Nous préfèrons avoir tort avec José Bové que raison avec Alain Madelin

25/03/2008, classé dans

NOUS PRÉFÈRONS AVOIR TORT AVEC JOSÉ BOVÉ QUE RAISON AVEC ALAIN MADELIN

osé Bové, le leader de la Confédération paysanne, Viviane Forester, auteur du livre à succès, « l’horreur économique », d’un côté le paysan, de l’autre côté l’écrivain parisien, d’un côté l’agitateur d’extrême gauche, pacifiste des années soixante-dix reconverti en leader de la mal-bouffe et de l’antiaméricanisme primaire, de l’autre côté une romancière qui avoue être nulle en économie et qui décide d’être le porte-drapeau de la lutte contre la mondialisation.

D’un côté, le syndicaliste qui met à sac un fast food, de l’autre l’intellectuelle parisienne ! Rien ou presque en commun mais à eux deux, ils trustent les émissions de télévision et de radio. José Bové devient l’invité quasi permanent des 20 heures. En indice de reconnaissance, il se hisse parmi les premiers. Une partie non négligeable des Français souhaitent même qu’il soit candidat à la présidentielle.

Viviane Forrester et José Bové sont, dans notre société de plus en plus instable et mobile, les dignes héritiers d’Astérix et d’Obélix. Face aux Américains, les successeurs des romains, ils symbolisent les Gaulois qui défendent fièrement leur roquefort, leur baquette, leur terroir, leur savoir-faire et leur savoir-vivre. Ils sont aimés et réclamés au nom d’une certaine nostalgie, au nom d’un certain passé imaginaire que le Français aime se construire. Il y a chez nous un goût immodéré pour embellir le passé, pour le travestir, pour y projeter un avenir irréaliste. Le futur c’est l’inconnu et c’est donc forcément moins bien ; le passé c’était magnifique. C’est ainsi que le Général de Gaulle est magnifié trente ans après sa mort et les querelles sur son accession et son exercice du pouvoir dépassées. C’est ainsi que chacun des Français aime à se trouver des racines paysannes, racines qui se font de plus en plus lointaines. De « la terre ne ment pas » à a maison de campagne en passant par l’éternel retour aux sources, il y a en nous une force d’idéalisation de la ruralité, force qui aujourd’hui a un visage avec José Bové.

Nous déplorons et bien souvent nous sommes vexés lorsque nous sommes représentés par les journaux anglais ou américains avec un béret et une baguette sous le bras ; mais au fond de nous, cette image nous colle à la peau et nous rappelle nos grands-parents voire nos arrière-grand- parents. Les Français sont des nostalgiques et des sentimentaux. Nous sommes fiers lorsque José Bové brave seul l’Amérique à Seattle en y apportant ses fromages qui puent. Nous sommes fiers lorsque seul (ou presque), il s’oppose à l’arrogance yankee.

Nous aimons surtout avoir tort ou raison contre tout le monde. Nous aimons par dessus-tout être une exception : exception culturelle, exception en matière de retraite, exception culinaire ; en quelques mots, nous aimons être une exception exceptionnelle, être une exception perpétuelle. Face à la banalité du monde et face à la grossièreté des autres nations, nous nous drapons dans notre originalité. Pourquoi faire comme tout le monde, pourquoi être des moutons ? C’est certainement pour oublier que le Général de Gaulle traita un jour les Français de veaux.

Querelleurs devant l’éternel et aimant le dire pour expliquer nos défaites. De notre défaite contre les Romains, il y a plus de 2000 ans jusqu’à nos déboires économiques des années quatre-vingt/quatre-vingt dix en passant par la défaite de 1940, nous inventons, chaque jour, chaque semaine, des conflits internes : querelles entre syndicats, querelles entre syndicats et patronat, entre les riches et les gros, entre administrations et administrés, entre grandes surfaces et agriculteurs, entre la droite et la gauche, entre fonctionnaires et non-fonctionnaires, entre école publique et école privée, entre Peugeot et Renault, entre TF1 et France Télévision , entre RTL et Europe 1.

