Le krach, c’est demain mais quand est demain ? 4000 ans de krachs et de crises en tout genre
De Khéops à la « boite de nuit » de Jacques Attali, 4000 ans de krachs
Les crises sont vieilles comme l’économie. Depuis 4 000 ans, voire plus, des pyramides aux subprimes en passant par les bulbes de tulipes, tout ou presque a donné lieu à des spéculations et à des krachs.
30 ans après la crise de 1987 et au moment où plusieurs places financières battent record sur record, l’idée selon laquelle nous sommes à la veille d’un krach se diffuse. Pour autant, la prévision en la matière est extrêmement difficile. Les prédicateurs se révèlent plus souvent après qu’avant les krachs. Certes, comme les crises se répètent tous les dix ans en moyenne, les cassandres ont, toujours raison à un moment ou un autre. À défaut de prévoir le jour et l’heure de la prochaine crise, quels enseignements pouvons-nous tirer des évènements passés ?
Les pyramides ou la folie de la pierre
En raison de la faiblesse des données statistiques, nos connaissances des crises durant l’Antiquité sont très parcellaires. Néanmoins, que ce soit en Egypte ou en Grèce, des crises se sont produites avec bien souvent comme moteur le surendettement et la disparition de la confiance. L’immobilier est également une cause fréquente des déboires financiers des pays ou des cités. Ainsi, 2 570 ans avant notre ère, le Pharaon de la IVe dynastie d’Egypte, Khéops, souhaitant créer les plus belles pyramides jamais construites, mit à mal les finances de son pays au point de prostituer sa propre fille. Pour faire face à des difficultés économiques majeurs, un de ses successeurs, le Pharaon, Asychis, décida d’autoriser le prêt avec comme gage surprenant, les momies des aïeux. La spéculation est une pratique ancienne. Ainsi, le célèbre mathématicien Thalès (625-546 avant Jésus Christ), ayant prévu une très bonne récolte d’olives, décida de réserver tous les pressoirs de sa ville, Milet, afin de les louer aux producteurs à un prix élevé.
La défiance en la monnaie et la chute de l’Empire Romain
L’Empire Romain dut faire face à plusieurs grandes crises financières. La crise du IIIe siècle fut la plus sévère et aboutit à l’effondrement définitif de Rome.
Dans le premier siècle de notre ère, la succession de guerres tant à l’intérieur qu’aux marges de l’Empire, le goût des Romains pour le faste et la corruption ont généré un accroissement des dépenses qui étaient de moins en moins couvertes par les impôts. Les citoyens de Rome refusèrent d’acquitter les impôts ce qui obligea l’Empereur d’exiger des butins de guerre de plus en plus importants. Pour bénéficier de marges budgétaires supplémentaires, Néron (qui régna de 54 à 68 après Jésus Christ) a créé la monnaie fiduciaire en réduisant la teneur en or et en argent de la monnaie romaine. Ses successeurs ont continué à diminuer la teneur en métaux précieux de la monnaie. Cette création monétaire provoqua une accélération de l’inflation qui plongea une partie non négligeable de la population dans la misère, les revenus ne suivant pas les prix des biens. La confiance vis-à-vis de la monnaie se désagrégea. Au IIIe siècle après Jésus Christ, l’Empereur Constantin a tenté de restaurer l’étalon or via le Solidus mais en vain. Les citoyens romains croulant sous les impôts privilégiaient de plus en plus le troc. L’implosion de l’Empire et les invasions barbares furent en partie la conséquence d’un effondrement financier lié à un surendettement et à une défiance croissante de la population qui, pour une partie d’entre-elle, accueillit avec bienveillance les envahisseurs.
