Ne sommes nous pas allés trop loin sur la route de l’endettement ?
L’endettement massif concerne tous les pays et tous les acteurs, États, entreprises et ménages. A moins de supposer qu’une opération d’effacement soit engagée à un moment ou un autre, les dettes sont supposées être remboursées. L’absence d’inflation (voir notamment la lettre N°246) limite les capacités d’érosion du capital des emprunts.
Pour contenir l’endettement, les pouvoirs publics n’ont d’autres solutions que d’imposer aux épargnants, aux investisseurs, une « répression financière » (la répression financière, est une décision d’orienter l’épargne vers les collectivités publiques tout en veillant à réduire le coût de l’endettement notamment à travers une faible rémunération). Les épargnants acceptent de jouer le jeu car leur aversion aux risques s’est accrue depuis la crise de 2008.
L’endettement massif pratiqué par les acteurs économiques depuis une vingtaine d’années a-t-il une limite ou plutôt des limites ? En fixant un seuil de dettes publiques à 60 % du PIB, le traité de Maastricht avait comme objectif d’éviter que des États impécunieux mettre en danger les autres membres de la zone euro. Ce ratio avait été rapidement fixé afin de convenir au plus grand nombre des États membres, ses fondements économiques étant assez relatifs. Des économistes placent le seuil de danger pour la dette à 80 ou à 100 % du PIB. Ces seuils sont purement indicatifs. Pour apprécier la dangerosité d’une dette, il faut prendre en compte les taux d’intérêt, le taux de croissance actuel et projeté et le taux d’inflation. Une dette qui génère une croissance permettant son remboursement ne peut pas être comparée à celle qui débouche sur une stagnation économique.
Sommes-nous aujourd’hui dans un système de pyramide à la Ponzi, c’est-à-dire sur un système de fraude généralisée et publiquement organisée ou sommes-nous dans un système financièrement viable ?
La victoire de Ponzi ou l’ardente obligation des taux bas
Charles Ponzi s’est fait connaître en promettant pour les placements qu’il proposait des rendements importants, 50 % en 45 jours. Ces promesses de gains attiraient un nombre croissant d’épargnants, les flux d’argent lui permettant à de les rémunérer. Les États en finançant la dette par la dette ne sont-ils pas en train de pratiquer du Ponzi sans le savoir ou plutôt l’avouer ?
Rares sont les Etats qui sont en capacité de payer les intérêts de leur dette, d’en rembourser le capital venant à échéant tout en étant en excédent budgétaire. Même l’Allemagne n’est pas dans cette situation. Dans ce cas seulement, la dette peut diminuer en valeur absolue. Certains pays dégagent des excédents primaires permettant de couvrir le service de la dette ; d’autres comme la France enregistrent des déficits supérieurs à leur service de la dette qui par nature n’offrent pas la possibilité de rembourser le capital des emprunts. La France est condamnée à emprunter pour rembourser sa dette. Elle émettra, cette année, 185 milliards d’euros de dette à moyen et long termes en 2017 (nets des rachats) tant pour compenser le déficit que pour rembourser le capital. Pour contenir le niveau de la dette en fonction du PIB, les États doivent prendre en compte la croissance et le taux d’intérêt. Dans les faits, il faut que le déficit public exprimé en PIB soit inférieur au (taux de croissance – taux d’intérêt) multiplié par le ratio (dette publique/PIB). Pour 2016, la maîtrise de la dette aurait supposé un déficit inférieur à 1,4 %, or il a été supérieur à 3,5 %. Toute remontée des taux d’intérêt provoquerait une augmentation du déficit (selon l’économiste Vivien Lévy-Garboua), une hausse d’un point des taux d’intérêt aboutit à une hausse d’un pour cent du déficit budgétaire). Dans son ouvrage « le capital au XXIe siècle », Thomas Piketty souligne qu’en matière de taux d’intérêt, nous avons connu depuis le XIXe siècle quatre périodes :
- Jusqu’en 1914, les taux d’intérêt sont, en règle générale, supérieurs aux taux de croissance ;
- De 1914 à 1985, les taux de croissance l’emportent sur les taux d’intérêt ;
- De 1985 jusqu’à la crise de 2008, les taux d’intérêt reprennent le dessus ;
- Depuis la crise, les taux d’intérêt ont fortement baissé.