Au sommet de cette pyramide de querelles sans fin qui traverse les siècles, nous avons placé la querelle entre intellectuelles : Rousseau contre Voltaire, Dreyfusard contre anti-dreyfusard, pacifistes contre anti-pacifistes, pro-américain contre américain, Sartre contre Aron. C’est la querelle suprême qui anime le cœur de Paris. C’est la querelle que les journaux dits nationaux et qui sont essentiellement lus à Paris aiment développer d’édition en édition. Pétitions, contre pétitions, manifestes contre manifestes, nous cherchons toujours à revivre l’affaire Dreyfus ; c’est toujours notre fameuse nostalgie qui nous ronge.

Nous n’en finissons pas de revivre le match Sartre contre Aron. Il vaut mieux avoir raison avec Sartre et soutenir l’Union soviétique qu’avoir raison et être seul avec Aron et défendre le marché. Aujourd’hui, plus personne ne pense à défendre l’URSS, mais le débat demeure avec comme thème de rechange, pour ou contre la mondialisation, pour ou contre le capitalisme, pour ou contre le modèle anglo-saxon. Hier les firmes multinationales étaient vouées aux gémonies, aujourd’hui, c’est la mondialisation et la globalisation qui sont condamnées. Les partisans du commerce mondial, du libéralisme, du marché, sont placés toujours en position défensive, toujours ridiculisés et toujours accusés de tous les maux. Ainsi Alain Madelin se plait à souligner que dès qu’une chose horrible survient en France, c’est à cause de l’ultra-libéralisme. Ainsi, le pétrolier Erika se casse en deux en Bretagne, c’est la faute de la mondialisation. Comment argumenter, comment prouver que la pollution des plages bretonnes provient d’un dysfonctionnement des services de l’Etat ? Comment faire admettre que c’est un Gouvernement socialiste qui en 1992 a accepté de limiter la responsabilité des affréteurs comme l’était Total ? Comment faire admettre qu’aux Etats-Unis, terre du libéralisme, les contraintes sur les transporteurs pétroliers sont plus élevées qu’en France quand, dans le même temps, un représentant sympathique d’une association montre devant des caméras un oiseau mazouté et qu’il explique que cet oiseau est victime du grand capital international et du libéralisme. D’un côté la froideur des mots et de la raison, de l’autre le choc des images. Le match est inégal dès le départ. L’oiseau est mort mais gagne à chaque coup.

Au jeu du qui perd gagne, Jean-Paul Sartre et José Bové ont gagné ; la sympathie va au perdant, surtout dans un pays où le succès des autres est inacceptable. Hier, les intellectuels, aujourd’hui les saltimbanques des médias. Hier les écrivains et essayistes, aujourd’hui des gueules sympathiques, Bernard Henry Lévy faisant la liaison entre les deux mondes.

La querelle économique reprend les mots et les formules d’hier. Pour diaboliser un adversaire, pour le parquer définitivement dans la catégorie des méchants, il faut l’accuser d’ultra-libéral comme il y a un siècle, on l’aurait accusé d’être ultramontain ou de dreyfusard.

Ultra-libéral, les dictionnaires ont beau ne pas connaître ce terme ; il est, pourtant, devenu un des mots les plus employés dans la presse comme à la radio et à la télévision. Un ministre de gauche à court d’arguments, lors d’une séance de question d’actualité, accusera l’opposition d’être ultra-libérale. Un chef d’entreprise ferme une usine, refuse de négocier, licencie une partie de ses salariés et tout de suite les syndicats crient à l’ultra-libéralisme.

Que signifie l’ultralibéralisme ? Est-ce un libéralisme poussé à l’extrême ? Est-ce un libéralisme conservateur ? Est-ce un super-libéralisme comme un parle de sucre ultralight ? Est-ce un slogan jeune pour signifier que le libéralisme, c’est super ?

L’ultralibéralisme qui a tué le libéralisme sauf quand il est associé au mot gauche est la réincarnation de méphistophéles. Il porte en lui toutes les horreurs de la planète. Il est le cri de ralliement de tous les damnés de la terre : les jeunes enfants travaillant dans les mines, les exploités de toutes les formes du capitalisme. Vous avez un problème, vous ne gagnez pas assez d’argent, vous n’avez pas de travail ou vous en avez de trop, vous avez un patron stupide et un collègue versatile, ne vous en faites pas, c’est la faute de l’ultralibéralisme. Si on meurt de faim, avant on accusait les régimes politiques pro-américains et les firmes multinationales ; maintenant, on dit que c’est la mondialisation et l’ultralibéralisme. A l’époque des médias et de la globalisation, il faut aller vite, simplifier et réduire le débat.

