Les politiques monétaires non conventionnelles, une hérésie ?
Les Banques Centrales des pays de l’OCDE ont toutes été confrontées au recul de l’inflation en dessous de l’objectif de 2 % de 2012 à 2020. Par crainte de l’enclenchement d’une spirale déflationniste, elles ont réagi en mettant en œuvre une politique monétaire expansionniste se caractérisant par des taux d’intérêt à court terme nuls ou négatifs et des rachats de titres aboutissant à une forte augmentation de la masse monétaire. Avant la survenue de la crise sanitaire, l’inflation ne s’était pas réellement relevée à la différence des prix de l’immobilier et des actions. L’endettement des agents économiques a atteint des niveaux importants. Les États ont maintenu des politiques budgétaires expansionnistes, aidés en cela par les faibles taux d’intérêt.
De la fin des années 1990 à la crise des subprimes, l’inflation et l’inflation sous-jacente ont oscillé autour de l’objectif d’inflation des Banques Centrales. Celles-ci ont pratiqué en début de période une politique assez accommodante pour la durcir à partir de 2005 du fait des tensions inflationnistes qui se faisaient jour. La crise des subprimes provoque une rupture, l’inflation tend naturellement à repasser en-dessous des 2 %. Les banques centrales optent pour des politiques non conventionnelles avec des rachats d’obligation et un passage des taux directeurs à zéro voire en terrain négatif. La Réserve fédérale a mis en œuvre cette politique dès 2008. La BCE a été moins prompte à l’adopter notamment pour des raisons juridiques et des divisions internes. Néanmoins, à partir de 2015, la BCE s’aligne en la matière sur la FED. La base monétaire passe ainsi de 1 500 milliards à 4 500 milliards de dollars de 2007 à 2016 aux États-Unis et de 1 500 à 3 000 milliards d’euros pour la zone euro. La crise sanitaire provoque une amplification des politiques non conventionnelles, la baisse monétaire atteignant 9 000 milliards de dollars aux États-Unis et 6 000 milliards d’euros.
Cette politique monétaire expansionniste a été inefficace puisque, de 2008 à 2020, elle a été incapable de faire remonter l’inflation. L’injection de liquidités dans l’économie a essentiellement provoqué l’augmentation des prix des actifs financiers et immobiliers. La baisse des taux d’intérêt des obligations via un mécanisme de rééquilibrage de portefeuilles a conduit à l’affectation d’une partie de la monnaie créée dans différents actifs (actions, cryptoactifs et immobilier). La monnaie n’a pas été utilisée pour financer des achats de biens et services. L’indice boursier S&P500 a été multiplié par 5 de 1998 à 2021. Les multiples de valorisation des opérations de private equity (multiples d’EBITDA) sont passés de 8 à 20 de 2004 à 2021 aux États-Unis et de 6 à 10 en zone euro. Le prix des logements a plus que doublé en vingt ans aux États-Unis comme en zone euro.
La politique monétaire expansionniste a provoqué un gonflement de l’endettement qui rend difficile son inversion. La dette publique représente plus de 120 % du PIB aux États-Unis et 100 % en zone euro. La dette des ménages et des entreprises aux États-Unis s’élevaient, fin 2021, à 120 % du PIB et en zone euro à 160 % du PIB.
Pour endiguer l’inflation générée par la crise covid (désorganisation des circuits de production, plans de relance) et par la guerre en Ukraine, les banques centrales sont condamnées à relever leurs taux directeurs mais la sensibilité des agents économiques à cette hausse est bien plus élevée aujourd’hui que dans le passé en raison de leur niveau d’endettement. Pour éviter tout blocage financier, le durcissement de la politique monétaire doit s’accompagner d’un resserrement de la politique budgétaire et une hausse de l’épargne privée, ce qui signifie, du moins dans un premier temps, un ralentissement marqué de la croissance. Cette politique devrait provoquer un recul des prix des actifs financiers et des prix de l’immobilier. Ce schéma théorique peut ne pas se vérifier. Les gouvernements sont tentés de maintenir, surtout en Europe, un filet de sécurité important en matière de pouvoir d’achat. Ils s’opposent ainsi à la politique monétaire restrictive en évitant une baisse de la consommation. De ce fait, ils acceptent le principe d’une inflation plus forte que dans le passé qui offre l’avantage de réduire le poids de la dette. Les taux d’intérêt restent bas au vu de l’inflation ; en termes réels, ils sont même fortement négatifs. La politique monétaire ne peut pas donc être considérée comme restrictive.
Les États européens éprouvent les pires difficultés à sortir des politiques monétaires accommodantes en raison de l’endettement public et privé élevé. Les taux bas jouent le rôle de drogue. Le sevrage est problématique. Les gouvernements auraient dû privilégier la carte budgétaire entre 2008 et 2016 pour relancer l’inflation et non abuser de l’arme monétaire. En stimulant directement la demande de biens et de services, les prix ont tendance à augmenter. Ce phénomène a été vérifié en 2021 avec la multiplication des plans de relance. À la sortie de la crise financière, les États occidentaux ont souhaité réduire rapidement leurs déficits publics. Les autorités européennes ont imposé des plans de rigueur aux États enregistrant des déficits élevés (déficits publics et déficits de la balance des paiements courants), ce qui a contribué à ralentir la croissance. Après la crise des dettes souveraines, la zone euro est entrée en récession en raison de la réduction des déficits publics et d’une politique monétaire qui restait alors conventionnelle. À partir de 2015, implicitement, il est demandé à la BCE d’assurer tout à la fois le retour de la croissance, l’amélioration du marché de l’emploi et le retour de l’inflation de 2 %. La politique monétaire avait un nombre exagéré d’objectifs à atteindre, ce qui a conduit à l’atteinte d’aucun d’entre eux. En 2022, la BCE a tardé à s’attaquer à maitriser l’inflation et les États ont conservé une grande partie de l’arsenal mis en place lors de la crise sanitaire. Les États-Unis semblent avoir fait preuve de plus de réactivité mais il faut souligner qu’ils sont moins exposés que l’Europe au risque énergétique.
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