Les crises financières sous l’Antiquité se sont déroulées sur fond de faible croissance et d’inégalités qui se sont, au fil de l’Empire Romain, accrues. Durant le Moyen-Age, un mouvement de rejet des pratiques financières hasardeuses s’imposa au nom de considérations religieuses. Le médiévaliste, Jacques le Goff, souligne que l’Eglise condamnait l’usure. Au sein de l’univers médiéval, la dimension économique est secondaire. Les notions de puissance, de force militaire prennent le pas sur la richesse. La rareté des monnaies durant cette époque rend le commerce difficile d’autant plus que les routes ne sont pas sécurisées. Les juifs et les Lombards sont alors les seuls ou presque à occuper des métiers liés à l’argent. Les échanges sont freinés par l’étroitesse monétaire. Les monarques empêchaient l’exportation du métal et luttaient contre la circulation des monnaies étrangères. En effet, ils tiraient une grande partie de leurs ressources des droits de seigneuriage qui s’exprimaient notamment à travers la fonte de la monnaie. Comme plusieurs monnaies pouvaient circuler au sein d’un même royaume, leur valeur de change pouvait fluctuer. Les souverains changeaient les unités de compte pour réguler l’offre de monnaie ce qui n’empêchait pas les crises. Les banquiers italiens ont au cours du Moyen Âge siècle joué un rôle clef en centralisant les émissions et les remises de lettres de change (effet de commerce). Ils assuraient alors de fait la compensation financière. Cette dernière se réalisait dans le cadre des foires.
Avec le développement des expéditions hauturières, l’abondance du métal entraîna de profonds déséquilibres commerciaux et financiers qui ne sont pas sans rappeler ceux d’aujourd’hui. Le métal qui débarquait dans les ports espagnols ou portugais servait à acquérir des biens importés en provenance du Nord de l’Europe. L’Espagne et le Portugal étaient alors confrontés à d’importants déficits commerciaux quand les États du Nord enregistraient d’importants excédents. Pour continuer à obtenir du métal précieux, les Espagnols étaient contraints de s’endetter. Par ailleurs, entre deux livraisons, la raréfaction de la monnaie créait des crises financières et des récessions.
Le renouveau des États, le développement du protestantisme ainsi que quelques inventions et découvertes permirent le retour de la croissance, l’arrivée du capitalisme et des crises des temps modernes.
Les crises des temps modernes
Dans les crises des temps modernes, les ingrédients sont souvent les mêmes. Figurent bien souvent en leur cœur l’endettement. Elles peuvent être immobilières ou financières. Dans ce dernier cas, les découvertes et les innovations jouent un rôle central. Les moyens de communication ont été à l’origine de nombreuses crises. Les compagnies maritimes, les compagnies ferroviaires, les canaux et plus récemment Internet ont été des sources de bulles spéculatives. L’immobilier a, à plusieurs reprises, occasionné des krachs. Dans tous les cas, la disparition de la confiance a été le carburant des crises quelle que soit leur nature.
La « tulipomanie » ou du mauvais usage des contrats à terme
La première grande crise spéculative des temps modernes est liée à la tulipe, la « tulipomanie ». Elle se produit en 1637, dans le nord des Provinces-Unies (les Pays-Bas d’aujourd’hui) qui connaissent alors grâce à leurs activités commerciales, à la liberté de culte et d’opinion, une réelle prospérité. La croissance des Provinces Unies repose en partie sur les Compagnies maritimes (Compagnie néerlandaise des Indes Orientales et Compagnie des Indes Occidentales) qui couvrent un territoire allant des Amériques aux Indes en passant par l’Afrique occidentale. Grâce aux échanges commerciaux, la tulipe qui est cultivée dans l’Empire Ottoman est importée aux Pays-Bas par Charles de l’Ecluse. Les Néerlandais s’amourachèrent de cette fleur et en particulier celles qui avaient des pétales tigrées. Ces dernières étaient plus difficiles à cultiver car elles devaient être au préalable contaminées par un virus. La production de tulipes s’étalait sur près de 10 mois, les plantations se déroulant à l’automne quand la cueillette s’effectuait entre juin et septembre. Les Néerlandais friands de tulipes achetaient à terme, par exemple au mois de juillet pour la recevoir au mois de juin de l’année suivante. Ces contrats à terme donnèrent lieu à la création de nouveaux produits financiers, les options et les dérivés. Ainsi, un Néerlandais achetait un bulbe de tulipe à un prix de 100 au mois de juillet sachant qu’il pourrait le revendre 200 un an plus tard. Il était également possible d’acheter des parts de bulbe comme aujourd’hui il est possible d’acquérir des parts d’actions. Les producteurs face à une demande croissante ont augmenté rapidement les prix. Cette envolée des tarifs était facilitée par l’enrichissement évoqué ci-dessus. L’arrivée de l’or des Indes générait une forte inflation qui rendait difficile l’appréciation de la valeur des biens. En quelques années, le prix du bulbe fut multiplié par plus de 30. En 1635, 40 bulbes valaient 100 000 florins de l’époque soit environ 25 000 euros d’aujourd’hui. La multiplication des options aboutit à des commandes de bulbes sans commune mesure avec la demande réelle d’autant plus que l’envolée des prix limitait le nombre d’acheteurs potentiels. En 1637, un mouvement de correction s’opéra avec une chute des prix. De nombreux acheteurs de contrats et d’option durent acheter à vil prix les tulipes sans pouvoir les revendre, ce qui entraîna de nombreuses faillites.
