Les générations maudites

15/07/2017, classé dans

L’échec de Nicolas Sarkozy et de François Hollande à effectuer un second mandat tout comme celui de François Fillon, sonnent le glas de toute une génération. Les enfants des années 50 n’auront occupé le pouvoir suprême que dix ans. Ils ont été bien moins efficaces que leurs prédécesseurs, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand ou Jacques Chirac qui avaient réussi, durant plus de quarante ans, à se maintenir sur le devant de la scène. Né en 1977, le nouveau Président a, en effet précipité à la retraite de nombreux barons de la politique.

Si les précédentes générations ayant exercé le pouvoir pouvaient se prévaloir d’avoir contribué à la reconstruction du pays et aux Trente Glorieuses, celles des années 50 ont été jugées responsables, de manière certainement un peu injuste, du déclin du pays, de la crise, du chômage et de la dette.

Le Général de Gaulle, Georges Pompidou, Giscard d’Estaing tiraient leur légitimité de la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient participé à la création de la 5e République. François Mitterrand, avec sa part d’ombre, s’est inscrit dans le prolongement des pères fondateurs et a revêtu à la perfection les habits de la fonction présidentielle. Si Jacques Chirac n’a pas été un acteur de la période 39/45, il s’est arrogé le titre d’héritier de Georges Pompidou, le Président symbolisant les 30 Glorieuses. Il a été un trait d’union dans la succession des générations. Né en 1932, avant la Seconde Guerre mondiale, il a, à son corps défendant, transmis le pouvoir, à Nicolas Sarkozy né en 1955. Les hommes et les femmes qui ont occupé le pouvoir jusque dans les années 2000, Simone Veil en étant évidemment un des plus beaux exemples, avaient le cuir épais, endurci par les évènements tragiques qu’ils avaient du traverser. Ceux qui leur ont succédé n’ont pas connu l’épreuve du feu. Leurs batailles étaient plus petites, des batailles de partis politiques, des batailles de personnes.

La durée du règne des baby-boomers a été courte car les seigneurs précédents ont monopolisé le pouvoir en s’appuyant sur leur légitimité historique et grâce à un savoir-faire certain. La capacité de conservation du pouvoir de De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand tranche avec l’instabilité chronique du pouvoir en France.

L’échec des baby-boomers n’est également pas sans lien avec l’avènement d’une société de l’information immédiate. Maîtrisant mal les nouveaux codes de la société des médias du Net, ils ont été encensés, lâchés et lynchés. Emmanuel Macron semble avoir compris que l’émetteur de l’information prime sur le canal de distribution. Il vit au rythme d’Internet depuis son adolescence. Quand les hommes politiques de l’ancien temps étaient incapables de refuser une sollicitation de la part des médias, Emmanuel Macron entend non pas à la rareté mais à la maîtrise de l’information. Il choisit ce qu’il veut donner. En cela, il ressemble plus à Valéry Giscard d’Estaing ou à François Mitterrand à la nuance près que les époques sont différentes. Dans les années 70 ou au début des années, le nombre des canaux d’information était réduit.

La génération des années 50 s’est autodétruite. En s’exposant à tout vent, en confondant politique et people, ils ont contribué à désacraliser le Politique. La succession de crises économiques les a affaiblis. A vouloir plaire en permanence à l’opinion, aux médias, ils ont été incapables de prendre des mesures impopulaires. Cette faiblesse à défaut de leur être réellement reproché a conduit à l’accumulation de mauvais résultats qui leur ont été imputés. A leur décharge, ils avaient hérité d’un passif en provenance des présidences Mitterrand et Chirac, le premier ayant laissé le déficit dérivé au-delà de 3 % du PIB quand le second opta pour une gestion au fil de l’eau. La succession de cohabitations dans les années 80 et 90 ne fit que grossir le passif. Paradoxalement, la conservation du pouvoir par deux hommes nés avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale s’accompagne d’une instabilité gouvernementale. Durant les vingt ans de présidence de François Mitterrand et de Jacques Chirac, la France connut onze Premiers Ministres. Sur la même période, l’Allemagne fut gouverné par quatre chanceliers, le Royaume-Uni par 5 Premiers Ministres et les Etats-Unis par 4 Présidents. Chez nos principaux partenaires, le rajeunissement s’est effectué progressivement que soit par l’intermédiaire de Tony Blair, de Bill Clinton ou d’Angela Merkel. En France, les papys ont fait de la résistance et ont certainement alimenté chez les hommes et femmes nés après-guerre une certaine forme de frustration.

L’élection d’Emmanuel Macron a également provoqué une autre victime colatérale, la génération des années 60 qui a vu le pouvoir lui passer par-dessus. Benoit Hamon, représentant de cette génération, n’a pas fait illusion tout comme Cambadelis à la tête du Parti socialiste. Certes Emmanuel Valls a été Premier Ministre mais il a été broyé tant par l’ancien Président que par le nouveau. A droite, François Baroin, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand peinent à prendre leur envol quand Jean-François Copé semble s’être brûlé les ailes. Ce phénomène de saut générationnel est assez classique. Il concerne la politique comme le monde des affaires. Nul n’a envie, sur sa nuque de sentir le souffle qui lui est trop proche en âge.