La réduction du débat économique au terme ultralibéralisme, jeté comme un caillou à la figure de certains, s’explique en partie par une répulsion des Français vis à vis de la science économique. Dans une époque où tout se banalise, où un meurtre vaut quelques mots et à condition qu’il soit horrible, pour passer aux 20 heures, il faut faire peur. L’affadissement du débat politique, la chute de l’empire soviétique, la disparition du grand fossé droite, gauche ont incité les femmes et les hommes de gauche en proie à un certain centrisme de diaboliser la droite. Depuis 1980, deux axes de diabolisation ont été retenus. Le premier c’est faire tourner tout le débat politique autour des idées du FN, le deuxième c’est accuser la droite d’être ultra-libérale

La droite française, la plus interventionniste d’Europe, dominée par le parti gaulliste, accusée d’ultralibéralisme. Jacques Chirac qui un temps voulait réinventer le travaillisme à la française, Alain Juppé, pur produit de l’énarchie, Edouard Balladur, énarque également, grand commis de l’Etat, des ultra-libéraux… Une blague pour un Américain même démocrate ; une hérésie pour Tony Blair.

Ultra-libéral, la droite française, il faudrait qu’elle soit déjà libérale. Il est plus facile de faire une ontologie des hommes de droite dirigistes que celle des hommes politiques libéraux.

Le seul Président de la République à se prétendre libéral sous la Vème République, c’était Valéry Giscard d’Estaing et encore il parlait de libéralisme social et européen. Libéralisme tempéré et à application limitée car il fut champion toute catégorie dans l’augmentation des impôts et des taxes et procéda en catimini à la nationalisation de la sidérurgie. Sous son septennat, la planification fonctionnait encore, les grands programmes publics tenaient le devant de l’actualité, avec succès pour le téléphone et le TGV, avec échec pour l’informatique.

Si les accusateurs antilibéraux gagnent à chaque coup, c’est qu’il y a dans notre pays un terreau favorable. Depuis la nuit des temps, les Français sont, en effet, fâchés avec l’économie. Les révolutions industrielles passent mais rien n’y fait, nous sommes toujours rétifs à l’économie. L’économie face à la domination des mathématiques et face à la beauté des études littéraires est le parent pauvre de notre système éducatif. Déjà au début du XXème siècle, Schumpeter dans son « tableau de la pensée française » notait la faiblesse de l’enseignement de l’économie.

François Hollande quand il était chargé de conférence d’économie à Sciences Po Paris, mentionnait que s’il arrivait à faire comprendre à ses élèves la théorie de l’avantage comparatif en matière de commerce international, il pourrait considérer que sa mission était accomplie. A entendre les tentations protectionnistes au sein de la population, il lui reste du travail. La France ne compte sur ces cinquante dernières années qu’un seul prix Nobel d’économie, score faible pour un pays développé. Maurice Allais, notre seul Nobel, n’a en outre pas pour première caractéristique d’être un libéral. Il serait plutôt du côté des souverainistes nostalgiques. En France, pas de grand centre de recherche économique comme au Royaume-Uni, aux Etats-Unis ou en Suisse. Les départements de recherche en économie sont des annexes de grandes écoles publiques comme Normale, Sciences-Po ou d’université comme Paris Dauphine.

Il n’y a pas dans notre pays de grands centres privés indépendants et reconnus au niveau international pour l’étude de l’économie. Certes Raymond Barre lorsqu’il était Premier Ministre avait voulu mettre un terme au monopole public de l’analyse économique en créant plusieurs organismes indépendants chargés de la prospective économique. L’intention était bonne mais la réalisation manqua d’ambition. L’Observatoire français des conjonctures économiques dépend de Sciences-Po lui-même placé sous le contrôle du Premier Ministre, les autres instituts sont dans l’orbite respective de la Caisse des Dépôts et Consignations, de la Banque de France ou du MEDEF.