1720 ou la première crise boursière
En 1720, le Royaume-Uni et la France connurent leur première grande crise boursière. Le krach est alors issu de l’achat de titres de compagnies exploitant les ressources du Nouveau Monde, la Compagnie des mers du Sud et la Compagnie du Mississippi de John Law. En France, cette crise est connue sous le nom de faillite du « Système de Law » et est la conséquence d’un recours à l’endettement à partir de 1715. Sous le règne de Louis XIV, la France fut constamment en guerre. Compte tenu du faible rendement des impôts, le Roi n’avait d’autre solution que de manipuler le cours de la monnaie en augmentant le droit de seigneuriage. Les nouvelles pièces étaient vendues plus chères qu’auparavant permettant à l’État d’empocher un gain. Ces opérations répétées fréquemment aboutissaient à une dépréciation de la monnaie. Ainsi, entre 1688 et 1726, la valeur de la livre tournois perdit 55 % de sa valeur par unité de poids d’argent. Le banquier John Law proposa aux États d’émettre du papier monnaie gagée sur des actifs productifs. Il promettait une rémunération de 2 % des titres de créances. Law révolutionnait le métier de la finance de l’époque en indexant la rémunération sur la richesse future et non sur la richesse passée issue de l’accumulation des métaux précieux. Law créa une banque émettrice de billets convertibles. Les receveurs des impôts reçurent l’ordre d’accepter ces billets à leur valeur légale. Plusieurs compagnies de négoce international furent créées par Law en ayant recours à des émissions d’actions qui pouvaient être payés avec les billets mentionnés ci-dessus. Ces compagnies rencontrèrent un vif intérêt des épargnants qui y placèrent une partie de leur patrimoine. En 1719, pour se développer, ces compagnies peuvent frapper et gérer de la monnaie. Elles deviennent collectrices d’impôts. Ces compagnies reprirent la dette de la France en émettant des actions acquises par les détenteurs de rente sur l’État. Ce dernier était censé verser un intérêt de 3 % permettant de servir un dividende aux actionnaires avoisinant 5 %. Face à la modicité des bénéfices et à l’augmentation de la masse monétaire en circulation, les cours des actions fléchissent à compter de 1720. La confiance envers les billets disparut rapidement avec une forte dépréciation à Londres et à Amsterdam. Law qui dut fuir la France au moment du krach a commis plusieurs erreurs. La première était la non-séparation des activités financières et commerciales, la deuxième était liée au choix du rendement. Il était trop élevé au regard de la croissance potentielle de l’époque. Enfin, Law a sous-estimé le rôle de la spéculation. Il aurait dû limiter les possibilités de conversion des billets en monnaie métallique.
Les dettes mènent aux révolutions
La fin du XVIIe siècle est marquée, surtout en France, par les difficultés des États à équilibrer leur budget. Leur structuration croissante impose de profondes réformes fiscales qui rencontrent l’hostilité de la population des nobles qui refusent la banalisation de leur statut et des bourgeois ainsi que des paysans qui réclament un allègement de leurs charges. Au mois d’avril 1788, la France est victime d’une grave crise financière provoquée par l’effondrement du cours de la Caisse d’Escompte. Le Trésor français étant au bord de la banqueroute, le Roi Louis XVI est contraint de réunir les États généraux avec les conséquences que l’on sait.
La jeune république américaine s’initie aux crises financières en 1792 appelée « Panic of 1792 ». Elle est liée à la création en 1791 de la « First Bank of the United States », la première banque centrale américaine. Cette dernière met en œuvre une politique de facilité monétaire avec des prêts à taux réduits. Le montant des emprunts s’accroit très rapidement rendant obligatoire une remontée des taux. Cette augmentation rend insolvable de nombreux emprunteurs qui sont acculés à la faillite.