La période actuelle peut être perçue comme un retour à la normale après une hausse des taux atypiques dans les années 90 liée à de mauvaises anticipations d’inflation et de productivité.
Les anticipations de demain sont-elles celles d’hier ?
Un excès de dettes (publiques ou privées) doit, à un moment ou un autre, peser sur la demande. Il doit soit conduire à un excédent budgétaire primaire plus élevé et donc à une politique budgétaire plus restrictive, soit à une captation croissante de l’épargne qu’elle soit nationale ou internationale. Logiquement, cet excès provoque une diminution des dépenses publiques ou par une augmentation des prélèvements obligatoires.
Face à une augmentation de l’endettement public, les ménages sont censés, par anticipation, accroître leur taux d’épargne et réduire leurs investissements. Dans les faits, le taux d’épargne obéît également à des considérations de revenus et des effets de précaution. En outre, les ménages se décomposent en deux sous catégories : ceux qui sont endettés, pour acquérir en particulier leur résidence, et ceux qui dégagent une épargne nette de remboursement du capital des emprunts. Au niveau des entreprises, un taux d’endettement élevé provoque une baisse de leur taux d’investissement.
Les faibles taux d’intérêt générés par les banques centrales, ces dernières années, rendent difficile l’interprétation des statistiques. En effet, la reprise de l’investissement, constatée ces derniers mois, est-elle la conséquence de ces taux très bas ? Est-ce la manifestation de la restauration de la confiance et de l’espoir du retour d’une croissance forte et durable ? Quoi qu’il en soit, l’endettement au niveau mondial poursuit sa progression. Aux États-Unis, le plafond de dette publique devra faire l’objet d’ici la fin de l’année d’un nouveau relèvement. En Chine, les collectivités locales ont recours de plus en plus à l’emprunt pour soutenir l’activité.
Les autres menaces moins visibles
Le Shadow Banking (mode de financement des agents économiques par des institutions qui ne relèvent pas du secteur bancaire traditionnel) se développe depuis une vingtaine d’années à très grande vitesse au point de constituer une menace pour les équilibres financiers. Cette finance parallèle qui peut ne pas être soumise aux fourches caudines de la régulation se situe aux marges des marchés et des activités bancaires. Selon le Comité de stabilité financière dépendant du G20, le Shadow Banking aurait atteint, en 2015, 92 000 milliards de dollars contre 20 000 milliards en 2012. Aux États-Unis, le Shadow Banking représenterait 35 000 milliards de dollars quand en Europe il s’élèverait à 30 000 milliards de dollars (source : FED de New-York). En Chine le Shadow Banking atteindrait entre 7 000 et 8000 milliards de dollars (source : Comité de stabilité financière).
L’endettement est aujourd’hui sans précédent, en période de paix. Il a permis de compenser la baisse des gains de productivité. C’est de la croissance achetée à crédit. La question est de savoir si sa rentabilité est correcte. En retenant certains critères, salaire, emploi, conditions de vie, ce n’est pas certain. Sa progression intervient au moment même où les charges liées au vieillissement augmentent dans tous les pays. Cet endettement est supportable en raison de l’excès global d’épargne. D’un côté, il y a une préférence absolue pour le présent (dette + taux d’intérêt faible) ; de l’autre, les ménages acceptent de renoncer au présent pour épargner. Il y a donc un transfert qui s’organise des épargnants vers les emprunteurs avec au cœur du dispositif les banques centrales qui agissent sur les taux voire sur les liquidités disponibles à travers leurs rachats d’actifs. Une crise de l’endettement et la nécessité d’effectuer un nettoyage ou un moratoire pourraient s’imposer si les flux d’épargne venaient à se tarir et si les transferts internationaux de capitaux ne se faisaient plus. L’endettement parallèle de toutes les zones économiques contribue sans nul doute à l’interdépendance et limite les échappatoires. Il est impossible de trouver un havre de paix permettant de garantir totalement le capital.
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