Les fonds de pension, la main du diable
LES FONDS DE PENSION,
LA MAIN DU DIABLE ?
Thierry Ardisson, le 25 septembre 1999, « tout le monde le sait, ce sont les fonds de pension américains qui gouvernent la France ». Bernard Pivot, le 26 septembre 1999, « on dégraisse les ouvriers français pour engraisser les retraités américains ». Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, le 12 septembre 1999, « les fonds de pension n’ont aucune moralité ! Ce qui les intéresse, c’est leur taux de rentabilité pour leurs actionnaires ». Les fonds de pension pour les idéologues anti-libéraux primaires sont la réincarnation de méphistophélès. C’est bien connu, ils n’ont qu’un seul objectif : détruire la retraite par répartition que nous connaissons aujourd’hui ; avec les fonds de pension, il n’y aura que des retraites pour les nantis et rien pour les autres, ils symbolisent la domination, la dictature, diraient certains, du grand capital. Il suffit qu’un libéral, un homme de droite évoque bien souvent avec honte et en catimini, tellement la pression des opposants est forte, le mot de capitalisation pour que les chiens de garde du régime général lui sautent à la figure. La lutte contre les fonds de pension, c’est la mère de toutes les batailles. C’est un véritable fonds de commerce à partir duquel rayonnent toutes les oppositions au libéralisme. Depuis sa nomination au mois de mars 2000 en tant que Ministre de l’Economie et des Finances, Laurent Fabius tente, comme précédemment, Dominique Strauss-Kahn, de déminer ce dossier, mais les mêmes intransigeances, les mêmes arguments remontent à la surface.
Pas de débat possible avec Monsieur Blondel sur ce sujet, pas de débat possible avec le Parti communiste ; les Premiers Ministres qu’ils soient de gauche ou de droite tremblent face au problème de la retraite. Hier, Alain Juppé freinait des quatre fers pour ne pas instaurer de fonds de pension ; aujourd’hui après avoir perdu deux ans en rapports et commissions, Lionel Jospin a accouché d’un plan en demi-teinte. Les Français ont beau être favorable aux fonds de pension, plus de 70 % dans les sondages, ils ont beau être convaincu que le système actuel est menacé par l’évolution de notre démographie ; rien n’y fait, les gouvernements ont pris comme symbole en matière de retraite, l’autruche.
Le financement de la retraite le vieillissement de la population, la dénatalité sont des problèmes que semblent découvrir les Gouvernements tous les six mois. Auraient-ils oublié qu’en janvier 1990, Michel Rocard écrivait : « Dans vingt ans, le système de retraite va exploser ; il y a de quoi faire sauter les cinq ou six gouvernements qui seront amenés à s’en charger. » Auraient-ils oublié que le rapport sur l’épargne rédigé par François Hollande en juin 1990 mentionnait déjà que : « l’épargne retraite est une idée à étudier et à développer » Auraient-ils oublié que le fameux livre blanc de Michel Rocard de 1991 qui mentionnait page 166 qu’il convient de mettre en œuvre « dans le cadre professionnel des fonds d’épargne collectifs s’adressant à un ensemble d’actifs d’une même entreprise ou d’un même secteur professionnel, mis en place par accord entre partenaires sociaux. »
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, on fait du sur place sur le sujet des fonds de pension. Au regard des derniers propos tenus par certains leader de gauche, on a même l’impression de reculer. Le combat contre les fonds de pension se double d’un antiaméricanisme qui reprend des couleurs avec José Bové, le Groupe Attac et les opposants à l’OMC. Alors qu’en France, le débat demeure bloqué sur le pour ou contre les fonds de pension, l’économie mondiale vit avec sans se poser de questions.
Les données du problème sont pourtant claires et connues de tous. En 2020, plus du quart de la population française aura plus de 60 ans ; il y aura plus de personnes à la retraite que de jeunes de moins de 18 ans. En 2040, le ratio retraités/actifs sera de 86 % contre 48 % en 1999. Il y aura moins de deux actifs pour un retraité. Il faudra pour maintenir en état les pensions trouver d’ici quinze ans plus de 300 milliards de francs annuels. Il faudrait multiplier par deux l’impôt sur le revenu ou augmenter de plusieurs points les cotisations retraites, faute de quoi les pensions seront amputées de 30 à 50 %. Pour reprendre les données du rapport du Commissariat général au plan, un homme né en 1910 partant à la retraite à 65 ans pouvait passer en moyenne 10 ans à la retraite. Un homme né en 1930 pourra espérer bénéficier de 17 années à la retraite et ce chiffre ne cessera de croître dans les prochaines années. D’ici 2040, l’espérance de vie devrait atteindre 81 ans pour les hommes et 89 ans pour les femmes ; chaque année, on gagne sur la mort un trimestre. A partir de 2006 et ceci jusqu’en 2035, le nombre de retraités augmentera de 250 000 par an contre 110 000 actuellement.
