Le projet de loi Macron ne suffit pas

26/01/2015, classé dans

Avec la baisse du pétrole, avec le quantitative easing engagé par la Banque Centrale Européenne, avec la dépréciation de l’euro, avec le plan Juncker en faveur de l’investissement en Europe, nous bénéficions d’un contexte économique favorable que nous n’avons pas connu depuis quatre ans et que nous n’imaginions pas il y a encore quelques mois. Cette bouffée d’oxygène n’est pas une simple chance mais une opportunité pour entreprendre de grandes réformes. Le taux de croissance pourrait atteindre 1 % et dépasser la prévision du Gouvernement qui pourra s’enorgueillir de ce résultat. Mais, si la France ne change rien, cette embellie ne sera qu’un feu de poudre. Mario Draghi a, à ce titre, rappelé que la politique monétaire ne pouvait pas tout et que les pouvoirs publics devaient continuer à moderniser leurs structures.

Pour le moment, en France, le compte n’y est pas. Certes, il y a le projet de loi pour la croissance et l’activité d’Emmanuel Macron qui entend libérer les forces créatives du pays. Si dans le discours, le Ministre ose rompre avec les canons de la gauche traditionnelle, le passage à l’acte s’avère beaucoup plus délicat. Nous en restons pour le mieux à un impressionnisme réformateur et nous sommes loin de l’audace réformatrice. Le texte s’attaque à quelques professions réglementées qui capteraient une rente indue de quelques milliards d’euros, c’est-à-dire l’épaisseur du trait. Il comporte quelques mesures en faveur de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié qui sont bienvenues mais qui ne sont pas  pour autant révolutionnaire.

Afin de générer un effet boule de neige à la croissance, il faudrait que les pouvoirs publics changent de braquet.

Pour libérer les forces créatives, il conviendrait de se préoccuper réellement des relations interentreprises avec une réduction drastique des délais de paiement. Le recours à la technique de réserve de propriété en vigueur en Allemagne constituerait une avancée. L’entreprise ne devient réellement propriétaire du bien acheté qu’à partir du moment où le paiement est effectué. Il conviendrait toujours dans le même esprit remettre en cause l’oligopole constitué par les grandes centrales de distribution. 5 centrales d’achat contrôlent 90 % de la distribution en grande surface et plus des deux tiers de l’ensemble de la distribution. Il en résulte des ententes, l’impossibilité pour des nouveaux entrants de s’implanter en France d’autant plus que ces centrales sont également propriétaires de réseaux de distribution. Il conviendrait favoriser l’arrivée de nouveaux concurrents, mettre des plafonds de contrôle du marché de la distribution, scinder les centrales d’achat et, peut-être, empêcher ces centrales de contrôler des réseaux de distribution.

Toujours, pour favoriser la croissance et l’emploi, le Gouvernement devrait revoir le système des cotisations sociales qui, par le jeu des réformettes, est aujourd’hui incompréhensible et antiéconomique. A force de vouloir favoriser les emplois à faibles salaires, les pouvoirs publics ont créé des effets de seuil et une chape de plomb qui freine les évolutions professionnelles et la montée en gamme de la production française. Du fait du plafonnement des exonérations de charges sociales en fonction d’un montant de salaire, la France comporte deux fois plus d’emplois sous-qualifiés que l’Allemagne, les salaires y sont plus faibles dans l’industrie et notre haut de gamme y est deux fois moins développé. En lieu et place des exonérations de charges sociales qui représentaient en 2013 plus de 25 milliards d’euros et qui pourraient atteindre cette année plus de 30 milliards d’euros, il conviendrait d’instituer un abattement à la base sur les 500 euros de salaire. Un tel système permettrait d’éviter tout effet de seuil car il profiterait à tous les salariés. Il conviendrait simplement de prévoir un dispositif particulier pour l’intérim et les contrats à temps partiel pour éviter un effet d’aubaine.

Au niveau des entreprises, il faudrait évidemment simplifier les instances sociales en évitant, une fois de plus, les effets de seuil. Il conviendrait d’admettre que pour les entreprises ayant moins de 250 salariés, ce soit ces derniers qui décident de la création ou non d’un comité d’entreprise. Dans des petites structures, il apparaît inutile de multiplier les instances de représentation. Il conviendrait que le comité d’entreprise ne s’occupe que de la vie de l’entreprise. Les activités culturelles ou sportives des comités d’entreprise devraient être transférées au niveau des branches ou au niveau des bassins d’emploi. Aujourd’hui, il y a une inégalité de fait entre les salariés ; il y a ceux qui ont accès à un CE et les autres. Or, pour favoriser le développement des PME, la mutualisation des activités non directement liées à l’entreprise constituerait un progrès et pourrait générer quelques économies. Il pourrait même être envisagé que les avantages sociaux soient réservés aux seuls adhérents des syndicats. Une telle mesure améliorerait le taux de syndicalisation et éviterait la technique du passager clandestin. Les salariés français s’engagent peu mais bénéficient des avantages des luttes syndicales.

Emmanuel Macron aurait pu être plus réformateur tout en étant de gauche en proposant l’instauration d’une véritable cogestion dans les entreprises. Le consensus social ne se décrète pas, il se construit. Or, en la matière, la France est terriblement en retard. Nous vivons encore avec de véritables murs de Berlin et avec comme seule solution le recours à l’Etat. Pour responsabiliser les syndicats, il faut accepter l’idée que leurs représentants puissent avoir voix aux chapitres de manière réelle. Il faut passer de la logique de la consultation à celle de la codécision. Les représentants syndicaux qui participent à la gestion des fonds communs de placement en entreprise dans le cadre de l’épargne salariale sont, en règle générale, les meilleurs défenseurs de l’entreprise et de ses intérêts. Avec une responsabilisation accrue des syndicats, il serait possible de traiter la question des 35 heures. Aujourd’hui, de nombreux dispositifs ont libéré de manière technocratique le temps de travail. Cela avantage les grands groupes mais pénalise les PME qui ne peuvent pas en profiter. Il faut laisser plus de souplesse aux accords internes. La loi doit fixer le cadre, le reste doit être laissé à la négociation. L’espace de la négociation sociale devrait être protégé par la Constitution.

Afin de réellement produire un choc de croissance, les pouvoirs publics devraient prendre l’engagement que les recettes fiscales générées par le surplus de croissance seront exclusivement consacrées à la diminution des déficits et à celle des prélèvements obligatoires. Aucune dépense nouvelle ne devrait être gagée sur des recettes nouvelles. Il ne faudrait pas que l’embellie aboutisse à la réédition du débat puéril de l’utilisation de la cagnotte comme en 2001 sous Lionel Jospin.

La France a un besoin absolu de croissance et de gains de productivité qui exigent une augmentation de l’investissement. Pour cela, il faut lever les hypothèques qui pèsent sur le navire depuis des années. Il faut reconstruire la confiance, fixer des perspectives, des orientations claires. Il ne faut pas gâcher les opportunités qui s’offrent à nous.

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