L’Etat toujours aussi présent, pour le meilleur et le pire
Avec la crise sanitaire, à lire ou en croire certains, l’État serait de retour. Est-ce à dire qu’il serait parti ? Depuis la Seconde Guerre mondiale, de part et d’autre de l’Atlantique, sous des formes diverses, l’État de manière plus globale, les administrations publiques jouent un rôle clef sur le terrain de l’économie et du social, rôle à peine écorné durant la période des années 1980/1990 avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, face à la menace soviétique, les économies capitalistes ont maintenu un effort important de défense et ont développé un important système d’État providence. En Europe, et tout particulièrement en France, la reconstruction s’est effectuée en ayant recours à la planification voire à des nationalisations. Aux États-Unis, l’interventionnisme associé à une certaine forme de protectionnisme n’a pas cessé avec la guerre. Les programmes des agences notamment ceux de la Nasa ou concernant la défense ou la santé ont financé l’effort de recherche de nombreuses entreprises. Au Japon, un gouvernement classé libéral a utilisé le ministère du Commerce international et de l’Industrie pour promouvoir des champions nationaux sur l’ensemble de la planète. Depuis 1945, les dépenses sociales ont constamment augmenté au sein des pays de l’OCDE au point de représenter, en France, un tiers du PIB. Certes, la Chine, à compter de 1978, et la Russie à compter de 1991, se sont ouvertes et ont accepté certaines règles de l’économie de marché mais en prenant soin de maintenir un fort secteur public. Les quatre plus grandes banques du monde en termes d’actifs sont entièrement ou partiellement détenues par le gouvernement de Pékin.
La période la moins favorable à l’État en tant qu’acteur public correspond aux années 1990 marquées par une dérégulation des marchés. Les privatisations se sont multipliées. Une certaine stabilisation des dépenses publiques a été constatée sauf, en France. Pour autant, le poids de l’État au sein des économies reste élevé. Si de 1990 à 2016, les États ont vendu, à l’échelle mondiale 3600 milliards de dollars d’actifs, en ayant organisé plus de 160 privatisations, ils détenaient pour plus de 11 000 milliards de dollars d’actions de sociétés cotées fin 2020, soit 10 % de la capitalisation boursière totale. Les gouvernements ont souvent laissé la gestion des entreprises au secteur privé tout en conservant des minorités de blocage ou d’influence. En France, l’État contrôle directement ou indirectement des grandes entreprises comme EDF, la SNCF, la RATP, Air France voire Renault. Il a pu, ses dernières années, prendre des participations chez PSA ou dans les Chantiers de Saint Nazaire. Si l’État s’est légèrement désengagé de la production, il a renforcé son poids dans la protection sociale. Ce changement de centre d’intérêt n’est pas sans lien avec la montée en puissance des dépenses sociales qui dépassent dans les pays de l’OCDE les budgets de l’État. Le pouvoir d’influence politique est plus important en jouant sur les prestations sociales que sur la direction d’une entreprise soumise à la concurrence internationale. Si après-guerre, la possession des entreprises était le moyen privilégié pour infléchir le cours de l’économie, les pouvoirs publics ont compris qu’aujourd’hui l’édiction de normes était plus simple en transférant le risque sur l’acteur économique final. Depuis une vingtaine d’années, la multiplication des lois et règlements témoigne de ce changement de mode d’action.
Même s’il a été une illusion d’optique, le cycle de recul de l’État semble avoir pris fin avec la crise financière de 2008/2009. Cette crise a contraint ou incité les gouvernements à s’immiscer dans la vie économique plus fortement qu’auparavant. L’idée que le marché était une source de déséquilibres et d’injustices est revenue à la mode. La stagnation des salaires a conduit les pouvoirs publics à multiplier les aides, les crédits d’impôt, les exonérations de charges sociales aboutissant à une socialisation croissante des revenus. Avec les années 2000, la mondialisation est perçue comme un facteur de déstabilisation des sociétés occidentales sur fond de désindustrialisation et de destruction des classes moyennes. Les marchés sont accusés, par ailleurs, de myopie face à la question du réchauffement climatique, myopie qui légitimerait l’intervention publique. Depuis 2020, la crise sanitaire a souligné tout à la fois les risques d’une situation de dépendance par rapport aux importations en provenance des pays émergents et de la Chine, en premier lieu. La réindustrialisation, la relocalisation sont des thèmes récurrents des débats publics au sein des pays avancés. En Chine, au nom de la « prospérité commune », les autorités entendent contrôler les entreprises et notamment celles du digital. La résurgence de la rivalité géopolitique, opposant les démocraties libérales aux régimes autoritaires ou populistes incite les gouvernements à tenter d’aligner les intérêts commerciaux sur les intérêts stratégiques nationaux.
Les dirigeants de grandes entreprises conscients de la remise en cause du capitalisme en appellent eux-mêmes à sa refondation. Jamie Dimon, directeur général de JPMorgan Chase, s’inquiète de « l’effilochage » du rêve américain. Ray Dalio, fondateur de Bridgewater, un grand fonds d’investissement, demande « une réforme total du capitalisme » pour éviter le surendettement, la baisse de la productivité et la polarisation des emplois. Doug McMillon, le directeur général de Walmart déclare « il est temps de réinventer le capitalisme ». Paul Polman, ancien directeur général d’Unilever, considère qu’il y a urgence à « sauver le système capitaliste ». Ces déclarations peuvent apparaître surprenantes au moment où les bénéfices et la valeur des actions des entreprises atteignent des sommets. Les résultats élevés interviennent dans un contexte de baisse des gains de productivité ce qui pourrait signifier que des situations de rente se soient installées au sein de l’économie capitaliste par manque de concurrence. Or celle-ci n’a plus bonne presse. Les gouvernements veulent renouer avec les mécanos industriels, organiser des relocalisations en particulier de productions dites stratégiques. La transition énergétique en provoquant une obsolescence accélérée de certains équipements et en nécessitant un important effort d’investissements place les États au cœur de la bataille. Ces derniers entendent être à la fois des planificateurs du changement énergétique, des investisseurs et des producteurs de normes. Ce retour de l’État maître des horloges se traduit par une nouvelle progression des dépenses publiques ce qui pose la question de leur financement. Pour les économistes de la nouvelle théorie monétaire, l’augmentation du déficit public n’est pas en soi un problème tant qu’il ne débouche pas sur de l’inflation ; or, celle-ci, justement est de retour, de manière plus rapide que prévu. Le financement monétaire qu’ils prônent n’est pas sans limite. L’accroissement des dépenses publiques pourrait se traduire par des effets d’éviction au détriment du secteur privé et de la consommation en captant l’épargne et en obligeant à une augmentation des impôts.
Le nouvel étatisme diffère de celui de l’après Seconde Guerre mondiale. Ce dernier s’accompagnait d’une libéralisation des échanges commerciaux mondiaux et d’une coopération internationale, du moins à l’Ouest, puissantes que ce soit à travers le Plan Marshall ou de la Construction européenne. Aujourd’hui, la tendance est à l’isolationnisme et aux politiques peu coopératives entre les zones économiques, voire au sein des zones économiques.
Les dépenses publiques comme privées ne peuvent pas échapper au principe d’efficience. Toute ressource est rare et ne doit pas, par voie de conséquence, donner lieu à un gaspillage. La subsidiarité devrait être au cœur de l’action des pouvoirs publics qui devraient s’interroger sur le meilleur niveau d’intervention pour régler les problèmes.
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