Ces organismes n’ont pas réussi à prendre leur envol malgré la qualité de leur personnel. Leur dépendance à l’INSEE et à la direction de la prévision entrave leur développement. Reste l’OCDE, mais pour les Forrester de la planète, cet organisme n’est qu’une émanation du grand capital et ne saurait être prise au sérieux. Le Parlement français à l’inverse de son homologue américain n’a pas ses propres sources tant pour les questions économiques que budgétaires et fiscales. Il adopte en aveugle les textes du Gouvernement, ses capacités d’expertise étant proches de zéro.

Au nom d’une certaine modernité, Lionel Jospin a institué en s’inspirant du modèle anglo-saxon un Conseil d’analyse économique regroupant tous les grands prêtres de la pensée économique française. Ce conseil qui a vocation à informer le Premier Ministre ne défraie pas la chronique par le caractère révolutionnaire de ses travaux ; il est avant tout le symbole de la pensée économique étatisée à la Française.

Les économistes consultés par les pouvoirs publics, les économistes dont la presse reprend les articles sont globalement keynésiens. Ils dépendent en règle générale d’organismes financièrement liés à l’Etat.

En déambulant dans les rayons économie des librairies, vous trouverez, sans peine, des ouvrages sur Keynes et les penseurs favorables à l’intervention de l’Etat, d’obscures livres sur la régulation économique mais certainement pas de livres sur le libéralisme à l’exception du livre d’Adam Smith « la richesse des nations », livre dont la première parution date de 1776. Il faut vraiment être entreprenant pour trouver un livre de Bastiat, un livre d’Hayek ou de Salin. Certes, les livres mettant en cause l’excès de prélèvements trouvent preneurs, c’est le côté poujadiste des Français qui reprend le dessus.

Rares sont les livres économiques qui proposent, qui trouvent des aspects positifs à l’économie française. Il y a chez nous un goût prononcé pour l’autoflagélation. Le dénigrement trouve pour seule limite notre chauvinisme et notre amour de l’exception. Après avoir détruit à travers de belles démonstrations, de beaux exemples notre Etat providence, notre capitalisme, notre modèle social, les économistes, les intellectuels de tout bord réservent leurs rares propositions pour la conclusion ou pour le dernier chapitre. Certes, il est stupide de parler des trains qui arrivent à l’heure et il est difficile d’innover dans un monde où tout à été dit et redit. Il n’en demeure pas moins que l’optimisme ne caractérise pas la pensée économique française surtout si on la compare à celle en vigueur aux Etats-Unis, pays où la critique se doit d’être positive. Paul Krugman, Robert Reich et bien d’autres auteurs américains ne rasent pas tout dans leur livre et ne rêvent pas de faire la grande révolution chaque matin.

Un des rares livres sur l’économie qui a rencontré un large succès a été réalisé non par un économiste mais par une romancière, Viviane Forrester avec « l’horreur économique Livre partisan, anti pensée unique, anti-mondialisation, comportant un grand nombre de raccourcis, d’exagérations et d’approximations, on est plus proche du roman que de l’essai. Mais, le public l’a plébiscité prouvant qu’il correspondait à une certaine attente. Les Français aiment à se faire peur devant leur cheminée ou devant leur télévision. Proclamer la fin de la culture française, l’existence d’un complot contre notre système de sécurité sociale, la volonté des américains de tout racheter à travers leur affreux fonds de pension, fait vendre. Même s’ils se précipitent au bas de sa rue pour prendre un abonnement à Internet ou pour acheter un téléphone portable, même s’ils rêvent de monter leur entreprise, les Français en grand conservateurs, en grands pessimistes et en mauvais coucheurs qu’ils sont, aiment critiquer et vitupérer la soi-disant mondialisation.

Plus de deux siècles après son avènement, le libéralisme demeure une idée neuve en France. Le dirigisme, la social-démocratie teintée de communisme, le keynésianisme, le nationalisme, l’orléanisme, le bonapartisme autoritaire ou modéré, le socialisme, le conservatisme, le conservatisme populiste ; tout ou presque a été tenté sauf le libéralisme tant sur le plan économique que politique.

Partagez