En outre, les retraités de demain ne ressembleront pas aux retraités d’hier. En meilleure forme et ayant le temps avec eux, ils voudront profiter de leur première partie de retraite qu’ils assimilent à de très grandes vacances. De plus en plus au cœur de la famille, de plus en plus des cibles pour la publicité, ils refuseront de voir dépérir sans rien faire leur pension. Les politiques du XXIème siècle ne pourront ignorer le double défi du financement des retraites et du souhait d’amélioration du pouvoir d’achat des retraités qui constitueront une part non négligeable du corps électoral.
La politique de l’Autruche s’applique en premier à l’Etat en tant qu’employeur. Selon un rapport commandé par le Premier Ministre, Alain Juppé en 1996 et élaboré par Raoul Briet, le coût des retraites pour les fonctionnaires de l’Etat passerait de 108 milliards de francs en 1995 à 153 en 2005 puis à 226 milliards de francs en 2015. De combien les impôts augmenteront-ils ces prochaines années ? Le taux de prélèvements obligatoires dépassera-t-il les 50 % en 2010 ?
Alors pourquoi une telle myopie volontaire ? Il y a une sacralisation de notre régime de retraite par répartition qui est liée aux difficultés que la France a rencontrées pour l’instituer. Il a fallu, en effet, plus de 300 ans pour obtenir en France une couverture du risque vieillesse digne de ce nom. De la décision de Colbert de créer un régime de pensions au profit des mariniers au système actuel qui couvre une grande partie des actifs, trois longs siècles faits d’hésitations, de projets qui ne débouchent sur rien, de lois inappliquées sont passés. Depuis Louis XIV, ce sont les mêmes questions, les mêmes antagonismes et parfois les mêmes solutions qui reviennent : qui doit instituer et gérer les régimes de retraite ? – Doivent-ils être facultatifs ou obligatoires ? – Comment doivent-ils être financés ?
Le problème de la retraite n’a été réglé et encore partiellement qu’après la Libération soit cinquante ans après l’Allemagne. Le long accouchement du système français de retraite explique la crainte actuelle face à d’éventuels changements qui viendraient remettre le droit à une pension correcte. Cette peur est d’autant plus forte qu’elle intervient au moment même où l’allongement de la vie permet de profiter, souvent en bonne santé, d’une période longue d’inactivité professionnelle. Le système de retraite français, par sa complexité, par son caractère très administratif, colle parfaitement à notre façon de concevoir la société. Il combine droits acquis, automaticité, redistribution, socialisation et individualisation.
Droits acquis car il est admis que le simple fait de travailler ouvre droit à l’obtention d’une pension correcte lorsque interviendra la cessation d’activité. Automaticité car le Français n’aime guère se projeter dans l’avenir, son esprit latin le pousse à jouir du présent laissant l’Etat régler les problèmes de demain. Redistribution car les pensions du régime général sont versées grâce aux cotisations des actifs. Elles sont calculées en tenant compte du nombre d’années de cotisations et des salaires perçus durant un certain nombre d’années. Pour compléter le régime général, il a été institué des régimes complémentaires dont les pensions sont calculées en prenant en compte le nombre de points accumulés durant sa carrière professionnelle selon des règles qui dépassent l’entendement de la quasi-totalité de la population. Bien évidemment, il n’y a pas une seule caisse de retraite de régime général, ni même une seule complémentaire. Il faut, en outre, ajouter les régimes spéciaux qui sont dérogatoires tant sur la durée de cotisation que sur les modalités de calcul des pensions. En fonction du nombre d’emplois occupés durant sa vie active, on peut avoir une, deux, trois ou plus d’une dizaine de caisses auprès desquelles il faut faire prévaloir ses droits, reconstituer sa carrière et qui versent des morceaux de retraite. Un vrai travail de forçat à réaliser avant de partir à la retraite. Socialisation car en théorie les pauvres sont mieux couverts que les riches et les risques sont, par définition, mutualisés. Individualisation car compte tenu de la construction kafakaïenne du système français de retraite, chaque Français est un cas particulier ce qui n’est pas, loin de là, pour lui déplaire.