En 1797, le Royaume-Uni expérimente le « bank run ». Le 26 février 1797, la banque centrale d’Angleterre, faute de réserves, décide de suspendre les paiements en espèces. Les particuliers craignant une invasion de la part de la France retirent leurs avoirs auprès des banques de province qui tentent d’éviter la banqueroute en faisant appel au banquier en dernier ressort, la banque centrale. Cette crise est la première panique bancaire de l’époque capitaliste. Napoléon sera responsable d’une autre crise au Royaume-Uni, celle de 1810. Pour faire face aux dépenses militaires, les autorités anglaises s’endettent et sont contraintes de détacher la livre de l’or. Du fait de l’inflation et de la croissance de la masse monétaire, le système de crédit s’effondre provoquant de nombreuses faillites.
Des terrains, des trains, des bateaux, des canaux comme carburants pour les krachs
Au cours du XIXe siècle, tous les 10 ans une crise de grande ampleur aboutit à mettre un terme à certains excès et à l’emballement économique. Plusieurs catégories de crises peuvent être distinguées : les crises bancaires et monétaires, les crises boursières souvent liées à des engouements pour de nouvelles activités, les crises immobilières, les trois catégories pouvant évidemment se superposer.
Parmi les crises bancaires et immobilières figurent celle de 1819 aux États-Unis faisant suite à la fin de la croissance d’après-guerre de Sécession. L’inflation liée à la guerre et à la croissance retrouvée provoque une augmentation des achats fonciers financés à crédit. Le resserrement de la politique monétaire en 1819 entraîne une chute des produits agricoles, un recul de la production industrielle et de nombreuses faillites.
En 1825, la chute de la bourse de Londres est provoquée par des opérations spéculatives sur des investissements en Amérique latine (banques construction de canaux, bateaux).
En 1836, la décision du Président américain d’obliger les acheteurs de terrains aux États-Unis à payer avec des métaux précieux entraîne l’arrêt de la spéculation foncière. Cette situation met en difficulté les banques américaines mais aussi anglaises et allemandes. Le 10 mai 1837, la bulle spéculative éclate aux États-Unis lorsque les banques américaines suspendent leurs paiements en espèces.
En 1847, les compagnies ferroviaires sont au cœur de la crise financière. Les cours s’effondrent en raison d’importants appels de fonds pour couvrir les investissements en cours de réalisation. La perte de confiance dans ces compagnies provoque une série de faillites. La crise perdurera en France jusqu’en 1848 en raison de la crise politique.
Le krach 1857 est peut-être la première crise réellement mondiale. En août 1857, face à une forte demande de crédits, de nombreuses banques américaines suspendent leurs paiements. Les taux augmentent rapidement provoquant par ricochet une forte chute des cours des compagnies ferroviaires. La baisse de la bourse de New York se propage rapidement à Londres et à Paris sous la forme d’une crise de change et de crédit.
En 1866, les compagnies ferroviaires sont encore à l’origine d’un krach. La faillite d’une maison d’escompte du fait du défaut de paiement de la Mid-Wales Railways le 11 mai provoque une panique bancaire et une crise de liquidité.
La crise de 1873 est le produit d’une série de spéculations immobilières à Vienne avec l’Exposition universelle, à Paris avec les travaux du Baron Haussmann aux États-Unis. La succession de faillites bancaires provoque un krach le 18 septembre. L’économie mondiale mettra de nombreuses années à se remettre de cette crise. Il s’en suit la Grande Stagnation qui dura de 1873 à 1896. Elle s’accompagna d’un fort mouvement protectionniste (loi Méline en France). Dans ce contexte, la France subit en 1882 un krach avec la faillite de l’Union générale qui avait réalisé des investissements hasardeux en Russie, en Autriche Hongrie et dans les Balkans.
En 1890, la plus ancienne banque britannique est en faillite en raison de son exposition à la dette souveraine de l’Argentine qui est en défaut de paiement. La Banque de France et celle d’Angleterre sauveront cette banque mais les investisseurs pour compenser les pertes sur les titres argentins se mirent à vendre des titres sur la place de New-York contribuant à diffuser la crise.
