements dont les hôpitaux ont besoin.
La tentation souverainiste ou protectionniste serait préjudiciable non seulement aux échanges mais aussi à la croissance. Le retour à des chaînes de valeurs purement locales aurait un coût économique important. Ces dernières années, le règlement des différends s’est réalisé en-dehors des instances qui y sont pourtant dédiées. Le conflit entre les États-Unis et la Chine s’est réglé de manière bilatérale et non par l’Organisation Mondiale du Commerce. L’abandon du multilatéralisme au niveau commercial serait préjudiciable et constituerait un dangereux retour en arrière avec un risque de surenchère entre les États. La question du traitement de la Chine qui bénéficie de la clause de la nation la plus favorisée se pose. De même, le libre-échange suppose que tous les pays puissent accéder aux matières premières ou aux biens. Un pays ne doit pas avoir la possibilité de limiter ses exportations de terres rares ou de matériels médicaux pour des raisons de politique internationale, comme c’est le cas avec la Chine.
Sur le plan des matières premières, les fortes variations de prix des matières premières et de l’énergie ont des conséquences négatives aussi bien sur les pays importateurs que sur les pays producteurs. Les revenus des pays producteurs concernés connaissent des fluctuations importantes quand les marchés au sein des marchés de consommation peuvent être déstabilisés. L’intérêt de tous réside dans la stabilité des prix des matières premières à un niveau correctement rémunérateur pour les producteurs, mais cela nécessite une coordination au niveau international. Pour le pétrole, la coopération entre l’OPEP et la Russie a permis de stabiliser les cours. Pour être pérenne, cette stabilisation supposerait que les États-Unis acceptent d’intégrer le processus de régulation de la production.
La sortie de la crise sociale ne peut pas être nationale
Depuis une quarantaine d’années, l’austérité salariale est de mise au sein des pays de l’OCDE en raison de la concurrence mondiale et des faibles gains de productivité. Aucun pays ne peut faire cavalier seul, sa perte de compétitivité se traduisant par une augmentation du déficit extérieur. Cette règle vaut à l’intérieur de la zone euro dans laquelle il n’y a plus, par définition, de dévaluation possible. La dévaluation de la monnaie était la reconnaissance d’un appauvrissement général mais offrait la possibilité de restaurer la compétitivité des exportateurs sous la réserve de l’augmentation du prix des importations. Un changement de paradigme social ne peut passer qu’à l’échelle mondiale ou à minima à l’échelle de pays ayant des caractéristiques voisines (OCDE ou Union européenne par exemple).
Une coordination monétaire et financière incontournable
Depuis 2008, les banques centrales occupent une place de plus en plus importante dans l’élaboration des politiques de résorption des crises. Les politiques monétaires expansionnistes se sont imposées à l’échelle mondiale. Avec l’accroissement des dettes publiques, les banques centrales ont perdu leur indépendance qui leur avait été plus ou moins reconnue dans les années 90. Elles sont désormais tributaires de la solvabilité des Etats pour la fixation des taux directeurs. De même, les programmes d’achats d’obligations obéissent à des considérations tout autant économiques que monétaires. Si la coordination au niveau des gouvernements n’est pas toujours aisée à réaliser, les banques centrales des grands pays ou zones économiques ont, jusqu’à maintenant, réussi à harmoniser leurs positions. Au sein de la zone euro, la BCE supplée la faiblesse de l’échelon fédéral. Compte tenu du doublement des dettes extérieures des États depuis le début du siècle (elles sont passées de 90 à 180 % du PIB aux États-Unis et de 100 à 225 % du PIB pour la zone euro) et des actifs placés à l’étranger, l’interdépendance financière est très élevée. Une remise en cause brutale aurait des conséquences en cascade pour l’économie. Une bataille des changes entre les grandes monnaies aurait également des effets dévastateurs.
Des experts s’inquiètent de la croissance de la liquidité globale générée par les Banques Centrales. En vingt ans, la base monétaire mondiale est passée de 4 000 à 25 000 milliards de dollars. Ils craignent des mouvements financiers spéculatifs de grande ampleur et des variations importantes des taux de change. Ce risque est limité par le fait que tous les États ou presque mènent des politiques similaires. En cas de changement non coordonné des politiques monétaires, il pourrait alors y avoir des tensions économiques et politiques.
Le retour de la question du développement des pays les plus pauvres
La crise sanitaire a frappé durement les pays les plus pauvres en les privant de débouchées pour la vente d’énergie ou des matières premières. Ils sont, par ailleurs, exposés au risque sanitaire en raison de la faiblesse de leur système de santé. L’écart de richesse a de forts risques de s’accroître avec la crise économique mondiale. Cette situation est préoccupante pour l’Afrique. Le PIB par habitant des États africains ne représentait que 18 % de celui de l’OCDE en 2019. Cette proportion est stable depuis vingt ans. Depuis 2009, les pays d’Amérique latine sont confrontés à un déclin économique se traduisant par une régression de leur PIB par habitant par rapport à la moyenne des pays occidentaux. La pauvreté en Afrique ou en Amérique latine est source de déstabilisation et peut déboucher sur des mouvements d’émigration. La relance des plans de développement multilatéral en faveur des pays les plus pauvres devrait être une priorité.
La santé au cœur de la coordination internationale
La crise de la Covid-19 a fait prendre conscience que l’épidémie était un problème mondial et nécessitait par conséquent de trouver des solutions également à l’échelle supranationale. L’Organisation Mondiale de la Santé est sortie affaiblie de la crise sanitaire. Il apparaît néanmoins de plus en plus nécessaire de renforcer la coopération en matière de santé, aussi bien pour la surveillance des virus que pour la mise au point de remèdes ou de vaccins.
Une épidémie incite au repli d’autant plus quand elle se double d’une crise économique. Or, au regard de la situation économique, financière, sociale et environnementale, la coordination des politiques menées par les États semble la seule voie possible. Le choix du bilatéralisme par les États-Unis, les tendances nationalistes de plusieurs États européens et l’hégémonisme naissant de la Chine peuvent évidemment empêcher cette nécessaire coordination. La prise de conscience de l’interdépendance devrait, en revanche, la faciliter.
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