La capitalisation et la répartition s’oppose par leur mode de financement. Pour la retraite par répartition, le financement des pensions s’effectue par des cotisations assises sur les salaires. Ce système fonctionne selon le principe de la solidarité intergénérationnelle ; les actifs d’aujourd’hui acquittent les pensions des retraités tout en accumulant des droits pour leur retraite future qui sera versée par les futurs actifs. Dans le cadre de la retraite par capitalisation, les retraites sont payées à partir des produits d’un capital accumulé. Ce capital est constitué par le versement d’une partie de l’épargne des salariés et par des abondements de la part des entreprises. La retraite par capitalisation peut prendre la forme de plan individuel d’épargne retraite, produit présenté directement par les établissements financiers. Elle peut être proposée par des fonds de pension qui assurent la gestion des retraites pour une entreprise, un groupe d’entreprises, une administration ou une collectivité locale. Les fonds de pension peuvent être gérés de manière paritaire, c’est à dire en associant à leur gestion les syndicats. Ainsi, les fonds néerlandais sont gérés paritairement au niveau de la branche professionnelle. Les fonds du secteur public américain, près de 2000 milliards de dollars sont contrôlés par des représentants des salariés.
Que Monsieur Blondel, que les premiers Ministres successifs retiennent comme définition du mot retraite l’action de se retirer ou la marche en arrière d’une armée en situation périlleuse face à l’ennemi et non l’état d’une personne ayant cessé pour une question d’âge son activité professionnelle ou l’état d’une personne qui reçoit une pension ou une rente n’est pas rassurant pour les futurs retraités. La retraite sur la retraite risque de ressembler à la retraite de Russie des armées napoléoniennes. Il y a un risque social important car pour les Français le mot retraite correspond à une période de plus en plus longue de la vie durant laquelle une personne peut grâce aux droits acquis durant sa période d’activité professionnelle effectuer un certain nombre de hobbies, voyager, se distraire, s’occuper de ses enfants et de ses petits enfants.
Heureusement, les Français sont beaucoup plus raisonnables que les pouvoirs publics. Pour maintenir leur pouvoir d’achat au moment de leur retraite, ils économisent, prennent des assurances-vie, des plans d’épargne populaire, voire et c’est horrible pour les antilibéraux primaires, ils jouent en bourse ; ils sont déjà plus de six millions. Ils s’organisent face à l’incurie des autorités ; en 1993, les salariés du privé ont accepté sans coup férir que la durée de cotisation passe de 37,5 années à 40 ans et que leur pension ne soit pas calculée sur les 10 meilleures années mais sur les 25. Conscients que l’âge d’or des retraites par répartition était terminé, ils tournent la page.
La France est un pays étrange ; même lorsqu’il n’y a pas lieu à conflit, on aime en créer. Depuis maintenant, une dizaine d’années, la question des fonds de pension est récurrente. La première proposition de loi au Parlement date de 1991 et avait été déposée par Charles Millon qui était alors Président du Groupe UDF à l’Assemblée nationale. Le 25 mars 1997, après des mois d’efforts et d’arbitrage, Jean-Pierre Thomas, député des Vosges de 1993 à 1997 et qui depuis est associé gérant chez Lazard, réussit à faire promulguer la loi qu’il avait préparée en 1993. Jean Arthuis ne se précipita pas, par peur d’éventuelles émeutes, pour prendre les décrets d’application de telle façon que lors de la dissolution d’avril 1997, la loi Thomas n’était toujours pas appliquée. La gauche considéra cette loi comme nulle et non avenue et en 2000 se décida à l’abroger dans un grand élan de modernité.
Pourquoi tant de haine vis à vis des fonds de pension ? A en croire l’acharnement de certains, l’homme avec le couteau dans la bouche se serait réincarné dans un fonds de pension. Les arguments en leur faveur n’ont pas de prise sur les idéologues de la répartition intégrale.
Rien n’y fait. Que tous les pays occidentaux aient mis en œuvre de tels fonds de pension n’entraînent aucune réaction. Les autres ont tort, c’est bien connu. Les Américains, les Suédois, les Anglais, les Chiliens, les Espagnols et les Italiens pour n’en citer que quelques-uns sont tous gouvernés par des fous qui veulent que leurs concitoyens ne touchent pas de retraite. Le système par répartition représente pour les syndicats l’exception sacrée surtout quand il s’agit des régimes de la fonction publique.
Qu’il soit répété que personne ne souhaite remplacer le système par répartition par un système par capitalisation ; rien n’y fait. On a beau affirmer, sur tous les tons possibles, que l’objectif est de créer un nouveau pilier de retraite qui s’ajoutera au régime général et au régime complémentaire, les adversaires des fonds de pension demeurent tout aussi sourds. Pourtant, en pure sagesse, il est connu qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Les deux systèmes sont complémentaires, la répartition institue une solidarité intergénérationnelle dite verticale pendant que la capitalisation correspond plus à une solidarité horizontale. Moins dépendante des évolutions démographique et qui est plus en phase avec la mutation de l’économie mondiale, la capitalisation permettrait de diversifier les sources de financement pour les retraites. Les salariés et les retraités quels que soient leur salaire et leur fonction peuvent bénéficier des fruits de la croissance.