En 1907, après plusieurs années de forte hausse, la situation économique se dégrade notamment du fait du séisme et de l’incendie intervenus à San Francisco ainsi que du relèvement des taux au Royaume-Uni. Dans ce contexte, le recours à une technique de manipulation boursière (sur le cours de l’action United Cooper) se transforme à New-York en une catastrophe financière.
Des années folles aux années noires
La période d’entre-deux guerres est évidemment marquée par la crise de 1929 à laquelle il faut adjoindre celle de l’Allemagne et son hyperinflation (1923/1924) occasionnée notamment par le problème du paiement des réparations de guerre. Ces deux crises sont jugées responsables, du moins en partie, de l’accession d’Hitler et de Mussolini au pouvoir et de la Seconde Guerre mondiale. Certes, la genèse de cette dernière n’est pas qu’économique. Les stigmates psychologiques de la Première Guerre, l’isolationnisme américain après 1918, le Traité Versailles avec l’éclatement de l’Autriche-Hongrie et les réparations de guerre, la faiblesse du Royaume-Uni et de la France face à Hitler sont autant de causes au conflit qui éclata en 1939.
La crise de 1929, dont l’ampleur reste encore gravée dans notre mémoire collective, intervient après une folle période d’expansion. Le développement du secteur pétrolier et l’industrialisation rapide des États-Unis ont provoqué un emballement des cours des actions, plus de 300 % en sept ans. Les Américains s’endettent de plus en plus pour acquérir des actions et jouer en bourse. Or, en cette fin d’année 1929, un ralentissement économique prend forme avec une diminution de la production industrielle et une stagnation des dividendes. Face à ce retournement de conjoncture, les boursicoteurs endettés perdent confiance provoquant une chute abyssale des cours. Par effet de contagion, la consommation se contracte tout comme l’investissement provoquant une grave et longue récession. Les différents États optent pour l’instauration d’un protectionnisme qui aboutit à la chute du commerce international. Ce dernier ne retrouvera son niveau d’avant crise qu’au début des années 70.
Les Trente Glorieuses ne font pas toujours le bonheur de l’épargnant
Après la Seconde Guerre mondiale, une période de relative stabilité financière accompagne la reconstruction et les Trente Glorieuses. Des crises certes existent mais elles sont plus localisées et leur ampleur est faible. La mise en place de couvertures sociales et l’application de politique d’inspiration keynésienne changent le profil des économies. Dans cette catégorie figure la crise du crédit de 1966 aux États-Unis qui provoqua une chute des cours boursiers et un ralentissement de l’économie qui fut ressenti en France l’année suivante.
Les marchés financiers jouent un rôle plus faible après 1945 du fait de l’inflation qui tend à favoriser le développement par le crédit. Par ailleurs, de nombreux États ont maintenu des dispositifs de contrôle des changes et de crédit jusque dans les années 80. Par ailleurs, en particulier aux États-Unis, la réglementation adoptée pour éviter la survenue d’une nouvelle crise de 1929 avec la séparation des activités de banques et de finances limite les risques de contagion. De 1950 à 1980, la valorisation des actions demeure faible au regard des performances économiques des différents États. S’il n’y pas eu de réel krach durant cette période, l’épargnant n’en est pas sorti réellement gagnant. L’inflation érodait en permanence son patrimoine. Les rendements réels étaient fréquemment négatifs.
Les changes flottants et le développement des marchés financiers
Le 15 août 1971 s’ouvre une nouvelle période économique et monétaire. Les États-Unis décident de suspendre la convertibilité du dollar en or contrairement à ce que prévoyaient les accords de Bretton Woods de 1944.
Du fait du déficit commercial croissant des États-Unis et de l’inflation, de plus en plus d’États demandaient la conversion de leurs dollars en or avec à la clef la réalisation d’un important bénéfice du fait de l’augmentation du prix de l’or. La décision du Président américain déstabilise les marchés des changes ce qui lui permet d’engager une négociation internationale pour réformer le système monétaire. Avec l’accord du Smithsonian Institute du 18 décembre 1971, l’inconvertibilité or du dollar devient définitive. La monnaie américaine est dévaluée de 7,89 %, ce qui fait passer l’once d’or de 35 à 38 dollars. Plusieurs monnaies sont réévaluées comme Ie yen (+16,88 %) ; le deutsche mark (+13,57 %) et le franc belge (+11,57 %). En 1973, les accords de Washington instituent les changes flottants qui sont définitivement entérinés par les accords de la Jamaïque de 1976. Cette série d’accords aboutit à deux révolutions. Les monnaies ne sont plus rattachées à un métal précieux et leur cours fluctue sur les marchés des changes pour celles qui ne sont pas administrées.
