Les Etats-Unis, la croissance, le protectionnisme et Trump
Le nouveau Président américain, Donald Trump, est-il prêt à remettre en cause la liberté des échanges telle qu’elle a été conçue depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? En s’en prenant directement au Japon, à l’Allemagne et au Mexique, en menaçant d’instituer des droits de douane spécifiques à l’encontre de tel ou tel pays, le Président des Etats-Unis semble vouloir tirer un trait sur soixante-dix ans de libéralisation des échanges. Mais ces attaques ne sont pas nouvelles. L’administration américaine s’en prend régulièrement à ses partenaires commerciaux surtout en période d’appréciation du dollar.
Les Etats-Unis sont structurellement déficitaires aussi bien au niveau de leur balance commerciale (échange de biens) qu’au niveau de la balance des opérations courantes qui intègrent les services, les transferts courants (dons, aides) et les revenus (salaires, dividendes, intérêts). Les Etats-Unis grâce au dollar s’affranchissent depuis des années de la contrainte extérieure. Ils bénéficient, par ailleurs, d’entrée de capitaux à la recherche de rendement et de sécurité , ce qui permet de compenser le déficit commercial.
Le déficit commercial américain masque plusieurs réalités. S’il a un indéniable aspect structurel, son aggravation ces derniers mois est de nature essentiellement conjoncturel.
Le contexte conjoncturel
Les Etats-Unis bénéficient d’un contexte porteur pour les importations du fait de l’augmentation de la consommation provoquée par le plein emploi et l’augmentation des salaires. En outre, l’appréciation du dollar qui traduit la vitalité comparée à celle des autres zones économiques des Etats-Unis contribue à favoriser les importations et à freiner les exportations. Cette situation est classique d’un pays qui connaît un cycle de croissance vieux de plusieurs années. Le déficit commercial a amputé le PIB de 1,7 point au dernier trimestre. Une bonne raison de fermer les frontières selon le nouveau président américain. Pour mener sa croisade anti-échanges, Donald Trump affirme que les Etats-Unis sont au bord du gouffre. Il noircit la situation économique. Il exploite les derniers résultats du commerce extérieur qui ont révélé une baisse des exportations de 4,3% au dernier trimestre 2016 et une augmentation des importations (+8,3%). Il a évoqué une « invasion » de produits chinois et mexicains. « Le Mexique a trop longtemps profité des Etats-Unis. Le déficit commercial est énorme […], il faut que ça change, et maintenant ». Le déficit commercial a amputé le PIB de 1,7 point au dernier trimestre.
Le Président des Etats-Unis élude la question des gains de productivité générés par l’importation de produits chinois ou mexicains tout comme les emplois rendus possibles grâce justement à ces gains.
Un déficit éminemment structurel
Les aspects structurels du déficit des opérations courantes des Etats-Unis sont anciens. Les multinationales américaines ont, de longue date, optimisé leur chaîne de valeurs. Du fait d’un mode de production mondialisé, les flux commerciaux ne retracent qu’imparfaitement la réalité des échanges d’autant plus que la remontée des bénéfices vers les sièges sociaux américains n’est pas automatique. Le déficit de la balance des paiements courants a alimenté l’économie mondiale en dollars. Il a irrigué l’économie, ce qui a contribué par ricochet au développement des multinationales américaines. Il a été également, en partie, la cause de la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971.
Contrairement à quelques idées reçues, le déficit des opérations courantes américain est relativement stable. Il évolue entre 2 et 3 % du PIB. Certes, le déficit commercial tend à s’accroître mais il est compensé par les entrées de revenus et de dividendes en provenance de l’extérieur. Cette situation n’est pas anormale pour un pays qui dépend pour plus des quatre cinquième du secteur tertiaire.
L’accusation de manipulation du cours des monnaies
La nouvelle administration américaine accuse Berlin, Pékin, comme Tokyo d’exploiter la dépréciation de leur monnaie respective. Le yen et l’euro sont jugés par les Etats-Unis comme sous-évalué, ce qui faciliterait les exportations japonaises et allemandes. Afin d’attiser les divisions au sein de l’Union européenne, le principal conseiller au commerce international, Peter Navarro, a accusé Berlin « d’exploiter » d’autres pays de l’Union européenne et les États-Unis avec un euro qui serait « grossièrement sous-évalué » et permettrait ainsi de rendre ses exportations plus compétitives.
L’Allemagne et le multilatéralisme au cœur des critiques
Cette attaque en règle repose sur le fait que le déficit commercial américain vis-à-vis de l’Allemagne a été multiplié par cinq en vingt ans, passant de 14,4 milliards de dollars en 1995 à 74,8 milliards en 2015. Mais, dans les faits, régulièrement, les autorités américaines s’en prennent à leurs partenaires. L’administration de Barack Obama avait, en 2013, déjà vertement critiqué la politique allemande en condamnant la croissance anémique de la demande intérieure allemande, alimentée par une politique de bas salaires, et sa dépendance envers les exportations qui crée un déséquilibre en Europe. Depuis 2016, l’Allemagne figure ainsi sur une liste de 5 pays placés sous la surveillance américaine pour s’assurer que leurs politiques commerciales et monétaires ne leur fournissent pas d’avantage concurrentiel déloyal. Il y a donc, en la matière, une grande convergence de vue entre Démocrates et Républicains. Donald Trump, à la différence de ses prédécesseurs, semble remettre en cause les bienfaits des échanges. Il récuse le principe du multilatéralisme qui est le fondement du libre-échange mis en place après la Seconde Guerre Mondiale. Il a décidé de rejeter de grands accords comme le TPP et le TTIP. Il est très critique vis-à-vis de l’OMC. Toujours au nom de cette même logique, il a qualifié de « merveilleux » le vote en faveur du Brexit et il souhaite que plusieurs pays quittent l’Union européenne.
Le recours aux mesures protectionnistes a toujours été contreproductif en termes d’emplois comme l’ont prouvé les dispositifs de sauvegarde pris en faveur de l’acier américain. Ces plans auraient temporairement sauvé 4000 emplois aux Etats-Unis mais en auraient détruit 40 000 par perte de compétitivité des entreprises contraintes d’acheter de l’acier américain.
La question du protectionnisme risque de se poser avec d’autant plus d’acuité que la politique économique mise en place par Donald Trump a pour conséquence une augmentation du déficit commercial. Une relance budgétaire en plein cycle d’expansion et dans une situation de plein emploi ne peut que provoquer une augmentation des importations et une perte de compétitivité pour les exportations.
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