Jamais de fonds de pension en France ; pas d’exonération pour les capitalistes, pour les sangsues et les vipères lubriques du grand capital. Au nom du cher principe d’égalité, il est souhaitable que tout le monde soit traité à la même enseigne. Il faut donc, sans tarder, supprimer les fonds de pension de la fonction publique, celui de la Banque de France, ceux des élus, ceux auxquels peuvent souscrire les artisans et les professions libérales. Actuellement, en toute légalité, les fonctionnaires peuvent cotiser en franchise d’impôt et de cotisations sociales à des fonds de pension. La sortie en rente au moment de leur retraite est exonérée. La PREFON, le fonds de pension de la fonction publique d’Etat existe depuis 1968 ; tous les syndicats ont mis leurs mains dans le sac du diable en participant à sa gestion, Force Ouvrière comprise.
Supprimons aussi le régime par capitalisation des fonctionnaires de la Banque de France. Personne jusqu’à maintenant n’a oser dire que le personnel de la Banque centrale était maltraité ? les syndicats de cette vénérable institution n’ont pas demandé, à preuve du contraire, de revenir dans le droit commun ?
Toujours au nom de la justice, il faut supprimer les régimes complémentaires par capitalisation des commerçants et artisans. Si c’est si dangereux, si c’est aussi corrosif que certains le prétendent, il faut aller jusqu’au bout de la logique et éradiquer notre pays de tous les fonds de pension qui existent. Pourquoi seuls les salariés du privé devraient-ils seuls montrer l’exemple ?
N’a-t-on pas l’impression que les salariés du secteur privé sont les dindons de la farce. Ils n’ont droit qu’au régime général et au régime complémentaire dont les pensions sont tout juste réévaluées en fonction des prix, pensions dont le pouvoir d’achat, dans les années à venir, s’érodera. Les salariés du privé n’ont qu’à devenir fonctionnaires s’ils veulent goûter aux fruits défendus des fonds de pension. L’argument, maintes fois répété, en vertu duquel l’instauration d’avantages fiscaux aux fonds de pension tuerait la répartition ne tient pas la route. Pas d’exonération de charges, pas d’exonération fiscale sur les versements aux fonds de pension sinon, ils vont tout manger sur leur route. En effet, cet argument pourrait s’appliquer tant au régime des fonctionnaires, au régime des salariés de la Banque de France, aux régimes complémentaires, aux plans d’épargne en action, aux plans d’épargne entreprise, aux plans d’épargne populaire… Les opposants des fonds de pension seraient-ils les défenseurs de la veuve et de l’orphelin ? Même pas car ne rien faire, c’est créer un système de retraite à deux vitesses ; les contribuables à hauts revenus se protègeront en épargnant alors que les revenus modestes se retrouveront démunis lors de leur cessation d’activités.
Les partisans du statu-quo, du tout répartition sont les adjoints des capitalistes anglo-saxons et des anti-retraités primaires. En refusant la création de fonds de pension, ils empêchent les retraités français de bénéficier de la croissance de l’économie mondiale, des dividendes des entreprises françaises et étrangères. Ils détestent tellement le profit qu’ils ne veulent pas que leurs concitoyens y aient accès ; ils préfèrent que les retraités de New York, de Milwaukee, de Dallas, de Saint Louis ou de la Nouvelle Orléans reçoivent des revenus dont une partie proviendrait de l’efficacité, du savoir-faire des salariés français. Les anti-mondialistes sont les meilleurs avocats du capitalisme américain qui, faute de trouver des actionnaires français en face de lui, fait ses emplettes en France pour pas cher. Quelle générosité !
La société Total Fina-Elf n’est plus vraiment française comme Rhône Poulenc, Suez Lyonnaise. BNP, Saint Gobain, Michelin, Axa ou ACCOR sont contrôlés fortement par des investisseurs étrangers. Les Forrester, les Bové, les anti-OMC, les anti-américains, par obscurantisme, sont les meilleurs avocats des fonds de pension anglo-saxons et actionnaires étrangers. En s’opposant dur comme fer à l’instauration de compléments de retraite par capitalisation, ils ont facilité le passage sous contrôle étranger de nos plus entreprises. Faute d’actionnaires français, elles sont des cibles attirantes pour des investisseurs internationaux. C’est un gentil pied de nez des capitalistes.