La décennie des années 70 connaîtra deux chocs pétroliers qui mirent fin aux 30 Glorieuses. L’augmentation du prix du pétrole qui passe de 2 à plus de 30 dollars le baril amplifie une crise qui était larvée depuis la fin des années 60. La stagflation s’installe dans les pays occidentaux. De nombreuses entreprises dans le secteur industriel sont contraintes de fermer ou de réduire fortement leurs effectifs. La sphère financière connaît sa première grande crise systémique. Le retrait de l’agrément du fait sa faillite par les autorités allemandes à la banque Herstatt qui intervient sur les marchés des changes met en danger de nombreux établissements financiers avec lesquels elle était en relation. Cette crise est à l’origine de la régulation des opérations de change par les banquiers centraux.
En 1976, le Royaume-Uni est confronté à une crise obligataire provoquée par l’inflation qui atteint, en 2015, 25 %. L’effondrement du cours du cours des obligations met en difficulté l’ensemble de la place financière. Le gouvernement est obligé de demander 3,9 milliards de dollars au FMI faute de pouvoir trouver des liquidités sur les marchés.
Les deux chocs pétroliers mettent un terme au processus de désendettement des États. À la recherche de nouvelles ressources et aidées en cela par les innovations technologiques, les gouvernements des États occidentaux libéralisent les places financières. Il en résulte un fort accroissement de la sphère financière. La hausse des taux d’intérêt et un rapport de force alors favorable aux créanciers modifient en profondeur ce secteur.
Les crises des pays en voie de développement
Entre 1982 et 1989, la crise du surendettement des pays en voie de développement occupe l’actualité. Cette crise est liée à une augmentation des crédits en faveur des pays pauvres au moment où la croissance s’amoindrit et que les taux d’intérêt sont relevés par la Banque centrale américaine afin de lutter contre l’inflation. L’incapacité de plusieurs États à faire face à leurs échéances met en difficulté des banques occidentales. Plusieurs plans d’aides aux pays en voie de développement sont adoptés (dont le plan Brady 1989) et prévoient l’aide du FMI, des échelonnements et des rachats de dettes.
La panne informatique comme vecteur de crise systémique
Le 21 novembre 1985, une panne informatique à la Bank of New-York bloque le système de règlement et de livraison des emprunts d’État. Face à la menace de panique, la Banque centrale américaine décide de dénouer les opérations par l’intermédiaire d’un concours alors exceptionnel de 20 milliards de dollars.
30 ans déjà, le krach de 1987
Le 19 octobre 1987 a été un choc. En une journée, New-York plonge de 22 % ; le CAC 40 perd plus de 9 %. Cette crise est née d’une augmentation des taux d’intérêt décidée par la Banque centrale américaine afin d’enrayer la dépréciation du dollar. À la fin de l’été, les taux à 10 ans ont été remontés de 300 points de base. Le 19 octobre, la hausse des taux à 10 ans sur l’année atteint même brièvement 400 points de base ce qui conduit au krach. Il est d’autant plus violent que la hausse des cours avait été rapide, favorisée par la déréglementation des marchés. La chute des cours a été amplifiée par l’utilisation des premiers robots générateurs d’ordres automatiques. Ce krach eut peu d’influences économiques car il est intervenu en pleine période de reprise économique. Dès 1988, les actions avaient retrouvé leur niveau d’avant krach.
L’année 1989 est celle de la chute du mur de Berlin. Une nouvelle ère s’amorce avec la réunification de l’Europe mais aussi l’émergence de plus en plus nette de la Chine. Par ailleurs, le Japon qui espérait devenir la première puissance économique mondiale entre en déflation. Ce pays connait un krach boursier provoqué par une intense spéculation foncière et financière.