Ainsi, auparavant,  Nicolas Sarkozy avait ainsi mis un terme aux espoirs des politiques nées juste après la Second Guerre mondiale. Les François Léotard, les Alain Madelin, les Philippe Seguin ; François Hollande a fait de même à gauche en privant Laurent Fabius et quelques autres de l’exercice du pouvoir. Le phénomène est encore plus brutal pour les enfants des sixties dont peu ont ou auront la possibilité des fonctions de responsabilité avant d’avoir 50 ans. Ils ont été bloqués par leurs prédécesseurs qui sont arrivés sur le tard au pouvoir avant d’être délogés par de jeunes quarantenaires. Mais au-delà du jeu des générations, ils n’ont pas su prendre le pouvoir. Rares sont ceux qui nés entre 1960 et 1969 qui ont pu exprimer leurs talents sous les ors de la République.

A la différence des Giscard d’Estaing et des Mitterrand mais aussi des Hollande, des Jospin, des Fabius, la génération des années 60 ne dispose peut être pas de l’ADN du pouvoir. Pourquoi cette génération a-t-elle rendue l’âme avant même d’atteindre les sommets ? Pourquoi a-t-elle sombré avec ses aînés ? Existe-il une malédiction pour les enfants des sixties. Leurs ressorts psychologiques ne les prédestinent peut-être pas à l’exercice des hautes fonctions.

Les sixties ont le défaut d’être nés après leurs frères des années 50. Ces derniers ont profité pleinement des 30 glorieuses quand les premiers se sont trouvés dans la queue de la commette. Commençant à travailler à partir du milieu des années 80, ils ont connu plus que leurs aînés les affres des crises, du ralentissement de la croissance. En outre, la concurrence pour les postes s’est accrue au fur et à mesure que la situation économique se dégradait et que le nombre d’actifs augmentaient. En effet, les sixties sont arrivés sur le marché du travail précédé par une dizaine de larges générations. Certes, ce phénomène joue encore plus pour les hommes et les femmes nés dans les années 70 mais il ne faut pas oublier que les générations les plus larges sont celles des années 1963/1966 ce qui ne peut qu’exacerber la concurrence.

Les sixties sont-ils indolents par nature. Ils n’ont été encore moins que leurs prédécesseurs des acteurs de l’histoire. Ils n’ont été ni résistants, ni reconstructeurs de l’après-guerre, ni des manifestants de mai 1968. Même si peu de Français n’a été dans la résistance, même si peu ont été sur les barricades en 68, ces évènements sont des marqueurs pour des générations. Celle de mai 1968 à imposer un style de vie, a été à l’origine de l’émancipation des femmes, de l’écologie. La reconstruction du PS a reposé essentiellement sur les soixante-huitards qui se sont liés à des hommes politiques plus expérimentés comme François Mitterrand. Les sixties sont venus après, sans réel combat à mener.

Les enfants des années soixante ont été heureux des avancées sociales obtenues par leurs aînés. A défaut d’avoir des révolutions à mener, ils ont eu tendance à remercier  leurs grands frères pour leur travail. A défaut d’être porteur d’un message particulier, ils se sont coulés dans le moule de leurs prédécesseurs. Ils ont les mêmes goûts musicaux ou livresques. Ils sont fans des Stones, d’AC/DC, de Téléphone, de Trust, de U2, de Supertramp, de Led Zeppelin, de Dire Straits et bien d’autres sont composés de membres nés dans les années 40 ou 50.

Les sixties ont assisté bien souvent à la réussite de leurs parents nés dans les années 30. Ces derniers ont les artisans du redressement de la France après guerre. Ils sont fiers de leur travail et en ont profité. Ils n’ont pas eu à se révolter pour accroître leurs libertés ; elles leur ont été offertes par leurs frères ainés sur un plateau.

Les conflits entre générations s’est amoindrie à partir des années soixante du fait du rapprochement des styles de vie. Les ressortissants des années 60 ont été éduqués de manière classique. L’instituteur, le professeur étaient encore des personnalités reconnues et craintes. Ils sont des enfants du livre et de l’écrit. Ils sont moins spontanés que les représentants de la génération Y. Ils sont moins individualistes, moins portés à l’autonomie. L’esprit de révolte émoussé, l’admiration des générations précédentes en bandoulières, les sixties étaient prêts à être les victimes de la guerre des générations.

Quand sous la pression médiatique, sous la pression de l’opinion publique, la parité et la limitation du cumul des mandats ont été institués, les sixties auraient du en profiter pour prendre marques or, ce fut l’inverse qui se passa.

En effet, les hommes politiques qui ont accepté bien malgré eux la parité pour les élections municipales ont pris soin de placer sur les listes des femmes qui avaient au moins 20 ans de moins qu’eux afin d’éviter une trop vive concurrence. Ce sont essentiellement des femmes des années 70 qui ont bénéficié de l’appel d’air généré par la parité. De même, un homme politique qui est contraint de se défaire d’un mandat le confiera à un jeune afin que ce dernier ne le pousse pas trop vite à la retraite. Sacrifiés sur l’autel des ambitions, les sixties se résignent à accepter les miettes. De même, en matière de réforme des retraités, pour le moment, ceux qui sont les plus pénalisés sont ceux nés entre 1964 et 1970. Il y a une fatalité ou le fait que faute d’être des contestataires, ils sont des victimes parfaites. Les sixties s’expriment dans l’ombre, dans le confort des antichambres.

Emmanuel Macron en imposant un saut générationnel entend dépoussiérer la politique et s’appuyer sur la fameuse génération Y, celle qui est arrivée à maturité en ayant ou presque toujours connu le net. Les baby-boomers sont devenus en quelques semaines old school mais il n’est pas les jeunes hérauts de la haute fonction publique fassent mieux que les vieux politiciens d’hier.

 

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