Les fonds de pension, c’est mettre dans les mains du diable nos retraites de demain ; c’est laisser à la spéculation boursière ce qui nous permettra de vivre durant 10, 20 ou 30 ans ; c’est comme avoir la tête sur le billot de la guillotine, la lame étant simplement remplacée par les krachs boursiers. Mais, même en prenant toutes les crises financières, les placements en actions constituent le meilleur placement possible. Un particulier qui aurait placé son argent à la veille de 1929 serait aujourd’hui un homme riche voire milliardaire.
Les fonds de pension sont bien évidemment soumis à des règles prudentielles strictes ; des représentants des retraités et des salariés ont la possibilité de siéger dans les conseils d’administration pour veiller à la bonne gestion des actifs. Les Français ont confiance dans l’assurance-vie (plus de 2000 milliards de francs) ; pourquoi n’auraient-ils pas confiance dans les fonds de pension ? Aux Etats-Unis, on décompte plus de 3000 sociétés gérant dans le cadre de fonds de pension plus de 5 400 milliards de francs. Peut-on imaginer que ces sociétés joueraient contre les salariés américains ? Sur 15 ans, toutes les études le prouvent, les actions sont des placements moins risqués que les emprunts d’Etat.
Les fonds de pension, la bourse, les actions, c’est dangereux, rappelez-vous les rentiers des années trente ; ils ont tout perdu, il ne leur restait même plus leur chemise pour pleurer. L’amalgame est séduisant. Mais c’est oublié que les fonds de pension sont gérés par des spécialistes et qu’il y a une mutualisation des risques. C’est aussi oublié que les techniques, depuis les années trente, ont évolué. Les voitures vendues en l’an 2000 comporte toutes ou presque des airbag, l’ABS, l’air conditionné ; dans les années trente, tous ces dispositifs de confort et de sécurité n’existaient pas. Il en est de même pour les placements financiers.
Les fonds de pension, ces enfants du diable, sont les grands moteurs de la croissance de l’économie américaine depuis le début des années quatre-vingt-dix. En drainant une masse importante de capitaux vers l’économie productive et en étant sourcilleux sur la bonne utilisation des fonds, ils ont contribué au dynamisme de l’économie américaine. Il y a un lien net entre le décollage des fonds de pension et de la croissance. La France se prive, par idéologie, d’un instrument de développement formidable.
Aujourd’hui, la retraite par capitalisation, c’est avantageux ; mais, demain, tout cela peut se retourner. N’ayant plus d’arguments pour justifier le report des fonds de pension en France, les anti-libéraux primaires avancent que d’ici dix ou quinze ans, le recours à la capitalisation sera moins intéressant. Selon leur analyse, lorsque les premières grandes classes du baby boom arriveront à l’âge de la retraite, les fonds de pension, pour faire face à leurs engagements devront vendre des actifs et, de ce fait, les cours des actions baisseront alors qu’ils les auront acquis très chères. Premièrement, le versement des pensions ne se fait pas en une fois à un nouveau retraité mais sur une période qui peut dépasser trente ans. Par ailleurs, le fameux papy boom durera non pas cinq ans mais plus de vingt ans ; les fonds de pension ne vendront pas tout d’un seul coup tous leurs actifs. Ils auront recours à de savantes techniques de lissage. Ils privilégieront le rendement des obligations, les dividendes des actions pour payer les pensions aux cessions pures et simples d’actifs. En outre, dans les pays en voie de développement, le problème du vieillissement de la population se posera après que nous aurons réglé le nôtre.
Autre argument bien connu ; les fonds de pension sont gérés par des escrocs. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer l’affaire Maxwell. De quoi s’agissait-il ? Un magnat de la presse dénommé Maxwell qui s’était construit un empire de journaux en montant un château de dettes et en puisant sur le fonds de pension interne de l’entreprise. Escroquerie qui amena le législateur britannique à durcir les règles prudentielles applicables aux fonds gérés en interne. Mais, ce qui est le plus important, les droits des salariés et des retraités du Groupe Maxwell n’ont pas été mis à mal par la faillite et l’escroquerie. Par le jeu de caisses de garanties, ils n’ont pas été les victimes, contrairement aux propos des adversaires des fonds de pension, des malversations de Maxwell et du capitalisme débridé. Avec une législation claire, avec des règles prudentielles strictes, il n’y aucune raison de connaître de nouvelles affaires Maxwell. Il ne faut pas de plus oublier qu’il existe, à travers le monde, des milliers de fonds de pension qui gèrent des milliers de milliards de dollars et qui versent des rentes à des dizaine de millions de personnes sans connaître de problèmes. Les gestionnaires des fonds de pension sont soumis à des règles strictes afin de ne pas prendre des risques inconsidérées. A l’étranger, les fonds de pension font l’objet de contrôles internes et de contrôles externes, souvent exercés sous la direction de représentants des salariés. Les bénéficiaires sont parties prenantes à la gestion des fonds et peuvent demander des comptes aux gestionnaires. Sur longue période, les placements financiers et en particulier en actions sont sûrs et offrent les meilleurs rendements. Même en prenant en compte les krachs y compris ceux de 1929 et de 1987, le placements en action est toujours le meilleur.