Les crises de change et de taux
Les années 90 sont marquées en Europe par les problèmes monétaires avec en 1992 et 1993 une forte progression des taux d’intérêt qui plonge plusieurs pays en récession. En 1992, les taux dépassent 17 % en France.
En 1994, du fait notamment du cours du dollar, en Amérique latine et en Asie, de nombreux pays connaissent des difficultés financière. L’afflux de dollars dans certains pays favorise la croissance mais génère une forte inflation qui aboutit à une dépréciation des monnaies locales. La perte de compétitivité des pays concernés (Mexique par exemple) se traduit par une augmentation des déficits commerciaux et par une incapacité de rembourser des crédits libellés en dollars. Les crises ne sont plus désormais l’apanage des pays dits avancés. Les pays émergents peuvent être générateurs de krachs. À ce titre, en 1998, la crise des finances publiques russes provoquant un défaut de paiement ébranle l’ensemble du marché obligataire.
La bulle Internet
L’éclatement de la bulle Internet en 2001/2002 est assimilable aux krachs intervenus au XIXe siècle et qui concernaient les activités en plein essor comme le ferroviaire. Cette bulle est liée, en effet, à un surinvestissement dans les télécoms et dans les entreprises opérant sur Internet. La faible rentabilité voire l’absence de rentabilité des entreprises dont certaines avait une faible réalité opérationnelle a provoqué un réajustement violent en 2001.
Le 11 septembre 2001
L’éclatement de la bulle fut suivi par les attentats du 11 septembre. La destruction du World Trade Center et de plusieurs immeubles occupés par des établissements financiers ainsi que la mise hors service de centres de communication étaient susceptibles de créer une violente panique. Face à ces évènements sans précédent, les autorités américaines ont décidé de fermer Wall Street et d’injecter sans limite toutes les liquidités demandées par les banques. Cela eut pour conséquence d’abaisser les taux qui devinrent même négatifs De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) accorda 130 milliards d’euros de liquidités supplémentaires aux banques européennes. De manière concertée, les taux directeurs de la FED, de la BCE et de la Banque d’Angleterre furent diminués.
La Grande Récession
La crise de 2008 est au départ de facture assez classique en associant immobilier et surendettement. L’augmentation des taux réduit les capacités de remboursement des crédits souscrits par des personnes à revenus modestes aux États-Unis. Ce phénomène s’accentue avec la baisse des prix immobiliers qui en résulte. La titrisation des crédits favorisa la diffusion rapide de la crise. La faillite de Lehman Brothers jeta le doute sur la solidité des places financières et entama la confiance sur les marchés. Il s’en suivit une chute des cours boursiers, le blocage des marchés interbancaire et une raréfaction des liquidités. De financière, la crise devient générale et provoque une des plus sévères récessions de ces cent dernières années. Face aux risques d’implosion du système financier et la chute de la production, les dirigeants des 20 premières puissances économiques décident de prendre des mesures de relance concertées. Des plans de soutien aux banques sont entrepris et des aides allouées aux pays faisant face à des crises bancaires (Irlande, Islande par exemple). Cette crise a provoqué une envolée de l’endettement public ce qui a entrainé en Europe, une réplique entre 2009 et 2012. La crise des dettes souveraines met à mal la zone euro avec la menace de sortie de la Grèce. Elle concerne également l’Espagne, le Portugal, Chypre et Maltes. Elle suscite une nouvelle récession qui s’est achevée en 2013. Dix ans après, les stigmates de cette récession ne sont pas encore tous effacés avec notamment l’endettement qui reste une sourde menace.
En 2015, c’est la Chine qui est confrontée à un krach boursier. Du mois de juin au mois de juillet, le tiers de la capitalisation de la bourse de Shanghai disparaît. Cette crise boursière est la conséquence d’une spéculation qui s’est amorcée au mois de novembre 2014 en raison de la possibilité d’acheter des titres à crédit pour les particuliers.
Faut-il sortir de « la boite de nuit »
La prochaine crise aura-t-elle lieu en 2018, en 2019 ou plus tard ? Jacques Attali, au cours de l’émission « L’info du vrai » sur Canal Plus, le 6 novembre dernier en assimilant les marchés financiers à une boîte de nuit surpeuplée et dépourvue des dispositifs de sécurité nécessaires. Les risques étant connus, il indiquait que l’on pouvait continuer à danser à condition de se placer près de la porte de sortie afin d’éviter de rester piégé en cas d’incendie.
