Le retour perdant/perdant du protectionnisme ?
Le protectionnisme serait-il de retour après une cycle de près de 80 ans favorable aux échanges ? Les importations chinoises aux États-Unis ont diminué de 25 % au premier semestre 2023 au point que la Chine a perdu sa place de premier fournisseur de ce pays. Ces deux grandes puissances multiplient les mesures visant à limiter les échanges. Le mercredi 9 août dernier, le Président américain a signé un décret limitant les investissements liés aux nouvelles technologies dans plusieurs pays. Cette décision a été prise au nom de la défense « de la sécurité nationale ». Les entreprises américaines ne pourront plus investir librement à l’étranger dans les technologies, comme l’intelligence artificielle ou l’ordinateur quantique, dès lors que les investissements sont réalisés dans des « pays problématiques », ensemble dont fait partie la Chine.
Après la publication du décret, la Chine a adressé à Washington une protestation solennelle par la voie diplomatique. Elle « s’oppose fermement à l’insistance des États-Unis à introduire des restrictions sur les investissements en Chine ». Les autorités de ce pays soulignent que les États-Unis nuisent à « l’ordre commercial international et perturbe gravement la sécurité des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales ». La Chine ne manque pas également d’utiliser l’arme des échanges pour faire pression sur les autres pays. Ainsi, en 2019, le Quotidien du Peuple avait prédit que le monopole chinois sur les terres rares, des minéraux essentiels à la production de la plupart des équipements modernes, deviendrait un outil pour contrer la pression américaine. Entre 2009 et 2020, le nombre des restrictions portant sur les exportations chinoises de la part de Pékin ont été multipliées, selon l’OCDE, par neuf.
Après la décision des Occidentaux de restreindre les ventes à la Chine des semi-conducteurs de pointe et les machines pour les fabriquer, celle-ci a annoncé une limitation des exportations concernant les métaux utilisés dans les puces et autres technologies de pointe. De nouvelles mesures de rétorsion sont en préparation. La Chine recourt aux mêmes armes que les occidentaux pour réduire ses échanges avec ces derniers. Ainsi, une liste des « entités non fiables », créée en 2020, sanctionne toute entreprise portant atteinte aux intérêts de la Chine. Une loi sur le contrôle des exportations de la même année a créé une base juridique pour un régime de licences d’exportation. En 2021, une loi anti-sanctions a permis des représailles contre les organisations et les individus qui ont appliqué les sanctions d’autres pays. Une loi anti-espionnage est également entrée en vigueur, étendant la portée du contrôle que les agences de sécurité chinoises peuvent réaliser. Ces nouvelles dispositions ont donné lieu à plusieurs applications concrètes. En février 2023, Lockheed Martin et une unité de Raytheon, deux fabricants d’armes américains ayant des activités non liées à la défense en Chine, ont été placés sur la liste des entités non fiables après avoir expédié des armes à Taïwan. Les entreprises concernées ne peuvent plus réaliser de nouveaux investissements en Chine. En avril, Micron, un fabricant de microprocesseurs américain, a fait l’objet d’une enquête du régulateur chinois du cyberespace. Micron ne peut plus exporter en Chine ses semi-conducteurs car ils ne respectent les règles de sécurité de ce pays.
Compte tenu du caractère large des fondements des sanctions, les entreprises occidentales peuvent à tout moment se voir interdire le marché chinois. L’évaluation de leurs risques est un enjeu majeur. La loi sur les relations étrangères qui permet de tenir pour responsable toute personne agissant d’une manière jugée « préjudiciable aux intérêts nationaux de la Chine constitue une menace pour les activités occidentales en Chine.
Les nouvelles lois chinoises autorisent le gouvernement de restreindre un large éventail de minéraux et de composants. Les fabricants de batteries, en particulier, sont fortement exposés. Selon la Commission européenne, 40 % à 80 % de la fabrication des batteries dépendent d’une manière ou d’une autre de la Chine. Ce pays a également les moyens de bloquer la fabrication de la quasi-totalité des panneaux solaires. La dépendance des pays de l’OCDE est totale en matière de gallium et le germanium. La Chine produit 98 % du gallium brut mondial, un ingrédient clé de la technologie militaire de pointe. Cela inclut les systèmes de défense antimissile et de radar de nouvelle génération des États-Unis. De plus, un composé à base de gallium, le nitrure de gallium constitue un élément clef pour l’élaboration de la future génération de semi-conducteurs hautes performances.
Le protectionnisme est un jeu perdant/perdant. Il contribue à l’augmentation des prix et au ralentissement de la croissance. Contrairement aux espoirs de certains, il ne permet pas la création d’emplois. Dans les années 1970 et 1980, les mesures protectionnistes prises par les États-Unis et l’Europe en ce qui concerne la sidérurgie et l’automobile ont été contreproductives. Les dispositions de restriction des échanges adoptées par la Chine sur les terres rares pourraient se retourner contre elle. Dans le cadre des chaines de valeurs, des produits en provenance de Corée du Sud, du Vietnam, des États-Unis ou de l’Europe intègrent des terres rares de Chine et font l’objet d’une valorisation au sein de cette dernière. Des interdictions pures et simples d’exportation inciteraient l’Occident à accélérer la construction de ses propres usines de batteries et de trouver des substituts en ce qui concerne les matières premières.
Dans l’histoire économique, le protectionnisme est synonyme de faible croissance et de tensions pouvant déboucher sur des conflits armés. Il trouve pourtant de nombreux avocats au sein des populations occidentales. Il constituerait la meilleure arme pour lutter contre la désindustrialisation et pour éviter toute dépendance économique et technologique. Les relations entre la Chine et les pays de l’OCDE se tendent essentiellement du fait des États-Unis et de la compétition économique et géostratégique que ces deux pays ont engagée. Depuis des années, l’Organisation Mondiale du Commerce n’assure plus réellement son rôle d’arbitre. La Chine aurait dû certainement perdre son statut de la nation la plus favorisée qui lui a été attribuée quand elle était un pays sous-développé. Devenu le premier exportateur mondial, elle conserve ce statut en raison de la faiblesse du PIB par habitant. Compte tenu de sa puissance économique, ce pays devrait être soumis aux mêmes règles que les autres grands exportateurs. L’OMC aurait également dû traiter les dispositifs d’extraterritorialité qui se multiplient et qui autorisent les États à poursuivre des entreprises étrangères dès lors qu’elles ne respectent pas leur législation. L’OMC devrait également s’inquiéter des mesures prises pour subventionner les entreprises en lien avec la transition énergétique. Une surenchère s’est instaurée entre les grandes puissances au détriment des pays émergents ou en voie de développement. La mise en place de taxes carbones aux frontières pourrait à terme réduire les échanges internationaux. Or, ces quarante dernières années, ceux-ci ont permis de diminuer la pauvreté et de favoriser l’émergence d’une classe moyenne au sein de nombreux pays en Amérique Latine, en Asie et depuis peu en Afrique.
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