Pouvons nous être sûrs que nos caisses de retraites sont toutes bien gérées, qu’il n’y a pas d’emplois fictifs et qu’il n’y a aucun détournement de fonds ? Ces faits sont certainement rares, mais comme dans les institutions qui gèrent la retraite par capitalisation de millions de salariés et de non salariés.
De toute façon, pourquoi débattre sur les avantages et les inconvénients des fonds de pension ? C’est trop tard, il aurait fallu les instituer, il y a une dizaine d’années. En effet, pour montée en puissance et pour être à même de verser des rentes, il faut au moins quinze ans de fonctionnement. Les adversaires de la capitalisation auraient gagné au jeu de qui perd gagne, en jouant la montre. Certes, il aurait mieux valu mettre en œuvre une législation favorable aux fonds de pension en 1980. Il faut, à ce titre, souligné que les libéraux réclament depuis plus de vingt ans l’instauration d’un nouvel étage pour la retraite. Si Alain Madelin avait été entendu, au début des années quatre-vingt, chaque Français aurait dans son escarcelle un beau pactole. Aujourd’hui, il ne peut que constater qu’à travers une dette publique de plus de 5000 milliards de francs, il devra un jour ou l’autre acquitter plus de 80 000 francs en plus de ses impôts. Il n’est pas de toute façon trop tard car le problème du financement des retraites se posera de 2005 à 2040 soit 35 ans. Il vaut mieux avoir un petit complément par capitalisation que rien du tout.
Nos voisins adoptent des dispositions pour instituer des régimes par capitalisation ou pour encourager les versements aux fonds de pension. Pourquoi pas nous ? Ce n’est pas parce que l’on manque les premiers trains qu’il faut s’interdire à jamais d’en prendre un.
L’instauration des fonds de pension pose aux syndicats avant tout un problème de pouvoir. Les très nombreuses caisses de retraites permettent à chacun des syndicats d’avoir ses relais, d’y placer ses hommes, d’y trouver des sources de financement. Les fonds de pension risqueraient, à terme, de démontrer que les caisses de retraite par répartition ne sont pas très bien gérées et que l’on peut verser des pensions en ne passant pas sous les fourches caudines des syndicats. En ce qui concerne la gestion, la concurrence sera, sans nul doute, une source de revenus pour les Français. Pour le rôle des syndicats, il y a des solutions pour qu’ils puissent continuer à être associés à la gestion des retraites.
De plus en plus de membres des syndicats français sont des retraités, ce sont les anciens ouvriers, les anciens employés de la période d’après guerre. Ces retraités qui ont cotisé durant toute leur vie au système par répartition et ayant un vécu très idéologique, sont les meilleurs garants du statu-quo. Les responsables des syndicats jouent sur leur peur en leur répétant que leur retraite est en danger avec le recours aux fonds de pension. Or, bien évidemment, la menace n’existe pas. Personne n’a jamais envisagé de remettre en cause les pensions qui sont versés aux retraités actuels. La Pologne qui vient de réformer de fond en comble son régime de retraite n’a pas agi autrement. Ainsi, entre le 1er mars et le 31 décembre 1999, 9,7 millions de polonais ont souscrit à un fonds de pension. La loi obligeait de le faire pour les 18 et 30 ans alors que pour les 30/50 ans pouvaient conserver le système de répartition actuel. Les plus de 50 ans conservaient obligatoirement le régime par répartition.
Pour régler la question des retraites, le Gouvernement de Lionel Jospin a opté pour un instrument qui fleure bon les grandes années de la planification soviétique, le Fonds de sauvegarde des retraites qui a été créé par la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 1999. Le Premier Ministre a annoncé qu’il était en mesure d’y affecter, d’ici une vingtaine d’années, près de 1000 milliards de francs. Pour le moment, le compte n’y est pas. Nous sommes à quelques dizaines de milliards de francs en 2000. Le Gouvernement a prévu d’affecter à ce fonds une grande partie des recettes issus de l’octroi des licences UMTS, les licences de téléphones portables de troisième génération mais cela ne changera pas réellement la donne.