Mais, le problème est qu’en cas d’incendie, toutes les boîtes de nuits (entendez les marchés) seraient touchées et qu’il serait difficile pour un amateur de la nuit d’en retrouver rapidement une autre qui satisferait à toutes ses exigences. La situation des pays développés et émergents convergent en matière d’endettement et de politique monétaire. De ce fait, les havres de paix sont de plus en plus rares. La crise de 2008 a prouvé, par sa nature systémique, qu’aucun secteur ne pouvait se prémunir par un séisme d’une telle ampleur. Certes, une hausse des taux d’intérêt trop marquée contribuerait à un basculement d’actifs des actions vers les obligations. Le risque serait double, une crise obligataire doublée d’une crise du marché « actions » avec des conséquences pour la croissance de l’économie mondiale.
Le cours des actions est-il déraisonnable ?
Pour certains, l’envolée des cours des actions, constatée ces derniers mois, suppose une correction. En effet, les indices boursiers américains ont battu record sur record ces dernières semaines. Le CAC 40 est 30 % en dessous de son record de 2000 (6945) et 14 % en-dessous de son sommet de 2007. Le rapport prix des actions / dividendes était de 60 aux États-Unis, 50 en Europe en 2007. Le niveau actuel de 50 aux États-Unis ne parait pas déraisonnable, tant que les bénéfices se maintiennent. Il paraît plutôt bas en zone euro ou en France (30 fois les dividendes environ). Certes, la progression des cours peut être jugée excessive au regard du taux de croissance de l’économie. Sur longue période, elle devrait être proche de celle du PIB. La faiblesse des gains de productivité tirant la croissance vers le bas devrait également peser sur les cours boursiers.
Compte tenu du taux de croissance potentielle, la hausse devrait se situer autour de 3 % en moyenne par an. 2017 est-elle une année de rattrapage après les années difficiles qui ont suivi la Grande Récession (2008) ou est-ce la conséquence des politiques monétaire accommodantes qui ont abouti à accroître les liquidités ? L’accès facile aux crédits entraîne-t-il une bulle financière pouvant exploser à tout moment ? L’augmentation des indices boursiers n’est-elle pas la traduction d’un rapport de force défavorable aux salariés par rapport aux actionnaires ? Cet argument mis en avant par des économistes keynésiens peut être battu en brèche,, surtout en France où il n’y a pas une réelle déformation de la répartition des revenus. Cette bulle potentielle ne serait-elle pas la conséquence d’une surévaluation de certains titres comme cela a été constaté par le passé ? Les cours d’Apple, d’Amazon, d’Alphabet (Google) ou de Facebook sont-ils en phase avec la réalité économique de ces entreprises ? La capitalisation boursière d’Apple représente près de 50 % du PIB de la France. Or, une entreprise qui dépend essentiellement d’un produit, l’IPhone, du système informatique qui l’entoure (Application, ITunes) et des sous-traitants (Samsung, Sony, etc.) qui lui fournissent les composants, ne risque-t-elle pas de subir une remise en cause de son modèle de développement dans les prochaines années ? A contrario, la décennie 2008/2018 a été une décennie perdue pour de nombreux pays. Un rattrapage économique est censé intervenir avec l’arrivée à maturité du digital dont les résultats tardent à se concrétiser au sein des statistiques économiques.
4000 ans de crise et demain ?
Ces 4000 dernières années nous enseigne que la perte de confiance qu’elle soit provoquée par un incident mineur, la faillite d’une banque, d’une entreprise ou du fait de la prise de conscience de l’absence de retour sur investissement est à l’origine des crises. Ces dernières qui ont la fâcheuse idée de se répéter tous les dix ans peuvent être immobilières, bancaires ou boursières, le cumul n’étant pas interdit. Par ailleurs, les périodes de mutation, d’innovations technologiques sont souvent propices à la survenue de krach. Elles génèrent d’importants déplacements de rente et des mouvements spéculatifs. La crise de 2008 a mis en lumière l’importance de la régulation et de la gouvernance internationale. Depuis, la montée des égoïsmes et du protectionnisme conduit à un recul de la coopération internationale, ce qui pourrait constituer un danger en cas de nouveaux chocs économiques.
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