L’option du fonds de réserve pour sauver la retraite par répartition apparaît archaïque. Comment croire que l’Etat ou les organismes sociaux soient les mieux à même pour gérer des actifs en vue de financer les retraites ? Le fonds de réserve des retraites institué par Lionel Jospin est un grand mystère. Quel régime pourra en bénéficier ? Le régime général, les régimes spéciaux ?
Les Ministres de l’Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn puis Laurent Fabius, tentent de contourner l’épineuse question des fonds de pension en passant par l’épargne salariale. Or, fonds de pension, c’est à dire retraite par capitalisation et épargne salariale sont deux produits distincts. Les fonds de pension ont pour objectif de verser des rentes à des retraites ; l’épargne salariale est un produit d’épargne qui permet d’associer les salariés au développement de leur entreprise. Les durées de placement ne sont pas identiques. Pour l’épargne salariale, les sommes sont bloquées pour quatre voire dix ans avec le nouveau plan d’épargne entreprise long terme. En matière de retraite, les versements s’effectuent durant toute une vie professionnelle, c’est à dire trente à quarante ans. De même, la sortie n’est pas identique. Pour l’épargne salariale, la sortie en capital est la règle. Pour l’épargne retraite, c’est la rente qui est la sortie classique. Il y a derrière ces produis deux logiques. L’épargne salariale qu’elle prenne la forme d’intéressement ou de participation vise à associer les salariés au développement ou à la distribution des bénéfices de leur entreprise. Il s’agit de récompenser et de mobiliser les salariés. L’épargne retraite a une fin toute alimentaire. Il s’agit d’améliorer le niveau de vie des futurs retraités.
Le Gouvernement de Lionel Jospin a officiellement décidé de jouer la montre, le calendrier électoral n’étant pas porteur pour la grande réforme des retraites. Deux ans de plus, jusqu’en 2002 et pendant ce temps là, les fonds de pension étrangers achètent toutes les bonnes affaires de la planète. Les fonds de pension américains disposaient, en 1998, de 6 800 milliards de dollars d’actifs ; tous les pays occidentaux et non occidentaux ont mis en place des régimes fiscaux et juridiques favorables aux fonds de pension. En France, on préfère toujours les zinzins traditionnels qui ont à maintes reprises prouvé leur incapacité à éviter les faillites, les banqueroutes frauduleuses style Crédit Lyonnais. Du fait du débat stérile qui perdure dans notre pays, la place de Paris est animée et par ailleurs heureusement par les capitaux étrangers sinon elle serait une place de troisième zone. Ainsi, les étrangers dans les nouvelles émissions pèsent 40 % à Paris contre 7 % à Wall Street, 10 % à Francfort, 15 % à la City. Pour la capitalisation de la place de Paris, les Américains détiennent 900 milliards de francs sur 7000 milliards de francs. Ce chiffre devrait doubler dans les dix prochaines années.
Face à cette montée en puissance, les ménages français ne disposent plus que de 11 % de la capitalisation boursière contre 26 % en 1996. Les zinzins ne possèdent que 27 % du capital des entreprises cotées. A force de jouer la montre et de retarder indéfiniment la mise en œuvre des fonds de pension, le Gouvernement se trouve acculé dans une voie en sens unique. Bientôt, il n’aura comme choix que des mauvaises solutions : augmenter les cotisations, abaisser autoritairement l’âge légal de départ à la retraite, diminuer le montant des pensions. Pour faire face au défi démographique du XXI ème siècle, le Gouvernement bricole sur le dos des Français au moment où le système de retraite exige de véritables réformes. L’éventuelle création d’une sur-cotisation sociale pour alimenter ce fonds de réserve pénalisera l’emploi. Mais plus grave, les futurs retraités n’ont aucune garantie que les ressources de ce fonds serviront à financer leurs pensions. En effet, personne ne sait comment ce fonds interviendra pour circonscrire les incendies qui se développent dans les multiples régimes par répartition.
Une autre voie est encore possible, faite de libertés et de responsabilités. Pour cela, il faut instiller de la souplesse dans notre système de retraite. Une fois de plus, cessons de tout vouloir fixer par avance, donnons aux partenaires sociaux un cadre de négociation, offrons aux salariés la possibilité de construire leur vie active et leur retraite. A cet effet, il faut mettre un terme à la retraite guillotine. Le départ du jour au lendemain des salariés à 60 ans voire à 55 ou 50 ans est un véritable gâchis pour les personnes concernées, pour la société et pour l’économie. Il faut permettre à ceux qui le souhaitent de partir progressivement de la vie professionnelle, soit avant 60 ans, soit après 60 ans et éviter de passer, d’un coup, du stade de l’activité à celui de l’inactivité. L’argument selon lequel le départ précoce à la retraite permet de lutter contre le chômage est faux. Ce sont les pays qui ont le plus fort taux d’activité entre 55 et 65 ans qui ont les taux de chômage les plus faibles.
L’inaction actuelle et le recours à des fausses solutions comme le fonds de réserve des retraites débouchera sur l’augmentation des cotisations. En détruisant l’emploi, elle assécherait encore plus les ressources de la retraite par répartition. Aujourd’hui, le débat, compte tenu du niveau exceptionnellement élevé de nos prélèvements, n’est pas à la hausse des cotisations, mais bien à leur baisse. En décidant que les recettes issues de l’attribution des licences pour les téléphones mobiles de troisième génération seraient affectées au fonds de réserve des retraites, le gouvernement vient de créer le premier impôt qui frappe spécifiquement une des nouvelles technologies et vient de refaire le coup de la vignette automobile qui avait été instituée après la seconde guerre mondiale, à titre transitoire, pour financer les pensions des personnes âgées nécessiteuses. Les retraités n’ont guère vu la couleur de l’argent de la vignette mais ont du l’acquitter pendant plus de cinquante ans.
Enfin, la diminution des pensions par la modification des règles de calcul des droits est inacceptable. On ne peut pas admettre que d’ici quarante ans, les retraités perdent 30 à 40 % de leur pouvoir d’achat. Ce serait un effroyable retour en arrière. Ce serait la paupérisation de plusieurs générations.
La France n’a pas vocation à rester une exception. Tous les pays, les Etats-Unis bien sûr, mais aussi la Suède, le Chili, le Royaume-Uni, l’Espagne et bien d’autres disposent d’un étage de retraite fonctionnant par capitalisation. Est-il équitable que les fonctionnaires, les professions libérales, les indépendants, les salariés de grandes entreprises publiques puissent, en France, souscrire à des fonds de pension et préparer en toute quiétude leur retraite, alors que les salariés du privé ne le peuvent pas ? Certainement pas ! En souhaitant que la France mette en œuvre une législation favorable aux fonds de pension, il est en aucun cas question d’affaiblir le régime par répartition qui constitue le pilier naturel et central de notre système de retraite ; il est question au contraire de le fortifier.
Par rapport à la répartition, système dans lequel les cotisations prélevées sur les actifs sont directement versées aux retraités, la capitalisation est moins dépendante des facteurs démographiques, les contributions des salariés et des employeurs servent à financer l’économie productive dont les revenus financeront la future retraite des actuels contributeurs. Si la répartition a deux moteurs, les cotisations salariés et les cotisations employeurs, les fonds de pension en rajoutent un troisième, l’économie productive.
Aujourd’hui, du fait de l’absence de la capitalisation, les salariés français sont les dindons de la farce. Les retraités des Etats-Unis et des autres pays tirent avantage, sous forme de revenus, des succès des entreprises françaises. Les fonds de pension étrangers détiennent, en effet, près de 40 % du capital des plus grandes entreprises françaises. Ne serait-il pas logique que les retraités français profitent également des résultats des entreprises françaises comme de ceux des entreprises étrangères ? Il faut cesser d’avoir l’image stéréotypée de la mondialisation exclusion pour passer à celle de la mondialisation partagée.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le système économique a évolué. On est passé du taylorisme au juste à temps et au sur mesure. Le même processus doit s’appliquer à la retraite. Il faut créer des produits souples qui puissent s’adapter aux attentes des retraités. Certains souhaitent une sortie en capital pour acheter une maison, réaliser un projet personnel etc., d’autres veulent une rente pour améliorer le quotidien. Certains souhaitent prendre leur retraite à 55 ans d’autres à 65 ans. L’épargne retraite doit répondre à l’ensemble de ces attentes. Pour cela, l’instauration d’un régime fiscal incitatif sous forme de déduction fiscale pour les contribuables imposables et sous forme de crédit d’impôt pour les non imposables est nécessaire.
L’instauration de complément de retraite peut contribuer, par ailleurs, à réconcilier les Français avec leurs entreprises. La capitalisation a une vertu pédagogique et une vertu de transparence. Elle fait des salariés passifs et soumis aux décisions du Conseil d’administration des salariés actionnaires soucieux de la bonne marche de l’économie et qui exigent d’avoir accès à un grand nombre d’informations.
Les fonds de pension ne sont pas une mode ; ils sont porteurs d’un nouveau capitalisme plus moderne et plus ouvert. Ils peuvent contribuer surtout à nous éviter une guerre des générations que l’inaction actuelle favorise.
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